Un week-end en enfer
Vendredi, 19h17, -1heure.
Lasse de sa journée de travail, Maria Lopez, trentenaire plutôt jolie mais aux traits tirés et à la coiffure négligée, soupire longuement puis laisse un post-it à Monsieur Baker, cadre supérieur de la société d'import-export L & N, qu'elle n'a à proprement parler jamais vu.
«Prière de ne pas verser de café dans la corbeille à papier
Merci d'avance, la technicienne de surface.»
La «technicienne de surface» se considère en vérité comme une simple femme de ménage bien que son contrat de travail stipule le premier terme. Elle s'apprête à pousser son chariot jusqu'au prochain bureau, celui de Mademoizelle Nilson, hapiness manageuse et fille du principal actionnaire de l'entreprise: Michael Nilson, lorsque son mobile se met brusquement à sonner, c'est Lindsey, sa fille, Maria décroche immédiatement.
-Màma! Ça fait une heure que l'on attend Jess et moi! Il est déjà 19h30, où es-tu ? Est-ce que l'on t'attend pour manger?
- J'attends le bus, je suis là dans un quart d'heure... J'arrive tout de suite !ment-elle, espérant tout de même être rentrée avant vingt et une heures .
Je l'espère bien! Tu es toujours en re...
BIIIP! Clac. Plus de batterie, la communication a coupé. Maria glisse son téléphone dans la poche de son tablier et décide de ne pas faire le ménage dans le bureau de Mademoiselle Nilson, qui n'est venue que ce matin, ne viendra pas avant lundi et ne remarquera certainement pas que l'aspirateur n'a pas été passé comme chaque soir habituellement.
Vendredi,19h53,-24minutes.
L'immigrée mexicaine nettoie rapidement les toilettes de l'étage, le couloir puis monte dans l'ascenseur et presse le bouton -2, s'apprêtant à descendre les trente trois étages de la hiérarchie que comporte la société L&N jusqu'au local à ménage ainsi que les vestiaires du personnel d'entretien.
Elle sent une douce légèreté l'envahir lorsqu'elle constate qu'elle a terminé sa semaine de travail et décide qu'elle ne passera pas au Walmart ce soir. Toute la semaine déjà, lorsqu'elle rentrait Jess était déjà endormie et son ainée, Lindsey tirait chaque jour une mine plus renfermée, plus rancunière. Ce soir, elle l'a décidé, Maria rentrera tôt et profitera de sa famille, espérant que ses filles lui pardonneront ses retards répétés...
Vendredi, 20h17.
Soudain, l'ascenseur émet un soubresaut, un deuxième, qui sortent la femme de ménage de ses pensées. Déjà le deuxième sous-sol? Non, l'écran affiche qu'elle se trouve entre le 15 et le 14. Une panne! Il fallait bien que ça tombe ce jour-ci! L'occupante presse à nouveau le bouton -2, puis, comme l'appareil ne daigne toujours pas recommencer sa longue descente, elle se décide à utiliser la cloche, le bouton d'appel à l'aide. Rien ne se produit. Tentant de garder son calme, Maria le presse une seconde fois, en vain.
Vendredi, 20h23,+6minutes.
Une vague d'angoisse l'envahit, l'employée ne sais plus quoi faire dans ce cas là, elle ne connais pas le protocole à suivre si le bouton d'urgence refuse de fonctionner. Elle appuie frénétiquement sur celui-ci... Mais elle doit se rendre à l'évidence, ce n'est plus une solution envisageable... Elle considère alors l'étoile verte, dont la signification lui échappe, peut-être s'est elle trompée de bouton après tout, elle appuie une fois, deux fois, de trop nombreuses fois... Toujours aucune réaction. Décidant d'abandonner tout calme, toute réserve, Maria s'acharne sur tous les boutons, les uns après les autres puis tous en même temps. Encore une fois pas le moindre mouvement...
Vendredi, 20h39,+23minutes.
Rageuse, la trentenaire pousse un grognement rauque puis se laisse glisser, à genoux, sur le sol de l'ascenseur. Elle prend son téléphone, l'allume, enfin, s'évertue à le faire car, à cours de batterie, il se révèle aussi concilient que la cage dans laquelle Maria se trouve. La femme de ménage se remémore de nombreuses techniques utilisables dans ces cas là selon les utilisateurs de Facebook: taper le 911 sur l'appareil éteint, ou le code PIN, à l'endroit, à l'envers, son propre numéro de téléphone... Mais le smartphone reste imperturbablement insensible. Maria remarque alors que du temps a du passer depuis que la panne est survenue. Impossible néanmoins qu'elle sache quelle heure il est, sa montre étant restée au vestiaire.
La mère célibataire pense alors à ses filles, Lindsey doit être furieuse, a-t-elle seulement remarqué que son retard est anormal ? Ont-elle pensé à appeler Carmen, leur tante ou à aller voir Beverly, sa meilleure amie comme elle leur si souvent répéter en cas de problème ?
Vendredi, 21h 45,+1h et 28minutes.
Maria hurle, vocifère, cogne, tambourine contre la porte. Désormais, elle a faim, elle est épuisée, elle a soif et surtout elle a peur.
Elle sait qu'il y a peu de chance pour que l'un des employés de L&N revienne au bureau durant le week-end et la découvre.
Elle sait que ses filles diront à la police qu'elle a disparu sur le chemin du retour, la faute à ses petits mensonges, et que personne ne pensera à la chercher ici.
Elle sait que Monsieur Lake et Monsieur Nilson ne savent pas qu'elle travaillait ce soir, elle remplaçait Suzan Chow qui avait demandé un congé sans solde afin d'aller à l'enterrement de son frère en Caroline du Sud mais qui lui avait été refusé.
Elle sait que la famille Bennet, qui l'attend pour leur « brunch amical et dominical », pensera qu'elle leur a posé un lapin, et refusera peut-être de l'employer à nouveau comme cuisinière et serveuse, bien qu'elle espère de tout coeur être sortie avant dimanche.
Samedi, 2h12,+4h et 55minutes.
La femme de ménage tente de s'endormir malgré l'éclairage blafard de l'ascenseur, l'angoisse, le chariot de ménage encombrant et la faim... Elle repense à sa vie, quand elle a quitté le Mexique à cinq ans, lorsqu'elle a rencontrée Beverly à une soirée où elle ne connaissait personne au lycée, quand elle est tombée amoureuse de ce jeune G.I, Peter, puis le jour où elle a décidé de le quitter ne supportant plus ses absences longues et répétées, lorsqu'il est mort dans une mission en Irak deux ans plus tard, le cancer de son père, ses deux filles, sa fierté. Elle s'endort dans un tourbillon fiévreux de souvenirs et de cauchemars.
Samedi,8h33,+12h et 16minutes.
Maria se réveille, vaseuse, tente encore d'appeler au secours, sans vraiment y croire. Elle a perdu toute notion du temps. Elle décide de se rendormir, cela fait passer le temps plus vite.
Dimanche, 3h04,+30h et 47 minutes.
La prisonnière s'éveille à nouveau accompagnée d'un mal de crâne et de maux de ventre épouvantables, sa gorge est affreusement sèche, ses muscles sont durs et douloureux et surtout ses pensées refusent obstinément de se clarifier, ses filles sont elles aussi dans l'ascenseur qui prend des dimensions impressionnantes, puis celui ci dévale jusqu'au -2. Remonte immédiatement, rebondit... son père, jeune et vêtu en G.I la serre dans ses bras... Elle tente de retrouver ses esprits, de lutter contre ces images si accueillantes...
Dimanche, 22h44,+50h et 45minutes.
Maria est désormais persuadée qu'elle ne ressortira pas vivante de cet ascenseur, elle n'en peu plus et abandonne. Elle s'efforce de concentrer ses pensées sur ses filles, sur Peter qu'elle va bientôt rejoindre au paradis et sombre dans le coma.
Lundi, 7h31,+59h et 32minutes.
Maria est réveillée brusquement par des secousses puis par la descente de la cabine. Elle ne parvient plus à bouger mais elle est terrifiée, est-ce que la cabine va tomber? Les portes s'ouvrent et une équipe de réparateurs ainsi que les secours l'accueillent. Trop de bruit, d'agitation, de monde, la captive n'y était plus habituée, elle perd connaissance.
Un mois après.
C'était Monsieur Baker, matinal, qui était arrivé le premier, lundi et avait constaté que l'ascenseur était bloqué, prévenu que Maria avait disparu dans un mail qui avait circulé ce week-end, il avait aussitôt prévenu les secours. La femme de ménage a par la suite fait un court séjour à l'hôpital Lenox Hill où ses filles, Carmen et Beverly ont passé le plus clair de leurs journées. Monsieur Nilson et Monsieur Lake lui ont aussi accordé une visite. Ils voulaient lui offrir une prime de vingt mille dollars et tripler son salaire pour qu'elle ne porte pas plainte. En effet, l'ascenseur n'avait pas été contrôlé depuis sept ans, ce qui est formellement interdit... Monsieur Baker, qu'elle a enfin rencontré, lui conseille plutôt de faire un procès à la société L&N, à l'issu duquel elle pourrait gagner bien plus. Mais pour l'instant, Maria Lopez profite surtout de son arrêt pour passer le plus de temps possible avec Jess et Lindsey.
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