
Tu sais, Arctic?
-Tu sais, Arctic?
« PAN »
- सॉरी यार, यह उसकी या मेरी थी।
Mon cri entraine ceux de ma fille, je me réveille en sursaut. Voilà presque un an que toutes mes nuits se terminent ainsi. A l'exception, des nombreuses nuits blanches, qui ne sont pas forcément préférables. Je me lève, le plus silencieusement possible, et tente de la rassurer, de faire cesser ses pleurs, alors que je suis moi-même tremblant de peur. Ces trois sons, distincts et pourtant indissociables ne me quittent plus, me hantent, ils m'habitent tels une épouvantable berceuse. Depuis le 16 février 2044 à 17h23 précisément.
- Tu sais, Arctic?
« PAN »
- सॉरी यार, यह उसकी या मेरी थी।
Non, je ne sais pas. Et je ne saurais jamais. Mélisaëlle Tackett avait fait partie intégrante de ma vie durant de nombreuses années. Elle était de ces personnes dont on ne se souvient plus exactement dans quelles circonstances on les a rencontrées mais qui vous sont devenues tout bonnement indispensables. Je ne me souviens pas non plus, le jour où l'on a commencé à sortir ensemble, cela nous avait paru si naturel, que nous n'avions pas noté la moindre date d'anniversaire. C'était peut-être au printemps ? Je ne sais plus. Je crois que je ne me rappelle plus comment ma vie était avant Mélisaëlle. Elle était dans mon quotidien depuis de si nombreuses années que mes amis étaient les siens, que sa famille était la mienne. Nous avions évidement des disputes et des conflits, surtout...Non, ne pas y penser. Pourquoi toujours l'associer à ça ? Je ne parviens plus à me la remémorer autrement que par cet évènement. Comme si l'avant n'avait été qu'un songe... Comme si Mélisaëlle n'avait existé que par sa fin. Cette fin incomplète.
- Tu sais, Arctic ?
« PAN »
- सॉरी यार, यह उसकी या मेरी
« PAN ». « PAN ». « PAN ». Ce son, sourd, inébranlable, définitif. Je l'entends des centaines de fois par jour. Il n'a pourtant résonné qu'une seule fois, une fois de trop. Elle ne se calme pas. Je fais chauffer un biberon, que je coupe à l'eau, je ne peux pas me permettre de gaspiller du lait. « PAN ». « PAN ». Les fusillades, les règlements de compte sont courants à New York, sur la Côte Est en général. On fini par s'y habituer. Pourquoi je n'arrive pas à m'habituer à celui là ? Les médecins, m'avaient dit :
« Ayez confiance, Monsieur Bilbrey. Le Tunaflex© a fonctionné pour des victimes du 11 septembre, de la guerre D'Irak, sur des femmes victimes de violences conjugales, je vous assure que ça va vous permettre de tourner la page. Cela ne fera pas disparaitre « l'évènement » mais ça atténuera son souvenir... Surtout que nous ne pouvons pas vous insérer une puce tant que vous êtes émotionnellement perturbé.
- Et avec votre belle-soeur, Mlle Azélie Tackett qui travaille ici, on vous les fera au tiers du prix, c'est la moindre des choses. »
Ils n'avaient pas menti, ces souvenirs avaient été atténués, mais tous les autres aussi, et parmi la brume qu'était devenue ma mémoire, l'évènement restait toujours aussi violent, comparé au reste de ma vie. Alors, je les ai remercié. J'ai assuré que je me sentais mieux et j'ai arrêté mon traitement. Je sais qu'ils ne m'ont pas cru. J'ai refusé la puce. Ils n'ont pas insisté. Ma fille a enfin cessé de pleurer. Je fredonne un vieil air de chill electro quelconque, le plus doucement possible. Idis se met à ronfler. Bien qu'il l'ai toujours nié, mon frère le fait chaque nuit à trois heures du matin.
- Tu sais, Arctic?
« PAN »
- सॉरी यार, यह उसकी या मेरी
Cette phrase m'a tourmenté durant des semaines, avant que je n'ose chercher sa signification. Depuis, c'est presque pire. « Désolé mec, c'était elle ou moi. » en hindi. Qu'est ce que j'ai pu en vouloir à ce type. Il l'avait tuée. Il avait tué Mélisaëlle, mon âme soeur. Devant mes yeux. Et tout ce qu'il avait pu me dire c'était : « Désolé mec » ? J'aurais aimé qu'il soit immortel pour pouvoir le torturer de toutes les manières possibles. Mais jamais je ne le retrouverais, et puis c'était vrai, c'était elle ou lui. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir un peu d'amour propre et de s'être préféré à une inconnue. Peut-être que je suis devenu vide de sentiments, d'émotions mais je ne souhaite plus sa mort. Je ne souhaite pas que quelqu'un entende résonner la mort de cet indien pour le restant de ses jours.
-Tu sais, Arctic ?
« PAN »
- Désolé mec, c'était elle ou moi.
Ma fille s'est endormie. Je la berce encore, je crois qu'elle me rassure plus que je ne la réconforte. Elle ou moi. C'était ce qu'avait dit Mélisaëlle parmi une foule d'autres choses, peu avant sa mort. Nous avions dix-neuf ans, fini le lycée depuis déjà un an. Elle achetait des cours de fac, à une connaissance qui avait pu se payer l'Université. Elle espérait pouvoir frauder ainsi aux examens en soudoyant les surveillants, et obtenir son diplôme de psychologue. Quant à moi, je travaillais, et travaille toujours, pour le compte d'une recyclerie, payé au lance-pierre, pardon, 10 cents l'objet remis en état de marche et nous vivions dans un trois pièces miteux avec le reste de notre famille, huit personnes en tout. Vous l'aurez compris par vous mêmes, nous étions pauvres. Et un jour, livide, Mélisaëlle m'annonça qu'elle était enceinte. Le test chromosomique prédisait une fille.
« Il faut que j'avorte. Azélie m'a dit que c'est 10 000 $, c'est astronomique, je sais, mais on pas le choix.
- Sauf que justement Mélisaëlle ! L'avortement n'est pas un choix, c'est un crime, avais-je tenté de lui rétorquer. »
C'est un crime puni de la peine capitale depuis 2025, et désormais, à part les vieilles personnes qui avaient connu le temps où c'était légal et toléré, et les anarchistes, qui de toutes façons ne tolèrent aucun progrès, tout le monde s'accorde là dessus. Certaines cliniques sordides, le pratiquent encore, mais à des prix exorbitants et en risquant sa vie. Malgré tout, Mélisaëlle est restée bornée.
- Tu sais, Arctic?
« PAN »
- Désolé mec, c'était elle ou moi.
« Je ne veux pas que notre fille vive comme on vit, nous sommes trop misérables. En plus, ils lui implanteront une puce dés la naissance, ils liront dans ses pensées ! Si je ne veux pas d'elle c'est pour son bien. La planète est en train de mourir, l'humanité est en train de mourir. Nous sommes 10 milliards ! Il est préférable qu'elle ne naisse pas... disait inlassablement Mélisaëlle.
- Mais enfin, c'est Dieu qui nous l'a offerte ! »
Elle était persuadée que Dieu ne voulait pas des Etats Unis comme ils le sont actuellement, et que par conséquent, il ne décidait pas de tout. Elle tenait des discours proches de ceux des anarchistes. Elle m'agaçait, plus encore, m'inquiétait. Et nous nous disputions très souvent...
-Tu sais, Arctic?
« PAN »
- Désolé mec, c'était elle ou moi.
Nous allions rejoindre ma soeur, Eïmie au restaurant où elle travaille. Une Ford Crown Vic' délabrée avait tourné, rugissante, au coin l'église Saint-Ignace-de-Loyola. Nous avait foncé dessus avant de freiner et l'homme en était ressorti, l'espace de quelques secondes avant de repartir pied au plancher, tandis que Mélisaëlle s'effondrait en pleine rue.
-Tu sais, Arctic ?
« PAN »
-Désolé mec, c'était elle ou moi.
La porte s'ouvre, se referme doucement. c'est Azélie qui rentre de sa nuit de garde. Elle esquisse un sourire en ma direction, en silence, me propose un verre d'eau. Je refuse. Elle disparait dans la pièce d'à côté. C'est elle qui a reçu mon appel désespéré, le 16 février dernier. Elle travaille à Lenox Hill, l'un des deux seuls hôpitaux publics de New York. Comme Mélisaëlle, elle a racheté des cours, a soudoyé les examinateurs et est devenue infirmière. Elle a ensuite beaucoup appris sur le tas et a fini par devenir très estimée par le corps médical. Elle a toujours été un modèle pour Mélisaëlle. Et c'est grâce à elle que, chaque mois, le loyer de notre appartement est payé.
- Tu sais, Arctic?
« PAN »
- Désolé mec, c'était elle ou moi.
Les ambulances sont arrivées peu après, pourtant cela m'a paru une éternité. Nous n'avions pas assez d'argent pour une clinique privée, c'est donc à Lenox Hill, à Manhattan, qu'elles sont reparties, sirènes éteintes. Mélisaëlle était en mort cérébrale, néanmoins, elle était enceinte. Dans de rares cas, de grands lobbys et investisseurs ont une caisse et remboursent intégralement les soins jusqu'à l'accouchement. Ainsi, pendant six mois, ils se sont relayés relayés, sa mère, Azélie, Idis, mes parents, mes deux soeurs au chevet d'une morte, ou future morte, mais qui déjà n'avait plus grand chose de vivant. Moi, je ne pouvais pas, la réalité était trop dure à voir, je suis venu, deux ou trois fois...C'était insupportable. Pour quelques millions de dollars, les médecins m'ont proposé de remplacer son cerveau par un ordinateur ou de la cloner, mais je n'avais pas envie d'un robot ou d'une deuxième petite fille. Je voulais ma Mélisaëlle, avec ses souvenirs, sa joie, ses expériences... Et puis je n'avais pas les moyens.
Le jour de l'accouchement, j'étais évidemment présent, elle, pas vraiment. Elle ne verra jamais sa fille. Et alors que je découvrais Holly, notre fille, je dû faire définitivement adieu à sa mère. Il n'y eu pas non plus d'enterrement, nous n'avions pas les moyens.
« Les enterrements sont pour les vivants, pas pour les morts. Nous saurons nous en passer. avait gravement prononcé ma mère.»
-Tu sais, Arctic?
« PAN »
-Désolé mec, c'était elle ou moi.
Ma vieille montre m'indique qu'il me reste une heure et dix minutes avant d'entrer dans un nouveau cycle de sommeil. Trop pour tenter de se rendormir, de plus je n'ai aucune envie de revoir la scène fatale. Je repose Holly dans son berceau.
En recherchant dans le téléphone de Mélisaëlle, courant février, une explication à ce règlement de compte, je remarquai qu'elle avait téléchargé une de ces application qui te demandent de réaliser des défis, en échange de cadeaux quelconques. Celle ci se nommait « 30Tasks©» , promettait 10 000$ si l'on effectuait trente tâches. 10 000$, et en l'ouvrant, je tombai sur le dernier défi :
« LAST TASK !
Tuer Ronald E. Thornberry vivant au 919 Brooklyn Avenue. N-Y city.
Récompense: 10 000$
Gage: Etre tué(e) par un autre challenger.
Vous avez décliné la tâche. »
Ainsi voilà pourquoi elle était morte, elle avait besoin de ces 10 000$, mais avait refusé de tuer un inconnu sur cela. Elle voulait se faire avorter mais avait encore un peu de respect pour la vie. Et l'homme avait raison, c'était elle ou lui.
- Tu sais, Arctic ?
« PAN »
-Désolé mec, c'était elle ou moi.
Le jour commence à poindre, je regarde par la fenêtre, une patrouille de la milice traverse la route. L'un des hommes me regarde, puis, le visage éclairé par les néons d'une boutique, m'interpelle joyeusement :
« Hey ! Arctic ! Comment tu vas ? Et ta fille ? Et ton frère ? Et tes soeurs ? Eïmie bosse toujours au Shake Shack ? »
Cette avalanche de question provient de Sergueï, l'un des rares amis qui ne m'a pas tourné le dos. Après la mort de Mélisaëlle, beaucoup ont cessé de me voir, de prendre de mes nouvelles, par peur d'être mêlés à quelques sombres histoires... Sergueï parvient à m'arracher un sourire, nous parlons quelques minutes, il m'invite à dîner la semaine prochaine, puis reprend sa patrouille.
-Tu sais, Arctic ?
« PAN »
-Désolé mec, c'était elle ou moi.
Il est trop tard pour tenter de me rendormir. J'allume le vieux transistor que j'ai trouvé dans une décharge et réparé il y a quatre ans. La radio ne diffuse plus que des annonces du gouvernements et des informations banales, parfois entrecoupées de cyber attaques des anarchistes. Peu m'importe, je branche un casque pour ne réveiller personne, et augmente le volume, la voix enjouée de la speakerine annonçant les chiffres de la bourse couvre les trois sons infernaux, me berce, me fait plus d'effet que le Tunaflex©. Quand soudain, un grésillement interrompt ma transe. Une voix tonitruante résonne dans mon casque.
« Je suis l'Anarchie ! Je viens vous offrir les vrais actualités que le gouvernement vous cachent, camarades écoutez ! Les applications de défis « 30Tasks© » , « OneMillion© » et « YouCan© » ont été créées par le gouvernement pour enrayer la surpopulation. Le gouvernement nous pousse à nous entretuer... »
Je ne peux en écouter plus, ce gouvernement névrosé, qui dit respecter la vie envers et contre tout, a créé ces horribles défis, a tué Mélisaëlle. Parce qu'elle était de trop ? Combien sommes nous à devoir mourir sous prétexte que nous sommes trop ? Je tremble, les larmes inondent mon visage, Je sens la nausée m'envahir...
-Tu sais, Arctic ?
« PAN »
-Désolé mec, c'était elle ou moi.
Oui, je sais. Ils ont refusé que tu avortes, ils t'ont poussé à tuer quelqu'un pour obtenir l'argent dont tu avais besoin. Tu as refusé, ils ont forcé à autre à te tuer.
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