/💉/ Ça s'en va et ça revient
Je ne saurai pas dire combien de temps je suis restée allongée sur le canapé.
Même lorsque l'envie de pleurer s'est arrêtée, je suis restée là. En position presque fœtale, recroquevillée. Immobile.
Charly s'est installée contre moi en cuillère, dans ce petit creux que forme mon corps. Je ne l'ai jamais entendu ronronner comme ça. C'est si puissant que ses vibrations contagieuses traversent mon corps pour atteindre mon petit cœur meurtri.
J'ai entendu dire que les ronronnements sont une forme d'antidépresseur. J'imagine que ma guéparde essaye de m'en donner le plus possible. S'en est presque ridicule, mais je dois avouer que ça a quelque chose d'apaisant.
Sans vraiment m'en rendre compte, j'ai fini par la prendre dans mes bras, comme pour la rapprocher encore plus de moi. Une véritable peluche vivante.
Je suis exténuée.
Vidée.
C'est...
Horrible.
Alors je la sers encore plus fort. Sûrement trop, pour m'assurer qu'elle ne partira pas. Mais elle ne dit rien.
Je m'y raccroche. La seule patte qui m'est tendue, dans cet océan si profond qui m'avale petit à petit.
Je n'ai nulle part d'autre où aller. Mais je ne veux plus rester à Oddly Bay.
C'est bête, je sens que je pourrais vraiment me sentir chez moi ici...
Surtout à cet instant.
***
Je ne sais pas vraiment quelle heure il est quand je me réveille. Les volets sont fermés, mais la lumière rentre tout de même dans les interstices.
Et la fourrure a été remplacée par une peau lisse, couverte d'un petit duvet tout doux semblable à celui d'une pêche. C'est une drôle de sensation qui me met plutôt mal à l'aise. Ce n'est pas tant le fait que ce soit Charly le problème, mais plutôt que ce soit une femme... Une fille plutôt. J'ai presque l'impression de faire quelque chose de mal, d'interdit.
Mais je n'arrête pas pour autant. Je la garde contre moi alors que je pourrai jurer que nos cœurs battent à l'unisson, dans un calme magique.
C'est fou. Je la connais depuis si peu de temps. Et pourtant, je suis certaine de n'avoir jamais autant aimé quelqu'un de toute ma vie.
Il y a un son. Un son étrangement familier, mais que je n'ai pas entendu depuis un petit moment. Une mélodie qui a l'effet d'une berceuse pour mon petit cœur d'introvertie. Celui de la pluie.
C'est vrai ça. Maintenant que j'y pense, l'Oregon est un état où il pleut beaucoup normalement. Pourtant c'est la première fois que ça arrive depuis que je suis là. A croire que même le ciel se met à pleurer.
Un coup de tonnerre résonne au loin. Le bruit doit être suffisamment proche pour que la conscience de Charly l'entende, perdue au plus profond de ses rêves. Elle a un petit spasme de surprise accompagné d'un gémissement, tout en restant endormie. Elle fait peut-être un cauchemar ou un truc dans le genre ?
Un autre coup survient quelques minutes plus tard alors que je suis perdue dans mes pensées. Elle gémit et remue de nouveau. J'vais finir par croire qu'elle a peur de l'orage la grande Charly si courageuse ! Le temps passe, mais elle continue de gesticuler de temps à autre, comme si elle se débattait. Qu'est-ce que je suis censée faire moi ? La réveiller ? C'est pas super sympa, puis ça risque de la surprendre encore plus.
Alors je l'enlace plus fermement et caresse timidement sa peau pour lui faire ressentir ma présence. Nos deux cœurs accélèrent, elle à cause de l'orage, moi à cause de... du bien-être j'imagine.
Si elle entend les éclairs, j'imagine qu'elle peut m'entendre aussi. Je m'approche de son oreille tout doucement et murmure en prenant ma voix la plus douce :
« Chuuuut. C'est rien. C'est la pluie. Tout va bien.
Je suis là. »
...
J'ai l'impression que ça a marché. Ses muscles se détendent. Sa respiration reprend son rythme initial, tout comme son cœur qui se cale sur le mien, précis comme un métronome. Entre ça, la chaleur de son corps et le son de la pluie qui tape sur le toit, je risque de me–
***
Quand je rouvre les yeux, mon coussin taille humaine a disparu. Je n'entends plus la pluie, mais là où un son agréable a disparu, une odeur divine l'a remplacée. L'odeur du petit-déjeuner.
Je me lève du canapé le plus lentement possible. Mon corps me donne l'impression d'avoir 50 ans. Probablement le contrecoup de la poursuite si mouvementée de cette nuit. Je gesticule mon bras dans tous les sens pour que le sang y retourne et après quelques secondes, je retrouve l'usage de mon membre.
Je sors du salon et arrive directement dans la cuisine où repose une grosse assiette de pancake. Charly est déjà en train d'en manger et me regarde, les joues gonflées tant sa bouche est pleine à ras bord. Elle finit par avaler tout rond avant de m'expliquer :
« Y a des p'tits cons qui ont balancé des œufs sur ta baraque. Je leur ai botté les fesses et ils ont laissé une barquette entière, donc j'me suis dit que j'allais faire des pancakes ! Mais j'avais trop faim, j'ai pas réussi à t'attendre. »
Logique infaillible.
Je me frotte les yeux et réalise qu'elle porte mes habits. En même temps ce n'était pas spécialement prévu qu'elle dorme ici. Puis j'pense qu'on n'est plus à ça près honnêtement.
Je m'assois et commence à manger ses pancakes. On ne va pas se mentir, ça ne vaut pas ceux de Molly, mais ils sont quand même bons. En même temps c'est compliqué de rater des pancakes, même pour Charly.
« T'es sûre que c'était pas des œufs pourris au moins ? demandé-je.
— ... Euuuh. »
Elle me fatigue. Et pourtant j'viens de me réveiller.
« Mais nan t'inquiètes, y puaient pas. J'suis pas conne à ce point quand même !
— Non... Conne, mais pas à ce point... » dis-je avec un petit sourire en coin avant de me prendre un pancake dans la gueule.
***
On en arrive encore une fois à la fameuse discussion.
« On fait quoi ? »
Si seulement je le savais Charly... Mais je me contente d'un silence, veine tentative d'éviter de parler de l'éléphant dans la pièce.
« Au pire j'viens avec toi !
— Quoi ?
— Si j'ai bien compris, t'as nulle part où aller. Et bah moi je viens avec toi et on part à l'aventure ! On prend le van de papa, on s'installe dans une ville quelque part, on s'trouve un taff et on loue un appartement !
— La vie est pas si simple que ça Charly. Le rêve américain est mort y a des décennies.
— J'parle pas de devenir millionnaire, j'parle juste d'avoir un toit ! On serait bien ensemble–
— Tu réalises que tu me connais depuis quoi, 10 jours à tout péter ? Et tu veux quitter la ville où tu es née pour moi ? Là où y a ton père, tes amis et tous tes repères ?
— Pourquoi pas ?
— C'est pas sain Charly ! Déjà pour toi, parce que ça veut dire que tout ton monde tourne autour de moi, et pour moi non plus parce que ça me met une grosse pression ! J'ai pas envie que quelqu'un dépende moi, tout comme j'ai pas envie de dépendre de quelqu'un.
— Mais non, t'as juste à être toi-même, t'as pas à stresser !
— Même, je veux pas qu'tu sois accro à moi.
— Excuse-moi d'aimer passer du temps avec toi !
— Mais là n'est pas la question, moi aussi j'aime être avec toi nunuche ! Mais déjà que tu as du mal à passer trente secondes sans te coller à moi alors imagine si on va vivre ailleurs, alors qu'en plus t'es jamais sortie de ton village. Je vais être ton seul pilier et c'est hors de question.
— ... J'crois que j'comprends.
— Puis tu adores être un guépard ! C'est la moitié de toi cette forme, tu peux pas juste tirer un trait dessus !
— C'est qu'une forme. J'suis p'tet un guépard, mais j'suis surtout Charly, et j'suis la même avec des bras ou des pattes.
— Si tu veux... Dans tous les cas c'est non. Je veux partir d'ici. Et je veux pas que tu viennes avec moi. »
J'ai dit ça d'un ton ferme, pas tant par plaisir, mais par nécessité. Je m'attends presque à ce qu'elle se mette à pleurer, mais elle semble étonnamment compréhensible.
« Okay... T'as raison, j'pense que c'est la meilleure chose à faire.
— Mais c'est pas un adieu ! Promis je viendrai souvent ! J'adore l'Oregon, alors pourquoi pas essayer de m'installer ici, p'tet à Portland.
— C'est où ça ?
— C'est la plus grosse ville de l'Oregon... Vous avez pas de géographie à l'école ?
— Géogra–quoi ?
— ...
— Non là j'me fou de ta gueule. »
Saloperie. Mais... J'dois avouer que sa réaction me surprend. Je m'attendais à plus de résistance de sa part. Ce n'est pas tant qu'elle est égoïste, mais quand je l'ai rencontrée, j'avais vraiment l'impression qu'elle pensait qu'à sa pomme. Les apparences sont vraiment trompeuses, surtout dans cette ville.
« Bon. J'espère que t'as gardé les cartons.
— Tu veux m'aider ?
— Bien sûr ! J'te l'avais promis j'te rappelle. Puis tu l'as dit toi-même, j'suis accroc!
— Une vraie droguée !
— Foutues junkies, avec leurs habits noirs et leur musique de dégénérés !
— Moi à mon époque on écoutait de la vraie musique ! Pas juste du bruit ! »
Et on continue de se moquer des boomers pendant deux bonnes minutes avant de prendre une grande inspiration et de se mettre au boulot.
Plus vite je serai partie d'ici, mieux ce sera.
***
Il s'est pas passé grand-chose d'intéressant, à part qu'un groupe a tagué « Leave ! » sur ma porte et sur les murs de la maison... On ne les a même pas entendus ces enfoirés.
J'suis vraiment contente de pas avoir tout déballé. Ça fait du travail en moins.
Je me sens... bizarre. D'un côté je suis soulagée de quitter cet endroit de malheur où je me sens en danger. Mais de l'autre...
C'est vraiment comme ça que se termine l'aventure ?
C'est comme si Harry Potter quittait Poudlard après la 2ème année. Ou comme si Frodon avait fait demi-tour au milieu du chemin.
Mais qu'est-ce que je suis censée faire ? Déjà que les habitants ne voulaient pas de moi à la base, mais maintenant tout le monde veut que je me casse. Sans parler du fait que mes voisins se sont fait tuer par des créatures démoniaques, les mêmes qui ont tenté de nous buter quelques heures plus tôt.
Si malgré tous ces signes je décide de rester... C'est comme si le monde entier me disait de me barrer le plus vite possible d'ici. Puis en plus je vais finir par me transformer en je ne sais pas quelle bestiole si je reste plus longtemps.
J'dois bien pouvoir trouver un job de bibliothécaire ou de documentaliste quelque part. Si possible logé, ce serait encore mieux.
T'façon, vu le réseau quasi inexistant qu'il y a ici, j'ai pas le choix. Je dois partir pour commencer mes recherches.
J'commence à me dire qu'il faut au moins que j'aille voir Grand Ours. Pour m'excuser de ne pas pouvoir garder le poste. Le pauvre qui était si content d'être enfin à la retraite...
J'ouvre un placard dans mon salon pour voir ce que j'ai fourré à l'intérieur. C'est là que je retrouve la fameuse boite qu'il y avait dans le grenier. La lettre est encore à l'intérieur. Toujours attirée par cet épais mystère, je reprends le bout de papier jauni. Charly se rapproche :
« C'est quoi ?
— Je t'en avais parlé je crois. C'est une lettre écrite par la fondatrice de la bibliothèque. Elle parle du fond du bâtiment. »
Je la relis en diagonale. Et une ligne accroche mon attention :
« Ce que vous devez savoir, c'est que si par malheur l'avenir de la ville était compromis, vous trouverez de nombreuses réponses dans les ouvrages que j'ai cachés au fond de la bibliothèque. »
Est-ce que l'avenir de la ville est compromis ? Ça ne me semble pas démesuré comme affirmation vu que deux habitants viennent d'être tué par un Ohanzee pour la première fois depuis quoi, toujours ? Puis ça me refait penser à ce qu'un client m'avait dit, un gardien qui expliquait que les Ohanzee s'approchaient plus de la ville que d'accoutumer. Et de fil en aiguille, je me rappelle de la carte que j'ai vu dans le garage du père de Charly, avec les zones hachurées qui étaient de plus en plus proches de la ville. Puis ce que m'avait dit Charly, comme quoi ce serait simplement des cycles, que des fois les Ohanzees s'approchent et des fois reculent. Plus j'y pense, plus ça ressemble à une belle connerie.
« De ce que je comprends, ces bestioles nous veulent du mal pas vrai ?
— Pour ça qu'on les bute depuis des décennies. Puis vu qu'ils viennent de tuer les Murphy...
— ... »
On fait un silence de quelques secondes, comme pour leur rendre hommage. Ou pour digérer l'information qui nous reste en travers de la gorge.
« Ton père t'as rien dis de particulier ?
— Je sais que ces derniers temps ils arrivent à se rapprocher de la ville. Mais il m'a dit qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter, que ça arrive parfois. Que c'est peut-être l'été qui les remotive.
— Mais comment ? Comment est-ce qu'ils peuvent s'approcher aussi proche avec tous les gardiens et leur matos ultra high-tech ?
— J'sais pas, ils sont p'tet plus rapide ou plus nombreux que d'habitude ?
— Donc ça signifie que leur objectif final, c'est d'atteindre Oddly Bay. Et là ils ont réussi, pour la première fois. Et on a vu le résultat que ça a donné...
— Oui, mais papa va renforcer la sécurité, t'inquiète pas pour ça. Aucune chance que ça n'arrive à nouveau.
— J'y crois moyen... J'ai vu un plan dans son garage et à l'époque, ils arrivaient à maintenir les Ohanzee super loin de la ville. Maintenant la frontière est super proche. Tellement proche qu'on peut entendre les coups de feu. Et visiblement, ça va continuer d'empirer. »
Je la regarde l'air grave. J'ai du mal à croire ce que je m'apprête à dire...
« Peut-être qu'on peut arranger les choses. Peut-être que dans ces documents il y a la solution au problème. Peut-être même qu'on pourra éradiquer ces saloperies !
— Donc tu restes ? »
Elle ne perd pas le nord.
« C'est pas vraiment mes affaires. Mais si on a le pouvoir d'empêcher d'autres attaques, on doit s'en servir. Pour que ce qui est arrivé aujourd'hui n'arrive plus jamais.
— Surtout qu'ils ont réussi à nous poursuivre hors de la forêt. Si ça s'trouve ils vont attaquer d'autres villages.
— Et si ça arrive, toutes les caméras du monde vont être tournées vers cet endroit. »
Je vois une étonnante détermination dans son regard. Elle qui ne semblait motivée que pour me mettre dans son lit, je vois qu'elle prend vraiment à cœur ce que je lui dis. En même temps elle semblait connaître le couple de vétérinaire depuis son enfance. Et j'imagine que ça l'arrange aussi que je reste, forcément.
« Bon, il est temps d'ouvrir cette réserve. »
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