27 - Alexandre
Alexandre
Vendredi 10 mai
Londres
Il restait moins de dix-huit heures avant le grand jour d'Edward et Cécilia. Un événement qui avait demandé des mois de préparations et de décisions, et qui avait requis beaucoup de contrôle de soi aux futurs mariés pour ne pas sombrer dans la panique. En particulier pour Cécilia, j'en étais bien conscient. J'avais une idée approximative de ce qui pouvait se passer dans sa tête, au travers des discussions que nous avions pu partager ces cinq dernières années. Elle qui avait toujours voulu une vie différente de celle de ses parents s'engageait désormais dans une voie similaire, une voie encore plus stricte et importante.
L'amour que Cécilia et Edward partageaient, ainsi que le respect et le courage qu'elle avait, m'impressionnait au plus haut point, en plus de me donner de l'espoir quant à ma propre situation.
Les trois derniers mois avaient été très enrichissants, même si je savais que cela n'avait pas été facile pour Jade sous certains aspects, en particulier la médiatisation de sa vie privée. Mais elle n'avait rien lâché, elle ne m'avait pas abandonné. Nous avions continué à nous découvrir un peu plus chaque jour, à nous créer des souvenirs, à nous apprendre.
Nous avions dû être séparés certains week-ends, ma présence ayant été requise tantôt par le mariage, tantôt par des anniversaires : celui de Sophie, mais aussi le mien. Ne pas pouvoir le fêter avec Jade avait été particulièrement dur. Mais nous nous étions mis d'accord pour attendre la fin de l'année scolaire avant de lui faire rencontrer ma famille. C'était ce qu'il y avait de mieux, nous le savions tous les deux. Elle n'était pas prête... et je ne l'étais pas encore non plus. Égoïstement, je voulais encore la garder pour moi, même si le reste du monde savait déjà pour nous. C'était quelque peu contradictoire, mais je ne cherchais pas une explication à ce que je ressentais.
De plus, le mariage ayant été très chronophage, le timing n'aurait pas été parfait pour cette rencontre. Le jour où Jade rencontrera ma famille, je voulais qu'elle fût au centre de toutes les attentions, elle le méritait autant que la future princesse de Galles, ma belle-sœur.
— Je crois que j'ai besoin d'un verre.
La voix d'Eward fit s'évaporer cette prochaine étape de ma relation amoureuse et je me retrouvai à nouveau dans un des salons de Buckingham Palace. Je vis Edward traverser la pièce en direction du bar et se saisir d'un verre qu'il remplit... et vida sans attendre. Il se tourna ensuite vers moi, l'air paniqué.
— Et si elle dit non ? dit-il d'une voix tremblotante.
Je levai les sourcils avant de quitter le canapé et m'avancer vers lui d'un pas rapide. Je lui confisquai ensuite la bouteille qu'il avait toujours dans la main avant de rire.
— Elle ne va pas dire non, voyons ! Cécilia t'aime, elle dira oui demain. Elle dira oui, répétai-je d'une voix confiante. Tu n'as aucun doute à avoir là-dessus, d'accord.
Edward hocha frénétiquement la tête plusieurs secondes avant de s'immobiliser. Ses traits se détendirent ensuite, puis il me demande d'une petite voix si je pouvais lui servir un dernier verre, pour lui « calmer ses nerfs ». J'acceptai sa demande, à la condition qu'il alla se rasseoir, ce qu'il fit.
Je n'avais jamais vu Edward dans un tel état d'angoissement. C'était dire à quel point il aimait Cécilia, et à quel point il avait peur de la perdre. Car c'était bien ça qui l'animait, et non pas la peur que cela se passa mal devant des centaines de millions de téléspectateurs. Il se fichait de perdre la face, il ne voulait juste pas qu'elle prit la fuite. Mais j'avais confiance en Cécilia. C'était quelqu'un d'intelligent, qui avait dû peser le pour et le contre bien avant la demande en mariage d'Edward. Si elle n'avait pas voulu de cette vie, elle aurait pris la fuite bien avant cette journée. Je n'avais aucun doute quant à sa réponse, mais j'imaginais que c'était différent quand on était dans la peau du futur marié.
Je nous servis tous deux un verre avant de retourner m'asseoir auprès d'Edward.
— Ne le vide pas d'un cul sec celui-là, l'implorai-je d'une voix mi-amusée mi-sérieuse, je ne suis pas sûre que Cécilia apprécierait que tu sois bourré le jour de ton mariage... ni grand-mère ou maman.
— Promis, c'est mon dernier... Je t'avoue, je ne pensais pas être comme ça. J'avais bien géré le stress jusque là.
— Je ne suis pas certain que tu l'aies géré... Je crois que tu l'as plutôt enfoui ces derniers mois et que ça te revient en pleine figure maintenant. Mais bon, vaut mieux maintenant que demain quand tu seras filmé et diffusé dans le monde entier, non ? le questionnai-je avec un sourire narquois.
— Merci, Alex, je me sens beaucoup mieux maintenant, me répondit-il avec ironie. Ravi de t'avoir choisi comme témoin.
— Toujours à ton service, frangin.
Je levai mon verre en son honneur avant d'en avaler une gorgée.
— J'ai besoin de changer de sujet. Parle-moi de Jade, tu veux bien ?
Même si j'avais voulu, je n'aurais pas pu refuser sa demande. D'une part, car mon frère avait besoin d'aide, d'autre part car j'aurais pu parler d'elle pendant des heures.
— Eh bien...
Je m'apprêtai à accéder à sa demande quand la porte du salon s'ouvrit : papa fit son entrée et, après nous avoir observés, se dirigea vers le bar où il se servit à son tour.
— Alors, de quoi parlaient mes grands garçons ?
— Je venais de demander à Alex de me parler de Jade, histoire de me changer un peu les idées.
— Le futur marié serait stressé ?
— Ne l'étais-tu pas la veille de ton mariage avec maman ? le questionna Edward avec un certain espoir.
— Stressé ? Hum...
Papa nous fit languir tandis qu'il déposait la bouteille dans le bar et qu'il vint s'asseoir face à nous.
— Je ne suis pas sûr que stressé soit le bon terme. Non, je dirai que j'étais... pétrifié sur place. Est-ce que ça peut te rassurer un peu ?
Edward hocha la tête, effectivement rassuré si j'en crus le sourire qui était réapparu sur son visage. Papa me pria ensuite de reprendre notre fil de la conversation, et ce fut à mon tour d'être soudainement stressé. J'avais déjà parlé de Jade à Edward, mais pas particulièrement avec papa. Pas aussi en détail qu'avec mon frère du moins.
— Je ne sais pas trop quoi dire, mentis-je. À part que tout va bien entre nous. Tout va merveilleusement bien.
— Est-ce qu'elle gère toujours aussi bien sa notoriété ? m'interrogea papa.
— Oui. Enfin, je crois. Je sais qu'elle n'aime pas ça... Enfin, qui aimerait ça ? Mais hormis ça, il n'y a pas de souci. Elle ne s'en plaint même pas à vrai dire, pas autant que je l'aurais pensé. J'aurais cru que cela la ferait fuir rapidement, mais elle était toujours là et je ne perçois aucun doute chez elle.
— Et quand rentre-t-elle aux États-Unis ?
— Mi-juillet, dis-je en soupirant.
— Vous en avez déjà parlé ?
— Parlé de quoi ?
— Parlé de ce qui va se passer quand elle sera rentrée chez elle.
Je hochai la tête de droite à gauche, le cœur serré. Il était vrai que nous n'avions pas encore parlé plus en détail de son départ. Nous faisions encore les autruches, car c'était trop dur d'imaginer mon quotidien sans elle. Je n'arrivais pas imaginer comment cela allait devenir, comme nous allions gérer ce changement. Si je n'y arrivais pas, c'était surtout parce que je ne voulais pas l'imaginer. Je voulais rester à Oxford, arrêter le temps, la garder éternellement dans mes bras.
— Et penses-tu que nous aurons la chance de la rencontrer avant qu'elle parte ?
Edward fut plein d'espoir en me posant cette question et je finis par me décider à leur en parler.
— J'aimerais vous la faire rencontrer fin juin ou début juillet. Tout du moins, si c'est bon pour vous. J'attendais que le mariage soit passé pour voir avec maman, mais vu que vous me posez la question...
— Je pense que nous n'avons rien de prévu. Du moins, je l'espère. Tu aurais pu nous prévenir plus tôt.
— Je sais papa, c'est juste qu'avec tous les préparatifs, je n'ai pas trouvé le moment idéal pour ça.
— C'est pas cool de te servir de ton frère comme excuse, maugréa faussement le principal intéressé. D'autant que Sophie n'arrête pas de te questionner à ce sujet à chaque fois qu'elle te voit. As-tu oublié à quel point elle était déçue que tu n'aies pas amené Jade pour son anniversaire... ou même pour le tien d'ailleurs ?
— Comment veux-tu que j'oublie ? Elle me l'a répétée au moins cent fois depuis.
— Ta sœur va être aux anges en apprenant la nouvelle.
— Peut-on ne pas mentionner cette rencontre lors du mariage ? Sophie et maman sont suffisamment surexcitées comme ça.
— Oui, je pense que c'est une bonne idée, approuva papa. Je lui en toucherai un mot dimanche, afin de pouvoir vérifier que nous sommes disponibles. Quand commence ta tournée royale avec Cécilia, Ed ?
— Début août, mais nous partons mi-juillet pour notre lune de miel... quelque peu tardive.
De ce que j'avais entendu, cela n'avait pas plu à Cécilia de ne pas pouvoir partir en lune de miel directement après le mariage, comme c'était la coutume. Mais entre l'anniversaire de grand-mère, le Trooping The Color et la saison à Ascot, il aurait été difficile de pouvoir caler deux semaines de vacances sans empiéter sur l'un ou l'autre événement auquel leur absence aurait été mal vue. Après tout, je pouvais la comprendre, moi aussi j'aurais préféré partir juste après le mariage que de devoir attendre !
— Nous ne devrions pas tarder à nous coucher, nous conseilla papa en terminant son verre. Nous avions bien besoin d'une bonne nuit de sommeil afin de pouvoir être en forme pour la journée de demain. Le maquillage peut cacher des cernes, Ed, mais il ne peut pas te donner de l'énergie et, crois-moi, tu en auras bien besoin.
Papa parlait par expérience, lui qui avait vécu ça il y a une trentaine d'années maintenant... Mais en trente ans, les choses changent. Son mariage aussi avait été diffusé en direct, mais il n'y avait pas les réseaux sociaux à l'époque. Chaque seconde de leur mariage allait être analysée, décryptée et passée à la loupe, et des millions de personnes allaient en parler en même temps qu'ils s'échangeraient leurs vœux. À bien y penser, c'était quelque peu étrange et cela me mettait mal à l'aise pour eux.
— Oui, tu as raison. Je finis mon verre et je rejoins ma chambre... En espérant que j'arrive à fermer l'œil.
Papa lui accorda un sourire compatissant, avant de déposer son verre vide sur la table et de quitter la pièce. Nous restâmes là quelques instants dans le silence, tandis que nous finissions à notre tour notre scotch.
— Tout se passera bien, tu sais ? Grand-mère et maman ont tout passé au peigne fin. De plus, la météo sera radieuse.
— Je sais, c'est juste... J'angoisse pour elle. Ce n'était pas la vie à laquelle elle aspirait. J'essaie de me dire que c'est son choix, qu'elle sait dans quoi elle s'embarque. Je ne veux juste pas qu'elle... qu'elle regrette sa vie ou, tout du moins, la vie qu'elle aurait pu avoir si elle ne m'avait pas rencontré. Je ne peux pas m'empêcher de penser à elle. J'espère juste qu'elle va bien et qu'elle ne stresse pas trop.
— Je crois que chaque future mariée angoisse un peu à la veille de son mariage, alors je ne peux pas te rassurer ça. Mais Cécilia est forte, et je suis sûre qu'elle ira bien. Vous irez mieux dès que vous vous serez retrouvés devant l'autel, j'en suis sûr.
Edward lâcha un petit rire et cela me fit froncer les sourcils.
— Pourquoi ris-tu ?
— Parce que je ne t'ai jamais connu aussi optimiste, et aussi romantique qui plus est. J'adore cette version de toi. J'adore voir ce que tu es devenu depuis que tu es avec elle. Tu parais beaucoup plus vivant, beaucoup plus... lumineux ? Je n'ai pas l'habitude d'utiliser ce mot pour un homme, mais je trouve que c'est celui qui correspond le mieux à ce que je perçois de toi. Je suis content que tu aies trouvé celle qu'il te fallait. Celle qui t'avait toujours manqué. Sincèrement Alex, je suis très heureux pour toi et j'ai vraiment hâte de pouvoir rencontrer la femme qui te rend aussi épanoui !
— Merci Ed... vraiment. Et j'ai vraiment hâte qu'elle vous rencontre tous. On a préféré attendre, tu comprends. C'est déjà quelque chose de rencontrer la belle-famille, alors encore plus quand il s'agit de notre famille.
— Oh, tu ne me dois absolument aucune explication, crois-moi ! Je peux très bien imaginer ce que tu ressens. Ce n'est pas rien de la présenter aux parents, et à grand-mère... Bien que ta Jade a déjà eu la chance de la rencontrer, ce qui représente un stress en moins, car elle l'a adorée. Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier qui t'angoisse ?
— Il y en a trop... Je crois que j'ai peur que la rencontre la terrifie. Pas de rencontrer maman et papa, mais de rencontrer la Reine et son mari, dans un château imposant, avec une tonne de serviteurs, sans oublier le protocole. Et si, dans ces circonstances, elle prenait réellement conscience de ce que c'est ? Pour le moment, elle voit surtout les journalistes et la notoriété, mais pas tout le côté cérémonieux, sérieux et l'importance de cette institution. Je n'ai pas peur de votre accueil. Je sais que vous m'aimez tous et que vous ferez de votre mieux pour la mettre à l'aise. Mais j'ai peur qu'elle se rende compte que c'est trop pour elle tout ça, toute cette vie. Je ne sais pas, peut-être que je m'inquiète pour rien ? Qu'en penses-tu ?
— Je ne crois pas que tu t'inquiètes pour rien, Alex. Et avant que tu te mettes à paniquer, je ne dis pas qu'il y a vraiment de quoi s'inquiéter. Je ne connais pas Jade, alors j'ignore comment elle pourrait réagir. Mais c'est compréhensible de penser qu'elle pourrait prendre peur. Parce que Cécilia a pris peur, alors qu'elle connaissait ce qui faisait ma vie. Mais Cécilia n'est pas Jade. Et Jade est déjà revenue vers toi en sachant qui tu étais. Je crois que c'est une fille intelligente. Le plus important, c'est que tu lui donnes du temps pour s'adapter, et que vous vous parliez. Échangez sur tout ce que vous ressentez, sans crainte. Et si ça marche, tu sais ce qui va se passer ?
— Non, quoi ?
— Dans quelques années, c'est toi et Jade qui serez à notre place, la veille de votre mariage.
Ed n'avait pas encore rencontré Jade et, même si cela ne faisait que trois mois que nous étions de nouveau ensemble, il croyait en nous. Et s'il pensait une telle chose, c'était qu'il avait raison : je n'avais jamais été aussi lumineux. Et c'était parce que Jade avait allumé cette flamme en moi et la faisait grandir un peu plus chaque jour.
L'entendre nous projeter dans un projet aussi sérieux me donna, en quelque sorte, l'autorisation de le faire à mon tour, plus librement. J'avais réprimé certaines pensées depuis notre premier week-end dans le cottage. Par peur, c'était certain. Parce que c'était trop tôt, également. Mais pourquoi renier ce que je ressentais, ou ce dont j'avais envie, alors que c'était de si jolis projets ?
Peut-être était-ce le mariage de mon frère qui me poussait un peu plus à penser à mon propre avenir... ou peut-être était-ce simplement elle qui me donnait des ailes.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro