16 - Jade
Jade,
Vendredi 8 février
Quelque part entre Oxford et Northampton
Sauvée par le gong... ou, en tout cas, par les gargouillements venus tout droit des enfers. Je ne m'étais pas rendu compte que j'avais faim jusqu'à leurs apparitions. J'étais bien trop occupée par Alex, par notre week-end et par mes nombreuses questions. Mais maintenant qu'ils s'étaient manifestés, je la ressentais cette faim. Celle qui pouvait être rassasiée par de la nourriture, pas l'autre.
Oh non, je n'étais pas certaine de pouvoir la rassasier un jour ou l'autre. Pas définitivement, car je ne pourrais jamais me lasser de ses baisers. J'en aurais toujours envie. Je le savais, je le sentais.
— Je vais voir ce qu'on a dans les placards, m'apprit Alex toujours hilare, en attendant.
Et il disparut sans même m'inviter à le suivre. Que devais-je faire ? Qu'attendait-il de moi ? Voulait-il que je le rejoigne dans la cuisine pour satisfaire ma faim ou allait-il revenir pour me faire part de ses trouvailles ?
À bien y réfléchir, la deuxième n'était pas des plus pratiques. La première, en revanche, était ma préférée. Néanmoins, je devais bien avouer que je commençais à avoir trop faim pour entreprendre toute autre activité. Je décidai donc de le rejoindre, après dix secondes d'intense réflexion.
Arrivée au rez-de-chaussée, je me rendis compte que je ne connaissais rien de la maison hormis la chambre que je venais de quitter. L'idée de base d'Alex avait été de me faire visiter... et puis nous nous étions embrassés. J'ignorai donc où pouvait bien se trouver la cuisine.
— Alex ?
— À ta droite !
Je suivis sa voix et ses instructions, et je pris le couloir de droite. La cuisine se trouva ensuite assez aisément, car j'atterris dedans. Et Dieu, quelle cuisine ! Elle était grande, spacieuse et très lumineuse. Il y avait de grandes baies vitrées sur tout le mur gauche qui donnaient sur la forêt et la table du petit-déjeuner y était juste à côté. Quant à la cuisine en elle-même, elle était blanche et les plans de travail étaient en marbre noir. Le frigo était à deux portes, et il y avait également deux fours gigantesques, de quoi faire de somptueux repas pour une équipe de baseball.
— Ça me donne envie de passer toute la journée à préparer de bons petits plats.
Mes mots avaient traversé ma pensée, mais l'idée parut plaire à Alex qui ferma l'un des placards et m'adressa un sourire.
— Si c'est ça qui peut te faire plaisir, cela peut être notre programme de la journée. Il faudra juste attendre que ça arrive.
— Que ça arrive ?
— Oui, Lord Cavendish n'est pas revenu depuis trois semaines. Une personne va venir nous déposer de la nourriture. Je préfère éviter que tu meures de faim.
— Tu... sais cuisiner ?
Alex acquiesça alors qu'il se remit en tête d'un petit casse-croûte en attendant. Une partie de moi se sentit un peu bête face au préjugé que j'avais eu l'espace d'un moment. Il était vrai que j'avais imaginé Alex être servi à table par des valets... ce qui était peut-être le cas à certaines occasions. Et j'avais bêtement cru qu'il n'avait jamais réellement cuisiné de sa vie. Ma pensée avait été biaisée par son titre... Je me promis de ne plus me laisser envahir d'idées reçues sur tout « ça ».
— On a des paquets de chips et des barres de céréales. Ce n'est pas très glorieux, mais je n'ai rien d'autre à proposer pour le moment.
Les deux possibilités n'étaient pas les choix les plus sains, mais que faire ?
— Tu sais quand on doit nous livrer les courses ? l'interrogeai-je avec espoir.
— Dans pas trop longtemps, j'imagine. J'en ai fait la demande au même moment que j'ai averti le service de sécurité, c'est à dire il y a...
Alex fut arrêté dans sa réflexion par la clochette de la porte d'entrée.
— Quand on parle du loup ! se réjouit-il en rejoignant le couloir.
Instinctivement, je le suivis. Affamée, mais aussi pour aider avec les sacs de courses au besoin. J'arrivai dans le hall d'entrée alors qu'il avait déjà ouvert la porte. Par delà l'une des épaules d'Alex, je reconnus son garde du corps préféré : Craig. Ce dernier se déchargea des sacs en question, qu'Alex se saisit ensuite. Craig releva ensuite la tête et m'aperçut. Sans trop savoir quoi faire, je levai discrètement la main et le saluai.
— Bonjour, mademoiselle Lawson, me gratifia-t-il d'un sourire.
C'était très... formel. Mais à quoi m'étais-je attendue ?
— Bon week-end, monsieur, ajouta-t-il ensuite à l'égard d'Alex.
Cela me fit tiquer et me fit relever les sourcils. Craig devait avoir dix ou quinze ans de plus qu'Alex, le contraire aurait été plus logique, quoique toujours démodé.
— Merci Craig, à vous aussi.
Alex referma la porte ensuite et le bruit me fit revenir à moi.
— Qu'il y a-t-il ?
— Rien, mentis-je.
— Jade ?
— Rien, c'est juste... T'appelle-t-il toujours « monsieur » ?
— Malheureusement, oui.
— Est-il obligé ?
— C'est le protocole... et Craig est très à cheval sur le protocole, les règles. Il a fait l'armée avant de se reconvertir dans la sécurité privée. J'imagine que cela vient de là.
— Et ça n'est pas un peu... étrange de se faire appeler monsieur ?
— Un peu, mais j'ai l'habitude.
Oui, j'imaginais qu'être habitué à une chose ne vous donne pas l'impression que celle-ci peut paraître bizarre pour quelqu'un d'autre, bien qu'Alex était plutôt conscient des différences entre sa vie et la mienne.
— Allez, viens, allons découvrir ce qu'on nous a préparé.
J'opinai sans aucune résistance : les gargouillements avaient redoublé d'intensité, bien qu'ils fussent devenus un peu plus silencieux. Et heureusement ! Alex s'était déjà bien foutu de moi lorsque nous étions dans la chambre.
Avant de suivre ses pas, je glissai discrètement ma main dans mon manteau et en sortis mon téléphone. Il était vrai que je voulais profiter à cent pour cent de mon week-end avec Alex, mais je ne pouvais tout de même pas nier que le monde ne s'arrêterait pas de tourner durant ces trois jours. Je devais rester en alerte au cas où maman, Brooke ou l'une de mes amies s'inquiéteraient et auraient besoin d'être rassurées. En rejoignant la cuisine, je jetai donc un coup d'œil aux réponses du message que j'avais envoyé. La plupart m'avaient répondu me souhaitant simplement de passer un bon week-end. Aucune d'elles ne posait plus de questions que cela. Brooke m'avait seulement rappelé qu'elle exigerait plus de détails dès lundi matin, sans aucune interrogation. Cela ne lui ressemblait pas... et cela m'inquiétait. Si elle n'était pas curieuse maintenant, j'avais peur de subir tout un interrogatoire lors de notre prochain coup de fil !
Alex était déjà en train de sortir toutes les affaires des sacs. Je proposai mon aide, mais il déclina : après tout, je ne connaissais pas les lieux. Tout en les rangeant, il m'en fit l'inventaire. Lorsqu'il eut fini, nous nous préparâmes un petit lunch et allâmes nous installer dans le salon avec... probablement la télévision la plus imposante que j'avais vue dans toute ma vie.
— Il n'était pas loin de se faire construire sa propre salle de cinéma directement dans son salon, ne pus-je m'empêcher de lâcher.
— Alastaire est un grand passionné de cinéma, je suis donc sûr que l'idée a dû lui traverser l'esprit. Cela ne m'étonnerait pas d'apprendre que sa femme a dû l'en dissuader d'en faire construire une dans leur manoir familial.
— Oui, maman aussi a dû me dissuader de faire pareil dans notre villa qui donne sur la mer, plaisantai-je en prenant une voix guindée.
Alex rit avant de déposer notre plateau de nourriture sur la table basse et de s'installer dans le canapé.
— Oui, tu dois trouver ça... particulier, ajouta-t-il avec le regard gêné.
— C'est vrai... Je suis désolée, je ne voulais pas manquer de respect à tes proches... ni à ton mode de vie.
— Tu n'as pas à t'excuser, cela m'a fait rire. Allez, viens t'asseoir. J'aimerais bien mettre un peu de musique, mais je ne risque pas d'entendre grand-chose si ton ventre se remet à gargouiller.
Je plissai les yeux et lui lançai un regard réprobateur tout en m'asseyant à ses côtés. Avant même qu'il eût pu ajouter le moindre mot, j'attrapai une première tranche de pain et mordis dedans. Alex se joignit ensuite à moi.
— Tu es sûre que cela ne gêne pas Lord Cavendish qu'on soit ici ?
— Pas le moins du monde.
— Donc, tu as déjà fait ça ?
— Fait quoi ?
— Ramener des filles dans son cottage.
Alex faillit s'étrangler avec son morceau de pain. Il ne devait pas se douter un instant que je mentionnerai ses ex-petites amies aussi tôt dans la conversation. Moi non plus, à vrai dire. C'était sorti tout seul, sans avoir besoin d'y penser.
— Je n'ai jamais ramené aucune fille ici, me répondit-il après s'être raclé la gorge. Je ne suis même jamais venu sans mon père ou mon frère.
— Edward, c'est ça ?
— Celui-là même. Mais il préfère qu'on l'appelle Ed.
— Dans la mesure où je ne l'ai pas encore rencontré, je vais éviter de l'appeler par son surnom si on est amené à parler de lui.
— Fais comme tu veux, tant que tu ne l'appelles pas Edward le jour où tu le rencontres, tout se passera bien.
« Le jour où tu le rencontres ». Y avait-il déjà songé ? Avait-il déjà imaginé cette scène ou ne faisait-il que dire sans réfléchir ? Un peu comme moi !
— C'est noté ! Vous êtes très proches tous les deux ?
— Eh bien, il m'a demandé d'être son témoin. Alors, j'aime à croire que lui. Le protocole aurait sûrement voulu cela aussi d'ailleurs, mais il m'a assuré que c'était son choix personnel et qu'il aurait fait le même choix si... notre mode de vie avait été différent.
— Cela a l'air d'être très... important tout ce protocole.
— Ça l'est, bien que ce soit parfois lourd et fastidieux. Mais c'est pire pour Ed. C'est lui l'héritier de la couronne. Je ne suis que l'héritier de rechange.
— L'héritier de rechange ? C'est si triste !
— Pas tant que ça, je le vis plutôt bien à vrai dire. Cela me permet d'avoir un peu plus de libertés qu'Ed. Il a une pression de fou et doit faire bien plus attention que moi sur ce qu'il dit ou ce qu'il fait.
J'essayai de cacher mes émotions, mais ce fut difficile. Ce qu'il me décrivait était quelque peu déplaisant. Comment arrivait-il à sourire comme il le faisait en cet instant précis alors qu'il me paraissait évident que chacune de ses actions et ses paroles étaient décryptées et passées à la loupe ?
— Il y a des mauvais côtés, c'est certain, ajouta-t-il en me regardant, mais il y en a aussi des merveilleux. Dans l'ensemble, j'aime ma vie comme elle est. Surtout depuis que tu en fais partie.
Ses mots me firent sourire et je déposai le reste de mon pain sur le tableau. Je me penchai ensuite vers lui et l'embrassai pendant quelques secondes. Je m'écartai de quelques centimètres et plongeai mon regard dans le sien. Alex approcha sa main de mon visage et fit glisser une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, dégageant mon champ visuel. Il m'admira ensuite sans rien dire et à mesure que les secondes défilaient, son sourire grandissait un peu plus. Lorsque je fus certaine qu'il ne pouvait pas s'élargir davantage, je mis fin au silence.
— À quoi penses-tu ?
— À toi. Rien qu'à toi, me répondit-il avec affection.
— Et à une chose en particulier ?
Alex ouvrit la bouche, prêt à nourrir ma curiosité, à m'ouvrir son esprit. Mais il la referma presque aussitôt, le regard hésitant, me créant une inquiétude immédiate.
— Quelque chose ne va pas ?
— Non tout va bien. Tout va plus que bien, tout est parfait.
—Tu es sûr ? Tu as eu l'air d'hésiter... y a-t-il quelque chose que tu veux me dire ?
— Il y a mille et une choses que je veux te dire, Jade. Mais j'ignore s'il y a un moment plus propice pour certaines choses.
— Il y avait certainement un moment plus propice pour moi pour démarrer une relation amoureuse et pourtant... me voilà ici, avec toi. Je crois qu'il n'y a pas de moment parfait pour dire ou faire quelque chose et il y a juste... que le moment présent. Le présent et le courage qui nous anime.
— Tu me donnes envie d'être courageux, Jade.
— Alors, soyons courageux... à deux.
Alex approuva mes propos d'un hochement de la tête alors que l'hésitation dans ses yeux disparut pour laisser place à de l'assurance et qu'il ouvrit enfin la bouche pour me partager son cœur et ses pensées.
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