/👨👧👧/ Lucy, Charly et Emily
On s'est tous rapprochés de la voiture. Pas besoin de se concerter dans une telle situation. J'ouvre la porte et tout le monde s'engouffre à l'intérieur alors que Yéléna tourne la clé qui lance la première explosion.
« Attendez ! »
On se tourne toutes vers Adam qui est aussi paniqué que nous.
« Mais non, ce n'est pas lui. Là, dans la radio. »
Une voix masculine et inconnue parle. La surprise est telle qu'on oublie les Ohanzees qui n'ont pas bougé d'un iota.
« Ils ne vous feront aucun mal. Vous avez ma parole.
— C'est...
— Vous pouvez m'appeler Lucy.
— Le diable.
— Je vous avouerai que je ne suis pas fan de ce surnom, pour des raisons somme toute assez évidentes. »
Un regard d'incompréhension est échangé, comme pour s'assurer qu'on entend tous la même chose. Charly me pince et mon petit couinement fait sursauter l'ensemble de l'habitacle. Je la pousse si fort qu'elle tombe sur Adam. Non, définitivement pas un rêve.
« Et en quel honneur on devrait vous croire ? Qu'est-ce qui nous dit que vous n'allez pas nous tuer ? » lance Yéléna.
Un petit rire sort des enceintes, comme si elle avait dit quelque chose de complètement stupide et inimaginable pour notre interlocuteur.
« Si je souhaitais vous faire du mal... Croyez-moi bien que je l'aurai déjà fait depuis un moment.
— Ouai, c'est pas faux. J'pense pas qu'il se serait fait chier à nous faire un chemin s'il voulait juste nous buter. »
Quelle agréable perspective. Le démon de la radio rit une fois encore. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est un rire démoniaque. Mais disons qu'il n'inspire pas confiance. Les hommes d'une manière générale ne m'inspirent plus confiance, alors ce n'est pas Satan lui-même qui va changer ça.
« Vous vouliez me voir il me semble ? Je vous attends.
— Pourquoi avez-vous ramené autant d'Ohanzees si vous souhaitez juste discuter ?
— Pourquoi Charly a-t-elle apporté un pistolet si elle souhaite simplement discuter ? »
Cette fois, c'est vers Charly qu'on se tourne. Elle ne nous l'avait pas dit, mais ça ne m'étonne pas plus que ça. Je crois même que ça me rassure.
« Je sais pas, p'tet parce qu'on est au milieu de la forêt aux Ohanzees et qu'on s'apprête à rencontrer, genre, leur créateur ?! »
La guéparde bipède envoie ça avec un certain agacement. Je perçois un très léger bruit de lèvres dans la radio, comme si sa réaction avait décroché un sourire à "Lucy".
Les portes de la voiture s'ouvrent toutes simultanément avec une douceur inattendue. Les Ohanzees sont toujours loin, entre les arbres. Un bruit de pierres nous fait tourner la tête. Un escalier est en train de se créer dans la roche, partant du bas de la cascade pour atteindre son sommet. Les marches sont précises et symétriques tandis que les chutes sont balayées pour faire place propre.
« Je vous attends. »
Le moteur s'éteint et avec lui, la radio.
« On y va. » lance Charly dans ma direction. Je partage son impatience. Plus vite on aura fait ce qu'on a à faire, plus vite nous serons partis. S'il nous laisse partir.
June m'attrape par le poignet. Je vois qu'Adam s'apprêtait à faire de même, mais s'est abstenu au dernier moment.
« On peut encore partir. Le chemin est libre.
— S'il souhaite nous parler, autant lui donner ce qu'il veut. Si on le contrarie, Dieu seul sait ce qu'il va se passer. »
Ma réponse fait sonner notre situation comme une prise d'otage. C'est exactement comme ça que je la perçois. Notre tortionnaire aura beau se donner un petit surnom ridicule et passer pour un ange, je ne compte pas tomber une seconde fois dans le syndrome de Stockholm.
Charly passe devant, son flingue dans les mains. Autant l'uniforme me plait, mais la voir avec une arme me dégoute au plus haut point. Je ravale mon mécontentement et fixe des yeux les Ohanzees. Ils sont encore plus nombreux, les points blancs se sont multipliés. Il essaye de nous impressionner. Depuis la création des chemins jusqu'à cet escalier où l'on pose les pieds. Les marches sont si lisses, c'est incroyable. Difficile de croire que ce n'était que de la roche brute quelques instants plus tôt.
On grimpe encore et encore alors qu'on entend le moteur se rallumer. Une pensée abjecte me taraude, mais non, ils ne nous abandonnent pas. La bande reste dans la voiture qu'ils rapprochent de l'escalier, probablement prêt à mettre les voiles si la situation devient dangereuse. Je regarde le fond du lac en contrebas. Il a l'air étonnamment profond pour sa taille. Selon la légende, c'est ici que certaines personnes disparaissaient. J'imagine un instant Charly en train de se baigner, tout candide, puis être happée par l'eau, balançant ses bras dans tous les sens pour rester à la surface et–
« Emily ? »
Elle s'est tournée vers moi.
« Tu sais que ça va aller pas vrai ?
— J'apprécie ton optimisme.
— Tu me fais confiance ? »
Je souris à sa question. Bien sûr que je lui fais confiance. C'est le diable la variante inconnue dans cette histoire. Elle me tend sa main gauche, que j'attrape après une seconde d'hésitation en voyant le pistolet se balancer dans la droite.
On s'arrête toutes les deux une fois au sommet. La voiture semble bien ridicule de tout là-haut. Tout comme mon cardio qui me fait respirer comme un bœuf.
« Promis j'te ferais faire du sport quand tout ça sera fini.
— Tu me vois vraiment courir ?
— Plutôt de l'endurance. »
Il me faut la regarder pour savoir si l'allusion était salace.
Oui, elle l'était. Et le pire c'est que ça me fait sourire.
Quel enfer.
Le temps de reprendre mon souffle et l'on se dirige vers le bord de la rivière à la recherche d'une cavité. De l'autre côté, il y a une sorte de rond de roche bien suspect au sol. Mon intuition était bonne puisqu'il s'écroule et que les pierres sont utilisées pour nous faire un pont. Je resserre la main de Charly, qui fait de même pour me répondre. Un moyen tout simple de dire « Je suis là. »
On le traverse ensemble avant d'arriver à la cavité. Les marches pour y descendre sont encore en train d'être construites, ça prend bien plus de temps que tout à l'heure. Est-ce une manière de ménager le suspens, ou commence-t-il à fatiguer ?
On les descend une par une, l'obscurité nous happant au fur et à mesure.
« Un peu plus de lumière ce ne serait pas de refus. » lance Charly avec une sérénité qui m'est presque intimidante dans une telle situation.
Un puits de soleil se crée, éclairant la caverne tel un projecteur. On continue de descendre jusqu'à arriver sur un sol rocheux qui n'a pas été retravaillé.
« Bienvenue chez moi ! »
La voix nous fait reculer instinctivement. La sensation si désagréable est présente elle aussi, bien qu'elle soit à peine perceptible.
Il est là.
Une silhouette noire est tapie dans l'ombre. Elle s'avance lentement, un pas après l'autre et finit par arriver à la lumière. Mais même éclairée, difficile de donner plus de détails. C'est une silhouette. La lumière ne semble pas vouloir se refléter sur cet être qui l'absorbe, un petit peu à la manière des Ohanzees. On recule de nouveau et grimpons la première marche. Des sueurs froides nous assaillent et nos poils s'hérissent instantanément. La seule chose qui nous empêche de trembler comme des feuilles est notre connexion, nos deux mains serrées qui tentent de nous stabiliser.
« Il ne faut pas avoir peur. Je ne m'avancerais pas plus que cela, promis. »
Deux yeux apparaissent. L'un au niveau de sa bouche et l'autre de son oreille. Ils glissent lentement sur sa peau, se frayant un chemin jusqu'à l'endroit où n'importe quel œil devrait se trouver. Ce n'est pas un simple Ohanzee, aucun doute là-dessus. La puissance qu'il dégage est phénoménale, mais sa structure est également différente. Sa forme n'ondule pas et son corps a l'air moins gluant. Son enveloppe, sans être de la peau, tente de s'en rapprocher.
« Où sont vos amis ?
— Tu nous as déjà nous deux, ça te suffit pas ?! »
Charly s'emballe. Sa peau est moite. Malgré l'assurance dont elle a fait preuve jusque là, je sens sa peur. Ce n'est plus sa main que j'attrape, mais son bras. Elle descend alors d'un ton. S'il se nourrit de haine, nous devons rester le plus calmes possible. Même si le simple fait de l'avoir dans mon champ de vision me répugne et me donne une envie folle de lui enfoncer mes pouces dans les yeux. Cela me rappelle la première fois où j'ai vu un Ohanzee. Une colère profonde me traverse. Je ne veux pas que cette chose existe. Pourtant, elle est bel et bien devant moi. Dans ce cas, je dois l'exterminer. Voilà ce que mes tripes me hurlent.
« Cela me convient tout à fait. Alors, je doute que vous ayez fait toute cette route dans la seule optique de me faire la bise. »
J'ai beaucoup réfléchi à quelles questions lui poser. Et la plus évidente semble être celle-ci :
« Pourquoi vous attaquez le village ?
— Imaginez qu'on vous vole votre cœur. Vous n'auriez pas envie de le récupérer ? »
Le cœur du diable. La pierre du village, si nos conclusions sont correctes.
« De plus, ce n'est pas moi qui souhaite anéantir le village. Ce sont les Ohanzees. On a fait un contrat, ils sont obligés de s'y tenir malheureusement.
— Quel contrat ?
— Il me semble que vous le savez déjà. »
Je pioche dans la quantité d'informations qu'on a récoltées. Le deal était qu'ils obtenaient l'immortalité en échange de la destruction du village. Il doit lire dans mes pensées puisqu'il réplique au quart de tour :
« Après tout ce temps, votre petit village m'est bien égal. Je souhaite simplement récupérer mon cœur.
— Et si vous le récupérez, vous ne pouvez pas, genre, déchirer le contrat pour qu'vos larbins nous laissent tranquilles ? »
Je lance un regard à Charly qui me répond d'un air qui se veut rassurant. Hors de question qu'on lui rende son cœur !
« Je peux en effet décider que les Ohanzees ont rempli leur part du contrat et les libérer de leur malédiction.
— Comment peut-on savoir que vous dites la vérité ? »
Il tend une main et Charly le met en joue immédiatement.
« Nous pouvons faire un pacte. Je serai obligé de respecter ma part et cela jusqu'à ma mort. Et malheureusement pour moi, je ne peux pas mourir.
— Ne jamais pactiser avec le diable. »
C'est sorti d'entre mes dents sans même que j'y fasse attention.
« C'est ce que Ally disait toujours lorsqu'on s'est rencontré. »
Comprenant qu'il a attiré mon attention, il reprend, l'air sûr de lui.
« C'est la dernière personne à m'avoir rendu visite.
— J'en doute. Elle l'aurait écrit si c'était le cas.
— Elle souhaitait que mon emplacement reste inconnu. Elle s'est plutôt bien débrouillée de toute évidence. Aller jusqu'à peindre la réserve avec du sang d'Ohanzee pour que personne n'ait envie de l'approcher, c'est d'un panache ! Hélas, elle est décédée avant d'avoir le temps de traduire le document que vous avez trouvé. Elle l'aurait probablement jeté sinon, comme tous les autres faisant mention de cette cascade. »
Impossible de le croire sur parole. Mais je suis tout de même curieuse de savoir ce que Ally lui a dit.
« Nous avons longuement discuté. Elle a fini par comprendre que je n'avais rien de personnel contre la ville et m'a promis de me ramener le cœur et qu'en échange, j'arrêterai les Ohanzees définitivement.
— Et lorsqu'elle a changé d'avis, vous l'avez tué.
— Absolument pas. J'ai rompu le contrat, tout simplement. Elle est morte de vieillesse à ma connaissance. Ce surnom de diable que l'on me donne vient simplement des tribus de l'époque, rien à voir avec le diable de vos petites religions. »
Foutaises. J'ai les dates de naissances, de prise de fonction et de décès de tous les bibliothécaires dans le grimoire. Elle est morte jeune, quelques années seulement après avoir ouverte la bibliothèque. Je m'en rappelle car je m'étais demandé ce qui avait bien pu lui arriver.
« Mouais 'fin Lucy c'est quand même le diminutif de Lucifer.
— Surnom que Amy m'avait donné. Je l'ai gardé depuis. »
Comment faire pour démêler les mensonges de la vérité face à un tel personnage.
« Elle vous ressemblait Emily. Pas vraiment physiquement, mais elle aussi cherchait à s'évader. Son démon, c'était son père. Vous, c'est Noah. »
La flamme qui me consume se ravive en un instant et m'embrase. Deux émotions parfaitement opposées me lacèrent. D'un côté je meurs d'envie de lui sauter à la gorge pour qu'il ne dise plus jamais son prénom. De l'autre, je rêve de m'enfuir le plus vite possible et de sauter du haut de cette cascade pour ne plus jamais l'entendre. Mais je ne peux que difficilement effectuer les deux actions simultanément, je reste alors sur place et serre les poings, broyant au passage la main de Charly.
« Tu crois vraiment qu'on va t'aider ?! Va te faire foutre !
— J'imagine que les négociations sont terminées dans ce cas. »
Bien qu'il n'ait pas de bouches, je devine un sourire narquois. La guéparde lève son arme et ferme un œil.
« Ooh Charly. Ma petite Charly. Tu ne vas quand même pas tirer sur la première personne à t'avoir prise dans ses bras, n'est-ce pas ? »
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