/😈/ Réunion tupperware version chasse aux démons
June nous a écouté raconter toute l'histoire avec une passion que je n'ai jamais vue. Elle a même pris des notes, pour dire à quel point elle s'est investie. Aucune question, seulement des gribouillis sur son carnet sans nous lâcher du regard.
Lorsqu'enfin notre résumé se termine, sa première réponse est sans équivoque :
« Pourquoi vous m'avez pas appelé plus tôt ?! »
Je laisse l'honneur à Adam ou Charly de lui répondre. Lui détourne le regard et elle ne sait pas franchement comment aborder le sujet.
« Honnêtement ? On cherchait plutôt un moyen de... les tuer. Et on sait que–
— QUOI ?!
— Voilà, c'est pour ça.
— Mais maintenant on a compris que c'est pas forcément la meilleure option ! »
Adam se penche en arrière et me regarde avec une incompréhension presque comique. On dirait que je viens de pisser sur son bureau. Il finit par poser cette fameuse question : « Comment ça ? »
Encore une fois, mon amie et moi nous regardons. Elle décide de prendre la parole pour extérioriser nos pensées.
« Est-ce que t'as senti quelque chose de particulier dans le cri des Ohanzees ?
— À part mes tympans qui se liquéfient, non pas vraiment.
— Je sais pas trop pourquoi, mais moi et Emily on a senti des... des émotions. »
June remet ses lunettes correctement et couche tout sur papier. Je reprends devant l'hésitation de la guéparde.
« Dans la salle aux cubes, c'était surtout de la colère. Comme s'ils étaient enragés d'être enfermés. Puis dans l'incinérateur, l'Ohanzee souffrait. Je sais pas trop comment l'expliquer, mais on le sentait ! Et c'est pas la première fois que ça m'arrive depuis que je suis ici. Chaque fois que j'entends leurs cris, j'arrive à percevoir quelque chose.
— Je le savais ! s'écrie June.
— De ?
— Qu'ils ressentent des émotions ! Tout le monde est persuadé que c'est juste des créatures démoniaques qui n'ont pas d'âme, à la manière d'un pantin. Mais c'est une technique millénaire pour ne pas sentir de culpabilité à faire souffrir d'autres êtres vivants dans notre propre intérêt, comme avec l'esclavagisme où l'église prétendait que les personnes venant du continent africain n'avaient pas d'âme et que leur vie n'avait donc aucune importance, les rabaissant au rang d'objet.
— ... Et pourquoi est-ce qu'il n'y a que vous deux qui ressentaient ça ? Vous n'êtes pas juste un peu trop sensibles ?
— C'est peut-être à force d'être dans le fond de la bibliothèque ? réponds Charly.
— Non, je ne pense pas. Je l'ai senti dès mon premier jour ici, quand je t'ai rencontré au diner.
— Moi ça me faisait rien à l'époque dit la guéparde. C'est quand même bizarre. Après j'ai peut-être jamais fait attention.»
On se tourne vers June qui ne parle plus et semble réfléchir. Elle finit tout de même par prendre la parole, prête à illuminer nos lanternes.
« J'ai peut-être quelques réponses. Si tout ce que vous me dites est vrai, on est dans un sacré bourbier. On est d'accord que les Wakizas n'ont jamais trouvé le moyen d'occire les Ohanzees et qu'ils se contentent de les transformer en cendre pour les enfermer. Le problème c'est qu'ils reviennent toujours, et cela malgré presque deux centenaires de chasse intensive. Si on part du principe que les Ohanzees étaient à la base une tribu amérindienne ils devaient être quoi, quelques centaines ?
— Ils se reproduisent dis-je à voix basse, presque honteuse de ma conclusion.
— Non seulement ils se reproduisent, mais en plus ils ne meurent pas. Ça signifie que leur nombre continue d'augmenter. Le truc avec les démons, c'est que leur nombre fait leur puissance. Plus ils sont nombreux, plus ils sont forts. »
D'où est-ce qu'elle sort ça ? À l'écouter, il y a une science exacte sur les démons. Un petit manuel "Tout savoir sur les démons" que tout le monde lit à l'école. Ce n'est même pas censé exister ! Et ça n'existe peut-être même pas pour ce qu'on en sait, c'est peut-être des animaux qui ont mutés à cause de radiations ou de je ne sais quelle autre connerie de bande dessinée.
« Cela expliquerait comment ils parviennent à se rapprocher de plus en plus de la ville, malgré le cœur du diable. »
Charly prend une grande inspiration et récapitule : « Donc plus le temps passe, plus ils sont nombreux. Plus ils sont nombreux, plus ils sont puissants. On n'a aucun moyen de les tuer ni de les empêcher de se reproduire. Comment on est censé gagner ?
— Les démons ne font que suivre des ordres. Et d'après votre histoire, ils suivent les ordres du Diable. Donc si l'on trouve comment affronter le diable–
— Stop ! »
Tout le monde se tourne vers moi, choqué de mon interruption.
« Vous réalisez qu'on est en train de parler de démons et de diable quand même ? On va peut-être beaucoup trop loin. Et si on prenait un peu de recul ?
— Si tu as une autre explication, je la prends volontiers. Je n'ai pas spécialement envie de me battre avec Lucifer honnêtement. » renchérit Adam, soulagé que la conversation se soit arrêtée.
Alors je me creuse les méninges. Mon histoire d'animaux mutants ne tient pas la route. Pourquoi s'attaqueraient-ils uniquement au village ? Et comment expliquer qu'ils ne quittent jamais la forêt pour aller dans d'autres villes ? Ou alors le gouvernement les contient volontairement ici. C'est peut-être un immense complot ! Pas sûr que ce soit plus cohérent que notre histoire d'Amérindiens maudits honnêtement. Charly prend une voix si douce qu'elle parvient à cesser mon flot de pensées chaotique et incohérent.
« Je sais que ça parait fou, mais on n'a pas d'autre piste pour le moment. Et puis le livre d'Ally semble quand même assez fiable ! Elle a demandé directement aux habitants qui ont connu tout ce bordel et elle l'a peut-être même vu de ses propres yeux. Et June s'y connait dans ces conneries, sa famille est dedans depuis des générations. »
Je pose ma respiration le temps d'assimiler ce bordel. Mes espoirs se tournent alors vers notre spécialiste.
« Soit. Comment est-ce qu'on tue le diable dans ce cas ?
— J'en sais rien. »
...
Super.
« Vous dites que les premiers colons ont battu le diable en volant son cœur. On pourrait peut-être le subtiliser au maire et le détruire !
— Et risquer de perdre le seul truc qui empêche les Ohanzees de nous transformer en casse-croute ? C'est trop risqué. »
Charly n'a pas tort. Je me tourne alors vers Adam qui m'a déjà surpris par ses connaissances.
« T'en penses quoi toi ?
— Personnellement quand j'entends Diable, je pense à la cascade du Diable. »
Tous les yeux se tournent alors vers lui qui s'enfonce dans le canapé sous le poids de nos regards.
« C'est quoi ?
— La balise de randonnée la plus éloignée de la ville. Ma mère m'en a déjà parlé quelques fois. Personne n'y est jamais allé vu qu'elle est en zone à risque. Et vu que les Ohanzees se sont rapprochés, maintenant c'est au beau milieu de leur territoire. Puis c'est sûrement qu'un surnom sans importance. »
Le silence est évité de justesse par un bâillement particulièrement bruyant de Charly qui se propage dans le salon pour se transformer en étirement de mâchoire collectif.
C'est d'un commun accord qu'on arrête notre petite réunion.
« Ce que je vous propose, c'est qu'on se donne rendez-vous à la bibliothèque demain et qu'on lise ces livres. C'est notre seule chance d'avoir un peu plus d'informations sur cette histoire. » conclus-je. Tous acceptent sans sourciller, probablement trop épuisés pour refuser.
Adam s'en va après m'avoir promis de me ramener mes vêtements. C'est ensuite au tour de June. Je me tourne alors vers Charly, assise sur le canapé.
« On mange quelque chose avant de dormir ? J'ai faiiim !
— J'me rappelle pas t'avoir proposé de rester.
— Tu crois vraiment que je vais te laisser toute seule au bord de la forêt ? Tu rêves ! »
Un spasme me traverse en me souvenant du cri de l'Ohanzee. Puis des images de mon cauchemar me reviennent en tête, avec cette silhouette déformée à ma fenêtre. Je lutte pour ne pas me mettre à pleurer tant ce mélange me terrifie et frappe dans un mur avec la paume de ma main pour extérioriser ce tremblement infernal.
Charly m'observe avec une étonnante compassion. Je viens de trembler devant elle et de taper le mur, mais elle ne me juge pas le moins du monde. Elle doit vraiment s'inquiéter pour moi...
« Je dormirais sur le canapé et je te dérangerai pas, promis ! Je veux juste pas te laisser seule.
— ... »
La saloperie.
« Je dors sur le canapé. Tu prends le lit.
— Mais !
— Pas de mais ! »
Elle accepte ma condition. Hors de question qu'elle dorme sur mon canapé comme un vulgaire chat de gouttière. Quel genre de monstre je serai pour faire ça ?!
En refermant la porte à clef, je ne peux empêcher un sourire. Au final, je suis plutôt contente qu'elle reste. Ça me rassure de ne pas être seule, encore plus si je suis avec elle.
« On se fait livrer des pizzas ?
— ON PEUT SE FAIRE LIVRER DES PIZZAS ?! »
***
C'est un gamin de douze ans qui nous a apporté notre pitance à vélo. Il nous a avoué y être allé sans l'autorisation de ses parents qui après avoir vu l'adresse, ont décidé de refuser la commande. Déjà parce que ma maison est à côté de celle des Murphy, puis surtout parce que c'est la maison de l'étrangère. Je lui ai donné un gros pourboire pour le remercier. Il a klaxonné plusieurs fois et s'en est allé, tout content.
J'ai allumé la télé pour la première fois. Et comme je m'y attendais, on ne capte aucune chaine. Je doute qu'une antenne ou un décodeur n'y change quoi que ce soit. Seul le lecteur de DVD permet de regarder quelque chose sur cette antiquité, véritable symbole de richesse ici m'a expliqué Charly. On s'est maté Jurrasic Park que la guéparde n'avait jamais vu. Idée des plus stupide puisqu'entre la fatigue, la pizza et l'obscurité artificielle de la pièce, on s'est endormis comme un vieux couple.
Je me réveille au milieu de la journée par un coup de feu d ans la forêt. Je suis allongée de tout mon long sur le canapé recouvert d'un plaid et Charly n'est plus là. Une angoisse m'attaque sans crier gare. Mes yeux fixent la fenêtre barricadée par le vieux volet qui laisse rentrer un rayon de lumière. Elle est sûrement partie se coucher dans mon lit, je doute qu'elle m'ait abandonnée comme ça.
Ou alors je suis à nouveau dans un rêve.
...
Bordel.
Je me lève sur la pointe des pieds et ouvre le plus délicatement possible ma chambre.
La lampe de chevet est allumée et Charly est en train de lire le roman qui reposait bien sagement sur ma table de chevet. Elle sursaute et rate un battement de cœur en me voyant, puis souris avant de rire.
Ma voix peine à sortir une phrase : « T'arrives pas à dormir ?
— Non, pas vraiment. Et toi ?
— Un coup de feu m'a réveillé. »
On s'observe un instant. Mes petits yeux doivent faire peine à voir, mais Charly, elle ne semble pas particulièrement fatiguée. Pas plus que d'habitude en tout cas. Son sourire se décroche petit à petit, revenant à une expression plus neutre.
« J'vais essayer de me rendormir. Bonne nuit. » dis-je avant de faire demi-tour et de m'écrouler sur le canapé, sans prendre la peine d'attendre sa réponse. Mon esprit est si brumeux que je pourrai très bien être en train de rêver honnêtement. Je ne sais même pas si je vais réussir à retourner dans les bras de–
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