14 - Jade
Jade
Vendredi 8 février
Angleterre, quelque part près d'Oxford
J'avais conscience d'agir, depuis quelques semaines maintenant, bien plus impulsivement que lorsque je vivais aux États-Unis. Il y avait parfois des moments où j'avais du mal à me reconnaître, d'autres où je paniquais pendant quelques secondes lorsque je réalisai ce que j'avais fait.
Mais, nonante-neuf pour cent du temps, je n'avais ni doute ni crainte. J'étais juste heureuse d'être ici, de vivre cette relation, d'être sur un nuage, avec lui. J'étais heureuse de l'avoir enfin trouvé. Cette personne si spéciale pour qui vous feriez tout, pour qui vous briseriez vos propres règles, vos propres limites. Cette personne qui arrivait à vous faire sourire juste en étant là, en vous regardant, en vous prenant la main.
Il était cette personne qui me chamboulait, celui qui créait des papillons. Il était le premier, le seul pour lequel je ressentais cela, cet amour plein d'allégresse et de délicatesse, de chaleur et d'ardeur.
Si le monde n'avait plus que quelques heures d'existence, c'était avec lui que je voulais les passer.
« Désolée maman » pensa une voix dans ma tête alors que je lâchai un léger rire.
— Je me demande ce qui peut bien te faire rire.
Sa voix me ramena à cette réalité que l'on partageait lui et moi, dans cette voiture, sur cette autoroute, en direction du cocon surpris qui nous hébergerait ce week-end. Je déposai mon regard sur lui, ses yeux étaient concentrés sur la route, mais ses lèvres s'étiraient lorsqu'il sentit que je l'observai.
— Peut-être que je te le dirais, si tu m'expliquais enfin tout ça, lui proposai-je d'une voix taquine.
C'était un mensonge, car je n'étais pas encore assez courageuse pour lui expliquer, avec des mots, ce que je ressentais pour lui. Je voulais garder ça encore un peu pour moi, peut-être pour réussir à accepter, peut-être pour donner à ma tête l'occasion de trouver une faille dans tout ça, de prendre la fuite, peut-être pour ne pas lui faire peur... ou prendre peur moi-même.
Je n'avais pas encore sombré dans les eaux tumultueuses de mes angoisses passées. Mais je savais que plus l'amour était fort, plus la peur de perdre l'être aimé l'était tout autant.
Et comment ne pas avoir peur de le perdre quand mon cœur s'embrasait d'amour pour lui à chaque instant ? Quand il prenait le pas sur toutes mes craintes parfaitement fondées ? Comment arrivait-il à me faire oublier mon appréhension face à son mode de vie, mon effroi quant à l'intrusion de la presse, ou mon inquiétude quant à mon retour au pays ?
Comment arrivait-il à faire tout ça, à tout chasser simplement par un sourire, par un regard, par un baiser ?
— Oui, tu as raison, dit-il d'une voix détendue. Je crois que je te dois quelques explications quant à la situation. Je dois d'ailleurs t'avouer que je ne pensais pas que tu accepterais aussi facilement.
— Pourquoi aurais-je dit non ?
— Parce que tu aurais pu penser que cela était peut-être trop tôt pour passer un week-end rien que tous les deux, émit-il d'une petite voix inquiète.
— Je n'ai pas pensé à ça en te répondant... À vrai dire, je n'ai pas réfléchi, sauf à ce dont j'avais envie et... Alex ! C'est toi qui devais me donner des explications, et non l'inverse. Je ne parlerai plus tant que tu ne m'auras pas tout dit.
— La route risque de paraître bien longue si je n'entends plus ta voix.
— Raison de plus pour me raconter tout ça, non ?
— Très bien, très bien ! Que veux-tu savoir en premier ?
— Comment tu as réussi à te débarrasser des paparazzi ?
— On appelle ça la technique du garde du corps. Et quand je dis « on », c'est surtout moi à vrai dire. C'est assez simple à comprendre, ce qui rend les photographes bien idiots si on y réfléchit... Mais soit. Un membre de la famille royale ne se déplace jamais sans son garde du corps. Ou ses gardes du corps. Il arrive souvent que tu repères en premier le garde du corps avant la personnalité en question. Donc, si le garde du corps se déplace, en l'occurrence Craig dans notre cas, c'est qu'il doit forcément rejoindre la personne qu'il protège à une autre sortie.
— Craig a donc servi d'appât ? résumai-je avec amusement. C'est plutôt astuci... attends, tu ne viens pas de dire qu'un membre de la famille royale ne se déplaçait jamais sans son garde du corps ?
— C'est bien ce que j'ai dit.
— Mais il a fait diversion, il n'est donc pas là...
— Je n'ai pas qu'un seul garde du corps. Il y en a toujours plusieurs dans le périmètre, c'est juste que Craig est le plus proche de moi, physiquement, mais aussi dans notre relation.
— Tu veux dire que...
— La Land Rover grise juste derrière nous, m'interrompit-il en comprenant où je voulais en venir.
Je me tournai et jetai un regard aux voitures derrière nous. J'avais beau ne rien connaître aux marques, il n'était pas difficile de repérer la grosse voiture en question avec deux passagers à l'avant. Nous roulions trop rapidement pour que je puisse distinguer leur visage, mais c'était sûrement des hommes du même gabarit de Craig : un peu plus grand qu'Alex, vêtu d'un costume et probablement armé, bien que je n'avais pas encore discerné d'arme sur son garde du corps préféré. Je me demandais d'ailleurs s'il y avait beaucoup de femmes dans la profession. J'aurais bien posé la question à mon interlocuteur, mais j'avais bien trop interrogations pour lui.
— Donc, repris-je un peu mal à l'aise, ce n'est pas vraiment un week-end rien que tous les deux... ?
— Nous serons que tous les deux là où je t'emmène, c'est promis. Tu ne les verras ni les entendras. Ce sera juste toi et moi.
Alex savait mieux que moi comme cela fonctionnait, alors je le crus. Et, comme pour me rassurer, il attrapa ma main, la porta à ses lèvres et y déposa un baiser avant de la re-déposer sur ma jambe et de poser la sienne sur le volant.
— Et où m'emmènes-tu, justement ?
Je n'avais plus envie de penser aux gardes du corps et aux photographes, je voulais me focaliser sur nous deux et sur les trois jours que nous allions passer ensemble. Sans compter Noël chez maman, c'était la première fois que je partais d'Oxford pour découvrir une autre partie du pays. Cela faisait plus ou moins cinq mois que j'étais là, et je n'avais toujours pas découvert une autre ville. Moi qui avais toujours rêvé de m'aventurer dans Londres, entre mes études, mes nouveaux amis et cette relation, je n'avais même pas encore pu m'y rendre. Le temps s'était faufilé entre mes doigts sans même m'en apercevoir.
— Un ami de la famille possède une maison à trente minutes de route d'Oxford. C'est un endroit très calme, loin de tout.
« Et surtout de tout le monde » terminai-je par la pensée.
— Oh ! m'exclamai-je. J'ai totalement oublié Mila et les autres... Il faut que je les prévienne que je ne serai pas là ce week-end.
— Tant que tu ne leur dis pas où nous allons... Je sais que ce sont tes amis, mais parfois les gens peuvent faire des choses stupides lorsque la presse leur propose de leur argent.
— Alex...
— Je sais, je suis désolé, je ne veux pas mal parler de tes amis. Je suis sûr que ce sont des personnes géniales et que...
— Alex, l'interrompis-je. Ce n'est pas ça, c'est juste que... comment tu veux que je leur dise où nous allons alors que je l'ignore moi-même ? Et même en y étant, je ne prête pas vraiment attention au panneau, je ne pourrais donc pas appeler à l'aide au besoin.
— Appeler à l'aide ? répéta-t-il faussement offusqué. Sache que si tu souhaites retourner à Oxford, à n'importe quel moment du week-end, tu n'as qu'à le dire et je te ramène sur-le-champ.
Je craignais plutôt l'inverse : et si je ne voulais plus du tout partir après notre week-end ? Car je le savais : il n'y avait aucune raison pour ne pas apprécier ce week-end tous les deux. Comment revenir à Oxford avec sa foule de gens curieux et leurs appareils photo après ça ? Comment résister à l'envie de rester dans cette nouvelle bulle ?
J'essayai de ne pas penser à ces questions, ce fut d'ailleurs pour ça que j'attrapai mon téléphone et m'attelai à une nouvelle tâche : prévenir mon entourage quant à mon projet du week-end. C'était à dire mes amies anglaises, Brooke, Scarlett et maman. Je tentai de ne pas être trop brève, mais je devais avouer que je n'avais pas l'envie ni la force de leur écrire un roman. C'était peut-être égoïste, mais je voulais oublier tout le monde ces trois prochains jours et ne penser qu'à Alex et moi.
— Je ne fais jamais ça, tu sais ? lui confiai-je avec nervosité.
— Quoi donc ?
— Partir sur un coup de tête, manquer les cours...
« Aimer comme je t'aime » finis-je ma phrase pour moi-même.
— Je te l'ai dit, si tu changes d'avis, je te ramène à Oxford, je ne veux pas te forcer ni que...
— Alex, arrête, lui suppliai-je presque. Je ne veux pas retourner à Oxford. Le seul endroit où je veux être en ce moment, c'est ici. D'accord ?
Je me penchai légèrement vers lui et glissai ma main dans ses cheveux. Au bout de quelques secondes, Alex hocha la tête et m'adressa un sourire avant de reporter à nouveau son attention sur la route.
Il devait croire que je prenais peur, alors que c'était en fait tout le contraire. Alex ne faisait pas naître de la peur en moi, mais de l'espoir... et un peu d'ivresse, je devais bien l'avouer.
Je me pinçai les lèvres pour ne pas laisser un petit rire s'échapper d'entre mes lèvres. Je ne voulais pas être à nouveau interrogée par mon petit ami. Il avait déjà renoncé à me demander de plus amples explications la première fois que mes pensées m'avaient fait légèrement glousser, je n'étais pas certaine de trouver une nouvelle pirouette cette fois-ci. Heureusement d'ailleurs qu'il conduisait, car mon visage m'aurait trahi.
Nous échangeâmes que quelques phrases durant la demi-heure qui suivit, non pas par manque de conversations : j'avais une tonne de questions à lui poser, tant de sujets que j'aurais aimé aborder. J'avais tant de choses à apprendre sur lui... mais j'étais encore un peu éreintée par mon expérience de ce matin, et très peu encline aux conversations lorsque je me trouvais dans une voiture. Cela avait toujours eu un effet un peu soporifique sur moi. Heureusement, Alex avait eu la bonne idée d'allumer la radio et je m'étais mis à fredonner... moi qui avais toujours détesté faire ça devant quiconque, même devant maman, je m'étonnais moi-même.
Cela m'avait empêché de m'assoupir, jusqu'à ce qu'Alex s'engagea sur une route de campagne en me faisant savoir que nous arrivions dans environ cinq minutes. Je me tins alors aux aguets, non pas aux panneaux, - car après tout pourquoi aurais-je eu besoin d'aide ? –, mais plutôt au paysage. Je voulais me souvenir de cet endroit, me rappeler avec le plus d'exactitude possible de notre premier week-end ensemble. Pour moi, en tout premier lieu bien évidemment, mais aussi pour pouvoir donner des détails aux questions intarissables de ma chère cousine.
La route était plutôt calme, hormis une ou deux voitures en sens inverse, nous ne croisâmes personne. Il n'y avait que des champs à perte de vue et, au loin devant nous, la lisière d'une forêt. Il y avait un point aussi qui grossissait à mesure que la voiture s'approchait : je compris qu'il s'agissait d'une maison deux minutes avant qu'Alex ne se garât devant. La maison ressemblait un peu au cottage de Kate Winslet dans « The Holiday »... bien qu'il était deux fois plus grand. C'était assez rustique comme édifice, j'aimais beaucoup.
— Jade ?
Je revins à moi et me tournai vers Alexandre qui avait l'air amusé.
— C'est encore plus joli à l'intérieur. Lord Cavendish l'a fait rénover il y a quelques années à peine. Elle a tout le confort d'un cinq étoiles tout en alliant les bienfaits de la nature.
« Lord ». Je savais ce qu'était Alex, mais c'était toujours surprenant d'entendre ce genre de mots. Cela avait l'effet de me ramener à une réalité que je ne comprenais pas encore très bien, que j'appréhendais.
Mais je laissais Lord Cavendish dans la voiture en la quittant. Évidemment, je savais qu'en étant ensemble pendant trois jours, nous finirions sans aucun doute par parler de tout ça, mais il n'y avait pas de raison de mettre les pieds dans le plat... Pas tout de suite du moins.
En sortant de la voiture, je me tournai vers la route que nous venions de quitter. La voiture de ses gardes s'approchait un peu plus de notre position, me faisant frissonner. Finalement, elle tourna à droite, puis à gauche, longeant le jardin de la maison avant de disparaître en direction de la forêt.
— Il y a une petite maison à trois cents mètres d'ici, m'expliqua Alex en captant mon regard. Habituellement, elle est occupée par le personnel de Lord Cavendish quand il vient avec eux.
J'acquiesçai d'un signe de tête tandis qu'Alex sortit nos sacs du coffre. Il en mit un sur son épaule et garda l'autre dans l'une de ses mains. Il s'approcha ensuite de moi et me tendit sa main libre en souriant.
— Il n'y aura que nous deux, me promit-il à nouveau.
Je vous souhaite une très bonne année 2022 ❤
A partir de maintenant, nous nous retrouverons minimum une fois par semaine (les lundis) pour un nouveau chapitre en compagnie de Jade et Alex. C'est promis !
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