30. Secrets bien gardés (1/2)
Cette soirée avec Carlos et ce moment ambigu, me laissent... pensive.
Pour compenser mes horaires tardifs, je suis dispensée de la journée suivante. Le truc, c'est que je ne comprends rien à ce qui se passe et ça, mon cerveau n'aime pas trop. Il faut dire qu'avant hier soir, je n'avais rien vu venir. Carlos n'était rien de plus que mon supérieur, un homme duquel j'arrivais lentement à gagner la confiance, mais qui n'en restait pas moins impulsif et indéchiffrable. Alors comment expliquer que je me sente si frustrée par ce baiser manqué ?
Affalée dans mon lit, je réprime un soupir. J'aurais beau lister mille arguments contre, la vérité, c'est que j'aurais aimé qu'il aille jusqu'au bout de son geste.
— Bon sang, Ana, ressaisis-toi !
Ces mots sortis malgré moi de ma bouche, me relèvent d'une traite. Qu'est-ce qui me prend de ruminer ces histoires futiles ? Mon enquête, voilà pourquoi je suis ici ! Ces pseudo-romances impossibles ne font que me ralentir. Je n'ai même pas pris le temps de recontacter Rafael !
Bien décidée à éluder ce dernier point, je quitte ma chambre. Ce n'est qu'en dévalant les escaliers que je découvre Elvira et Carlos en train de s'affairer au milieu des meubles déplacés et des chaises retournées.
— Qu'est-ce qui se passe, ici ? m'étonné-je.
Quand mes yeux croisent ceux de mon supérieur, je sens mon cœur battre un peu plus fort dans ma poitrine. Tu es ridicule, Ana.
— C'est le bordel, alors on fait le ménage, m'expose-t-il du tac au tac.
Je ne dis rien mais n'en pense pas moins. C'est la première fois que je vois mon jefe tenir un balai, alors je me demande ce qui a pu le pousser ainsi dans ses retranchements.
Comme si elle avait lu dans mes pensées, Elvira ajoute :
— Depuis que je travaille ici, je n'ai jamais vu la famille de Carlos mettre un pied à l'hôtel, alors il faut bien les accueillir comme il se doit !
En voyant mon patron la fusiller du regard, je m'interroge. Les Maestre de visite à l'hôtel ? Bien que le sujet familial ait été abordé hier, à aucun moment Carlos ne m'en a fait part.
— Ana, est-ce que tu peux m'aider à descendre les bouteilles qui sont dans ma chambre ?
Voyant dans cette proposition de mon supérieur l'occasion d'en savoir plus, j'acquiesce. Le temps de remonter les escaliers, nous rejoignons son antre, toujours aussi propre et nette.
— Alors, les bouteilles...
Quand Carlos disparaît dans l'alcôve, j'entends des portes s'ouvrir et se refermer. Il revient quelques instants plus tard chargé d'une caisse à vin.
— Voilà pour la première, déclare-t-il.
La deuxième caisse qu'il ramène est remplie de bouteilles de champagne.
— Wow, ça rigole pas, plaisanté-je. Où est le whisky ?
— Si je me mets à en boire avec ma famille, ça risque de mal finir.
Je me demande ce qu'il entend par « mal finir », quand mon patron se tourne vers son placard. Il en extrait une boîte à bijoux et fouille parmi le pêle-mêle de chaînes et de bracelets.
— Tu cherches quoi, ton pendentif porte-bonheur ? ironisé-je.
— Loin de là... maugrée Carlos.
Je le regarde soulever une chaîne au médaillon gravé d'une seule lettre.
— À quoi correspond ce M ?
— C'est le M de Maestre, m'explique Carlos en passant le collier autour de son cou. Ma mère nous a toujours bassinés avec cette chaîne qui est censée symboliser nos racines...
Il laisse cette phrase en suspens et secoue la tête d'un air désabusé.
— J'ai arrêté de croire en notre famille depuis un bail, mais je me dis qu'en la mettant, je m'épargnerais au moins une dispute. Enfin bref, va falloir redescendre, il faut encore que je...
En voyant mon patron se relever d'une traite, je le retiens en posant une main sur son épaule. Mon geste semblant l'étonner, il s'arrête.
— Hé, Carlos... lui glissé-je. Respire un peu, non ?
— Moi ? Je respire très bien, merci, conteste-t-il d'une voix maîtrisée.
— Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi ne pas m'avoir parlé de cette visite hier ?
— Ça m'était sorti de la tête.
— Je ne pense pas. Regarde-toi, tu te plies en quatre pour que tout se passe bien. Pourquoi est-ce que tu cherches à persuader tout le monde que t'en moques ?
— Certainement parce que c'est le mieux pour moi. Tu peux pas comprendre, Ana.
— Je ne demande que ça...
Voyant que je ne suis pas prête de me laisser décourager, mon patron s'assoit sur le rebord du lit et prend une longue inspiration.
— Bon, très bien. Mon enfance n'a pas été une partie de plaisir, commence-t-il. C'est une longue histoire mais, pour t'expliquer, je peux te parler de mes tatouages.
Surprise, je baisse les yeux sur ses bras. Carlos semblant hésiter, je lui coule un regard attentif pour l'inciter à suivre. Il me désigne alors le loup que j'avais déjà aperçu sur son triceps gauche.
— Mon premier tatouage, c'était lui, m'indique-t-il. J'ai choisi le loup, parce que c'est un animal solitaire et indépendant qui me parle beaucoup. Comme lui, je me suis toujours senti... différent. Différent du reste de ma famille.
— Ah oui ? En quoi ?
— J'ai grandi avec la sensation constante de ne pas être à la hauteur. Il faut dire qu'avoir de mauvais résultats et un penchant rebelle quand on a deux frères intelligents et charismatiques, ça ne passe pas trop. Si eux se sont toujours senti en accord avec mes parents, j'ai cherché à défier leur autorité assez tôt. Je n'avais même pas huit ans quand ils ont décrété que je n'étais qu'un bon à rien et ont décidé de m'ignorer. Mais il n'y a rien de pire que le manque d'attention quand on est gamin... Alors, quand j'ai compris que je n'arriverais jamais à leur plaire, je suis allé chercher du soutien ailleurs et j'ai commencé à me forger mon propre chemin.
En écoutant son histoire, je sens les pièces s'assembler dans mon esprit. Je comprends mieux les hautes attentes que mon supérieur place sur lui-même et sur les autres : sa rigueur presque militaire est enracinée dans ce besoin de faire ses preuves pour exister.
— J'ai commencé par trouver ce soutien dans la figure de mon frère Lucas. Contrairement au reste de ma famille, je sentais qu'il me comprenait. Quand on a déménagé ici, j'avais huit ans et aucune envie d'aller à l'école. Ce que je voulais, c'était travailler, faire des choses concrètes. De son côté, Lucas venait d'avoir dix-huit ans et commençait à prendre ses responsabilités au sein de l'entreprise familiale. C'est à ce moment que j'ai commencé à l'aider dans les negocios qu'il gérait. Ce n'était pas simple, mais j'aimais ça. Je me sentais à ma place, bien plus que sur les bancs de l'école.
Carlos marque une courte pause, avant de poursuivre :
— Comme tu t'en doutes, mes parents étaient loin d'approuver, mais ils avaient lâché l'affaire depuis un moment avec moi. Ce n'est qu'au moment où le negocio auquel je participais a capoté qu'ils me sont retombés dessus... Pour eux, c'était ma faute : j'avais entraîné l'échec de ma famille en voulant me mêler trop vite à des affaires de grands. Je n'avais que dix ans mais, à partir de ce moment-là, j'ai définitivement quitté le foyer familial et j'ai décidé de me débrouiller tout seul.
Dans son récit, cette fameuse affaire qui aurait capoté m'intrigue. Tout cela s'étant passé juste avant que son frère ne récupère le local de Color Caribe, serait-ce du partenariat avec ma mère dont il parle ?
— Heureusement, je n'ai jamais été totalement seul. Mon frère a continué d'être là pour moi et, quand il a racheté Color Caribe, j'étais aussi motivé que lui. Il ne voulait pas que j'arrête l'école et c'était bien le seul auquel j'obéissais, alors je l'aidais le reste du temps : les après-midi, les week-end... Jusqu'à ce que tout s'effondre brutalement.
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