Jade

Vendredi 12 juillet

USA, non loin de Savannah

Bon, eh bien... Au moins, on pouvait cocher ces trois cases sur notre liste. Je n'avais, certes, pas pensé que les trois rencontres se feraient en même temps et encore moins dès notre arrivée, mais peut-être était-ce pour un mieux. Je connaissais Alex, il était comme moi : il était évident que les heures qui nous auraient séparés de ce moment n'auraient fait qu'accroître son niveau de stress à un stade aussi avancé que le mien l'avait été lorsque j'avais rencontré sa famille.

– Surprise ! s'exclama Brooke qui fut la première à reprendre ses esprits.

Cette dernière écarta les bras d'un effet dramatique et avec un large sourire tandis que Scarlett aidait ma mère à descendre de la chaise, toutes deux légèrement tremblantes. Étaient-elles encore sous le choc de notre arrivée non annoncée ou bien de me voir en compagnie de non pas un, mais deux invités ? J'étais tellement concentrée sur les visages des trois femmes de ma vie que je ne réussis pas à jeter un coup d'œil à Alex et encore moins à Craig. Je n'en eus d'ailleurs pas le temps, car maman, la seconde plus tard, m'enlaçait de toutes ses forces, manquant de m'étouffer.

– Tu m'as tellement manquée, me souffla-t-elle d'une voix émue. Oh non, ajouta-t-elle en se reculant d'un pas. Je m'étais promis de ne pas pleurer !

Maman détourna légèrement la tête tandis qu'elle chassait d'un revers de la main une larme qui venait de s'écraser sur sa joue.

– Mais tu m'as prise par surprise, me réprimanda-t-elle d'un rire.

– Même en connaissant l'heure exacte de mon arrivée, tu aurais de toute façon pleuré maman.

Elle me jeta un regard désapprobateur, prête à me contredire, mais elle s'abstint et haussa les épaules, sachant pertinemment que j'avais raison. Et comme pour ne pas se remettre à pleurer, elle se tourna vers Alex. Je fis d'ailleurs de même, et cela me permit de remarquer qu'il avait plutôt l'air serein... en tout cas, c'était ce qu'il réussissait à faire paraître. Avais-je réussi à être aussi bonne actrice que lui lorsque je fus dans cette situation il y avait de ça une semaine ?

– Je vous prie de nous excuser, nous aurions aimé vous accueillir d'une autre manière... Enfin, encore aurait-il fallu que nous soyons avertis pour cela, ajouta-t-elle en me fusillant du regard. La maison n'est pas toujours comme cela et...

– Maman, la maison est parfaite comme elle est. Et elle aurait été exactement comme ça même si je t'avais prévenue qu'Alex était avec moi. Elle est un peu maniaque sur les bords, adressai-je ces derniers mots à mon petit copain.

– C'est absolument faux, tenta de se défendre maman avant d'ajouter d'une voix coupable, bon peut-être un petit peu...

– Vous avez une très jolie maison, Madame Lawson. Et je vous prie de m'excuser de débarquer à l'improviste. Jade a pensé que ce serait une bonne idée, et je dois bien avouer que je n'ai pas pu ni même eu envie de lui dire non. J'espère que ma présence ne chamboulera pas trop votre quotidien, et je ne compte pas m'imposer plus que quelques jours.

– Je pensais qu'il pourrait rester une petite semaine, lui appris-je sans l'ombre d'une hésitation. Histoire que vous puissiez faire connaissance tous les deux et...

Un raclement de gorge me fit m'arrêter tandis que nous nous tournions tous vers les deux autres jeunes femmes qui étaient restées jusque là en retrait.

– Et pour qu'il puisse faire évidemment connaissance avec Scarlett et Brooke, se rectifia-t-elle aussitôt. Faire connaissance, pas l'accaparer, ni lui faire subir un interrogatoire, c'est compris ?

Tous deux hochèrent la tête avant de s'avancer vers nous et de rejoindre le cercle qui se forma de lui-même.

– Vous devez être Brooke et Scarlett, c'est bien ça ?

La question d'Alex était purement rhétorique, car il ne pouvait s'agir que d'elles. C'était surtout une façon de faire les présentations, de démarrer la conversation.

– Je suis Brooke, se présenta la première avant d'ajouter précipitamment, Votre Altesse.

– Votre Altesse Royale, toussota Scarlett tout en lui donnant un coup de coude, la révérence.

Brooke s'exécuta, quoiqu'un peu maladroitement, ce qui fit rire maman et moi.

– Oh non, pitié, l'arrêtai-je aussitôt. Pas de ça entre nous. Pas de révérence ni d'Altesse Royale. Appelez-moi Alex, d'accord ?

Brooke et Scarlett se jetèrent un regard indécis avant de hausser les épaules et d'acquiescer finalement d'un signe de tête.

– Et qui est donc ce monsieur, Jade ?

– C'est Craig, l'un des gardes du corps d'Alex.

– Bonjour, émit ce dernier simplement.

– Je crois que je n'ai jamais vu autant d'Anglais en si peu de temps, commenta Scarlett l'air ailleurs.

– Tu n'en aurais pas amené un troisième dans ta valise par hasard ? l'interrogea Brooke avec amusement.

– Je sais que tu m'avais demandé de te ramener un Anglais, mais je ne suis pas certaine que ce serait passé à la douane, tu sais ?

Alex

Brooke ne parût pas convaincue par l'explication de sa cousine, mais la remercia tout de même d'y avoir pensé. Les deux jeunes femmes se jetèrent ensuite sur ma bien-aimée, l'enlaçant chaleureusement avant de se mettre à la bombarder de questions. Sa mère les arrêta presque aussitôt, nous invitant tous à passer dans la salle à manger pour profiter d'une boisson bien fraîche, Craig y compris. Bien évidemment, il refusa en tout premier lieu, mais Madame Lawson, de son prénom Sarah, l'invita une seconde fois à se joindre à nous et, après avoir remarqué mon sourire d'approbation, feint de se laisser tenter par un verre de limonade.

Bientôt, alors que nous étions tous réunis autour de la petite table, les questions se tournèrent peu à peu vers moi. C'était sa cousine et sa meilleure amie qui étaient les plus curieuses, en particulier la première. Sa mère, elle, se contentait d'être attentive à mes réponses et siroter sa boisson en silence. J'ignorais ce qui se passait dans sa tête. Pensait-elle que Brooke et Scarlett étaient suffisamment... interrogatrices pour ne pas en ajouter ? Était-elle moins curieuse qu'elles ? Attendait-elle que nous nous retrouvions juste à trois, voire rien qu'à deux, pour s'y mettre ?

– Les filles, les calma gentiment Jade au bout de dix minutes, laissez-le respirer s'il vous plaît. Je n'ai pas envie qu'il reprenne le premier avion pour Londres à cause de toutes vos questions.

– Aucune avalanche de questions ne pourrait me pousser à faire une telle chose, répliquai-je sans l'ombre d'un doute et en déposant amoureusement ma main sur la sienne.

– Ohhhhh, s'exclamèrent Scarlett et Brooke en chœur.

Leurs réactions nous firent éclater de rire et, du coin de l'œil, je remarquai que même Craig avait esquivé un sourire, bien qu'il tenta de le cacher en portant son verre à ses lèvres.

– Est-ce que tous les Anglais sont aussi charmants ? s'enquit Brooke d'un air rêveur.

– Pas tous les Anglais, non, lui apprit Jade avant de se tourner vers moi. Pas comme Alex.

Les filles réitèrent leur « oh » admiratif. Cette fois-ci, il eut un effet différent sur moi, probablement parce qu'il était provoqué par un compliment que me faisait Jade, et non l'inverse. Je tentais d'en dissimuler l'émotion que cela me provoquait, mais pour une raison que j'ignorai, cela fut plus compliqué. C'était la première fois que cela m'arrivait devant d'autres personnes. De me sentir vulnérable, d'avoir l'impression d'être nu comme un ver. Jade avait arraché ma carapace et je n'avais plus rien derrière quoi me cacher.

C'était aussi la première fois que je vivais ce genre de moment, avec ma belle-famille. J'avais déjà pu rencontrer la famille de Charlotte à plusieurs occasions, mais c'était toujours dans des événements très formels. Ce n'était pas aussi intimiste, chaleureux ou agréable. Il n'y avait rien de comparable à ce que j'avais pu vivre auparavant. Tout ce que je vivais avec Jade était aussi nouveau que cela était enivrant. Tout était plus fort, plus juste, plus profond. Chaque moment avait un goût particulier, une résonnance unique. Chaque instant était vécu à fond, et chaque projet, même le plus infime, me donnait envie de me lever ce matin. Il n'y avait plus de routine barbante, plus de désespoir. Plus depuis qu'elle m'avait embrassé, dans cette rue, qu'elle était revenue à moi. Elle donnait un sens à ma vie, elle donnait un sens à tout.

Jade

Ce fut peu avant vingt heures que nous prîmes congé. Dans d'autres circonstances, nous aurions pu rester éveillés jusqu'à deux, trois voire quatre heures du matin. Les filles débordaient d'énergie, comme toujours. Mais contrairement à Alex et moi, elles n'avaient pas dû subir le décalage horaire. J'étais absolument lessivée, et bien que j'avais tenté de dissimuler et de contenir mes bâillements, maman avait fini par rappeler gentiment les filles à l'ordre. Bien qu'un peu déçues, elles comprirent et disparurent quelques minutes plus tard après m'avoir enlacée longuement.

Craig, lui, était déjà parti depuis quelques heures. Il avait accepté le premier verre de limonade par courtoisie et parce qu'Alex lui avait fait comprendre qu'il était d'accord. Mais il avait sûrement eu la sensation de ne pas être vraiment à sa place dans cette réunion de famille. Du moins, je me serais sûrement sentie pareil si j'avais été à sa place. Je n'avais plus pensé à lui depuis. Scarlett et Brooke avaient eu mille questions à me poser, et j'avais tant de choses à leur raconter. Mais maintenant, alors que je gravissais les escaliers qui menaient à ma chambre, je demandais tout de même où il était. Allait-il rester toute la nuit dans cette voiture ? J'étais admirative de son travail, de ses longues heures, de la pression qu'il devait y avoir sur ses épaules, et de la longueur des heures qui devaient s'étirer lorsqu'il était en surveillance sans bouger, dans la même posture pendant des heures, aux aguets.

Craig ne fut plus qu'un lointain souvenir, car, à peine fûmes-nous dans le lit, que je sombrais dans un sommeil profond. Il n'y avait pas mieux que son lit et son chéri pour passer la meilleure des nuits.

Lorsque je m'éveillais au petit matin, un raffut extérieur me parvint. Je n'eus pas besoin de me lever et de jeter un œil à la fenêtre pour comprendre son origine.

La réalité nous avait, déjà, rattrapés.

Je poussais un soupir alors qu'Alex dormait encore paisiblement à mes côtés. Je tentai du mieux que je le pus de me focaliser sur sa présence, de profiter de chaque seconde où j'étais avec lui. J'avais réfléchi à tout ce que j'avais envie de lui faire découvrir. C'était à mon tour de lui partager ma vie, mon quotidien, mes endroits préférés.

Tout ça avait disparu en l'espace d'une seconde, et le regard désespéré d'Alex à son réveil me le confirma.

Nous restâmes donc pratiquement cloîtrés la semaine qui suivit. Bien que nous fûmes très occupés par Scarlett et Brooke, et que notre enfermement permit à maman de faire mieux connaissance avec lui, je restai profondément frustrée de ne pas pouvoir sortir et de profiter du soleil rayonnant.

La frustration atteint son paroxysme le matin de son départ. Bien que j'avais fait du mieux que je le pouvais pour profiter de cette dernière semaine ensemble, j'avais un goût amer de ne pas avoir pu créer des souvenirs différents, de ne pas avoir pu lui dévoiler d'autres choses de moi qu'à travers des mots.

J'essayais de ne pas lui montrer, mais j'étais quelque peu en colère.

J'étais aussi désemparée et déboussolée. Je n'avais absolument aucune idée du temps qui séparait nos retrouvailles. Je me sentais si impuissante, et mon cœur se brisa en mille morceaux lorsque je le vis disparaître alors que la porte se refermait derrière lui.

Alex

La quitter fut l'acte le plus douloureux au monde. 

Et comme vous êtes plusieurs à me le demander, des nouvelles du bébé : tout va pour le mieux ! Il s'agit d'un petit garçon qui arrivera fin mars et que nous avons décidé d'appeler... Arthur ! Eh oui, j'étais bien obligée de lui donner un prénom royal ;)

Encore une fois, désolée pour l'attente. J'essaie petit doucement de retrouver un rythme. J'espère que le fait d'avoir publié -très- régulièrement ces deux dernières années (que ce soit pour cette histoire ou les autres) vous permettra de ne pas trop m'en vouloir et d'être compréhensifs à mon égard. Ne pas écrire autant qu'avant, ne pas pouvoir publier aussi souvent me chagrine autant que vous je vous assure...

Je vous embrasse,

Ella