Chapitre 3
JOUR DE LA LOTERIE
Aujourd'hui, tout allait changer. C'était le jour où les noms de chaque pays étaient tirés au sort. Ce soir, Quitterie saurait si elle pourrait ôter ce poids de sa poitrine. Du moins pour une année, ou bien...ou bien s'il ne lui restait que quelques semaines à vivre.
Pour tenter de la déstresser, son frère l'avait invitée à se joindre pour un jogging. Or, Quitterie avait horreur de la course. Elle détestait courir. Après quoi ? Pour quoi ? Non c'était un vrai calvaire. Elle avait toujours l'impression de se fatiguer pour rien, sans réel plaisir. La jeune femme préférait les sports nautiques : la plongée car elle voyait des poissons, des squales et des anémones ou encore le surf pour la sensation et le challenge mais pas la course à pied. On court quand on est en retard, pas pour se faire plaisir. Et pourtant, elle avait accepté la proposition de son frère. Quelle grossière erreur. Au bout de cinq minutes, elle était déjà essoufflée, en sueur et avec une douleur dans la jambe.
– Tu ne tiendrais même pas cinq minutes à la Panacée avec ton cardio du troisième âge, la taquina son frère.
La brune aurait voulu répliquer mais elle souffrait trop pour ça. Qu'il aille en enfer, voilà ce qu'elle aurait voulu lui dire. Non, plutôt qu'il aille à la Panacée, c'était pire et au moins elle récupérerait l'argent même s'il mourait. Rien qu'à cette pensée, Quitterie se figea. Elle avait une chance sur un million de mourir. La réalité de la chose la frappa de plein fouet et son frère dut s'en rendre compte car il s'arrêta aussi et tenta de la rassurer :
– Ça ne sert à rien de se préoccuper alors que les noms n'ont pas été tirés.
– Quentin, souffla-t-elle. Tu sais comment ça fonctionne : les noms sont tirés le soir, et le lendemain matin, les athlètes sont en Suisse pour leur semaine des festivités avant d'entrer dans l'arène. Eux-mêmes n'ont pas le temps de stresser ni de comprendre ce qui leur arrive.
– Ce n'est pas une raison de s'inquiéter. Quit', tu as une chance sur un million. Ce n'est rien, crois-moi en médecine, on voit des...
– Tu vas me faire croire qu'en médecine tu n'es jamais tombé sur un cas du type « un sur un million » ? l'interrompit Quitterie, vivement agacée.
Cet énervement lui donna une raison de reprendre la course, direction la maison. Elle avait besoin de se changer les idées. La veille, elle était sortie avec ses camarades de promo, ils avaient bu à n'en plus pouvoir, pour fêter tous ensemble, leur dernière soirée d'innocence. Parce que parmi eux, il se pouvait bien qu'il y ait les athlètes de la 99e Panacée.
Après avoir pris sa douche, la jeune femme s'accorda un goûter tardif pour lequel son père décida de l'accompagner.
– Papa. Est-ce que toi aussi tu avais le pressentiment que chaque année tu serais choisi ?
– Chaque jour de ma vie pendant cinq ans.
Il sourit tristement.
– J'avais l'impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête mais cela avait certains avantages, plus ou moins. Je profitais de chaque jour comme si c'était mon dernier. Et c'est un peu grâce à ça que j'ai épousé ta mère.
La brune connaissait l'histoire par cœur. Après la loterie de leur trentième année, lorsqu'ils n'encouraient plus aucun risque, son père et sa mère, se noyèrent dans des pichets de bières. Quelques mois plus tard, elle était née.
– Tu as des nouvelles d'elle ? interrogea Quitterie. J'imagine qu'elle ne sera pas là avant ce soir.
– Non effectivement.
Il semblait déçu et gêné par la situation. De toute façon, sa mère n'était jamais là. Elle s'était engagée dans la Marine. Elle gravissait les échelons dans la hiérarchie pendant que son mari changeait les couches. C'était normal pour son père. Il avait toujours parié sur sa femme, ambitieuse, forte et téméraire. Il était persuadé qu'elle brillerait dans son métier et il avait eu raison. Aujourd'hui, elle était la première femme à commander le « Giscard D'Estaing », dernier porte-avions français à avoir été admis au service actif. Le fleuron de la marine française, dirigée par sa maman.
– Leur mission en Méditerranée a été prolongée. Elle sera de retour dimanche, ne t'en fais pas.
– Ne t'inquiète pas, papa. J'ai l'habitude.
A chaque fois que sa mère partait en mission, elle lui offrait plusieurs livres, souvent des trilogies et toujours un livre sur la mer. Elle lui disait :
« – Quitterie, je m'en vais en mission, mais j'ai besoin que toi aussi tu remplisses une mission pour moi, d'accord ? »
La brune avait encore en tête sa chambre d'enfant, couverte de cartes postales de sa mère qui lui parlait du climat, des animaux et des plantes qu'elle rencontrait.
« – Ta mission, si tu l'acceptes, et de me dire de quoi parle chacun de ses livres. Attention, quand je reviens, je te poserai des questions et je compte sur toi pour avoir les bonnes réponses ! »
Pendant les trois ou quatre mois d'absence, Quitterie absorbait ces livres, retenant comment le vieil homme tentait de dresser l'animal marin d'Hemingway, mémorisant les énigmes de Gollum dans le Hobbit. Mais l'enfant fit plus que cela, elle hurla de rire face aux maladresses de Ron Weasley et elle pleura lorsque Romain Gary perdit sa mère dans la Promesse de l'aube. Quitterie avait grandi en partie sans sa mère, mais elle avait vécu dans des centaines de mondes, avec des milliers de personnes. C'était peut-être pour ça qu'elle aimait lire, c'était une façon originale d'attendre le retour de sa mère.
Il restait encore trois heures avant le début de la loterie et elle tournait déjà en rond. Son frère dut le remarquer, car il vint lui demander son aide pour réviser. Il s'entraîna sur son avant-bras pour soigner une fausse blessure puis il retourna sa cheville dans tous les sens pour diagnostiquer elle ne savait quoi sur la malléole. Après avoir été maltraitée pendant un moment, Quitterie imposa des révisions théoriques. Alors elle se mit à lui poser des questions pour lesquelles les réponses étaient aussi claires que du swahili. À chaque fois, elle acquiesçait comme si elle comprenait alors que rien n'avait de sens pour elle.
Quitterie ne vit pas le temps passer car il faisait encore jour, lorsque son père alluma la télévision. Elle n'eut même pas le temps de sentir le stress monter en elle que déjà le générique de la Panacée se terminait.
« – Bonsoir mesdames et messieurs, chantonna le présentateur. Ce soir est le grand soir, celui où cinquante éligibles européens deviennent des Athlètes. Et parmi ces Athlètes deux sont français. Quelle chance, Loris, n'êtes-vous pas d'accord ? »
Les deux présentateurs riaient comme s'il s'agissait d'une cérémonie cinématographique alors qu'il s'agissait d'une sentence mortelle.
« – Tous les pays de l'est ont déjà leurs Athlètes. Les derniers désignés sont les Italiens et les Allemands. Et c'est désormais au tour de la France, puis de l'Espagne, du Portugal et du Royaume-Uni.»
Il avait été décidé que les pays les plus à l'est seraient tirés au sort en premier et ceux les plus à l'ouest en dernier.
« – Revenons sur les nouveaux Athlètes »
La télévision afficha les premiers désignés : les Russes. L'homme était bâti comme une armoire à glace, avec des yeux aussi froids que l'hiver et des joues creusées comme des tombes. Il lui faisait penser au personnage de la marque Mr Propre, en plus hostile. La jeune femme à ses côtés ne paraissait pas plus aimable. Ses longs cheveux noirs tirés en arrière dévoilaient de fins sourcils bien trop arqués et un nez aussi fin qu'une ombre.
– On dirait une tueuse en série, la Russe, commenta mon frère.
Sa phrase fut sans écho, car Quitterie était trop concentrée à les observer. C'était quasi certain qu'ils allaient gagner. La Russie remportait presque toujours le tournoi. Après avoir envahi l'Ukraine, la Pologne et la Hongrie, la Russie établit dans ces pays des camps de préparation pour les futurs éligibles. Ils apprenaient à survivre, à chasser, à tuer mais pas que. Ils apprenaient à être des champions car la Russie ne tolérait pas l'échec. Il était certain que la motivation pour eux n'était pas l'argent mais le prestige. D'ailleurs l'actuel dictateur de l'Union des Etats russes est un ancien vainqueur de la Panacée. Aucun éligible ne peut se porter volontaire pour être Athlète, mais s'ils le pouvaient, les Russes se battraient pour en faire partie.
D'autres images défilèrent avec des pays différents. L'athlète homme grec paraissait tellement vieux avec ces rares touffes de cheveux d'un gris aussi métallique que ses lunettes. À l'inverse, la Croate semblait si jeune, Quitterie lui aurait même donné 15 ans avec ses deux hautes couettes blondes et ses joues roses et rondes dignes des poupons.
« – Comme chaque année, il semblerait qu'il y ait un athlète qui sorte de l'ordinaire, commença la présentatrice.
– Et oui, Loris, mais cette fois-ci ce n'est pas un mais deux athlètes, insista-t-il. »
L'écran afficha le drapeau du Danemark, et sous celui-ci les deux visages des tirés au sort. Quitterie écarquilla des yeux à leur vue :
– Ah bah ça, pour une particularité, souffla son père.
Quitterie non plus n'en revenait pas : la femme avait les traits fins et la peau d'une blancheur cadavérique, à tel point que ses clavicules semblaient dénuées d'épiderme. Son menton était d'une finesse royale tout comme ses fossettes aux commissures des lèvres. Son visage qu'elle devinait fin était partiellement voilé par de longs et fins cheveux d'un blond terne ce qui faisait d'autant plus ressortir ses yeux bleu acier. Mais ce n'était pas son physique la particularité, c'était sa ressemblance avec l'homme à sa gauche. Les mêmes traits, les mêmes marques de finesse, la même lividité macabre et les mêmes yeux. Les noms de famille sous les photos étaient les mêmes.
– Ce sont des jumeaux, révéla Quitterie. C'est incroyable.
– Tu parles d'une coïncidence, chuchota Quentin. C'est de l'ordre de...
– Un sur un million, compléta Quitterie. Non ?
Il ne dit rien car il savait très bien à quoi elle faisait référence.
– Pauvres parents, plaignit son père.
Ils n'eurent pas le temps de s'attarder sur cette unique loterie danoise que déjà les visages accueillants des Italiens apparurent suivi des Allemands. Quitterie était allée à Berlin l'année dernière avec une amie. Elles voulaient une ville avec le soleil, la plage et la fête mais les billets étaient beaucoup trop chers alors elles s'étaient rabattues sur un endroit plus abordable : la capitale allemande. Heureusement que les Allemands parlaient très bien l'anglais car aucune des deux n'était germanophile. Ça ne les a pas empêchées de fricoter avec les beaux Berlinois. De la Deutsch Quality comme elle aimait le dire.
A la télévision, la musique et la lumière s'assombrirent comme pour instaurer un climat de tensions. C'était l'heure de désigner les athlètes français.
D'énormes sphères transparentes contenant des milliers de papiers furent disposées au centre de la scène. Il y en avait trois, les deux plus grandes contenaient des papiers blancs et la dernière avait seulement deux-trois papiers, de couleur noire. Les présentateurs laissèrent leur place à un couple en tailleurs vert forêt. Ils ne souriaient pas, concentrés sur les boules devant eux.
« – Un million cent mille huit cent quatre-vingt-douze éligibles masculins et un seul athlète ce soir. Qui sera l'heureux élu ? »
Quitterie détestait toutes les remarques faisant croire que c'était une chance d'être choisi. Tout le monde savait que c'était une malédiction alors pourquoi forcer ?
L'homme en veston piocha un nom. Deux papiers blancs restèrent coincés entre ses doigts. À cet instant, Quitterie se mit à la place des hommes. Imaginez que vous soyez l'un des deux papiers pris par le juge. Imaginez que votre nom échappe de peu à la sélection. Qu'est-ce que cela fait de savoir qu'en une seconde tout peut changer ? L'homme lâcha un des deux papiers, déplia l'autre et annonça :
« – L'athlète masculin qui représentera la France est Victor Romain Crespain né le 26 août 2096 à Vesoul . »
Un jeune brun au visage ovale et sympathique s'afficha. Il paraissait banal. Comment se sentait ce fameux Victor ? Était-il avec sa famille comme elle?, se demanda Quitterie. Qu'avait-il fait aujourd'hui ? Aurait-il changé sa journée s'il avait su qu'il serait choisi ce soir?
La sentence du dit-Victor venait de tomber: dans deux mois il serait probablement mort. Dans les heures qui allaient suivre, le comité français de la Panacée allait sonner chez lui pour l'embarquer au QG, en Suisse. Il aura à peine eu le temps de dire au revoir à ses proches que le voici déjà dans l'avion pour sa Semaine des Festivités. Pendant une semaine il pourra se préparer pour l'arène, avant d'être envoyé en pâturage. Que faisait-il ? Comment se sentait-il ?
– Quitterie.
La voix de son frère était différente avec un ton plus réservé. Il avait presque chuchoté mais cela avait suffi pour la faire sortir de sa rêverie. En se tournant vers lui comme pour l'interroger du regard, elle vit que ses yeux ne quittait pas l'écran. Alors elle regarda dans la même direction et se figea comme si la télévision s'était transformée en Médusa, faisant d'elle une statue de pierre. Médusa affichait une phrase : « Quitterie Floréal Enata née le 5 janvier 2098 à Revel » et en dessous une photo. Sa photo. Elle n'arrivait ni à penser ni à bouger, et pourtant une seule phrase sortie de sa bouche comme le dernier souffle d'un mourant :
– Une chance sur un million.
*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*
Et voici les trois premiers chapitres de cette nouvelle histoire.
J'espère que la lecture fut plaisante.
Pas trop d'informations pour l'instant ?
Si j'ai le temps, je publie un autre chapitre ce week-end.Concernant le rythme des publications, je compte partir sur deux chapitres par semaine. Il faut que je réfléchisse. N'hésitez pas à me donner votre avis sur le sujet :)
A bientôt,
Ariel
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