Alexandre

Samedi 11 mai

Londres

Jade m'avait raccroché au nez. J'en ignorais la raison. Peut-être quelqu'un était-il rentré dans la chambre ? Peut-être avait-elle été surprise par l'un des parents en voulant sortir ?

Il y avait tant d'hypothèses que je n'osai pas la rappeler. Cependant, plus les minutes s'écoulaient, plus l'impatience prenait place. Et pas seulement pour moi, mais aussi pour mon garde du corps qui commençait sérieusement à paniquer.

— Monsieur, me dit-il alors posté à quelques mètres de moi, je pense sincèrement que ce n'est pas prudent pour vous de rester en dehors de la voiture. Nous n'avons pas pu sécuriser le secteur avant votre arrivée. Quelqu'un pourrait vous voir.

— Craig, il est passé minuit, le quartier a l'air tranquille, il n'y a pas eu un seul passant ni même une voiture depuis que nous sommes arrivés.

— N'importe qui pourrait arriver, monsieur. Je vous conseille vivement d'attendre Miss Lawson dans la voiture.

— Je suis un homme, Craig. J'attendrais la femme que j'aime en tant qu'homme, pas en tant que prince qui pourrait être pris pour cible à tout moment. Jade mérite que je l'attende dans le froid aussi longtemps qu'il le faut.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je pense que Miss Lawson mérite surtout un homme qui reste en vie.

Je n'avais pas quitté la porte du regard, mais l'entêtement de Craig me fit tourner la tête vers lui. Je devais avouer que lui et la liberté qu'il prenait pour me faire part de ses opinions m'étonnaient de plus en plus, dans le bon sens.

— Tu marques un excellent point, Craig.

— Rentrerez-vous donc dans la voiture ? m'interrogea-t-il plein d'espoir.

— Non, toujours pas.

Les traits de Craig se transformèrent en une moue désapprobatrice, tandis que je lui adressai un sourire. Je reportai ensuite mon attention sur la porte de la maison numéro cinquante-deux au moment même où cette dernière s'ouvrit. Jade apparut juste après, toujours aussi éblouissante malgré la faible clarté qu'offrait une lune cachée par quelques nuages. Son visage, tout comme le mien, s'illumina en m'apercevant. Avait-elle pensé à une farce ? De mon côté, j'avais songé un instant qu'elle ne se montrerait jamais.

Jade descendit les quelques marches et s'avança vers moi. Alors que j'allais la prendre dans mes bras, ses lèvres tombèrent sur les miennes, tandis qu'elle déposa ses mains sur ma nuque. Je n'attendis pas un instant pour l'encercler de mes bras et lui rendre le baiser passionné qu'elle avait initié. Je savais que nous étions observés, par Craig et peut-être par Mila cachée derrière une fenêtre. Mais je m'en fichais. Je voulais juste savourer la douceur de ses lèvres, et la sentir tout contre moi, ce fut d'ailleurs pour cela que je la pressai un peu plus avant de déposer l'une de mes mains sur sa joue tout en continuant à l'embrasser.

Nous mîmes fin au baiser à l'unisson, ce qui me permit de reprendre mon souffle.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? souffla-t-elle avec émotion.

— Je te l'ai dit, je me suis fait éjecter du mariage.

— Alex, enfin ! Dis-moi vraiment. Tu t'es enfui ?

— Jade, je ne rigole vraiment pas. C'est Edward qui m'a congédié.

— Mais pourquoi t'aurait-il congédié ? me questionna-t-elle en fronçant les sourcils. Ne veut-il pas de son frère à son mariage ?

— J'étais à son mariage. Toute la journée, et toute la soirée. Mais il jugeait que j'avais fait mon devoir et que la seule chose que je devais faire, c'était d'être avec toi.

— Il a vraiment dit ça ?

— En résumé, oui. La conversation a été plus longue, mais je te passe les détails.

— Monsieur ?

J'avais presque oublié les problèmes de sécurité. Je me tournai vers Craig, tout en gardant un bras autour de la taille de Jade.

— Je sais, Craig, un instant.

— Bonsoir, Craig, le salua Jade d'une petite voix gênée.

— Bonsoir, Miss Lawson, lui adressa-t-il avec un sourire.

— Dis, m'adressa-t-elle en murmurant, tu crois qu'il finira par m'appeler Jade ?

— Il y a peu de chance, mais tu peux toujours essayer. Il sera peut-être moins réticent à l'idée de t'appeler par ton prénom, qu'à m'appeler par le mien. Mais soit, tu viens ?

Je m'écartai d'elle et lui tendis la main. Jade sembla sceptique, mais aurais-je pu imaginer une autre réaction ? Après tout, je débarquais chez son amie, à minuit, le jour du mariage de mon frère alors que je lui avais dit qu'elle n'aurait pas de mes nouvelles avant demain matin.

— Alex... Où diable veux-tu m'emmener en plein milieu de la nuit ?

— C'est une surprise, mais je te promets que tu seras rentrée avant l'aube. D'ailleurs, tu devrais prévenir Mila.

Je levai les yeux vers la maison et remarquai qu'une des tentures d'une fenêtre du rez-de-chaussée était légèrement écartée. Je n'en attendais pas moins de la femme qui avait aspergé de bière mon meilleur ami.

— Ou bien, préfères-tu aller dormir ?

Jade pencha légèrement la tête sur le côté, un air de défi sur son visage. Elle fit ensuite glisser sa main dans la mienne et fit un pas vers moi.

— Je préférerai toujours être avec toi. Qu'importe où tu comptes m'emmener.

Je l'embrassai une dernière fois avant de me diriger vers la voiture, au plus grand soulagement de Craig qui nous ouvrit la portière. Jade entra la première et je m'arrêtai dans mon élan, me tournant vers mon garde du corps.

— Je sais que nous devons rester dans la voiture. Mais j'aimerais essayer de lui montrer un peu la ville et ses monuments. Est-ce possible ?

— Cela ne devrait pas poser de problèmes, monsieur. Avez-vous un itinéraire de prédilection ?

— Pas vraiment. Juste quelques endroits qui me viennent en tête. Buckingham, évidemment. Piccadilly, le parlement, la tamise. Je vous laisse juge du meilleur itinéraire, et n'hésitez pas à rajouter des destinations à la liste. Pensez-vous pouvoir tenir toute la nuit ?

— Et vous, monsieur ? me rétorqua-t-il avec assurance.

J'éclatai de rire face au tacle subtil de Craig avant de monter à l'arrière de la voiture.

— Pourquoi ris-tu donc ?

— Je crois que Craig commence à se dévergonder.

— Oh, donc il y a bien une chance pour qu'il m'appelle Jade ?

— Non, toujours pas !

Jade parut légèrement déçue, mais son sourire radieux reprit possession d'elle alors que nos mains s'entrelacèrent.

— Vas-tu enfin me dire ce qu'il se passe ? me demanda-t-elle avec euphorie. Où m'emmènes-tu ?

— Je t'emmène un peu partout dans Londres. Une visite nocturne. Ne voulais-tu pas visiter Londres ?

— Si, bien sûr que si. Mais je n'imaginais pas ma visite de Londres en pleine nuit et à l'arrière d'une voiture.

— Est-ce que ça pourrait quand même convenir ?

— Bien sûr que oui, Alex, prononça-t-elle avec douceur.

La voiture se mit en route alors que nous nous dévorions du regard. J'approchai mon visage du sien après avoir déposé ma main sur sa joue. Alors que je m'apprêtai à l'embrasser, Jade se recula légèrement. Je lui lançai un regard interrogateur, et je la vis regarder vers l'avant de la voiture. Je compris sans attendre ce qu'il la dérangeait.

— Sans rancune, les gars, m'adressai-je au chauffeur et à Craig.

J'appuyai ensuite sur un bouton juste à côté de la portière et une vitre teintée noire se souleva entre eux et nous. Je reportai ensuite mon attention sur Jade qui cligna plusieurs fois des yeux.

— Et dis-moi, ta voiture a d'autres options ? Chauffage dans tous les sièges j'imagine ?

— Affirmatif, même si je connais une façon plus amusante de se réchauffer, sous-entendai-je sans vergogne.

— Alex ! s'exclama Jade faussement choquée.

Je n'attendis pas une seconde de plus pour prendre possession de ses lèvres, maintenant que nous étions « seuls ». Je n'aurais pas pu résister une seule seconde de plus tant tout en elle faisait naître la passion en moi. Son sourire en coin, ses yeux aguicheurs, la rougeur de ses joues, et son parfum. Son subtil parfum aux douces notes de fleurs et d'agrumes. C'était une odeur que je reconnaîtrai entre mille. Tout comme je pourrais reconnaître ses yeux et sa démarche sans la moindre hésitation.

Ses lèvres, sa joue, son cou. Je couvris de baisers chaque centimètre de sa peau qui était à découvert. Et j'étais incapable de m'arrêter, d'autant que j'entendis Jade pousser des soupirs et que ses mains me caressaient les cheveux avec envie.

— Alex...

Je m'arrêtai sans attendre lorsque je perçus le doute dans sa voix, mais aussi parce que j'avais envie de poser mes yeux sur son visage.

— Il faut que tu arrêtes, me dit-elle d'une petite voix déçue.

— Tu veux que j'arrête ?

Il y avait quelque chose dans sa voix qui n'était pas en raccord avec ses mots.

— J'aimerais que tu continues, mais... mais si tu continues... Enfin...

Jade marqua une pause tandis qu'elle se mit à rougir et qu'elle baissa la tête. L'une de ses mains vint se poser sur mon torse et elle passa le bout de ses doigts sur les médailles qui ornaient ma tenue d'apparat.

— Je ne suis pas suffisamment effrontée pour faire ça à l'arrière d'une voiture, encore plus avec deux passagers avant... Et... Et si tu continues, je ne sais pas si j'arriverais à contenir cette envie.

Jade releva la tête et ancra son regard dans le mien, un sourire contrarié au visage.

— Hum, quelle envie ? l'interrogeai-je d'un sourire en coin.

— La même envie que tu ressens lorsque tu me regardes comme tu es en train de le faire.

— Et comment est-ce que je te regarde ?

Jade leva les yeux au ciel et lâcha un rire avant de s'écarter de quelques centimètres. Sa main était toujours posée sur mon torse, au niveau de mon cœur. Si cela ne tenait qu'à moi, je l'emmènerais dans ce cottage, celui de notre premier week-end ensemble, et j'assouvirai tous ces désirs. Je rêvai tant de le faire. De prendre la voiture et de prendre la fuite avec elle, là, tout de suite, sans regarder en arrière, sans penser aux conséquences, sans prévenir personne. Je ferai le tour du monde avec elle. J'irais n'importe où, si c'était avec elle.

— Quelle est donc la raison de ce sourire rêveur ?

— C'est toi. C'est toi qui fais de moi un rêveur.

Jade sourit, visiblement touchée par mes mots, et cela la fit revenir un peu plus près de moi. Front contre front, nous fermâmes les yeux et restâmes dans cette position un certain temps, sans bouger, sans parler, simplement en profitant de cet instant et de ce que nous partagions elle et moi.

— J'ai parlé à mon père, murmurai-je en tentant de contenir mon excitation.

Jade releva doucement la tête, curieuse et sereine.

— Je lui ai demandé s'il pouvait bloquer le premier week-end de juillet, pour que vous puissiez faire connaissance. Es-tu d'accord ?

Jade hocha la tête, sans même hésiter un seul instant. Sa détermination me rendit un peu plus amoureux d'elle, alors que je ne pensais pas cela possible.

— Il faudra que tu me prépares.

— Que je te prépare ? À quoi ?

— À tout. Au protocole en premier lieu. Il faut que tu me montres comment faire une révérence, que tu me dises comment je dois les appeler, qu'est-ce que je dois ou ne dois pas faire, ce que...

— Jade, tu vas rencontrer mes parents.

— Alex, ta mère est la Reine.

— Mais pour moi, elle est avant tout ma mère. C'est ma mère que je te fais rencontrer, pas la Reine.

— Je ne suis pas certaine qu'il y ait vraiment une différence. Je commence à comprendre, surtout après aujourd'hui, l'importance de la monarchie dans ton pays. Je refuse de passer pour l'Américaine gourde et ignare. Je veux que tes parents sachent qui je suis, et que je respecte ce qu'ils sont. Et si je veux leur montrer ça, je pense que je dois en tout premier lieu respecter ce qu'ils représentent pour le peuple et que je me fasse à vos us et coutumes. Tu ne penses pas ?

Je clignai plusieurs fois des yeux, réfléchissant à tout ce que Jade venait de dire. Plus les secondes s'écoulaient, plus je me rendais compte de la chance que j'avais de l'avoir trouvée. D'avoir trouvé une femme aussi forte, magnifique et intelligente.

— Très bien, je t'apprendrai tout ce que tu as besoin de savoir avant ta rencontre. De toute façon, tu ne m'aurais pas laissé le choix, n'est-ce pas ?

— Si tu avais refusé, j'aurais demandé à ma girl team de m'aider.

— Ta girl team ? De qui s'agit-il ?

— De Brooke, Scarlett et Mila. Brooke n'arrête pas de se renseigner sur ta famille, Scarlett est pragmatique et Mila est mon atout anglais. Sa famille apprécie tout particulièrement la tienne d'ailleurs. Ses parents m'ont appris tout un tas de choses pendant qu'on regardait le mariage à la télévision. Ils ont pu me dire, par exemple, ce que tu portes.

— Ah oui ? Eh bien, effectivement, ils ont l'air de s'y connaître. Je suis content que tu sois tombée sur Mila à ton arrivée. Je pense même que je devrais la remercier.

— La remercier ? Pourquoi donc ?

— Eh bien, c'est grâce à elle que tu connais ce pub, que tu y vas tous les samedis soirs. Si tu ne l'avais pas connue, peut-être que nous ne nous serions jamais rencontrés toi et moi.

Je n'aurais jamais cru que Mila aurait eu un impact sur mon bonheur. Pas après ce qui s'était passé entre Charlie et elle. Pourtant, nous voilà dans cette voiture, grâce à elle. Parce qu'elle avait intégré Jade dans sa bande d'amis.

La vie était faite de « et si ». Et je ne pouvais pas imaginer un seul instant à quoi ma vie aurait pu ressembler si nos chemins ne s'étaient pas croisés. Peut-être aurait-ce été plus facile pour elle.

Oui, je ne pouvais nier que j'avais impacté sa vie, en bien, je le savais. Mais je l'avais rendu plus difficile à certains niveaux. J'aurais dû m'en vouloir d'être égoïste, de l'emporter dans cette spirale infernale qu'était ma vie.

J'aurais dû, oui. Mon dieu, j'aurais dû être égoïste et ne pas insister.

Mais quand elle me regardait comme à cet instant, avec tant d'amour et de douceur, j'en étais incapable. Dès qu'elle posait son regard sur le mien, tous mes doutes, toutes mes craintes et toute ma culpabilité s'évaporaient en un claquement de doigts.