Alexandre

19 septembre

Île privée des Bahamas

Il était évident que j'aurais préféré qu'elle me répondît oui, sans la moindre hésitation. Cependant, je ne pouvais pas nier que je m'étais aussi préparé à un refus... Enfin, refus y avait-il quand aucune réponse n'avait été formulée ? 

J'avais imaginé tous les scénarios possibles et, pourtant, j'étais resté là, le genou à terre pendant dix bonnes secondes alors que Jade avait tourné les talons. J'avais été incapable de réagir, de la retenir, de lui courir après. Peut-être était-ce pour le mieux et que je devais lui octroyer ce moment de réflexion avant de reprendre là où nous nous étions arrêtés. 

Je me redressai enfin, un peu perdu et surtout dans un état second. J'avais toujours l'écrin en main que je refermai et déposai sur le plan de travail, juste à côté de mon téléphone. Je ne m'étais jamais senti aussi seul qu'à cet instant précis et la première personne à laquelle j'aurais eu envie de parler avait besoin d'espace. 

Je ne pouvais pas rester dans cet état, mais je ne pouvais pas non plus la rejoindre, je sentais que ce n'était pas le moment, pas tout de suite, pas aussi vite. Je me saisis alors de mon téléphone et composai le numéro de la première personne qui me venait à l'esprit et qui avait vécu une expérience légèrement similaire, bien que différente sur bien des points. À la deuxième tonalité, Edward répondit et son visage apparut à l'écran.

– Alors ? s'exclama une voix enjouée avant d'apercevoir mon expression. Merde frangin, qu'est-ce qu'il se passe ? Elle a dit non ?

Je hochai négativement la tête.

– Elle n'a pas pu dire oui, sinon tu aurais un sourire jusqu'aux oreilles.

– Elle a dit qu'elle avait besoin d'une minute, lui confiai-je le cœur lourd.

– Ah...

– C'est compréhensible, émit une voix féminine un peu lointaine.

La tête de Cécilia entra dans le cadre de l'écran et elle m'adressa un sourire réconfortant.

– C'est une décision importante, ajouta-t-elle. Ce n'est pas une simple demande en mariage entre deux personnes. Cela inclut beaucoup plus de conséquences que d'enfiler une jolie robe blanche et de s'unir avec quelqu'un. J'en sais quelque chose. 

– Tu penses qu'elle va répondre non ?

– Je pense qu'elle a bien raison d'avoir demandé une minute de réflexion. J'ai pris des mois de réflexion avant de finalement commencer à sortir avec Eddie, et tout ça en sachant pertinemment ce qui m'attendait. De plus, Jade vit dans un autre pays, avec un tout autre mode de vie. Je t'avoue que j'aurais été assez surprise si elle avait dit oui du premier coup, cela ne lui aurait pas ressemblé.

– Qu'entends-tu par là ? 

– Je dis juste que Jade, bien que profondément amoureuse de toi c'est certain, est quelqu'un d'assez réfléchi. Ce n'est pas le genre de fille à prendre une décision sous le coup de l'émotion. Mais je pense qu'elle dira oui. Elle a eu besoin d'un moment entre le jour où elle a appris qui tu étais et le jour où vous vous êtes remis ensemble, non ? Je pense que c'est une situation similaire, mais qu'elle reviendra. Je pense aussi qu'elle a besoin d'être rassurée. Alors, laisse-lui quelques minutes, mais pas trop.

– Eh bien... C'est ton numéro que j'aurais dû composer et pas celui de mon frère. 

– C'est très gentil, merci beaucoup, répondit ironiquement le principal concerné.

Ed, s'il en avait eu l'occasion, m'aurait probablement prodigué de bons conseils. Mais l'expérience et le ressenti de Cécilia étaient, sans aucun doute, beaucoup plus pertinents dans cette situation. Cela me rassura et me conforta dans mes sentiments et mes pensées. 

– Elle a juste peur, Alex, ajouta-t-elle. Peur de tout quitter et commencer une vie entièrement nouvelle et en totale opposition avec tout ce qu'elle a vécu jusqu'ici. Elle a réagi normalement, alors montre-lui que tu comprends.

J'approuvai ses propos d'un signe de tête. Bien qu'elle n'avait pas besoin de me dire ça, j'appréciai son soutien et ses précieux conseils. 

– Je crois qu'il est temps que je la rejoigne...

– Ça va bien se passer, frangin, me certifia Ed d'un large sourire.

Cécilia me gratifia ensuite d'un « bonne chance » avant de mettre fin à la conversation. Je restai ensuite quelques secondes en silence, puis je déposai mon téléphone là où je l'avais trouvé avant de me saisir de l'écrin que je rangeai dans ma poche. Je ne voulais pas le brandir à nouveau, mais je voulais tout de même l'avoir à portée de mains si la situation tournait à mon avantage. Je pris ensuite la direction où j'avais vu Jade s'éloigner : vers la piscine. Mais lorsque j'y arrivais, il n'y avait pas âme qui vive. J'étais pourtant certain de l'avoir vu partir vers l'extérieur de la maison !

Je contournai la piscine et allai me percher près du balcon qui donnait sur la plage et là, je la vis, à une centaine de mètres. Elle faisait les cent pas, la tête baissée, mais je ne pouvais rien voir d'autre : j'allai devoir m'approcher. Je rejoignis le chemin en pierre qui descendait jusqu'à la plage et posai mon pied sur la première marche, puis la deuxième, très lentement. Je ne voulais pas lui donner la sensation d'avoir couru, je ne voulais pas me précipiter. D'une part, car il aurait été fort stupide de me blesser en courant, de l'autre, car j'avais besoin de remettre mes idées en place avant de la retrouver. Je voulais établir toutes les choses que je voulais lui partager et me préparer à contrer tous les problèmes qu'elle pourrait mentionner, et des problèmes, je le savais : il y en avait. 

Quelques minutes plus tard — c'était dire à quel point j'avais opté pour la vitesse de l'escargot —, je posai enfin un pied dans le sable. Jade n'avait pas encore remarqué ma présence : elle faisait ses cent pas dans la direction opposée à la mienne. Mais, bientôt, elle fit volte-face pour les réitérer et après quelques mètres, finit par me remarquer. J'aperçus enfin son visage plus distinctement, et les sentiments qui l'animaient. Elle avait l'air dévastée !

– Je suis désolée, dit-elle aussitôt d'une voix affligée, je ne voulais pas paniquer. 

– Je sais que tu ne voulais pas, mais ce n'est pas grave. Je t'assure que ce n'est pas grave.

– Bien sûr que si, c'est grave, Alex ! Tu me fais ta demande et moi, tout ce que je trouve à faire, c'est m'enfuir. Quelle personne sensée d'esprit fuit quand l'amour de sa vie lui demande de l'épouser ?

– Probablement quand l'amour de sa vie a une plutôt singulière.

Nous étions à quelques mètres l'un de l'autre, et je n'osai pas faire un pas de plus. J'étais terrorisée à l'idée de la faire fuir définitivement. 

– Je sais que je te demande beaucoup. Je sais que c'est une grande décision pour toi. Je sais tout ça, et je ne t'en veux pas de douter. Je ne t'en veux pas du tout.

– Mais moi je m'en veux, Alex. Je me déteste à l'idée de ne pas t'avoir répondu oui tout de suite, d'avoir hésité.

« Tout de suite » ? Cela voulait-il dire que son cœur balançait plus vers le oui que vers le non ? Mon dieu, je l'espérais tant...

– J'aurais tant voulu ne pas hésiter. Tu dois te dire que je ne t'aime pas suffisamment si ma réponse n'a pas été aussi évidente...

– Peux-tu, l'espace d'un moment, arrêter de penser à ce que j'ai bien pu me dire ou ressentir ? Parce que, crois-moi, tu es bien loin de la vérité, je peux te l'assurer. Il est évident que j'aurais espéré un oui unanime, mais une partie de moi s'était préparée à l'idée que la réponse soit un peu plus nuancée. Après tout, je te demande de tout quitter pour moi... Il serait égoïste de ma part de t'en vouloir parce que tu hésites à faire un tel sacrifice. Je comprends, vraiment. Je comprends vraiment que tu aies peur. Et je ferai et dirai n'importe quoi pour t'ôter de tout ça. Dis-moi ce que je peux dire ou faire, Jade. Dis-le-moi et je m'exécuterai. 

Jade prit un temps de réflexion. Elle avait cette expression sur son visage que je connaissais que trop bien : celui de la Jade qui se mettait à réfléchir à cent à l'heure avant de trouver l'idée ou la question qui amènerait, je l'espérais, à une solution. 

– Est-ce que tu en as parlé à quelqu'un avant aujourd'hui ? Je veux dire, est-ce que tu en as parlé à ta mère ? Peut-être que oui, elle m'aime bien, mais peut-être qu'elle n'est pas sûre que je puisse être à la hauteur de la tâche et que...

– Jade, l'interrompis-je avec douceur. En tant que deuxième héritier de la couronne, je suis obligé de demander la permission au monarque pour me marier. C'est un acte dans la succession, les cinq premiers héritiers doivent le faire, alors il est évident que je l'ai fait. Et elle m'a donné son accord, sans aucune hésitation. Elle sait qu'il y a une tonne de choses que je vais devoir t'apprendre, mais elle sait avec certitude que tu en es capable. Tout le monde en a la certitude.

Je m'approchai d'elle tout doucement, comme si je m'approchai d'un animal apeuré, ce qui était un peu le cas. Jade avait peur de ma vie et de tout ce que cela impliquait, et je ne pouvais pas lui en vouloir. Au contraire, je la comprenais et je savais cela que cela allait induire si elle me disait oui.

Je n'étais plus qu'à quelques centimètres d'elle et de ses yeux inquiets. Inquiets, mais j'y discernai une lueur d'espoir.

– La seule personne qui doute de toi, c'est toi-même, Jade. Personne dans mon entourage n'a de craintes à ton sujet. Je sais que ce n'est pas une décision facile à prendre. Je sais que j'aurais peut-être dû préparer le terrain, mais je dois t'avouer que j'ignorais comment faire. C'est la première fois que je me retrouve dans cette situation, la première fois que je demande à une femme incroyable de m'épouser. Dans d'autres circonstances, tout serait plus simple. Dans d'autres circonstances, je sais que tu aurais dit oui sans l'ombre d'une hésitation. Mais je sais que ma vie n'est pas simple et que cela peut être effrayant. Cependant, je pense que, si nous sommes ensemble, on peut tout surmonter. 

Je lui pris délicatement ses mains que je caressai du bout de mes pouces tout en plongeant mon regard aussi amoureux qu'au premier jour dans le sien. 

– Tu peux prendre tout le temps qu'il te faut pour me répondre. Je préfère un oui dans quelques mois plutôt qu'un non maintenant. Parce que, en quelques mois, on peut encore en parler, je peux répondre à tes questions, te préparer au mieux à la vie qui pourrait être la tienne, te montrer un avant-goût de ce qui pourrait t'attendre. Je serai à touj...

– Alex, m'interrompit-elle en posant l'une de ses mains sur ma bouche. Tu n'auras pas besoin de faire tout ça.

Mon cœur rata un battement. Un long battement qui me parut être une éternité, jusqu'à ce qu'elle reprit la parole.

– Parce que ma réponse est oui, dit-elle enfin alors qu'elle retrouvait le sourire. Je veux et je vais t'épouser. 

– Tu... tu es certaine ?

– Non, voyons, je te fais marcher... Alex, enfin ! 

Oui, ma question était absolument stupide. Comme si Jade pouvait blaguer sur un sujet d'une telle importance ! Mais ces quinze dernières minutes avaient été de véritables montagnes russes que j'avais besoin qu'elle réitérât sa réponse. Ni d'une, ni deux, je sortis à nouveau l'écrin de ma poche et posai un genou à terre.

– Alex, tu n'as pas besoin de refaire ta de...

– Chut ! l'intimai-je d'une petite voix surexcitée avant de reprendre un semblant de calme. Ça doit être fait dans les règles de l'art, sinon ça ne compte pas. 

Jade cacha son sourire amusé derrière sa main alors que je prenais une profonde respiration, à nouveau prêt à changer nos vies à jamais, cette fois en étant parfaitement certain de sa réponse. 

Après tout, n'était-elle pas mon évidence ?