39 - Alexandre
Alexandre
Lundi 8 juillet
Palais de Holyrood, Édimbourg, Écosse
Et elle m'avait expliqué, brièvement, ce qui s'était passé entre elle et ma mère pendant les trente minutes les plus longues de ma vie. Il n'y avait pas eu d'interrogatoire, pas comme je l'avais craint du moins. Jade n'avait pas voulu me donner plus de détails, mais m'avait assuré sur le fait que cela avait été une conversation très agréable et j'avais fini par la croire sans aucune difficulté. Elle qui avait été une vraie boule de nerfs ces derniers jours, elle s'était détendue en très peu de temps, il m'était donc difficile de me faire du souci lorsque je la voyais sourire.
Et son sourire ne disparut pas de tout le week-end. Jade apprécia chaque moment passé avec ma famille, que ce fut les différents repas de la journée, les balades dans le jardin et les quelques moments où l'un ou l'autre membre de notre petit comité décida qu'il méritait un moment en tête à tête avec elle. Il y avait, bien entendu, eu maman en premier lieu. Après notre « sieste » du premier jour, qui s'était transformé en moment plein de tendresses et de câlins, Sophie réussit par je ne sais quel miracle à faire disparaître Jade quelques minutes avant le dîner. Jade disparut également après le dîner du premier soir. Elle qui était partie chercher les toilettes, elle était tombée nez à nez avec mon père au détour d'un couloir et s'en était suivie une passionnante conversation sur l'Histoire. C'était un sujet que papa avait lui-même étudié étant plus jeune, il devait donc être ravi de pouvoir échanger ce domaine si vaste. Grand-mère fut la dernière à accaparer Jade pour elle seule, mais elle le fit à trois reprises.
Seuls Edward et Cécilia n'ont pas ressenti le besoin de faire comme le reste de la famille. Peut-être parce qu'ils savaient pertinemment ce que devait ressentir Jade et qu'ils ne voulaient pas en rajouter une couche... ou bien parce qu'ils étaient trop amourachés pour ne serait-ce qu'avoir cette idée.
Leur couple m'inspirait et j'espérais tant que notre couple évoluerait dans la même direction que le leur. Que nous survivrions aux épreuves, quoique différentes des leurs à certains égards, dont la distance. Surtout la distance qui approchait à grands pas. Peut-être était-ce pour cela que le sourire de ma tendre Jade s'était quelque peu fané la veille de notre départ du palais.
J'étais assis sur le bord du lit et je l'admirais depuis cinq bonnes minutes sans arriver à prononcer le moindre mot. Au début, je n'avais fait que l'admirer. J'observai chacun de ses gestes alors qu'elle était assise devant la coiffeuse, peignant sa longue chevelure. Puis, au bout d'une ou deux minutes, j'avais remarqué que ses traits n'étaient plus tout aussi détendus qu'ils l'avaient été le reste du week-end. Pourtant, je n'avais pas réussi à dire le moindre mot. Pas tout de suite en tout cas, j'avais encore attendu quelques minutes avant de laisser parler mon inquiétude.
— Quelque chose ne va pas ? émis-je d'une petite voix.
Bien sûr, ma question était rhétorique. Il était évident que quelque chose n'allait pas, et j'étais aussi sûre de l'origine de ce changement d'humeur. Mais je ne voulais pas mettre les pieds dans le plat aussi brusquement. Je ne voulais pas non plus l'obliger à me parler de son état d'esprit. Parfois, on voulait garder quelque chose pour soi, car le dire rendait tout plus réel, et je savais qu'en cet instant, cela était difficile de rappeler son départ. Pour elle, comme pour moi...
Je vis Jade ralentir son mouvement, jusqu'à s'arrêter avant de déposer délicatement sa brosse sur la coiffeuse. Elle releva ensuite la tête et, via le miroir, posa son regard sur moi sans tenter de cacher ses émotions. Elle soupira ensuite et baissa à nouveau la tête.
— Pourquoi ne peut-on pas suspendre le temps ? Rien qu'un moment ? Rien qu'un seul petit moment ? laissa-t-elle échapper d'une voix défaite et presque suppliante.
Le ton de sa voix eut l'effet d'un coup de poignard en plein cœur. C'était la première fois que je la voyais dans un tel état. Elle paraissait désespérée... Même les paparazzis et les contraintes de mon mode de vie n'avaient jamais semblé l'affecter autant que ce qu'il la rongeait ce soir.
Il ne m'en fallait pas plus pour me lever et la rejoindre. Il m'était insupportable de rester loin d'elle lorsque je la sentais tout aussi démunie que je l'étais... Jade pivota vers moi tandis que je me mis à genoux face à elle et que j'attrapai délicatement ses mains sur lesquelles je déposai un baiser avant de lever à nouveau mon regard vers elle. Il y avait de nouveau un sourire sur son visage, mais triste cette fois.
— Je donnerais tout ce que je possède pour ne serait-ce qu'une heure de plus avec toi, déclarai-je sans l'ombre d'une hésitation avant d'ajouter sur le même ton, si tu me le demandais, je laisserais tout tomber et je te suivrais.
Jade parut touchée par mes propos, à en croire le regard plein de tendresse qu'elle me lança et la caresse de sa main sur ma joue. Elle retrouva aussi un peu de joie, à en croire ses traits et son sourire.
— Jamais je ne te demanderais d'abandonner tout ça, Alex. Ni ta famille ni la couronne. J'ai beau ne pas encore connaître tous les us et les coutumes de ton monde, je sais en revanche une chose : tu es important. Tu fais partie de l'Histoire. Comment puis-je t'en extraire, moi qui aime tellement l'Histoire que j'en ai fait mon métier ?
Je perdis tous mes mots face à sa réponse. Car bien que les miens avaient été sincères à l'instant où je les avais prononcés, je me rendais compte que je n'aurais pas pu quitter ma famille et l'Angleterre ad vitam æternam. Le temps de quelques mois, sûrement. Mais toute une vie ? Je ne m'en pensais pas capable. Ma place était ici, avec eux. Mais mon cœur était là, avec elle, au creux de ses mains, et je peinais à comprendre comment j'allais pouvoir combiner mon attachement à cette famille, et mon amour pour elle, sans prendre une mauvaise décision, sans mettre l'un ou l'autre partie dans une position désagréable. Où était l'équilibre dans cette situation ? Y en avait-il seulement ? Ou devais-je seulement attendre le bon moment pour...
— Je suis sûre que tout ira bien. J'en suis persuadée.
Jade essaya d'insuffler le plus d'assurance possible dans ces propos, mais je ne pouvais m'empêcher d'y discerner une pointe de doute. Ou bien était-ce mes propres doutes que j'entendais dans ma tête ? Il aurait été naïf de ne pas en avoir. Une relation longue distance était semée d'embûches, et bien que nous aimions faire les autruches de temps à autre, il fallait parfois se rappeler notre réalité pour pouvoir s'y préparer au mieux, et l'affronter le moment venu.
— Nous devrions aller nous coucher. J'aimerais pouvoir profiter du dernier repas avec ta famille avant de nous en aller.
J'acquiesçai d'un signe de tête et Jade fut la première à se lever et s'avancer vers le lit. Je mis un peu de temps à la rejoindre, en proie à mes pensées, à mes doutes, à toutes les questions que j'avais tenté de mettre en suspens ces dernières semaines. Si Jade parvint à s'endormir au bout de quelques minutes, de mon côté je mis plusieurs heures avant d'y parvenir. Des heures où je la contemplais, elle qui était allongée sereinement à mes côtés et dont la tristesse avait été laissée sur cette coiffeuse. J'aurais aimé réussir à faire pareil, mais je ne savais pas comment faire. Je me sentais tellement impuissant. C'était un sentiment que j'avais déjà pu ressentir par le passé, et même dans notre couple. J'étais impuissant face à l'opinion publique, aux paparazzis, à la curiosité des gens. Je l'avais toujours été, mais là c'était différent. C'est une nouvelle forme d'impuissance que je n'arrivais pas à mettre de côté ni même à qualifier.
Et ce fut avec cette dernière idée que je rejoignis les bras de Morphée. Lorsque je me réveillai au petit matin, les rôles étaient inversés : cette fois-ci, c'était Jade qui m'observait. Depuis combien de temps ? Je n'en savais rien, mais cela ne me gênait pas. Après tout, je faisais pareil.
— J'étais prête à te réveiller, me salua-t-elle d'un sourire amusé. Habituellement, tu es souvent le premier à être réveillé, je commençais à m'inquiéter.
— Je n'ai pas très bien dormi, lui avouai-je à demi-mot.
Jade m'adressa un sourire peiné, puis je l'invitai à me rejoindre pour un câlin matinal dont nous avions, je le savais, tous deux besoin. Nous restâmes là de longues minutes, savourant cet instant qui n'était rien qu'à nous, avant de devoir mettre un pied en dehors de ce lit et d'activer l'engrenage de cette journée dont le programme était bien chargé. Nous avions prévu de passer ces prochains jours à découvrir quelques coins de l'Angleterre que Jade m'avait demandé de choisir pour elle. Nous aurions pu rester au cottage, mais elle voulait découvrir et je ne pouvais pas l'en blâmer. C'était une chose que j'aimais chez elle, son insatiable curiosité, sa joie lorsqu'elle apprenait une nouvelle information, lorsqu'elle posait ses yeux émerveillés sur un nouveau paysage.
Il y avait un feu qui vivait chez elle, une âme d'enfant qui n'avait pas disparu en grandissant, et tout ça rendait chacun instant magique et unique, même les plus anodins. Surtout les plus anodins !
— Il faut vraiment qu'on quitte ce lit si on ne veut pas être en retard pour le petit-déjeuner. Ce serait un peu bête de faire mauvaise impression le dernier jour.
— Jade, voyons. Toute ma famille t'adore, tu n'as absolument pas à t'inquiéter pour cela.
— Ce n'est pas une raison pour ne pas être ponctuelle ! dit-elle en sortant du lit. Allez, lève-toi ou je vais me laver toute seule.
Il ne m'en fallut pas plus pour quitter le lit, et même être le premier à atterrir dans la salle de bain. Néanmoins, je dus en sortir lorsque je remarquai que je n'avais pas pris mes vêtements, ce qui fit rire Jade.
Une heure passa ensuite avant que nous descendîmes prendre le petit-déjeuner. Seuls les parents et grand-mères étaient déjà présents, mais je n'étais pas étonné quant à l'absence des autres membres de la famille. Edward et Cécilia devaient flâner au lit, tandis que Sophie ne devait même pas encore être réveillée. De nous trois, c'était celle qui aimait le plus les grasses matinées, et il était difficile de lui en vouloir : moi aussi je serais encore restée dans le lit une heure de plus si je n'avais pas eu une femme raisonnable à mes côtés !
Comme je m'y étais attendu, grand-mère accapara Jade sans attendre tandis que je pris place en face d'elle, près de papa.
— Jade a l'air d'avoir bien dormi... toi, en revanche, tu sembles épuisé.
— Merci papa de me faire remarquer de si bon matin que je dois avoir la tête d'un zombie. Bonjour à toi aussi, par ailleurs.
— Bonjour, ajouta-t-il avec un rictus amusé. Me diras-tu ce qui t'a empêché de te reposer cette nuit ? Nous ne nous sommes pourtant pas couchés trop tard hier soir.
— Je n'ai pas réussi à faire taire mes pensées...
— Ah... je crains de devoir ajouter une couche à toutes tes inquiétudes malheureusement.
Je venais à peine de me servir d'une tranche de pain grillée que, déjà, un nuage noir faisait son apparition à cette journée qui paraissait pourtant très ensoleillée.
— Qu'il y a-t-il ?
— Ce sont les paparazzis, me répondit-il en baissant d'un ton. Nous avons été informés qu'ils sont au courant de l'heure de départ du vol de Jade. Et, en toute logique, ils savent aussi quand elle...
— Quand elle arrive chez elle, terminai-je ma phrase en soupirant. Je vois... Je ne suis pas étonné, même si je dois avouer avoir espéré que l'information ne leur soit pas donnée.
— Je sais que c'est quelque chose qui t'angoisse, mais ta mère et moi pensons qu'il y a une solution à ce problème.
— Ah oui ? Laquelle ?
— Il suffit qu'elle ne prenne pas ce vol.
— Papa ! Il faut que Jade retourne chez elle, je ne vais pas éternellement la garder en Angleterre ni la séquestrer dans le cottage de Lord Allistaire.
— Alex, voyons, je n'ai pas dit qu'elle ne devait pas rentrer chez elle. J'ai simplement dit qu'elle ne devait pas prendre ce vol, insista-t-il d'un air malicieux.
— Je... quoi... Oh !
Voilà, j'avais enfin compris où voulait en venir papa. Une idée ingénieuse, sans l'ombre d'un doute, qui retarderait l'inévitable également. Il ne restait qu'un seul point d'interrogation : qu'en dirait-elle ?
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