Chapitre 9
Après avoir longé plusieurs couloirs interminables, Abelina s'arrête devant une grande porte en bois foncé et se tourne vers moi.
– C'est ici.
Elle rebrousse déjà son chemin.
– Tu ne viens pas avec moi ?
La panique s'insinue dans chaque recoin de mon corps. Je ne veux pas affronter tous ses gens, seule. Je me sens déjà débrousser à chaque nouveau pas que je fais, mais là c'est pire. Ils vont tous me juger et m'analyser. Je vais être la bête de foire.
Son regard peiné ne se détourne pas du mien.
– Je ne le peux pas, ma Dame Lindsey. Nous avons l'interdiction d'y aller. Mais ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
Sa main se pose sur mon bras et exerce des petits mouvements de haut en bas. Abelina est plus jeune que moi et pourtant elle me rassure comme une mère pourrait le faire à son enfant.
Je lui souris et la remercie silencieusement de son soutien. Elle part lentement jusqu'à ne plus être dans ma ligne de mire. Je reste droite comme un I devant cette porte. J'arrive à entendre des voix d'hommes rire et s'exclamer avec forces.
Je pose mes mains sur mon ventre et me caresse tendrement.
– Tout va bien aller.
Cela fait longtemps que je n'avais pas parlé à mon bébé, trop occupé par tout ce qui m'est arrivé. J'aime faire ça pourtant, c'est rassurant et j'ai l'impression de créer un lien invisible, qui se renforce de jour en jour, avec mon enfant.
Un souffle un bon coup et actionne la poignée de cette porte. Ma respiration se bloque lorsque je découvre les lieux.
La salle est immense. Plusieurs groupes d'hommes peuplent les coussins au sol. L'alcool coule à flots, accompagné par de maigres provisions. Une vingtaine de femmes, vêtues de la même manière que moi, mais plus légèrement, sont postées derrière quelques hommes. Elles ventilent, nourrissent, massent les hommes devant elles, comme si elles n'étaient rien d'autre qu'un simple objet à disposition de ces créatures répugnantes.
Je crois rêver. Suis-je vraiment tombé dans un monde ressemblant à celui que nos ancêtres avaient ? Où les femmes ne sont là que pour la progéniture qu'elles doivent donner. Sans oublier d'être à l'écoute et sans force de caractère face à leurs maris ?
Non, pitié, non...
Ce n'est que maintenant, lorsque je regarde vraiment tout le monde présent, que je constate que tous les regards – sans exception – sont tournés vers moi. Ma main, toujours posée sur mon ventre rebondi, attire elle aussi énormément l'attention de toute la salle.
Au loin, Gail se détache du groupe d'homme avec lequel il se trouve et s'approche d'un pas rapide. Une fois arrivé à ma hauteur, il pose sa main dans mon dos et exerce une légère pression pour me faire avancer.
– Suis-moi.
Remarquant que je deviens de plus en plus blanche, menaçant dangereusement de tomber dans les pommes, il tente de me rassurer.
– Détends-toi. Tout va bien se passer.
– Comment peux-tu en être si sûr ? J'ai plus un mauvais ressenti moi, si tu veux tout savoir, réussi-je à dire malgré la pression qui pèse sur mes petites épaules.
– Parce que je ne vais pas te lâcher. Je vais rester près de toi.
Mon regard accroche le sien alors que nous continuons de marcher à travers le monde présent dans la salle. Ses paroles me font un bien fou. J'ai envie de lui faire confiance. Il est le seul, avec Abelina, à me considérer comme une vraie personne et non comme une bête de foire présente uniquement par intérêt.
Le roi Zenon se lève lorsque nous approchons de lui. Je me crispe et ralentis la cadence, ne voulant en aucun cas être près de cet être infâme. Gail me prodigue une petite caresse dans le dos, discrètement, dans le but de m'encourager à affronter cet homme. Il sait tout comme moi que je dois lui obéir, même si c'est à des années-lumière de me plaire.
– Enfin, la femme de la soirée nous honore de sa présence !
D'un regard dur, il incite Gail à s'éloigner de moi, m'enlevant le peu de courage que j'avais réussi à avoir grâce à lui. Ses bras s'écartent et viennent m'encercler.
J'aimerais tellement monter mon genou, pour que celui-ci arrive malencontreusement dans ses parties génitales. Oh, oui, ça serait génial !
Il se retourne vers le groupe d'hommes, sans pour autant me lâcher. Il se place sur le côté et pose une main sur mon ventre. Alors là il en est hors de question !
Je tape légèrement sa main et la pousse de mon ventre. Cela ne semble pas lui plaire, puisqu'il tourne brusquement son regard soir comme de l'encre dans le mien. Il se penche vers mon oreille et me souffle ses quelques mots qui me glacent le sang :
– Refais ça encore une fois et c'en est fini pour ton gosse. Il n'aura même pas le temps de respirer qu'il ne sera plus de ce monde. Suis-je clair ?
J'avale difficilement ma salive. Le roi se retourne vers son public un grand sourire plaqué sur le visage, pendant que moi je me perds dans celui de Gail, qui montre son inquiétude grandissante. Sa proximité avec nous lui a surement permis d'entendre les horribles paroles que le roi Zenon vient de me dire.
– Mes amis, je vous présente Lindsey. Comme vous pouvez le constater, elle porte la vie !
Sa main se repose sur mon ventre et exerce des caresses, beaucoup trop durement. Je garde quant à moi mes yeux ancrés dans ceux de Gail, qui ne cille pas non plus et m'encourage d'un signe de tête. Lorsque son regard tombe sur la main de son roi sur mon ventre, sa mâchoire se serre et ses sourcils se froncent.
Savoir avec cette simple réaction qu'il a le même ressenti me rassure. J'ai de nombreux hommes non loin de moi, et pourtant seul un est différent des autres : Gail. Enfin une personne de la gent masculine qui n'a pas l'air de pensée qu'une femme n'est qu'une moins que rien, mis à disposition pour mettre au monde des enfants.
Le roi Zenon me coupe dans mes pensées lorsque je l'entends prononcer une phrase de plus.
– La prophétie nous apportera prospérité ! Nous allons la suivre à la lettre, comme l'aurait fait ce crétin de roi Bryden. Je vous annonce alors mon prochain mariage avec la Déesse ! Ainsi, nous pourrons mettre fin au Royaume de Sybellis !
Il me pousse dans le dos pour me mettre en avant. Tous les hommes de la salle, à son écoute, se lèvent et le félicitent du futur rayonnant qui l'attend. Ils sont tous heureux. Sauf Gail. Il fixe avec un visage rempli de haine son roi. D'un pas décidé, il s'avance vers lui.
Ne se rend-il pas compte de ce qu'il fait ? Il est fou !
Il va à sa perte s'il attaque son roi devant tout ce monde. En moins de deux il sera maitrisé par des gardes et cela signera sa fin. Il faut à tout prix que je l'arrête dans sa lancée.
Je me place dos à lui, face au roi Zenon, attirant immédiatement son attention sur moi. De mon bras le pousse Gail qui m'arrive dessus. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, je m'effondre au sol.
Gail s'accroupit immédiatement vers moi, alors que le roi n'a pas bougé et me fixe, surpris. Gail me tend son bras pour m'aider à me relever, toutes idées de rébellions ne faisant plus acte de présence dans ses yeux. Il s'inquiète seulement pour moi à cet instant, et c'est tant mieux.
Je me relève difficilement.
– Excuse-moi, je ne voulais pas...
– Ne t'inquiète pas Gail, je n'ai pas fait attention non plus. Peux-tu aller me chercher un verre d'eau s'il te plait ? Je meurs de soif.
J'essaie de l'éloigner d'ici, et constate qu'il m'a compris lorsqu'il jette un coup d'œil sur le roi derrière moi et acquiesce d'un signe de tête.
Je me retourne et face maintenant face au roi Zenon. Celui-ci fronce ces sourcils en regardant Gail partir.
– Comment cela un mariage ? Je...
– Vous n'avez pas le choix, déesse, murmure-t-il discrètement pour ne pas que les autres personnes autour ne l'entendent pas.
– J'aurai aimé que vous m'en parliez avant ! m'indignai-je sans porter ma voix.
– Et pourquoi ? Cela n'aurait rien changé.
Il se tourne vers les hommes.
– Veuillez nous excuser, je dois parler avec ma future femme. Buvez pour moi !
Sans perdre de temps, il m'agrippe fermement le bras et me fait traverser la salle rapidement pour que nous sortions par une petite porte adjacente. Il me plaque fortement sur le mur, et approche son visage du moins. Il est beaucoup trop près.
– Tu crois vraiment que c'est le moment d'en parler, petite idiote ?
– Je ne vous permets pas de me tutoyer !
– Oh, mais je vais me gêner ! Surtout lorsque notre ami Gail le fait devant tous mes invités ! hurle-t-il.
– C'est un ami et...
– Cela ne fait que quelques jours que tu es là et tu sautes déjà sur le premier homme que tu trouves ? Eh bien, tu es comme toutes les femmes d'ici !
Il rapproche son visage encore plus près du mien, faisant projeter son haleine remplie d'alcool sur mon visage. Je tourne mon visage sur le côté.
– Attends ce soir de te retrouver dans mon lit et j'assouvirais tes désirs déesse.
Il attrape mon menton et tourne mon visage vers lui avant de poser brutalement ses lèvres sur les miennes. Je me débats et tente de le frapper, mais il saisit mes poignets avec l'une de ses mains et maintient ma tête avec l'autre. Il force le passage de ma bouche en y insérant sa langue. Je fais de cette occasion mon ticket de sortie en lui mordant sauvagement et avec toutes mes forces sa langue. Il me lâche tout en criant rageusement. Il porte sa main à sa bouche et du sang orne ses doigts.
Je crois que je ne l'ai pas raté. Et je ne peux m'empêcher d'en être fière.
Un garde arrive en courant vers son roi.
– Tout va bien mon roi ?
– Emmenez-la dans ma suite. Oh, et mettez-lui à manger, il lui faudra des forces pour ce que je lui réserve. Ne l'a touché pas, elle est à moi.
Il accompagne ses paroles d'un crachat ensanglanté sur le sol. Ma gorge se serre. J'ai peur.
– Bien, mon roi, dit le garde en faisant une révérence.
Il ne mérite pourtant aucun respect.
Il part d'un pas rapide dans le couloir, tandis que le garde me lance un regard mauvais et me pousse dans une autre direction.
Je profite du fait qu'il ne me tienne pas pour courir aussi vite que je le peux dans les couloirs. Mais je suis – trop vite – rattrapé par cet homme.
– Où crois-tu aller comme ça, femme ?
Son regard se fait encore plus menaçant que tout à l'heure. Il saisit violemment le haut de mon bras et continu son chemin, sans tenir compte de ma faiblesse. Je n'arrive pas à marcher aussi vite que lui. De nombreuses fois sur le chemin, j'échappe de justesse de m'effondrer sur le sol.
Mes forces partent de plus en plus, tétanisées par la peur.
Il finit par ouvrir une porte et me pousse à l'intérieur. Je m'écrase sur le sol dur de la suite, sous le regard indifférent de l'homme. Heureusement pour moi je suis tombé sur les fesses. Même si elles me font mal, à cause du coup, je préfère ça à mon ventre. Mes mains se posent d'ailleurs dessus.
Il s'avance d'un pas menaçant vers moi, me regardant de haut, comme si je n'étais qu'une moins que rien.
– Tu as de la chance que le roi ait précisé que je ne devais pas te toucher. Il n'a pas pour habitude d'être possessif d'habitude. Profites-en.
La porte claque, mais je ne bouge pas. Mes membres tremblent. Mes yeux pleurent toutes les larmes de mon corps. Des spams prennent possession de mes membres. L'angoisse me serre la gorge, rendant ma respiration plus difficile.
Avec le peu de force que j'ai encore, je me relève et tente de trouver une issue de secours. Fenêtres, porte, rien n'est ouvert. Je m'agenouille dans un coin et laisse tomber ma tête, déversant encore ma peine et ma peur.
– Pourquoi... Pourquoi moi...
Le bruit de la porte se fait alors entendre, me faisant d'autant plus trembler. Non, non, non...
Presque aussitôt, elle claque de nouveau. Je me lève alors et me dirige discrètement, à pas de loups, vers la porte. Lorsque mes yeux se posent sur un plat garni de nourriture, mon estomac se tord. Portée par la peur, le soulèvent le plateau et le balance rageusement sur la porte. Tout le contenu recouvre la porte et le devant. On pourrait dire que c'est presque de l'art.
– Je ne mangerais pas ! Foutez-moi la paix, bordel !
J'avais raison, cette soirée est horrible et encore même le mot n'est pas assez fort.
Des larmes coulent de nouveau. Je ne pensant pas en avoir encore en stock, mais il faut croire que si. Je m'approche d'un mur et me laisse glisser jusqu'à me retrouver, comme tout à l'heure, la tête recroquevillée sur les épaules, les jambes pliées.
– Laissez-moi tranquille, bon sang... Laissez-moi tranquille...
– Vite, levez-vous, ma Dame Lindsey !
Rapidement, j'ouvre les yeux, affolée.
– Venez, dépêchons-nous !
Je ne pose pas plus de questions et me lève avec l'aide d'Abelina. Elle m'attrape la main et me tire à sa suite en dehors de cette chambre maudite. Dans le couloir elle marche vite, mais de manière plus discrètement, comme si elle ne voulait pas paraître suspecte. Au bout d'un moment je reconnais enfin quelque peu les lieux. Elle me ramène dans ma chambre.
Une fois à l'intérieur, elle la ferme et se colle dessus en fermant les yeux, pour reprendre son souffle. Je reste face à elle, attendant ces explications. Comment a-t-elle su que j'étais là-bas ?
– Tout va bien maintenant, ma Dame Lindsey. Il ne viendra pas vous chercher.
– Comment peux-tu en être sur ? Et puis comment as-tu su que j'étais dans sa chambre ?
– Vous savez, ce qu'il y a de bien quand les hommes sont odieux avec nous les femmes, c'est que nous sommes très soudées.
– Mais, je ne comprends pas...
– Une des femmes présentes dans la salle m'a prévenu que le roi se vantait d'avoir la déesse dans son lit ce soir. Dès que je l'ai su, je suis venue aussi vite que j'ai pu.
– Mais cela ne veut pas dire qu'il ne viendra pas me chercher ! Oh, Abelina, je suis morte de peur, il a dit qu'il... Qu'il... sanglotai-je.
– Faites-moi confiance, la femme m'a aussi dit qu'il était saoul. Et lorsque notre roi est dans cet état, il ne se souvient pas de grand-chose. Vous n'aurez qu'à lui dire quand vous le verrez qu'il vous a dit de partir dans votre chambre.
– Je ne suis pas sûr que...
– Crois-moi Lindsey, bon sang ! s'énerve-t-elle.
J'écarquille les yeux. Elle a raison, je ferai bien de lui faire confiance. Après tout, Gail et elle sont les seuls sur qui je peux vraiment compter ici.
Mon Dieu, Gail ! Il ne faut surtout pas le mettre au courant de ce qu'il s'est passé.
– D'accord, je te crois ! Mais ne dis rien à Gail, le conseiller du roi.
– Pourquoi ?
– Qu'est-ce que je ne dois pas savoir ? s'exclame la voix de Gail, après qu'il est fermé la porte derrière lui.
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