16. Interrogations
Deux jours plus tard, j'avais rendez-vous avec Rafael-Santos.
Je n'ai pas eu à ruser longtemps pour le joindre : il m'a suffi de contacter Sebastián en prétextant chercher un prof d'accordéon pour une connaissance. Mon mensonge est passé comme une lettre à la poste et le chanteur m'a refilé le numéro de son ami sans hésiter. Fin de l'ère des mystérieux rendez-vous nocturnes – de toutes façons, il ne s'y rendait pas – et place au progrès.
Si me procurer le contact de Rafael-Santos a été étonnamment simple, avoir affaire directement à lui l'a été beaucoup moins. J'ai choisi le mystère en déclarant avoir quelque chose d'important à lui montrer, et j'espère ne pas m'être trompée, parce qu'il est hors de question que je me fasse planter une fois de plus par ce type !
— Salut.
La voix grave qui résonne dans la rue fait mourir cette crainte. Je m'approche de la silhouette qui se tient adossée à sa moto.
— Salut, retourné-je.
Rafael-Santos me sonde, ses cheveux encore ébouriffés par son casque. Son visage serein et sa dégaine nonchalante m'exaspèrent, mais je prends sur moi pour rester calme et propose :
— Est-ce qu'on peut aller ailleurs ? Je n'ai pas spécialement envie que notre discussion soit relayée dès demain par Elvira sur radio Tumbamuertos.
L'accordéoniste acquiesce et nous marchons quelques minutes pour rejoindre la place voisine.
— Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
Alpaguée par la voix curieuse de Rafael, je tire nerveusement sur le bas de mon t-shirt. J'ai l'impression de me tenir au bord d'un précipice, sans savoir si ce sont des rochers abrupts ou des filets élastiques qui m'attendent en bas. L'image qui me rappelle les paroles d'Eugenia.
Tu devras impérativement suivre ton cœur et ton intuition. C'est le moment de croire, d'avoir confiance en l'univers et en là où il souhaite te guider.
— Est-ce que... Est-ce que tu connais un certain Rafael José Corrales ?
Un silence écrasant s'éternise. Je retiens mon souffle.
— C'est le nom de mon père, lâche Rafael d'un air méfiant. Pourquoi tu me demandes ça ?
Sa réponse me fait l'effet d'un électrochoc. Mon cerveau peinant à encaisser cette information, je décide d'insister pour en avoir le cœur net :
— Et Natalia Rosa Molina ?
— C'est ma mère. Comment est-ce que tu sais ça, où est-ce que tu as eu leurs noms ?
J'aurais aimé me tromper, mais cette seconde affirmation ne laisse plus l'ombre d'un doute, et le brasier de rage qui me consume à cet instant m'empêche de réfléchir davantage.
— Putain, mais pourquoi tu ne m'as rien dit ? Tu savais que j'étais là pour ça ! m'insurgé-je.
— Hein ? Mais enfin, de quoi tu parles ?
Rafael me fixe d'un air décontenancé, mais je balaie ses interrogations d'un geste de la main.
— Arrête de jouer au con avec moi ! T'as bien choisi ton moment pour disparaître, pas vrai ? Dire que je croyais que tu étais de mon côté !
— Ana, je te jure que je ne sais pas de quoi tu me parles.
Tiens donc, il me sort mon prénom, maintenant ? Pour jouer au con, je dois reconnaître qu'il s'y prend plutôt bien.
— Ouais, bien sûr, marmonné-je en secouant la tête. Et ça, alors ? C'est rien, peut-être ?
J'extirpe la lettre et la photo de ma poche pour les plaquer contre son torse. Rafael baisse les yeux et saisit les documents pour les examiner.
— Tu sais comme nous que l'affaire que nous menons n'est pas sans risques... S'il venait à nous arriver quelque chose, nous aimerions que tu donnes cette enveloppe à Patricia Molina... lit-il. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que ça ?
— Waouh, super performance. T'as l'intention de jouer encore longtemps au mec surpris ?
Les yeux rivés sur la photo, Rafael ne répond rien. Je profite de son silence pour réattaquer :
— Pourquoi avoir inventé que tes parents n'avaient jamais quitté la Guajira, alors que ton père travaillait ici, à l'endroit même où je vis ? Tu ne voulais pas que je retrouve ma mère biologique, c'est ça ?
— Arrête de dire n'importe quoi. Tu ne sais même pas ce que tu racontes.
— Eh bien vas-y, si je ne sais pas de quoi je parle, éclaire ma lanterne ! Je n'attends que ça !
Défié par mon regard hargneux, Rafael-Santos inspire lentement.
— Où est-ce que tu as trouvé ces documents, Ana ?
— La lettre était cachée dans un cadre de ma chambre. Et les photos dans une boîte perdue au fin fond de la remise de l'hôtel.
Le lourd silence qui suit ma déclaration ne me donne aucune envie de me taire.
— Si tu as l'intention de brûler les derniers indices qui pourraient me permettre de parvenir à mes fins, je peux te lister les endroits à regarder, tu n'as qu'à demander ! vociféré-je en écartant les bras.
Rafael saisit mon poignet dans son envolée fougueuse pour me rendre la photo et la lettre.
— Non, je n'en ai pas besoin. C'est des conneries, tout ça.
Plus agacée encore par sa réponse, je le fusille du regard. Son visage ne laisse plus filtrer l'ombre d'une émotion, c'est comme s'il s'était complètement verrouillé.
— Sur ce, tu m'excuseras, mais il faut que j'y aille.
Son ton est sans appel et, avant même que j'aie le temps de réagir, Rafael est déjà sur sa moto. Quand j'ouvre la bouche pour tenter de le menacer, le vrombissement de son moteur couvre ma voix, et je me retrouve une fois de plus démunie au beau milieu de la place déserte.
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