01 - Alexandre
Bon début de semaine ♥
Samedi 25 janvier
Oxford
Alexandre
Elle était là.
J'avais encore du mal à y croire après ces dernières semaines chaotiques et dénuées de tout espoir. Mais elle était là, c'était une réalité. Blottie tout contre moi, je sentais son souffle chaud se déposer sur mon cou et je discernai chacune de ses respirations tant nous étions silencieux et proches. Ma main passait inlassablement et tendrement dans ses cheveux. Combien de temps s'était écoulé depuis que nous étions arrivés dans ma chambre ? S'était-elle endormie depuis ?
Comme pour répondre à ma question, Jade s'extirpa de mes bras et leva la tête vers moi. Ses grands yeux verts croisèrent les miens et tout s'arrêta. Nous nous sourîmes, tous deux un peu gênés et encore étonnés de la tournure qu'avait prise la soirée, mais tous deux immensément heureux. Il n'y avait plus de prince, plus de secrets, et la question d'un futur éloignement nous était bien égale en cet instant. Je vivais l'un de ces moments dans la vie où tout nous paraissait possible. Et ça l'était, j'en étais persuadé. Qu'importait le temps passé, qu'importait ce que pourraient bien penser les autres : j'étais tombé amoureux de Jade Lawson dès l'instant où mes yeux s'étaient posés sur elle.
— J'ai l'impression que rien de tout ça n'est réel, me confia-t-elle.
— J'ai la même sensation, lui avouai-je d'un sourire. Je crois que c'est ça qu'on ressent, quand on est heureux.
— D'avoir peur de se réveiller ?
— D'avoir peur que ça s'arrête. De vouloir que ça continue, encore et encore. D'avoir envie de passer tout mon temps libre avec toi, d'apprendre tout de toi.
— Hum, à ce sujet...
Jade se redressa et prit un air sérieux. J'avais l'étrange sensation que j'allais passer à la casserole. Depuis que nous étions embrassés, en plein milieu du trottoir, nous avions à peine parlé elle et moi. Après le baiser, nous nous étions dirigés tout naturellement vers mon immeuble. Nous étions ensuite montés, nous avions ôté nos manteaux avant de nous allonger dans le lit et de profiter de la présence et l'un et de l'autre, sans rien. Cependant, je me doutais que sa curiosité referait surface bien assez tôt. J'avais compris que c'était l'un des traits les plus dominants de sa personnalité.
— J'ai l'impression que tu en sais plus sur moi, que moi sur toi. Enfin, tu m'as dit des choses aussi, je le sais... Mais je n'avais pas le bon contexte. J'ai l'impression que c'est un peu flou pour moi. J'ai déduit certaines choses, mais j'ai besoin que tu les dises à haute voix, comme si tu m'expliquais tout, depuis le début et sans filtre.
— As-tu un sujet en particulier ? Ou des questions ?
Je me redressai à mon tour, prêt à lui donner tout ce dont elle avait besoin pour comprendre. Pour me comprendre. Désormais, plus de faux-semblants, plus de pirouettes pour esquiver, j'allais tout le dire sans hésitation.
— Je te dirai tout, Jade, ajoutai-je avec regret. Je ne te cacherai plus rien, tu as ma parole.
— Je te crois, Alex... Bon, euh... Parlons de ta grand-mère par exemple. Qui est-elle exactement ?
— Elle est la mère de ma mère...
— La Reine Mary II, c'est ça ? m'interrompt-elle.
— C'est bien ça. Elle était la Reine Margaret avant le décès de son époux. Suite à ça, elle est désormais appelée la Reine Mère. Ensuite il y a ma mère, que tu sembles déjà connaître. Mon père s'appelle Peter, c'est le prince consort.
— Prince consort ? Pourquoi n'est-il pas roi en étant marié à ta mère ?
— C'est une vieille loi qui dit que si le monarque est une femme, son mari n'a pas le droit d'avoir le titre de Roi, car ça voudrait dire qu'il a un titre supérieur au sien, ce qui n'est pas possible s'il n'est pas le monarque.
— C'est... Particulièrement étrange. Je pensais que « roi » et « reine » étaient des titres égaux.
— Pas dans une société qui a longtemps été régie par les hommes.
J'étais d'accord avec Jade, moi aussi je trouvais ça étrange. Une femme devenait reine par son mariage avec le roi, mais pas l'inverse. Il y avait encore des choses à revoir dans la constitution ou les us et coutumes. Il y avait de l'avancement, mais je ne trouvais pas ça très rapide. Après tout, la place des femmes dans l'ordre de succession n'avait été modifiée il y avait trente ans seulement. Avant ça, les hommes de la fratrie passaient avant leurs sœurs, même si ces dernières étaient plus âgées qu'elles. Quelle connerie ! Je suis bien content de vivre au vingt-et unième siècle et que Sophie n'ait pas à subir autant de sexisme qu'avant, même si on est encore loin d'un résultat satisfaisant.
— Et ensuite il y a ton frère, c'est ça ? C'est lui l'héritier du trône ? poursuivit Jade avec enthousiasme.
J'aimais ça. Pouvoir lui parler plus librement, mais également ressentir qu'elle s'intéressait sincèrement à ma vie, à tous les aspects de ma vie.
— C'est ça, acquiesçai-je. Il est connu pour être le Prince de Galles. C'est le titre qui est donné au fils aîné du monarque. Et Cécilia, dont tu as vu le visage sur le magazine, deviendra la Princesse de Galles par son mariage avec Eddie, en mai.
— Et toi alors ? Comment faut-il t'appeler ?
— Prince Alexandre. Enfin, Son Altesse Royale, le Prince Alexandre Windsor, si tu veux vraiment une titulature plus exacte.
— C'est un peu long pour moi, dit-elle sur le ton de plaisanterie.
— Et encore, je ne t'ai pas dit mes cinq prénoms !
— Cinq prénoms ? Ce n'est pas un peu beaucoup ?
— Si, mais c'est une habitude dans les familles royales. Je dirai même que c'est une obligation.
— Je ne râlerai plus jamais sur le fait d'avoir deux prénoms.
— C'est quoi ton deuxième prénom ?
Jade fit mine d'hésiter, comme si cette information était cruciale. J'étais certain qu'elle aurait préféré que la conversation se concentrât uniquement que sur moi, mais j'étais toujours avide d'informations à son sujet. J'étais désireux d'apprendre à la connaître un peu plus.
— Victoria, avoua-t-elle d'un simple sourire.
— Ça fait très royal, commentai-je d'une voix tendre.
— En parlant des Victoria... Est-ce que tu descends de la célèbre Reine Victoria ?
— Yep. En ligne directe, c'est mon arrière arrière arrière-grand-mère.
— Plus tu me donnes d'informations, plus tout ça me semble carrément dingue. Je ne me rends pas compte que tu es un prince, que tu vis dans un château, que l'une des aïeules est la Reine Victoria. C'est à la fois incroyable et déstabilisant. Et je ne peux même pas me dire que tu me fais une blague, il y a suffisamment de photos sur Internet. Je crois qu'il va me falloir du temps pour réellement réaliser.
— Prends tout le temps dont tu as besoin. Et pose toutes les questions qui te passent par la tête.
— On risque d'en avoir pour plusieurs nuits, ne me tente pas, dit-elle en éclatant de rire.
— Je suis partant pour tout, dis-je avec tout le sérieux du mois. Fais-moi passer un interrogatoire si tu veux. De toute façon, je te l'ai dit : avec ma famille, j'y suis presque habitué.
Jade s'arrêta de rire et me sourit tendrement. Elle déposa ensuite sa main sur ma joue et approcha son visage du mien. Et puis, plus rien. Le temps s'écoula, mes yeux plongés dans les siens et inversement. De son pouce, elle caressa ma joue avant de passer sa main dans mes cheveux. Jade me faisait frissonner quoi qu'elle fit. Un regard, une caresse, le son de sa voix. Chaque raison de sa présence provoquait quelque chose en moi de nouveau, de chaud, de fort.
— Je me demandais...
Elle était hésitante. C'était la première fois depuis le début de la conversation. Je fronçai les sourcils, inquiet de voir qu'elle n'était pas encore suffisamment à l'aise pour me poser certaines questions.
— Parle sans filtre. Dis tout ce dont tu as envie. Je t'ai dit : je répondrai à toutes tes questions, ne sois pas mal à l'aise.
Jade hocha la tête sans pour autant reprendre le début de sa phrase en la poursuivant. Elle esquiva même mon regard pendant quelques secondes avant de prendre une respiration et de se jeter à l'eau.
— Je sais que ta famille est au courant pour moi... Est-ce qu'ils ont dit quelque chose à mon sujet ? Tu sais, sur ma nationalité ou... mon manque de titre ?
— Tu n'as vraiment aucun souci à te faire là-dessus, répondis-je aussitôt. Ils savent bien qui tu es et aucun d'eux n'a fait de commentaires sur le fait que tu ne sois pas issue de la noblesse ou que tu sois américaine. Ça les importe peu. De ce côté-là, nous ne sommes plus au Moyen-Âge. Cependant...
Je m'arrêtai. Pas assez vite, malheureusement, car Jade fronça les sourcils. Il fallait lui dire, mais j'aurais préféré garder cette information pour plus tard. Elle avait déjà tellement paniqué lorsqu'elle avait appris qui j'étais et si ça lui faisait peur également ? Jusqu'à quel point ma belle Jade était-elle courageuse ? Pourrait-elle tout supporter pour moi ? Était-elle prête à ça ?
— Dis-moi, murmura-t-elle d'une voix presque suppliante. Plus de secrets, tu te souviens ?
J'acquiesçai, le cœur un peu peiné. Je devais apprendre à faire confiance. À lui faire confiance. Je ne pouvais pas la protéger de tout, mais je pouvais déjà la préparer à affronter certains aspects de ma vie qui lui seraient, si notre relation perdurait, inévitables.
— Le seul problème... Je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot. Parmi ceux qui pourraient faire des commentaires à ce sujet, il y a la presse. Nous ne pouvons pas les contrôler et la presse anglaise est très... attachée à la famille royale et ils ont dû mal à accepter les étrangers. Il leur faudra du temps. Je pense qu'ils feront surtout des commentaires sur ta nationalité et pas sur ton rang social néanmoins. C'est déjà ça de pris, mais je sais que ça peut être très compliqué à gérer. Cécilia, qui est pourtant Anglaise et fille de noble, a eu un peu peur de ça. C'est surtout pour ça qu'elle a mis longtemps avant d'accepter de sortir avec mon frère. Au grand désespoir d'Eddie d'ailleurs, ajoutai-je sur un ton plus détendu. Lui qui avait toujours eu toutes les filles à ses pieds, Cécilia l'a fait beaucoup galérer.
Nous échangions un rire. Jade reprit ensuite la parole, me certifiant que ce que disaient les autres lui importait peu. J'espérais sincèrement que cela fut vrai, mais j'étais sceptique. Je savais que personne ne pouvait être insensible à cent pour cent aux propos de la presse, pas quand on possédait un cœur tel que celui de Jade. Il y avait toujours, à un moment donné ou à un autre, une remarque qui finirait par nous toucher, par nous blesser. J'en avais déjà fait l'expérience, tout comme chaque membre de la famille. C'était pour ça que j'évitais le plus possible de lire ce qui était publié dans la presse, mais ce n'était pas le cas de maman : ça faisait partie de son boulot d'entendre toutes les conneries écrites par les pseudo-journalistes. Son Secrétaire Privée l'en informait pratiquement quotidiennement.
— N'empêche, ta famille ne doit pas beaucoup m'aimer lorsqu'ils ont appris que j'avais arrêté la relation.
Jade fit une grimace, les yeux tristes. Elle se rallongea ensuite dans le lit, le regard bloqué sur le plafond.
— Pas du tout, lui avouai-je d'une voix rassurante. Au contraire, ils ont compris. C'est moi qui me suis fait engueuler pour avoir tardé à te le dire... et pour ne pas te l'avoir dit dès le début. Grand-mère n'était pas très fière de moi sur ce coup.
— C'est vrai ? s'exclama-t-elle en se tournant vers moi.
— Vrai de vrai. Tu n'as pas à avoir peur de ma famille ou de ce qu'il pourrait penser de toi. Il n'y a que deux choses qui leur importent réellement.
— Et quelles sont-elles ?
— La personne que tu es réellement et si tu me rends heureux. Je n'ai aucun doute que tu cocheras ces deux cases sans aucun souci.
Jade hocha plusieurs fois la tête, cette fois-ci accompagné d'un sourire crispé. Peut-être était-il un peu tôt pour discuter d'une rencontre avec ma famille, ou moi avec la sienne. Après tout, cela ne faisait que quelques heures que nous étions à nouveau ensemble. La monarchie devait déjà être suffisamment impressionnante à digérer pour elle, autant éviter d'autres sujets qui pourraient lui apporter du stress ou lui faire peur.
— Il est quelle heure ? me demanda-t-elle.
Je me tournai vers ma table de chevet où j'avais déposé mon téléphone et jetai un coup d'œil à l'écran sans le déverrouiller. Je me tournai ensuite vers Jade, m'installai plus confortablement et me mis à lui caresser la joue avant de répondre.
— Presque une heure du matin.
— Il commence à se faire tard, m'apprit-elle d'une voix peinée. Il vaudrait mieux que je rentre, il fait déjà nuit et plus j'attends, plus je serai flippée à l'idée de rentrer seule, dans la nuit noire.
— Tu pourrais rester, laissai-je échapper malgré moi.
Oh merde. Est-ce que j'avais dit ça à voix haute ? Ne pouvais-je pas réfléchir avant d'ouvrir la bouche ? Maintenant elle allait croire que je voulais déjà passer à la phase suivante alors que ce n'était pas du tout dans mes intentions et que l'idée ne m'avait pas frôlé une seule seconde.
— Je ne pense pas que ce soit très raisonnable.
— Tu as parfaitement raison, je suis désolé, dis-je aussitôt d'une voix angoissée. Je ne veux pas que tu penses qu'il y avait une allusion sexuelle à ma proposition, parce que ce n'était absolument pas le cas. Je pensais juste à t'avoir dans mes bras et à dormir, c'est tout.
— Tu devrais penser à respirer, me conseilla-t-elle avec un sourire au coin. Ai-je dit quelque chose qui allait dans ce sens ?
— Non, mais je ne veux pas que tu...
— Chut.
Jade posa le bout de ses doigts sur mes lèvres, me contraignant à me taire de la façon la plus délicate que je connaissais. Elle approcha ensuite son visage du mien avant de m'embrasser. Chacun de ses baisers paraissait être le premier par son intensité et toutes les sensations de fourmillements qui en découlaient.
— J'aimerais que ce soit ça, la première chose que je vois en me réveillant le matin, me confia-t-elle un peu gênée.
— Et moi j'aimerais que tu sois la dernière chose que je vois en m'endormant, ajoutai-je sur le même ton.
Les yeux dans les yeux, je ressentis comme une lutte à l'intérieur d'elle. La raison et l'envie devaient se battre en elle, comme cela avait déjà été le cas ces dernières semaines. La raison lui avait dit de ne pas m'approcher, l'envie nous avait donné notre premier rendez-vous. Ce dernier avait déjà gagné quelques batailles, mais jusqu'où pouvait-elle aller ? Je ne voulais pas la forcer, je ne voulais pas qu'elle eût des regrets plus tard. Je préférais la laisser venir à moi, comme je l'avais fait lors de notre première rencontre, comme cela s'était encore produit il y avait quelques heures de cela. Si certaines choses devaient arriver, ce ne serait pas notre volonté commune. Si nous devions avancer ensemble, c'était ce qui arrivera.
— Je n'ai ni de brosse à dents ni de vêtements de rechange.
Sa déclaration me surprit tant elle était inattendue. Pourquoi se justifiait-elle ? Elle était dans ses droits de partir, elle n'avait absolument excuse ou précision à me donner.
— Oh, ben, j'ai toujours des brosses à dents en réserve si tu veux, dis-je sur le ton de la plaisanterie. Par contre, je ne peux pas t'aider pour les vêtements, je crois qu'ils seront trop grands pour toi.
Jade ne répondit rien. Encore une fois, elle semblait réfléchir. J'aurais dû donner pour savoir ce qu'il pouvait bien se passer dans sa jolie tête. Assurément, elle devait poser le pour et le contre de la situation, imaginer tout ce qui pourrait se passer. Nous étions si ressemblants sur ce point. Toujours à espérer ou à paniquer. Toujours à craindre le pire, à imaginer le meilleur.
— Je suis trop fatiguée, finit-elle par dire en baillant.
— Je comprends.
Je m'apprêtai à attraper le pan de la couverture et nous en découvrir quand Jade, toujours en bâillant, passa une jambe de l'autre côté de mon corps et se trouva au-dessus de moi. Je restai immobile, l'air hagard, alors que je la vis tendre le bras vers ma table de chevet.
— Qu'est-ce que tu fais ? dis-je d'une voix perdue.
— Je viens de te dire que j'étais fatiguée, dit-elle avec sérieux. J'aimerais bien dormir, si ça ne te dérange pas !
Avais-je, moi aussi, perdu le fil de réalité pendant quelques instants ? Avais-je zappé le moment où elle m'avait dit qu'elle restait dormir ? Depuis que nous nous étions retrouvés, j'avais réussi, en grande partie, à rester dans le moment présent sans trop le quitter. J'étais donc persuadé de n'avoir manqué aucun de ses gestes ni même de ses mots. Non, j'en étais sûr : elle n'avait rien dit. Pourtant, elle était là, le doigt sur la prise de ma lampe de chevet, prête à éteindre et à s'endormir dans mes bras.
— Tu veux bien me faire un sourire avant qu'on soit dans le noir ? Je préférerais retenir ça comme dernière image plutôt que ton regard paniqué.
— Je ne suis pas paniqué, me défendis-je difficilement. C'est jusque que... je m'y attendais pas.
— Tu veux que je parte ?
— Je veux que tu fasses ce dont tu as envie, selon ta seule et unique voix.
— Bien. Alors, je l'attends ce sourire.
Et ce que je fis. Sans me forcer, poussé par la spontanéité de Jade, mais surtout par le bonheur qu'elle faisait naître en moi depuis ce tout premier baiser, il y avait à peine quelques heures.
Ses yeux furent la dernière chose que je vis avant que la lumière ne disparût. La seconde d'après, Jade se remit sous la couette, blottie tout contre moi. Avant d'avoir pu se souhaiter la bonne nuit, elle s'était déjà endormie.
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