15 - Alexandre
Alexandre,
Vendredi 8 février
Quelque part entre Oxford et Northampton
Il faisait chaud. C'était une évidence, et ma première pensée lorsque je refermai la porte derrière nous. Les personnes qui étaient venues faire l'inspection avaient dû avoir peur que nous eûmes froid... et avaient mis le thermostat un peu trop fort afin de laisser le temps à la maison de chauffer le plus possible en moins de deux heures.
J'imaginais en tout cas que ce fut la chaleur, et non moi qui bouillonnais à l'intérieur. Cependant, je devais avouer que je n'étais pas parfaitement calme à cet instant précis. J'étais quelque peu... anxieux. Surexcité. Heureux. Fébrile. Et Terrifié. Et toutes ces émotions bien différentes m'avaient envahi au moment où j'avais ouvert la porte du cottage. Je n'avais rien ressenti dans la voiture que la joie de partir en week-end avec Jade. Ni stress ni peur. Juste du bonheur.
Mais que m'arrivait-il ? Pourquoi étais-je subitement si stressé ? Si mal à l'aise ?
- Il va aussi falloir que tu m'expliques cela.
La voix de Jade arriva à m'apaiser un peu, bien que sa question créât la surprise en moi. Je me tournai à nouveau vers elle et ôta mon manteau, voyant qu'elle avait déjà passé cette étape. Je l'invitai à me le donner, ce qu'elle fit.
- T'expliquer quoi ?
Je m'approchai du portemanteau et y pendis les nôtres avant de me tourner vers elle. Jade s'était approchée de moi, n'étant plus qu'à quelques centimètres, et me regardait très sérieusement.
- Cette maison, dit-elle simplement.
- Je te l'ai dit, c'est à Lord Cavendish. C'est l'un des meilleurs amis de mon père, il est très proche de notre famille.
- Oui, je sais à qui elle est, mais... Tu avais déjà songé à m'y emmener ?
- Eh bien, pas vraiment. J'y ai pensé il y a deux heures à peine.
- Et en deux heures à peine, tu arrives à nous avoir une maison pour le week-end ? résuma-t-elle d'une voix légèrement incrédule.
- Cela serait présomptueux de m'en attribuer tous les mérites, répondis-je en me grattant l'arrière du crâne.
- Explique-moi, me convia-t-elle à faire d'un sourire.
- Eh bien... Quand j'ai appris ce qui s'était passé, j'ai échangé quelques mots avec maman. Je lui ai fait part de mon envie de partir et m'a proposé plusieurs possibilités, donc la maison de Lord Cavendish. C'était la plus proche et la plus pratique. Alastaire est quelqu'un de discret, c'était donc aussi le choix le moins risqué. Maman a ensuite appelé Alastaire et, sachant qu'il y avait peu de chance qu'il refuse, j'ai appelé le service de sécurité de mon côté pour qu'il envoie une patrouille inspecter les alentours et la maison. Le temps qu'il arrive, maman avait eu Alastaire au téléphone, qui lui a dit où était cachée la clé de secours et qui lui a donné le code de l'alarme.
Jade cligna plusieurs fois des yeux. Je me demandai ce qu'elle pouvait bien penser de toute cette histoire un peu saugrenue et inattendue.
- On peut dire que c'est... plutôt rapide. C'est toujours comme ça ?
Elle sembla visiblement mal à l'aise, non pas par la situation, car elle m'avait déjà rassuré sur ces points, mais plutôt par sa question.
- Généralement, oui.
Je n'en étais pas très fier, mais pourquoi mentir ? Ce week-end n'avait pas que pour but de fuir la presse, mais de nous donner du temps. Nous avions encore tant de choses à apprendre l'un de l'autre. Je me doutais que confronter nos modes de vie très différents était au programme de ces trois prochains jours. J'espérais juste que certains sujets n'éveilleraient pas en elle des réactions trop négatives. Cela ne me semblait pas réaliste, mais je préférais m'y préparer. Certaines personnes ne voyaient pas d'un bon œil la monarchie. Bien que très aimée par une grande majorité de la population, il y avait et il y aurait toujours des détracteurs. Et puis, Jade était Américaine et n'avait donc pas d'expériences avec une famille royale. Quels étaient ses préjugés nous concernant ?
J'avais envie de les découvrir, mais en parler... c'était lui rappeler nos différences. Et si je l'effrayais ? Et si, en lui expliquant tout ce que cela impliquait, elle prenait peur ?
Je rangeai mes doutes dans un coin de ma tête alors que je contournai Jade et que j'attrapai à nouveau les sacs. Je me tournai ensuite vers elle, un sourire aux lèvres.
- Je te fais visiter ?
Jade opina et je pris la direction de l'étage en premier lieu afin de me débarrasser des sacs. J'étais déjà venu quelques fois ici, en grande partie en week-end entre hommes pour chasser, bien que je n'aimais pas particulièrement cela. J'étais très doué au tir, mais bizarrement je perdais ce don lorsque les cibles étaient vivantes. Les dernières fois où Lord Cavendish nous avait conviés, j'avais d'ailleurs passé le plus clair de mon temps les mains dans les poches tandis que je regardai Ed, papa et Alastaire avec un fusil dans les bras.
- Il y a plusieurs chambres, expliquai-je en gravissant les escaliers. Plutôt vue sur la forêt ou sur les champs ?
- Comme tu préfères, je te laisse choisir la vue que nous aurons.
Je venais de franchir le dernier palier et m'arrêtai un peu trop abruptement, car Jade me percuta alors qu'elle arrivait à la même hauteur que moi. Je me tournai, un peu perplexe : je n'étais pas certain d'avoir bien entendu.
- Que nous aurons ? répétai-je avec prudence.
Jade fronça les sourcils. En comprenant où je voulais en venir, elle éclata de rire.
- Alex, enfin ! dit-elle toujours hilare. On a dormi ensemble deux fois déjà. Tu voulais vraiment qu'on fasse chambre à part ?
- C'est juste que... je... Je ne savais pas si tu voulais que...
Je perdis mes mots face à ma propre bêtise. Je n'avais pas voulu paraître trop audacieux ni même lui forcer la main. Mais aurais-je seulement pu ? Plus j'apprenais à la connaître, plus je savais que Jade était le genre de personne à faire savoir d'elle-même ce qu'elle voulait. Il n'y avait aucune chance de la forcer à faire quoi que ce soit, ce qui m'arrangeait d'ailleurs, car je n'étais pas comme ça.
- Moi je veux, me coupa-t-elle dans mon hésitation, sauf si toi tu ne veux... pas ?
- Si si, bien sûr que je le veux, dis-je en retrouvant l'usage de la parole.
- Alors le problème est réglé, conduis-nous à la chambre.
Je hochai plusieurs fois la tête avant de reprendre ma route et de me diriger vers la chambre que j'avais toujours eu tendance à occuper ces dernières années. J'ouvris la porte et invitai Jade à y entrer d'un geste de la main après avoir déposé les sacs près de la commode. Elle y entra à petits pas, regardant autour d'elle avant de s'approcher près de la fenêtre qui donnait sur la forêt. Mes yeux ne la quittèrent pas durant sa traversée. Adossé contre le mur près de la porte, j'admirai tout d'elle : sa démarche, sa posture, ses longs cheveux qui ondulaient à mesure qu'elle bougeait. Tout en elle était grâce.
- Jolie vue, commenta-t-elle.
- Oui, je confirme.
Était-ce ma voix légèrement malicieuse qui la fit se tourner vers moi ? Probablement, car elle roula des yeux tout en ne pouvant pas s'empêcher de sourire.
- Trop cliché ? demandai-je.
- Trop mignon ! me corrigea-t-elle en s'approchant.
Elle n'était plus qu'à quelques centimètres de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'ignorai ce qu'elle attendait pour combler l'espace restant entre nous. Peut-être était-ce à moi de le faire ? Oui, c'était à moi de m'approcher. Mais pour une raison que j'ignorai, je restai planté là, comme figé.
- Est-ce que cette chambre te convient ?
- Alex ! s'exclama-t-elle avec amusement. Cette chambre est deux fois plus grande que la mienne, alors je pense que ça ira.
Je me mis doucement à sourire. Elle adorait prononcer mon prénom avant de m'engueuler gentiment lorsque je disais une bêtise. C'était une des choses que j'avais remarquées chez elle. Était-ce parce que j'étais observateur ou bien parce que je disais trop de bêtises ?
Je lui aurais bien posé la question, mais Jade trouva plus intéressant de faire deux nouveaux pas vers moi. Les quelques centimètres s'étaient désormais transformés en quelques millimètres à peine. Avec cette proximité, je pouvais aisément distinguer toutes les nuances de vert de ses yeux.
- Tout me convient, Alex.
Cette fois-ci, lorsqu'elle prononça mon prénom, ce fut différent. Elle n'allait pas m'engueuler ni même rire. Cela avait été doux, presque comme un murmure. Presque comme si je l'avais inventé, mais ses lèvres l'avaient bien exprimé.
Je sentais ma respiration s'accélérer. C'était l'un des nombreux effets qu'elle avait sur moi. Elle décuplait tout, créait tant de choses en moi.
Je me redressai légèrement, me retrouvant aussi proche d'elle que possible. Nos mains, tels deux aimants, trouvèrent leur chemin l'un vers l'autre. À peine se furent-ils touchés, que j'eus envie de m'accaparer de ses lèvres, mais je me retins. J'avais envie d'apprécier ce moment, de photographier son visage, d'en garder à jamais une trace.
Elle souriait. Le plus exquis des sourires. Il n'y avait aucune crainte, aucune peur, rien qui aurait pu me faire dire qu'elle doutait ou qu'elle aurait voulu être ailleurs qu'ici. Elle me l'avait d'ailleurs dit sur la route, mais j'avais parfois dû mal à croire les mots. J'avais besoin de plus que ça. J'avais besoin d'actes, et son sourire était plus que suffisant. Il disait tout, et plus encore.
Ma main libre se faufila jusqu'à sa joue, remontant son bras et son épaule, et en effleurant furtivement son cou.
- Jade...
Ce fut à mon tour de laisser échapper ce doux murmure. Avait-il le même effet que le sien avait eu sur moi ? J'aimais à le croire lorsque je la sentis avancer un peu plus son visage du mien, sans pour autant me lâcher des yeux. Elle luttait tout comme moi. Je le compris lorsqu'elle jeta furtivement un regard à mes lèvres.
- Alex...
Savait-elle l'effet qu'elle avait sur moi ? S'en amusait-elle ?
Comment pouvais-je lui résister ?
Je ne pouvais pas. Ou, en tout cas, je ne pouvais plus. Je la voulais, je voulais la sentir contre moi, aussi près que cela fut possible, aussi près qu'elle en était prête. Alors, mes lèvres trouvèrent les siennes au moment où je fermai les yeux. Délicatement dans un premier temps, dans la retenue. Nos mains étaient toujours l'une dans l'autre, mais Jade finit par écarter la sienne et poser ses deux mains autour de ma nuque. Et, alors que j'entourai son corps de mon bras libre, le baiser devint un peu plus fougueux. Ce n'était ni elle ni moi qui étions responsables de ce changement, c'était les deux à la fois, dans un même souffle... qui commençait à me manquer.
Et au bout d'un certain temps, indénombrable, car le temps n'était plus qu'une futilité, elle en manqua elle aussi. Alors qu'elle dévia ses lèvres des miennes pour reprendre un peu d'oxygène, je ne m'avouai pas vaincu et mes baisers trouvèrent un nouveau terrain de jeu : sa joue pour commencer. Ensuite, alors qu'elle reprenait son souffle, je descendis jusqu'à sa mâchoire. Et je dévalai encore un peu plus, cette fois-ci dans son cou, non loin de son oreille. Jade lâcha un soupir d'aise... et puis un rire. Je ris à mon tour alors que j'arrêtai de la couvrir de mon amour en m'écartant légèrement pour retrouver son regard.
- Oh, je crois, je viens de trouver un point faible, fis-je remarquer d'une voix joueuse.
- Ne t'avise même pas de t'en servir !
Elle avait essayé d'être sérieuse, mais son sourire exalté la trahissait dans sa tentative de m'en dissuader.
- Sinon quoi ?
- Comment ça, sinon quoi ?
- Que vas-tu faire si je reprends mes baisers à cet endroit précis ?
- Je... je... Eh bien, je vais...
Jade avait perdu ses mots, ce qui m'arrivait assez souvent quand j'étais en sa présence. C'était amusant et ça l'était encore plus lorsque je fis mine de m'approcher de la zone en question et que je la vis baisser la tête tout en riant.
- Alex ! s'exclama-t-elle dans un éclat de rire. Si tu recommences, je vais...
Ses mots se perdirent lorsqu'un étrange bruit se fit entendre.
- Est-ce que c'était...
Je n'eus pas le temps de finir ma question, qu'un nouveau bruit du même acabit retentit à nouveau. Cette fois-ci, plus aucun ne doute quant à sa provenance : c'était son estomac.
- Grand Dieu, tu es affamée ma parole ! commentai-je dans un éclat de rire.
Le sourire gêné de Jade disparut lorsqu'elle me tira subrepticement la langue.
- J'ai apparemment une autre faim à assouvir, admit-elle avant de s'écarter.
« Une autre faim à assouvir ». Ses mots résonnèrent dans ma tête tel un écho. Si je me demandais toujours ce qu'elle pouvait ressentir, il n'y avait aucun doute quant à cet instant précis : elle et moi partagions la même envie.
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