17 - Alexandre
Alexandre,
Vendredi 8 février
Quelque part entre Oxford et Northampton,
— Je sais qu'on se connaît que depuis peu de temps. Sans compter l'an dernier, car tu ne savais pas vraiment qui j'étais. Cela ne fait que quelques semaines, tout au plus. Mais, pourtant, j'ai l'impression de te connaître depuis des années. Ce qui est étrange, car j'ai encore de choses à apprendre sur toi. L'amour est aussi fascinant que contradictoire. Fascinant surtout.
Je lui caressai la joue tout en pensant que la chose la plus fascinante, c'était surtout elle. Chacun des traits de son visage, les courbes de son cœur, les étincelles dans ses yeux. Tout en elle me subjuguait.
— Ce que je veux dire, repris-je avec une pointe d'émotion que je tentai de garder en moi, c'est qu'il m'est impossible d'imaginer mon présent sans toi désormais.
Mon présent... mais surtout mon futur. Je me projetai. Peut-être pas avec précision, mais il n'y avait aucun doute que je voulais Jade à mes côtés, pour le reste de ma vie. Longue, je l'espérais.
— Je ne peux pas et je ne veux pas l'imaginer. Ce qu'il y a entre nous, je n'arrive pas très bien à me l'expliquer ni même à l'empêcher. J'ai essayé après que... enfin, tu sais. J'ai essayé, mais je ne pouvais pas t'enlever de ma tête. Et je n'arrive pas à trouver de mots pour décrire tout ça, tout ce qu'il se passe entre nous, c'est...
— C'est comme une évidence, me coupa-t-elle la parole avec certitude.
Je lâchai un soupir d'aise, comme soulagé que Jade eût réussi à finalement trouver une façon d'expliquer ce que j'essayais tant bien que mal de lui transmettre. Les mots ne suffiraient probablement jamais à décrire avec précision ce que nous vivions, mais c'était déjà un pas.
J'étais donc soulagé, mais surtout très ému, car Jade comprenait. Et j'aimais à penser que si elle comprenait aussi bien ce que je pouvais ressentir, c'était parce qu'elle-même possédait les mêmes sentiments.
— Tu as dit que j'étais le début, poursuivit-elle. Je suis ton début, mais toi tu es mon évidence, Alex. Tu déjoues tous mes pronostics, tu fais taire toutes mes craintes, tu fais naître de l'espoir.
Je l'aimais. Je l'aimais tellement que cela me coupait le souffle. Littéralement. Ses derniers mots m'avaient hypnotisé et m'arrachaient l'usage de la parole. Je ne savais que dire, que répondre, que faire. Enfin si, j'avais bien quelques idées. Deux en particulier. Ces derniers jours, j'avais réfléchi à tout ça, je m'étais dit que c'était peut-être trop tôt. Les voix de certains membres de ma famille s'étaient immiscées dans ma tête pour me convaincre de prendre mon temps.
Mais était-ce vraiment trop tôt ? Qui diable avait créé ces règles idiotes en moi ? En quoi était-ce trop tôt ? Y avait-il vraiment un délai à respecter avant de dire ou de faire certaines choses ? Ne venait-elle pas de dire qu'il n'existait pas de moment plus propice que l'instant présent ? Seul le présent comptait, ainsi que le courage que je pouvais m'insuffler afin de le vivre pleinement.
Il n'y avait pas de moment parfait pour aimer. Il n'y avait que maintenant, et chaque seconde de notre existence devrait être destinée à cet accomplissement.
— Je t'aime, lui déclarai-je ma flamme sans aucune honte.
Ces mots étaient l'évidence même, comme elle et moi sur ce canapé. Je n'avais pensé qu'à ça, qu'à elle, qu'à des petits moments comme celui-ci. J'aurais tout donné pour à nouveau un regard d'elle, pour qu'elle fût de nouveau à mes côtés. Et elle était là. Elle était revenue, malgré ce qu'elle savait. Elle m'avait accepté comme j'étais, malgré mes lourds bagages. Et Dieu que je savais que cela pouvait être effrayant. Il s'en était fallu de peu pour qu'Ed ne fût pas avec celle qu'il aimait. Je me rendais bien compte de la chance que nous avions d'être là, en cet instant, celle d'être à elle aussi longtemps qu'elle voudrait de moi.
Son visage s'était illuminé. Cela lui avait pris quelques secondes, peut-être le temps d'analyser mes paroles, de les accepter, de se rendre compte que je les avais bien dits. Mais elle s'était illuminée. Elle ne s'était pas enfuie, parce que cela avait bien été le bon moment pour être courageux. Je l'avais senti.
Et puis, je l'avais vu entrouvrir les lèvres et, sans trop savoir pourquoi, je l'avais arrêté avant qu'aucun son n'en sortît.
— Je t'aime, répétai-je d'une voix libérée. Je te le dis, parce que je ne veux plus garder ça pour moi, je veux que tu le saches, parce que c'est le bon moment pour le dire, je le sens. Mais je ne veux pas te forcer à me répondre ou à me le dire à ton to...
— Alex.
Ce n'était pas la première fois qu'elle me coupait la parole. Habituellement elle ne se servait que de mots pour me faire taire, mais cette fois-ci elle déposa également le bout de ses doigts sur ma bouche. Et cela marcha, car je ne tentai plus rien jusqu'à ce qu'elle reprît la parole au bout d'interminables secondes.
— Tais-toi, m'intima-t-elle de faire dans un murmure. Et arrête de croire que tu me forces à faire quoi que ce soit ou que je vais prendre peur. Je ne vais pas prendre peur et je ne vais pas changer d'avis, que ce soit par rapport à ce week-end ici ou à nous. Je suis là de mon plein gré. Je suis là parce que j'en ai envie, parce que je veux être avec toi. Et parce que je t'aime, Alex. J'ai voulu nier tout ça, te mettre dans un coin de ma tête toutes ces semaines, mais je suis lasse de me battre contre mes propres sentiments. Je ne veux plus me battre contre moi, contre ce que tu fais naître en moi. C'était trop épuisant, alors que t'aimer... c'est tout le contraire. C'est simple, c'est libérateur, c'est peut-être une vision un peu naïve de l'amour, mais tant pis. Je ne veux plus me compliquer la vie ni rationaliser tout ça. Je veux juste t'aimer.
Elle avait dit ça presque sans s'arrêter. C'était comme si elle avait peur d'oublier ses propres mots, peur d'en être empêchée ou d'être coupée dans sa lancée. Pas par moi, c'était évident. Ses mots étaient bien trop exquis pour ne serait-ce qu'envisager de l'arrêter. J'aurais pu l'écouter pendant des heures, m'enivrer d'eux sans ressentir ni soif, ni faim, ni fatigue.
Et puis, c'était plutôt elle qui avait tendance à m'interrompre et non l'inverse. Mais comment lui en vouloir lorsque c'était pour laisser parler son cœur, pour me laisser la connaître un peu, pour laisser mon âme s'approcher un peu plus de la sienne.
— Tout ça pour dire, ajouta-t-elle après avoir repris son souffle, c'est que je t'aime aussi Alex. Je t'aime...
— Je t'aime, Jade.
Nous n'étions plus au stade des sourires, mais nous riions. Des petits rires libérateurs, comme plus légers d'avoir enfin prononcés ces mots. Nous étions aussi amusés par la facilité avec laquelle nous les avions finalement dits, tous les deux, presque au même moment. S'il n'y avait pas de moment parfait, il y avait au moins une réponse parfaite et Jade venait de me l'apporter, le tout accompagné de son large sourire et de ses yeux brillants d'émotion. Elle lâcha un nouveau rire, cette fois gêné, comme pour se contenir, mais je vis qu'une larme risquait à tout moment de s'effondrer sur sa joue.
— Je suis désolée, dit-elle avec une certaine pudeur.
Elle fit ensuite disparaître toute trace de sa vulnérabilité d'un revers de la main avant de la poser sur la mienne qui n'avait pas quitté sa joue depuis plusieurs minutes.
— Pourquoi t'excuses-tu ?
— Parce que... j'ai l'impression d'être ridicule, d'être trop émotive.
— Je te trouve parfaite.
Jade inclina la tête contre ma main, la moue peu convaincue, mais elle ne me contredit pas pour autant.
— Ma grand-mère m'a toujours dit qu'il ne fallait pas s'excuser pour ses sentiments. À la condition qu'ils ne blessent personne. Ce qui n'est pas notre cas, tu en conviendras.
— Cela me paraît évident, confirma-t-elle dans un rire.
— Alors, ne te retiens pas quand tu es avec moi, je ne te jugerai pas. Jamais.
Si elle savait à quel point j'avais pu pleurer lorsqu'elle avait tout découvert et qu'elle était partie. Si elle savait que mon cœur n'avait plus été que des milliers de pièces éparpillés sur le sol de ma chambre jusqu'au jour où elle m'avait à nouveau embrassé. Si elle savait tout ça, serait-elle plus à même de laisser libre cours à ses émotions sans hésitation ?
Oh oui, j'aimerais lui dire qu'il m'arrivait aussi de pleurer, comme la plupart des êtres humains. Mais lui dire, ce serait aussi lui énoncer une épreuve que nous avions traversée et que je souhaitais oublier, elle aussi assurément.
— Seulement si toi aussi tu t'ouvres à moi. Je ne veux pas être dans une relation où l'un des deux a peur de partager ses pensées ou ses émotions. J'ai déjà vécu, et je ne veux pas revivre ça.
— C'est promis.
Je n'avais pas eu besoin d'y réfléchir, tant cela me paraissait normal. C'était globalement déjà le cas, encore plus maintenant que je lui avais déclaré ces trois petits mots si symboliques. Je voulais tout partager avec elle, et je voulais tout apprendre de sa personne, de son passé, de ses envies, de ses projets. Je lui avais déjà caché une chose, et je m'étais promis de ne plus jamais refaire cette erreur.
— Je ne te cacherai plus jamais rien et si tu as des questions, je répondrais le plus honnêtement possible, ajoutai-je.
— À toutes mes questions ?
— Oui.
— Absolument toutes ? insista-t-elle d'un sourire malicieux.
— Euh... oui... Qu'as-tu en tête exactement ?
— Rien pour le moment, c'est juste au cas où.
Je devais bien avouer que j'avais eu une légère pointe de stress. Cela avait dû se voir sur mon visage, car Jade éclata de rire.
— Tu es sadique.
— Drôle, corrigea-t-elle.
— Cela dépend pour qui.
— Eh bien, pour moi.
Je levai les yeux au ciel alors que ma petite amie se recula légèrement avant de se pencher vers la table basse pour attraper de la nourriture.
— Tu sais que nous sommes ensemble pendant presque trois jours ?
— Eh bien, dans la mesure où c'est moi qui aie eu l'idée de ce petit séjour improvisé, cela me paraît évident que je suis au courant du temps que nous allons passer ensemble. Pourquoi cette question ?
— En trois jours, j'aurais sûrement une tonne de questions à te poser et tu viens de dire que tu me répondrais le plus honnêtement possible lorsque j'en aurais.
— Je réitère mes propos, je n'ai rien à te cacher... et toi ?
— Ma vie est mortellement ennuyeuse, je n'ai donc rien à cacher... et peu de choses à raconter, comparé à toi.
— Oh non, je refuse de parler de moi tout le week-end, ce n'est pas du jeu ! Moi aussi, je veux apprendre à mieux te connaître, cela ne peut pas aller que dans un sens.
— Je ne vois pas trop ce que tu voudrais savoir.
— Il y a tellement de choses que je veux savoir !
— Tout comme moi...
— Trois jours ne seront pas suffisants.
Si cela n'avait tenu qu'à moi, s'il n'y avait pas nos études, mes engagements, ses amis, je lui aurais demandé de fuir avec moi et nous serions partis au loin, sans nous retourner, pendant des semaines. Nous aurions largement eu le temps de tout savoir. Du moins, la plus grande partie. Maman et papa s'apprenaient encore chaque jour, ce qui était touchant à voir.
Et puis, me vint une idée...
— Et si on instaurait une règle ? proposai-je.
— C'est-à-dire ?
— Eh bien, pour que je puisse aussi moi aussi apprendre à te connaître, et pour éviter que tu me poses dix mille questions à la fois, je propose quelque chose de très simple : chacun son tour, on pose une question à l'autre ou bien on aborde un sujet.
— Hum... Oui, je pense que c'est une bonne solution pour que j'évite de te bombarder de questions. Marché conclu !
Jade me tendit sa main libre, l'autre détenant toujours de la nourriture après ce long échange sans pause. Mon regard passa de sa main à son visage, un peu dubitatif.
— Avons-nous dégringolé au stade de simples amis ?
— C'est juste pour conclure le marché, rétorqua-t-elle avec innocence.
— Ne penses-tu pas qu'il y ait une façon plus adaptée à notre statut ?
— Comme quoi par exemple ? feignit-elle d'ignorer sur le même ton.
— Hum... et bien...
Mes mains n'avaient plus rien auquel s'accrocher depuis qu'elle s'était reculée pour pouvoir manger un bout. Mais ils retrouvèrent rapidement leur chemin vers le corps de Jade avec toujours une main sur sa joue et l'autre qui s'aventurait sur sa taille avant de se poser délicatement sur le bas de son dos. Quant à mon visage, il s'était approché à la même allure du sien, soit très rapidement.
Jade fit semblant de résister, de reculer, tout en riant. Mais elle ne bouda pas très longtemps et me laissa l'embrasser pendant de longues secondes. Ensuite, c'est elle qui prit la situation en main, en s'avançant un peu plus. Nos corps n'étaient plus qu'à quelques centimètres de distances désormais. Cela n'avait pas l'air de plaire à ma partenaire, car je la sentis se redresser légèrement avant de se pencher et de...
Je fronçai les sourcils après avoir senti quelque chose atterrir sur... eh bien, mon entrejambe. Le baiser s'arrêta d'un commun accord et nos regards s'arrêtèrent sur l'endroit susmentionné... où avait atterri le morceau de pain beurré que Jade ne tenait donc plus dans sa main. Cette dernière éclata d'ailleurs de rire, et bien que mon premier réflexe aurait été de simuler le mécontentement, je ne pus que me joindre, à mon tour, à son hilarité.
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