Le début de la fin
Nos souffles sont coupés. Je meurs d'envie de hurler son prénom, mais me retiens. Qui sait comment ces diables réagiraient ? Les militaires relèvent doucement leurs armes, persuadés que les bêtes sanguinaires vont sauter sur mon amie d'un instant à l'autre. Ces dernières continuent de s'approcher et ne sont plus qu'à un pied d'elle. Toute l'animosité qu'elles avaient a été balayée. Il n'y a plus que de la curiosité, tels des animaux sauvages qui ont peur de s'approcher d'un Homme qui leur donne de la nourriture.
Sans que Charly n'ait besoin de dire quoi que ce soit, les Ohanzees reculent avant de faire demi-tour. En cinq secondes, l'armada qui voulait notre mort quelques instants plus tôt s'en est allée, sans un bruit et sans demander son reste.
Le calme revient. Uniquement sur ce front cependant puisqu'un peu plus loin, les tirs continuent inlassablement.
Je tiens enfin sur mes pieds. Tout le monde garde les yeux rivés sur Charly pendant de longues secondes. Même Adam qui a l'air dans un sale état la fixe. Je suis la seule qui pourrait comprendre la situation après ce que le diable a dit. Mais entre la possibilité qu'il ait menti et l'accident, je ne suis pas en état de faire des conclusions hâtives.
« Il faut aller protéger le maire ! »
C'est June qui dit ça à voix haute tandis que les Wakizas regardent nos blessures. Charly finit enfin par se retourner, toute tremblante avant de se ressaisir. On échange un regard rempli de peur et d'incompréhension, comme pour se décharger de ces émotions négatives avant qu'elle prenne la parole, l'air plus déterminé que jamais :
« C'est vrai, ils en ont après le maire et la pierre du village ! Faut prévenir paps !
— Ils sont tous débordés aux QG Charly, là-bas c'est la guerre !
— Et bien il faut qu'on y aille !
— Hors de question, on doit protéger la ville, si les Ohanzees rentrent c'est fini !
— Ils ne passeront plus par ici, j'vous le promets. »
L'acte invraisemblable qu'elle vient d'accomplir et sa confiance en elle sont deux bons arguments. Sans même parler du fait qu'elle est la fille de leur chef et que si un habitant, quel qu'il soit est en danger, ils se doivent d'aller le secourir. Surtout s'il s'agit du maire.
Le chef de ce petit groupe ordonne aux deux plus chétifs de rester ici et de s'occuper des blessés. Il fait signe aux deux autres de venir avec lui. Charly les suit et par réflexe, j'accompagne la guéparde qui s'approche de moi.
« Reste ici, t'as la gueule couverte de sang.
— T'as pas vu la tienne. » je lui réplique. Elle a une arcade d'ouverte. Un rideau rouge coule de la plaie pour entourer son œil et recouvrir la moitié de son visage. Elle se le frotte avec son t-shirt comme s'il ne s'agissait que de sueur.
« Je viens avec toi. Hors de question que je j'te laisse y aller toute seule.
— J'ai 3 Wakizas avec moi, t'inquiète pas.
— Je changerai pas d'avis. »
Je ne sais pas si c'est ma détermination ou l'envie que je sois près d'elle qui la fait craquer, mais elle soupire avec un sourire inquiet, tourne la tête un instant puis me prend par la main avant de me tirer vers l'énorme pick-up.
On monte à bord du monstre mécanique tacheté de terre. Je me retrouve à l'arrière, entourée par deux hommes suréquipés et armés. Il me faut quelques profondes inspirations suivies de longues expirations pour garder mon calme face à ce mélange de testostérone et de poudre à canon.
Charly monte à l'avant avec l'officier qu'elle semble connaitre. On traverse les rues complètement vides à toutes berzingues. Il n'y a personne bien évidemment, mais j'aperçois quelques regards inquiets derrières des volets entre-ouverts. J'imagine que tout le monde est au courant de la situation. Cela ramène un doute dans mon esprit alors que j'essuie le sang avec mon t-shirt : est-ce à cause de nous que le village est attaqué ?
La dernière fois qu'on a quitté le village pour aller camper, les Murphy sont morts. Cette fois on quitte le village et tous les Ohanzees se jettent sur la ville. Est-ce que le diable comptait attaquer quoiqu'il arrive ? Ou avons-nous une part de responsabilité dans la guerre qui se déroule sous nos yeux ?
Je repense aussi aux trois abrutis qui nous on suivit. Des adorateurs du soleil si j'en crois Yéléna. Je me doutais qu'ils étaient louches, mais de là à nous stalker jusqu'au milieu de la forêt ! Et pourquoi est-ce qu'ils se sont transformés ? Est-ce que le diable peut prendre possession de n'importe qui ? Si oui, pourquoi ne pas l'avoir fait avec nous ? Ou est-ce le fait qu'ils aient les pieds dans l'eau qui lui a permis de les transformer ?
J'en suis à peine au quart de mes interrogations, mais le crissement des pneus et les ordres hurlés à la radio ne laissent que peu d'espace à ma capacité de raisonnement. Un autre bruit arrive à grande vitesse et fait même trembler le sol. Les Wakizas passent leurs armes par la fenêtre et sans crier gare, deux monstres noirs foncent droit sur nous au détour d'un virage.
C'est les saloperies de la rivière ! Elles sont plus petites qu'avant, presque à taille humaine. Seuls les bois prenant racine dans leurs crânes ont grandi. Ils beuglent à la mort alors que les rafales se mettent à pleuvoir dans leurs peaux noires. Un instant avant de les percuter, ces atrocités sautent et évitent notre pick-up avant de continuer leur route vers on ne sait où.
On ne s'arrête pas pour autant. La priorité, c'est le maire.
« Des putains de Wendigos. » dit le conducteur à voix basse, les yeux médusés.
Le pick-up arrive à destination. Une grosse maison sans voisins juste en face de la mer, dans le même style que toutes les constructions du centre. J'étais loin de me douter que le maire habitait ici lorsque je passais devant.
On se gare à la hâte et tout le monde sort. Charly et moi restons en retrait tandis que les trois militaires se mettent en formation. La porte, non, l'entrée a été complètement défoncée. Les murs sont griffés et les meubles ravagés. La cuisine a été couverte de sang, de grandes éclaboussures qui recouvrent les cabinets et les ustensiles. J'ai juste le temps d'apercevoir un pied au sol avant que Charly attrape mes mains pour que je concentre mon attention sur elle.
Le chef reste face à l'escalier tandis que les deux autres font le tour du rez-de-chaussée. Ils parlent en message codé. Je ne comprends pas grand-chose si ce n'est qu'il n'y a personne en bas. Ils reprennent leur position et montent l'escalier le plus lentement possible, couvrant tous les angles avec leurs fusils. Ces affreuses machines presque aussi terrifiantes que les Ohanzees eux-mêmes à mes yeux. Je garde la main de mon amie pour me rassurer. Pourquoi est-ce qu'on est rentré ? On aurait pu rester à l'extérieur ! Quoique maintenant que j'y pense, on est sûrement plus en sécurité avec eux...
L'étage est tout aussi détruit. Les tableaux et autres statuettes recouvrent le sol et craquent sous les rangers des hommes en uniformes. L'odeur y est pestilentielle. Ces saloperies sont passées par là, c'est certain. Mais il y a autre chose. Une odeur âcre qui éveille tous mes sens et me hurle de courir le plus loin possible de cette maison avant d'y mettre le feu.
J'ai bien peur de savoir de quoi il s'agit. Le dernier Wakizas de la formation nous fait signe de nous arrêter juste avant le seuil d'une porte. Le silence qui s'en suit est si lourd que je manque de m'écrouler. À moins que ce soit le choc qui continue de m'étourdir.
Charly risque un coup d'œil et son visage se décompose immédiatement. Elle saute dans mes bras sans que je n'ai le temps de dire quoi que ce soit et enfouit sa tête dans mon cou en sanglotant. Le seul Wakizas que je vois retire son casque et le pose sur sa poitrine, l'émotion le submergeant à son tour.
Un talkie-walkie s'allume. Je reconnais la voix de Daniel, mais elle a une tonalité que je n'aurai jamais pensé entendre venant de lui. De la terreur. Une terreur absolue et profonde.
« ILS SONT RENTRÉS ! JE RÉPÈTE, ILS SONT DANS LE QG ! »
Je tente de relativiser cette information. Ce n'est pas comme s'ils pouvaient rentrer dans le coffre fort ou libérer les Ohanzees enfermés après tout.
Je suis frappée par un éclair. C'est la description la plus proche de ce que je ressens en tout cas. Mes muscles se tendent si brutalement et si fort que je peux jurer que mes tendons vont se rompre. C'est court, mais intense. Un instant, rien qu'un instant où cette aura funeste me transperce de par en par, détruisant tout espoir et toute sérotonine, comme pour me préparer à mourir devant une force inarrêtable. Je sers Charly à mon tour qui semble elle aussi touchée par cette douleur. Nos corps tremblent et refroidissent, terrifiés devant cette sensation de fin.
Un bruit accompagné d'une force dévastatrice arrive de la rue et fonce droit sur nous. Les vitres explosent et un souffle aussi noir que destructeur balaye tout sur son passage. Il nous propulse contre le mur avec la force de dix mille Ohanzees.
Tout devient sombre en un fragment de seconde.
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