/🌞/ Une secte plutôt sympa
Je me hâte vers eux puis pose l'immense boite par terre. Tous les regards sont rivés vers moi, me transformant immédiatement en tomate. Je suis habituée à ce qu'on me fixe depuis mon arrivée, mais pas par autant de personnes ! C'est drôlement intimidant.
Il y a de tout. Hommes, femmes, jeunes, vieux. Un beau mélange qui a l'air étrangement amical. Moi qui pensais que toute la ville voulait ma mort ! Mais cela n'explique pas vraiment la raison de leur venue.
Je réalise que Charly a déjà entamé la conversation. Mes yeux dévisagent une personne en particulier. Il doit s'agir du chef de ce groupe. Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer, mais je le sens. J'imagine que c'est ça, avoir une tête de leader. Elle détourne son regard de Charly pour me mettre dans son viseur.
« Bonjour Emily. »
Je serre sa main sans même réfléchir. Un relent de dégout m'agrippe les tripes lorsque je prends le temps d'observer son visage.
J'ai une image qui apparait. Celle de l'autre enfoiré.
Je pense à lui tous les jours. Que ce soit une pensée furtive, un souvenir, un cauchemar. Il se manifeste sous toutes les formes. Mais je chasse son visage déformé par la colère, encore et encore, en priant pour qu'un jour je parvienne à l'oublier.
Mais cette poignée de main. Ce visage. Je ne saurai dire pourquoi, mais ça ramené mon ex dans mon subconscient. Ils n'ont pourtant aucune ressemblance. Elle a même l'air très gentille cette femme. Je ne comprends pas pourquoi elle me fait remonter cette ordure de la décharge où j'aimerais qu'il reste.
Comme lorsque l'ami de Charly m'a touché lors de cette fameuse soirée matinale. Cela n'a pas forcément de rapport. C'est juste un prétexte pour ce foutu trauma de me faire souffrir, encore et encore. Un châtiment bien cruel à mon humble avis.
« Je me présente, Viola, présidente du club des amoureux du jour.
— Adorateurs du soleil rectifie Charly, visiblement satisfaite de sa remarque qui semble agacer le groupe tout entier.
— Nous avons changé de nom il y a plusieurs décennies Charly, il faudrait te mettre à la page. »
J'hésite à me présenter, mais de toute évidence, toute la ville me connait désormais. En bien ou en mal.
C'est une femme d'une quarantaine d'années. Le genre mère de famille, qui a un petit travail sans importance. Juste ce qu'il faut pour ramener à manger aux enfants et pour partir en vacances une fois par an pendant l'été avec le break familial –qui est toujours conduit par le mari, sauf pour emmener les enfants à l'école le matin et les chercher le soir–. En bref, une ménagère du siècle dernier. Les cheveux blonds et frisés, le visage bienveillant et des habits parfaitement repassés avec une robe à fleurs qui ne fait ni trop décontractée, ni trop stricte. Elle dégage vraiment une énergie de mère, c'est difficilement explicable. Pourtant elle n'a strictement rien à voir avec la mienne, Dieu soit loué.
« Nous tenions à te donner notre soutien. On trouve tous que la manière dont te traitent les habitants depuis hier est absolument immonde.
— ... Merci. Mais vous êtes qui concrètement ?
— On est simplement des habitants comme les autres, à la différence qu'on essaye de vivre la journée avec notre forme humaine. Un peu comme toi finalement. »
Le silence qui s'en suit est si gênant et profond que l'un des membres se met à taper du pied pour combler le vide. Charly finit par sauver la situation, une fois de plus.
« Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, Emily vit la nuit, comme nous tous ! Il n'y a que vous qui faites chier votre monde.
— Facile à dire pour toi Charly, tu ne te transformes pas en phoque ou en requin toutes les nuits ! » réagit l'un des membres, suivis d'une vague d'approbation.
Leur cheffe demande le calme, ce qui est étonnamment efficace. Cela n'empêche pas une pluie d'éclair de s'abattre sur Charly qui semble particulièrement apprécier cet orage.
« Peu importe, nous tenions simplement à vous affirmer notre soutien. Pour nous, tu as ta place à Oddly Bay. L'attaque n'était qu'une pure coïncidence. S'il y a des personnes à blâmer, c'est bien les gardiens. Puis si j'ai bien compris, vous n'étiez même pas dans la ville quand ça s'est passé.
— C'est exact...
— Et nous voulions aussi te dire que si jamais tu souhaites continuer de vivre la journée, tu n'as pas à te conformer aux autres ! Il y a beaucoup d'habitants qui vivent le jour et il n'y a pas de honte à ça.
— Tu veux dire les métiers dangereux et quelques membres de ta petite secte ? » riposte Charly.
Je m'apprête à dire quelque chose, vraiment gênée d'être prise entre deux feux. Mais Viola répond trop vite, avec une sérénité parfaite, inébranlable face aux attaques de la guéparde humaine.
« Je préfère dire la vérité avant que Charly ne déforme tout. Notre groupe a été considéré comme une secte fût une époque, car certains de nos membres ont été bien trop extrémistes. Mais maintenant, nous cherchons simplement à faire valoir notre mode de vie et à nous faire respecter, rien de plus. Il y a toujours quelques personnes qui s'amusent à nous rabaisser sans raison. Mais tu es jeune Charly, tu comprendras un jour, j'en suis sûre. »
Prise de curiosité, je demande : « Et vous faites quoi concrètement ?
— Nous aidons nos membres qui ne peuvent pas du tout se déplacer la nuit en leur permettant de vivre la journée pour qu'ils n'aient qu'à dormir une fois la lune apparue. Un exemple tout bête, mais toutes les supérettes ferment la journée, même le supermarché. On fait donc leurs courses pour qu'ils ne meurent pas de faim.
— Et le reste du temps, vous faites du sabotage ou des empoisonnements de masse. »
Là où la cheffe se contente de soupirer à cette remarque, les autres membres du club sont bien plus réactifs et engueulent violemment mon amie polémiste qui se met à rire, heureuse d'avoir provoqué une telle réaction. Viola se retourne :
« Ça suffit, ça suffit ! Vous voyez bien que plus vous réagissez, plus elle va continuer ! De vrais gosses vous tous, c'est pas possible ça ! »
Agacée, elle se retourne vers moi et tire court à la conversation.
« On souhaitait juste t'apporter notre soutien. En tant qu'habitants, nous apprécions ta présence et nous te remercions de t'occuper de notre belle bibliothèque et de son héritage. C'est tout. »
Elle traverse la foule et prend la porte, suivie de toute sa meute qui continue d'aboyer après Charly, tout sourire en apercevant la retraite de ses adversaires. J'attends que le calme revienne pour confronter mon amie :
« T'es pas obligée de te comporter comme ça ! J'me sentais comme une conne !
— Emily, je sais qu'ils ont l'air sympas comme ça, mais ce sont des malades ! La preuve, il y a plein de gens qui vivent la journée et qui ne font pas partie de leur groupe de fous. Ne leur pas confiance, et surtout, ne te montre pas en public avec eux ! Déjà qu'on a une mauvaise réputation alors si les habitants apprennent que ces barjots nous soutiennent, c'est foutu.
— Comment ça "nous" ?
— Oui bon c'est surtout toi, mais vu que tout le monde sait que je traine tout le temps avec toi.
— Mais tout le monde t'adore !
— S'ils m'adoraient tant que ça, ils auraient un peu plus confiance envers mon amie. Ils m'aiment bien car je leur apporte le courrier, parce que je suis souriante et surtout parce que mon père est le chef des Wakizaz. Mais des fois j'ai l'impression qu'ils ne me considèrent pas vraiment comme l'une des leurs.
— Ne dis pas ça, c'est juste la première fois qu'une étrangère arrive dans la ville. Entre ça et tout ce bordel. Ils ont peur, c'est compréhensible, je pense.
— J'imagine... »
***
Charly est partie travailler il y a quelques heures. La nuit est tombée depuis. Et à défaut d'avoir eu des touffes de poils sur les jambes, j'ai eu de grosses bouffées de chaleur avec quelques tremblements. Ça n'a pas duré longtemps, heureusement. Je comptais sur l'arrivée de clients pour occuper mon esprit, mais j'ai dû attendre plus d'une heure avant de voir un client passer le bout de son museau par la porte. J'imagine que les habitants n'ont pas vraiment envie de me voir... Ou qu'ils n'ont pas la tête à aller à la bibliothèque.
Alors j'en profite pour lire ce fameux livre. J'ai commencé celui écrit par Amy et je dois avouer que c'est extrêmement intéressant ! Beaucoup d'informations condensées en peu de pages, si bien que je prends des notes pour faire un récapitulatif à Charly lorsqu'elle reviendra.
Il y a des concepts que je mets plus de temps à comprendre que d'autres. Et l'âge du texte ne m'aide pas vraiment. Je découvre des mots que je ne connaissais même pas dans cette relique ! Heureusement qu'il y a des dictionnaires dans les rayons pour m'aider à déchiffrer ce bout d'histoire.
J'ai du mal à savoir si je dois tout croire... Même Ally semble douter de ce qu'elle écrit par moment, avec des notes dans tous les sens. « Raconté par la vieille Amtred qui n'a plus toute sa tête » « Tout le monde n'est pas d'accord sur leur nombre, c'est difficile à estimer » « J'ai du mal à croire que j'écris un truc pareil »
Je pense que je n'aurai pas de réponse claire et précise. Mais pour le moment, le plus important n'est pas tant de nourrir ma curiosité, mais de trouver le point faible des Ohanzees. Ou un moyen de les faire reculer. Car à part le cœur de la ville qui est censé les empêcher de s'approcher, je ne vois pas vraiment ce qui pourrait nous aider. Pour le moment, elle raconte simplement des légendes qui tournent dans le village à propos de l'origine du mystérieux pouvoir des habitants.
***
La première moitié de la nuit s'est plutôt bien passée... Si on oublie les sales gosses qui ont tagué une énorme bite sur la porte. Heureusement qu'il y a des toilettes et un lavabo juste à côté de mon bureau. Et maintenant que j'arrive à aller dans la réserve, j'ai pu prendre une bassine, une éponge et m'amuser à nettoyer cette offense au temple du savoir. Si les humains respectaient autant la culture et la connaissance que leurs dieux, ils seraient probablement moins cons.
Et forcément, en parlant de bite...
« Oh oui, lustre-moi cette belle verge ! »
Je n'ai même pas besoin de me retourner pour soupirer.
« Qu'est-ce que j'étais contente sans tes remarques à la con.
— En même temps t'as pas l'air d'avoir le temps de t'ennuyer. »
Je balance l'éponge verte de peinture dans la bassine et fais face à la rue pour apercevoir la saloperie qui a une chatte à la place du cerveau. Ironique pour un guépard.
« Tu as tout distribué en à peine 4 heures ?
— Alors, pour commencer, je suis une guéparde.
— Jusque là on est d'accord.
— Et pour continuer, je t'ai déjà dit que j'n'ai pas beaucoup de boulot. C'est vite vu.
— Branleuse.
— Vu le nombre de clients que t'as dû avoir aujourd'hui, t'es mal placée pour parler.
— Un point pour toi. »
Je finis rapidement de nettoyer cette horreur pendant que la guéparde se nettoie au milieu du trottoir. Difficile de lui en vouloir, ce n'est pas comme si elle pouvait m'aider avec ses pattes. J'me demande comment ont fait ces sales mioches pour aller aussi haut d'ailleurs, je ne peux presque pas atteindre le gland de cette reproduction très minimaliste de scrotum.
Après un silence, entrecouper de crachat de boules de poils, Charly ouvre sa gueule :
« Bon alors, tu me racontes ce que tu as lu ! »
Je me retourne instantanément et pose mon doigt sur ma bouche avant de lui lancer un mauvais regard.
« CHUUUT !
— Quoi ?!
— CHUT !
— MAIS !
— CHUUUUUUT ! »
...
J'ouvre la porte désormais propre et lui fais signe de rentrer. Elle s'exécute, me regardant comme si j'étais devenue complètement folle. Le grincement suivi du claquement me confirme qu'on est maintenant seules.
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