/⛺/ Cornflakes
Au moment où je sens ses lèvres contre les miennes, j'explose.
Je meurs. En continu. Encore et encore. Comme un orgasme qui n'en finirait pas, sans le côté agréable. Je suis juste ailleurs. Partout à la fois. J'ai l'impression que cela dure une éternité. Mais en réalité, juste le temps du baiser.
Je ne vois plus rien. Je n'entends plus rien. Je ne sens plus rien. Je suis complètement transcendée. Je suis–
Je me prends une droite des enfers. Ma tête est balancée d'un seul coup à toute allure et je peux jurer qu'elle va s'arracher. Je parviens grâce à je ne sais quelle magie à ne pas m'écrouler dans l'eau.
« EMILY ! » hurle-t-elle entre deux violentes quintes de toux.
Je suis secouée d'avant en arrière. Mes yeux étaient déjà ouverts, pourtant je recommence à voir comme s'ils étaient clos. J'aperçois Charly qui me tient par les épaules et me balance comme un sac de patates. J'arrive juste à tourner la tête pour vomir dans l'eau.
« Et bien, j'pensais pas que j'allais te dégouter à ce point. »
Son humour de merde au mauvais moment me donne une envie folle de lui mettre une baffe. Même si tout le bordel qui s'est passé dans ma tête a disparu, je ressens toujours les émotions, mais bien moins fort. Celle qui est dominante désormais est...
« J'suis désolé, mais j'avais vraiment pas le choix.
— Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ? C'était horrible... J'ai cru que j'allais mourir. Et que j'allais te tuer en plus !
— Je t'avais dis de ne pas regarder ! Quand je dis des trucs sérieux, c'est vraiment sérieux, faut m'écouter Emily !
— Mais je pensais que j'allais juste voir tes os sortir de ton corps ou un truc comme ça, pas que j'allais devenir un putain de démon !
— Je t'ai dis que c'était très privé ! Encore plus dans mon cas. »
Elle se jette presque dans mes bras, profondément soulagée. Elle a mis du parfum ? C'est comme si son odeur corporelle était dix fois plus puissante que d'habitude. Et dix fois plus plaisante.
« On va se sécher et j'vais t'expliquer.
— J'en ai ras le cul que tu m'expliques les choses après qu'elles m'aient traumatisé Charly !
— Si je te dis pas tout, c'est pour ton bien ! Si tu pouvais m'écouter trente secondes, peut-être que tu n'aurais pas eu à vivre ça ! »
...
Je la déteste. Mais je la veux.
Oh bordel.
J'ai pas pensé ça. C'est pas possible.
C'est un putain de cauchemar !
***
On s'est séché puis on a mis des vêtements propres. Ou dans le cas de Charly, des vêtements tout courts. Lors de ma crise, j'ai complètement trempé mes plaies à l'estomac. Mon amie a donc sorti sa petite trousse de secours rouge et m'a bien désinfecté, avant de remettre des pansements. Ensuite on s'est posé sur la plage. Il fait complètement jour désormais. Et je dois avouer que l'endroit est magnifique. Le sable est fin, l'eau turquoise et le ciel bleu. Un décor de carte postale.
« Du coup ?
— Je réfléchis à comment te dire ça. J'avais vraiment pas envie que ça t'arrive.
— Tu sais bien que j'suis curieuse, c'est quand même mon trait de caractère principal !
— Oui mais là c'est pas tant par rapport à Oddly Bay. C'est juste moi !
— Accouche. »
Elle pousse un long soupir. Je m'en veux presque de l'avoir mise dans une telle situation... Et je m'en veux surtout quand je vois ces deux traces de main autour de son cou. Je n'arrive pas à croire que j'ai fait ça.
« Lors de la puberté, les transformations sont brouillonnes. Du coup des fois, tu vas avoir des parties de ton animal sur ton corps d'humain, ou des bouts humains sur ton corps d'animal au moment du lever et du coucher du soleil.
— Comme moi avec mes poils ou mes griffes tout à l'heure.
— Exactement. Mais c'est juste des "bugs" si tu veux. Car lorsque tu te transformes complètement, ton corps n'existe plus. Il disparait. »
Je l'écoute avec attention, en essayant de bien comprendre ce qui s'annonce être un beau bazar.
« Ton corps disparait et ta seconde forme apparaît. Dans mon cas, mon enveloppe de guépard a disparu et mon enveloppe humaine est apparue, tu vois ?
— Jusque là oui. C'est pas plus bizarre que le reste.
— Sauf qu'il y a un moment où tu n'as aucun des deux corps. Mais tu es toujours là. Mais c'est...
— Ton âme ?
— On peut dire ça ouai. Nous on appelle ça "l'esprit" »
Non mais bientôt on va me dire qu'il y a un Dieu et que tous les habitants de la ville font barbecue avec lui les samedis soir !
« Donc. T'es en train de me dire que j'ai vu ton âme. Ou ton esprit.
— Tu comprends maintenant pourquoi j'avais pas spécialement envie que tu me voies me transformer ?
— Mais pourquoi j'ai été... attaquée ? Genre possédé ?
— Tu as juste aperçu ce que j'étais réellement. Les émotions qui sont enfouies en moi. Et tu les as ressentis en super méga fort.
— Mais...
— Oui. C'était horrible. Je sais.
— Tu vas pas me dire que tu ressens ce que j'ai ressenti en permanence quand même ?!
— Non bien sûr que non ! En gros, normalement, tu ressens ce que l'autre ressent au moment T. C'est pour ça que je te dis que c'est très très intime. C'est les couples qui font ça comme preuve d'amour. C'est genre une connexion spirituelle, où ils ressentent l'amour de l'autre et en même temps leur propre amour. C'est des moments vraiment particuliers, ça ne se fait pas quand une personne est triste ou en colère par exemple.
— Mais... Pourquoi tu es... Tout ça ? »
Elle se tait. Regarde le sol et semble réfléchir à la manière d'expliquer les choses. Je m'apprête à lui dire qu'elle est obligée de ne pas répondre, mais elle se lance dans un monologue.
« Mon cas est particulier. Je crois que j'suis la seule de la ville comme ça. Je m'en suis rendu compte avec mon premier amour. Tu vois, dans la vie, nous on a notre première fois sexuelle humaine, notre première fois sexuelle animale et notre première transformation à deux. C'était y a 2 ans à peu près et on se connaissait depuis six mois. On s'aimait comme des fous, le genre véritable amour tu vois, pas juste un crush. Et du coup on a voulu faire notre première transformation à deux ensembles.
Mais quand il a vu mon esprit... Il a fait à peu près comme toi. Il s'est complètement enragé. Lui aussi a essayé de m'étrangler, sauf qu'il avait au moins quatre fois plus de force que toi. Heureusement il a fini par s'évanouir. À son réveil j'étais en boule... Et sans dire un mot, il est parti. Trop dégouté et terrifié, j'imagine. »
Elle pleure. Pas seulement quelques larmes. Elle pleure réellement, avec les sanglots qui vont avec. Je me rapproche d'elle très doucement, pour vérifier que cela ne la dérange pas, puis je passe mon bras autour de ses côtes pour qu'on soit l'une contre l'autre.
« Je suis vraiment désolé de t'avoir embrassé... Je voulais pas... Mais j'me suis dis que si tu étais dans mon subconscient, y avait qu'un seul sentiment plus puissant que cette haine. Ma foutue libido. »
Elle se met à rire timidement et je l'accompagne comme pour l'encourager.
« Tout le monde a une part sombre Charly, c'est pas grave.
— Mais j'étais pas en colère ! J'étais vraiment heureuse de pouvoir passer du temps avec toi. Normalement pendant la transformation à deux tu ressens ce que l'autre ressent sur le moment ! Et puis même, j'ai pas l'impression d'avoir... cette haine en moi. Même les plus gros des connards, jamais de la vie je pourrai les étrangler ! C'est comme s'il y avait une partie de moi-même je ne connais pas du tout. Et ça me terrifie. »
Ces derniers mots étaient à peine compréhensibles au milieu de ses sanglots.
Je ne comprends pas tout. Mais je me tais. Ma main fait un vas et viens lent et protecteur pour la rassurer alors qu'elle a sa tête posée sur mon épaule trempée par ses larmes. Je pose ma tête contre la sienne. Et je regarde la mer en réfléchissant aux mots justes pour la rassurer.
« Moi je te quitterai pas Charly. J'hésite peut-être à quitter la ville, mais toi, je suis sûr que je ne veux pas te quitter. »
Elle sèche ses larmes avec ses poignets et passe une main dans mon dos à son tour.
« On ne se connait pas depuis bien longtemps. Et même si t'es insupportable... Je crois que je vois plus vraiment ma vie sans toi. Comme si j'avais toujours attendu de rencontrer quelqu'un comme toi. Et ce que j'ai pu voir au fond de toi ne change rien. Car je sais que ce n'est pas toi.
— Co–... Comment tu peux le savoir ?
— Je l'ai senti, c'est tout. Écrasé par cette haine, j'ai ressenti ce que tu étais. C'était minime, mais je savais que c'était toi.
— Tu ne crois pas... Que je suis un monstre ?
— Je crois qu'il y a quelque chose de noir... Mais c'est pas toi.»
Alors on se tait d'un commun accord. Nous n'avons pas plus de réponses. Probablement n'y en a-t-il aucune. Ça n'a pas d'importance.
***
On a installé la tente et les sacs de couchage –surtout Charly–, on a fait un feu de camp –surtout Charly– puis on s'est fait chauffer un petit truc et on a mangé –surtout Charly–. Pour quelqu'un qui n'a pas fait de camping depuis des années, elle ne semble pas avoir perdu la main.
On s'allonge sur nos sacs de couchage, eux-mêmes posés sur des tapis de sol. Ce n'est pas l'endroit le plus confortable, mais ça fait l'affaire. Je la vois qui retire son t-shirt gris aux motifs tout à fait oubliable, puis son pantalon. J'hésite un instant à faire de même. Pas tant par rapport à elle vu que je serai enfouie dans le sac, mais surtout par rapport au fait que n'importe qui peut venir ici pendant notre sommeil ! Surtout vu qu'on dort en pleine journée...
Je ferme les yeux, exténuée. Même avec la lumière qui traverse les murs de la tente et mon dos qui aimerait un vrai matelas, je sens que je vais m'endormir comme une petite marmotte en moins de deux. Avant de sombrer dans les bras de morphée, j'entends la petite voix de Charly qui m'appelle :
« Emily ?
— Mhmh ?
— Merci. »
Je souris.
***
Je me réveille doucement. Mes yeux fatigués réalisent qu'on a laissé la "porte" de la tente ouverte lorsque je tombe nez à nez avec le coucher de soleil. Un coucher de soleil presque honteux, qui semble laisser ses couleurs chaudes seulement au bout de l'horizon, comme pour ne pas être vu. J'ai l'impression de l'interrompre. Il glisse comme pour se cacher, très lentement, derrière la mer qui reflète cette toile magnifique aux traits ardents.
Le moment est beau. Je prends une profonde inspiration par la bouche pour essayer de me le remémorer. Sorte de photo imaginaire qui utilise tous mes sens afin de créer une œuvre intemporelle. Un instant capturé, que je pourrai retourner voir, bien au chaud dans ma galerie, chaque fois que le temps sera à la tempête.
Le paysage qui s'immortalise sur mes rétines.
Le bruit envoutant des vagues qui me somme de retourner dormir.
Son parfum qui se mélange à l'air de la mer.
Cet air iodé qui me met un goût salé de vacances sur la langue.
Et la douceur du sac de couchage, doublé de la chaleur de ma p'tite Charly.
Est-ce que j'ai vraiment besoin de plus ?
Charly se réveille doucement et s'assoit en tailleur à côté de moi. Je regarde ses petits yeux entrouverts et ses cheveux ébouriffés. Elle bâille et je peux jurer que sa mâchoire va se décrocher tant elle l'ouvre. De toute évidence, le spectacle du soir ne lui fait pas autant d'effet.
« S'tu veux j'ai ram'né des cornflakes. »
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