37 - Alexandre
Navrée pour l'attente❤
Alexandre
Samedi 6 juillet
Palais de Holyrood, Édimbourg, Écosse
Je n'avais jamais été aussi heureux qu'en cet instant précis. C'était la première, en l'espace de vingt-quatre années d'existence, que je me sentais enfin en paix avec moi. J'étais entier. Tout ce dont je désirai et les personnes que j'aimais le plus au monde se tenaient autour de cette table, accueillant avec camaraderie et éclat de rire celle qui était le centre de mon monde. Et je les regardai silencieusement, un sourire béat au visage, tandis que j'observai la scène qui se déroulait sous mes yeux. Je m'en imprégnai. Je la photographiai pour la garder en mémoire. Si le bonheur devait être résumé en un seul souvenir, ce serait celui-ci. Une après-midi ensoleillée, un thé exquis, une famille aimante et la plus incroyable des femmes qui avait pris la décision de partager sa vie avec moi.
Il n'y avait pas plus parfait moment que celui-ci.
Quoi que... peut-être qu'y ajouter un baiser le rendrait plus-que-parfait. Hélas, nous étions séparées par une table et l'élue de mon cœur se trouvait entre Sophie, qui la bombardait de questions, et grand-mère qui écoutait attentivement la conversation des deux jeunes femmes. Indéniablement, je ne pouvais demander à ne prendre la place d'aucune d'entre elles. Mais Jade s'en sortait bien. Elle souriait. Le genre de sourire qu'elle avait lorsqu'elle était pleinement heureuse, lorsqu'elle vivait la joie de vivre. Comme la toute première fois où je l'avais vu, dansant sans se soucier de rien d'autre que de la musique.
— Arrête de sourire, fils, ou tu risques d'avoir une crampe dans quelques minutes.
Je me tournai vers papa, sans pour autant m'exécuter. À vrai dire, je n'y arrivai pas !
— Tant pis pour la crampe, papa, ça en vaut le coup.
— Ta sœur et ta grand-mère vont finir par te remarquer et te chambrer pendant des mois.
— Je m'en fiche, ça aussi ça vaut le coup, lui avouai-je pleinement heureux.
— C'est la bonne, n'est-ce pas ? m'interrogea-t-il avec espoir.
— Pour moi, oui. Mais toi, l'aimes-tu ?
— Alex, elle est arrivée il y a à peine dix minutes. Nous n'avons pas encore eu le temps de s'échanger le moindre mot, ta sœur se l'accapare depuis qu'elle s'est assise à ses côtés.
— Oui, mais tu as bien une première impression, non ? Est-elle bonne ?
— Elle est excellente, ne t'en fais pas. Jade est effectivement une très jolie jeune femme, et elle me paraît très bien élevée. J'ai de l'estime pour son entêtement à faire la révérence malgré que tu lui aies demandé de ne pas le faire. Elle me paraît avoir du caractère, pour les bonnes choses. Est-ce que m'entendre la couvrir de fleurs te rassure ?
— Je n'avais pas besoin d'être rassuré, papa. Mais j'apprécie de savoir que tu l'approuves et que j'ai ton soutien.
— Tu auras toujours mon soutien. Tout comme celui de ta mère et de ta grand-mère. Mais l'heure n'est pas à de telles conversations. Profite donc de ce week-end, et de Jade. Je crains que ta sœur ne lui provoque une migraine si elle continue à l'accabler de questions. Sophie ! se tourna-t-il vers la principale intéressée d'une voix plus forte. Peux-tu laisser notre invitée respirer ?
Sophie s'arrêta en plein milieu de son interrogation alors que tout le monde se tourna vers elle. Pendant dix brèves secondes, Sophia n'ajouta rien et en profita pour prendre une gorgée de son thé. Mais une fois sa tasse redéposée, son regard se posa à nouveau vers Jade et sa bouche s'ouvrit.
— Sophie ! la réprimanda papa sans même la regarder.
Cette pause nous permit, à Jade et moi, de nous lancer un regard. De nous accrocher un instant. Et, par les yeux, de nous comprendre. De mon côté, je voulais surtout m'assurer qu'elle allait bien, que Sophie ne la vidait pas trop de son énergie avec son immense curiosité. Mais Jade ne me lançait aucun signal d'alarme. Il n'y avait aucune panique dans son regard, dans son sourire ou dans le moindre de ses traits. Je savais à quel point ce moment l'avait angoissée ces dernières semaines. À quel point elle avait mis la barre haute pour se préparer. J'étais soulagé de voir qu'elle allait beaucoup mieux et qu'elle s'adaptait à ma famille. C'était la chose la plus importante. La monarchie viendrait rapidement prendre le dessus, mais, ce week-end, c'était le nôtre, en tant que couple, et en tant que famille.
— Alors, Jade, quand rentrez-vous aux États-Unis ?
Cette fois-ci, la question venait de papa. Peut-être essayait-il de profiter du silence de Sophie pour saisir cette occasion d'en apprendre plus sur ma moitié. J'appréciai son effort, même si j'aurais préféré qu'il choisisse un autre sujet de conversation que le futur départ de Jade dans son pays natal. Cela me rappelait que notre temps était compté, et c'était un sentiment plus que désagréable.
— Dimanche prochain, répondit-elle en tentant de cacher sa peine.
— Avez-vous apprécié votre année en Angleterre ?
Jade me jeta un regard, le sourire aux lèvres, avant de se tourner à nouveau vers mon père et de reprendre la voix, pleine d'assurance.
— C'était les neuf plus beaux mois de toute ma vie. Je ne pensais pas aimer autant ce pays et ses habitants.
— Je suis contente de savoir que tu as été aussi bien accueillie par nos compatriotes, fit savoir maman en attrapant un petit gâteau. Quoi que, j'ai cru comprendre que Charlie avait été... comment dire...
— Un peu lourd, la coupai-je. Tu peux le dire, maman, Charlie a été un peu lourd.
— Je comptais dire un peu brut de décoffrage, Alex. Mais oui, si c'est comme ça que les jeunes parlent, disons qu'on m'a laissé entendre que Charlie avait été un peu lourd avec Jade.
— Eh bien, disons que... Charlie a dit que toute l'Angleterre me détesterait si je faisais du mal à Alex, expliqua Jade calmement, je n'avais juste pas compris que ce n'était pas qu'une façon de parler.
— Sacrée pression, n'est-ce pas ?
C'était Cécilia qui lui avait lancé la question. N'y avait-elle pas mieux placé qu'elle dans notre petit comité pour comprendre ce que pouvait ressentir et traverser Jade ? Jade n'était qu'au début du même processus qu'avait vécu Cécilia. Nous en étions à l'étape des paparazzis, et je craignais la seconde : celle des journalistes peu scrupuleux. Je m'étonnais déjà qu'ils n'eussent pas encore fait leurs ravages. J'ignorais comment j'allais pouvoir la protéger et la réconforter lorsqu'un océan nous séparerait...
Deux brèves secondes de silence séparèrent la question de la réponse. Deux secondes durant lesquelles je tournai mon attention vers Jade et où je remarquai que son humeur avait quelque peu changeait. Si son sourire était là, il y avait quelque chose de nouveau dans ses yeux. Du doute... de la peur ? Ou peut-être de l'inquiétude. En tout cas, quelque chose qui la fit hésiter.
— Oui... disons que toute la situation est assez particulière. J'apprends tous les jours à la comprendre et à la vivre, avec les précieux conseils d'Alex.
— Je te prodiguerai aussi les miens désormais, si tu veux, bien entendu.
— Avec plaisir, toute aide est bonne à prendre.
Les deux belles-sœurs s'échangèrent un sourire quelque peu complice, et ce bref échange me fit particulièrement chaud au cœur. Instinctivement, je me tournai vers Ed, et remarquai qu'il me regardait déjà, souriant lui aussi.
À vrai dire, tout le monde souriait. Et bien que je me répétais, il était évident que je n'avais jamais vécu une journée plus parfaite qu'aujourd'hui, entouré des personnes les plus importantes de ma vie, sans l'ombre d'un drame à l'horizon.
Nous passâmes plus d'une heure sur la terrasse, à discuter de sujets divers et à rire de temps en temps à autre. Grand-mère se leva alors et tous se turent en se tournant vers elle.
— Je vais fermer un peu les yeux, jeunes gens. Nous nous retrouvons ce soir, pour le dîner. Très chère Jade, cette deuxième rencontre était encore plus exquise que la première. J'espère que vous serez dès nôtre pour le dîner. Sophie chérie, je compte sur toi pour ne pas créer une migraine chez notre invitée. Je serais fortement déçue si je ne pouvais pas profiter de sa présence ce soir à cause de tes innombrables questions.
— Je... je... Oui, grand-mère, laissa échapper Sophie d'une petite voix.
Je retins un rire en voyant ma petite sœur se faire toute petite après les propos de grand-mère. Seule elle avait cet effet sur la cadette de la famille. Papa et maman avaient fait quelques tentatives infructueuses au cours de la dernière heure, tentant de sauver Jade d'un interminable interrogatoire. De mon côté, j'avais eu l'air d'apprécier cet échange, alors je n'avais rien dit. Peut-être qu'un silence aurait plutôt eu l'effet de l'angoisser. Le fait d'être assaillie de questions lui permettait, du moins c'est ce que je pensais, de ne pas trop penser à ses doutes et de profiter du moment.
Oui, elle était bien. Et je l'étais aussi, par extension. Et j'aurais pu continuer à l'être, si maman ne lui avait pas adressé une requête qui fit naître, instantanément, une vague d'angoisse en moi.
— Jade, est-ce que cela vous dirait d'aller vous promener un peu ? J'aimerais vous montrer nos jardins.
Lui montrer les jardins ? Quel drôle de prétexte pour l'attirer loin de nous et avoir un moment entre elles !
Jade accepta tout de suite et se leva. Instinctivement, je fis de même. C'était comme si je ne pouvais pas être loin d'elle trop longtemps, mais maman et Jade se tournèrent vers moi et me jetèrent un regard, incrédule pour la matriarche, rassurant de la part de celle qui possédait mon cœur.
— Je ne vais pas la manger, Alex.
— Je...
Je tentai de répliquer, mais mes mots restèrent bloqués à travers ma gorge. Je me laissai tomber sur mon siège, l'air un peu bête, tandis que je les regardai descendre les quelques escaliers et s'éloigner. Je fus incapable de me replonger dans la conversation que j'avais quittée quelques instants plus tôt. Toute mon attention était portée sur leurs silhouettes qui se réduisaient à mesure de leurs pas.
— Ne t'en fais pas, Alex, m'adressa Cécilia avec confiance, moi aussi j'ai eu droit à cette première conversation avec ta mère, et ça s'est très bien passé.
— Première conversation ? Qu'entends-tu par là ? De quoi avez-vous discuté ? balbutiai-je.
— Alex, enfin ! Respire ! Il n'y a pas de raison de te mettre dans cet état. C'est juste une conversation entre une mère et sa nouvelle belle-fille, rien de bien dramatique. Elle va juste s'assurer qu'elle est assez bien pour toi, ce qui, j'en suis sûre, est le cas. Ensuite, elle va juste s'assurer qu'elle est assez bien pour la couronne.
Je clignai plusieurs fois des yeux, désormais mon regard étant posé sur le visage de Cécilia. Je n'avais pas préparé Jade à répondre à un tel interrogatoire ni avais écrit avec elle un plaidoyer pour convaincre la Reine de nous donner sa bénédiction. J'avais celle de maman, sans l'ombre d'un doute. Mais, avoir celle de la Reine, c'était différent. C'était un autre niveau, et j'aurais cru que maman attendrait la seconde rencontre pour la sonder d'une telle manière.
Une nouvelle vague d'angoisse s'empara de moi et me fit à nouveau relever de ma chaise. Presque aussitôt, Ed, qui était à côté de moi, se leva également et me fit face.
— Alex, assieds-toi s'il te plaît et respire. Jade n'a pas besoin de toi pour ça, crois-moi.
— Il n'y a aucune raison pour qu'elle ne réussisse pas ce test, renchérit Sophie. J'un très bon flair pour ça.
— Pour quoi ? l'interrogeai-je.
— Pour les bonnes personnes. J'ai su que Lady Charlotte ne conviendrait pas, et qu'Edward épouserait Cécilia. Je sais que tu l'épouseras, plus vite que ces deux-là.
Sophie pointa du doigt le jeune couple marié. C'était la première fois que je parlais mariage avec un autre membre de la famille. Bien que, techniquement, c'était elle qui avait mentionné ce si grand projet, je n'en avais d'ailleurs pas encore dit un mot.
— Alors, pose tes fesses sur ce canapé et bois un grand verre d'eau. Je n'ai pas envie d'appeler une ambulance juste parce que tu ne sais pas gérer tes angoisses pendant deux minutes, qui plus est le week-end où tu nous la présentes enfin.
Je toisai Sophie, avant de me laisser à nouveau tomber sur ma chaise en lâchant un soupir. Les conversations reprirent, et Ed se pencha vers moi.
— Au fond de toi, tu sais que tout se passera bien, sinon tu ne l'aurais pas amenée avec toi aujourd'hui.
Il y avait une part de vérité dans ces mots, une part d'expérience également. Cela eut suffisamment d'effet pour que je réussisse à réintégrer ce moment en famille, sans trop me faire de soucis... mais en ne les éradiquant pas totalement.
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