Chapitre 5
Une grossesse est censée être une période où l'on découvre de nouvelles sensations, accentuant toutes les meilleures émotions que l'on a pu vivre avant dans notre vie. J'ai attendu ça pendant longtemps. Je me suis imaginé beaucoup de choses sur cette période. Je me voyais me chouchouter, contempler mon ventre grossissant dans chaque miroir qui se trouverait devant moi, partager ma joie avec le monde entier et accueillir à la fin l'être de mon bonheur à venir.
Je n'ai jamais pensé que je me retrouverai dans un endroit où je ne connais rien ni personne. Je n'ai jamais imaginé que ma grossesse pourrait révulser quiconque serait au courant. Je n'ai pas eu l'imagination assez débordante pour avoir l'idée que ma grossesse allait se trouver en plein milieu d'une prophétie.
Je n'arrive plus à me dire que tout est irréel. Puisque tout parait vrai.
Tout a changé en si peu de temps dans ma vie, que j'en perds le fils. D'abord la perte du dernier repère de ma vie, ma grand-mère. Puis l'attente magique de mon futur bout de chou. Je respirais enfin de nouveau après ces semaines de solitude difficile. Mais il a fallu que tout reparte en vrille, et que je me retrouve ici. Dans un monde où je ne connais rien et où je suis la cible d'une histoire divine.
Pourquoi moi ?
Maintenant que j'ai compris – ou du moins que je pense avoir compris – pourquoi je me retrouve ici, cette question persiste dans mon esprit. Ils n'auraient pas pu trouver une autre boniche pour changer leur
vie ? Et me laisser en paix par la même occasion. Je n'ai jamais voulu ça.
Au lieu de ça, je me trouve dans une chambre qui va finir par devenir mon refuge. Si ça ne l'est pas déjà. Je déverse, une fois de plus, toutes les larmes de mon corps. Cette situation me fatigue et me bouleverse plus qu'il ne le faudrait. Épuisée même si le soleil persiste encore dans le ciel, je me m'étends de tout mon long sur le lit. Avant que je n'aie le temps de me laisser emporter dans le monde des rêves, on frappe à ma porte. Voyant qu'on attend une réponse, je réponds agressivement, ne souhaitant voir personne.
– Partez !
Une petite voix se fait entendre lorsque ma porte s'ouvre légèrement. Line n'ose entrée plus dans la chambre, restant timidement au pied de la porte entrouverte. J'engouffre ma tête dans la tonne de coussins présents vers le haut du lit. Je ne veux pas que l'on voie mon visage ravagé.
– Ma Dame, le repas va être servi, énumère-t-elle en réalisant une courbette idiote.
– Je ne veux pas descendre Line, réponds-je en sortant ma tête des coussins.
Lorsqu'elle constate avec effroi ma mine déconfite, elle referme la porte derrière elle délicatement et s'avance doucement vers le lit. Restant debout, droite comme un I, je lui fais signe de s'assoir, au moment où je me relève à mon tour et pli mes jambes en tailleur.
Baissant la tête sur mon ventre, je ne veux pas voir son visage déçu à elle aussi face à ma grossesse de plus en plus visible. J'exerce de petits ronds sur mon ventre, dans le but de m'apaiser. Le silence est roi dans la pièce, aucune de nous deux n'ose parler la première.
Même si nous ne faisons rien, la présence de Line me détend. J'ai la sensation que je peux me confier à elle. Malgré que je ne la connaisse pas. Son visage inspire la confiance et la bienveillance. Je remonte mon regard vers le sien et mon souffle se bloque.
Line sourit en fixant mon ventre. C'est la première personne que je vois et qui semble heureuse de ma situation. Je pourrai de nouveau pleurer, rien que pour cela, si mes yeux possédaient encore quelques larmes.
– Tout le monde est effrayé ma Dame.
– À cause de la prophétie ? Compété-je en me souvenant de ce que Filly m'a conté il y a peu.
Possédant un petit sourire en coin, Line me regarde surprise.
– Oh non ! La prophétie nous a donné l'espoir de votre venue. C'est plutôt la guerre et la mort omniprésente autour de nous qui nous fait peur, ma Dame.
– Appelez-moi Lindsey, Line. Je n'ai aucun titre.
– Comme vous le voudrez Lindsey, me sourit-elle radieusement.
Je le lui rends et regarde de nouveau mon ventre. Je pourrai le contempler pendant des heures et des heures.
– À combien de jours en être vous ?
– De jours ?
– Oui, pour votre futur enfant ? questionne-t-elle.
– Oh, j'en suis à un peu plus de ma neuvième semaine de grossesse. Mais je ne pourrais pas vous dire le nombre de jours ! J'attends sa venue avec impatience malgré la situation dans laquelle je me trouve, rétorqué-je.
– Là d'où vous venez, les femmes arrivent à... vous savez... Ajoute-t-elle tristement.
– Oui, lui dis-je en la rassurant. Elles arrivent toutes à donner naissance et à vivre paisiblement. Il y a toujours des exceptions, mais... oui.
Après ma réplique, Line fronce ses sourcils. Elle tente de me dire quelque chose, puisque qu'elle ouvre la bouche, mais fini par la refermer avant que le moindre son ne franchisse la barrière de ses lèvres. Abaissant ma tête vers elle, j'essaie de l'inciter à parler.
– Je suis désolée... me murmure-t-elle en cachant son visage de ses mains frêles et blanches.
– Pourquoi vous excusez-vous ? Répliqué-je doucement, ne comprenant pas la cause de ses paroles.
– Sans la prophétie, vous pourriez vivre heureuse. J'ai l'impression que nous avons scellé votre destin... ajoute-t-elle avant qu'un sanglot ne sorte de sa bouche.
Étant touchée par son émotion, je me lève du lit et viens m'assoir juste à côté d'elle. Après une brève hésitation, je la prends dans mes bras, essayant de l'apaiser. La seconde suivante, elle m'entoure et me rends mon étreinte. Elle me parait si fragile dans cette situation. Je serai sans cœur si je ne succombe pas à l'envie de la réconforter.
– Ma vie a changé Line. Mais je vais me battre pour vivre heureuse et pouvoir serrer mon enfant dans mes bras. Ce n'est pas une prophétie qui va m'en empêcher.
Un bref rire sort de ma bouche à cette phrase. Line me suit et nous finissons par rire sans savoir la réelle raison. Que cela fait du bien...
Lorsqu'elle s'écarte de moi, je lui essuie la dernière larme qui perle encore sur sa joue. Mes paroles précédentes étaient dans le but premier de réconforter Line. Mais je me rends compte que je les pense. Je vais me battre. Pour moi, et pour mon futur bambin. Je donnerai tout ce que j'ai pour passer à travers la malédiction qui tombe sur toutes futures mères et sur leurs nouveau-nés.
– Que diriez-vous de manger dans ma chambre toutes les deux ?
Gênée, elle triture ses doigts, soudainement tendus.
– Je ne peux pas. Les domestiques ne mangent pas avec les personnes comme vous. C'est la règle.
– Et si personne n'est au courant ?
– Mais ils vont me poser des questions si j'apporte un plateau pour deux dans votre chambre !
Réfléchissant deux secondes, je pense à une idée...
– Alors je vais y aller ! Attendez-moi ici ! dis-je, contente de la soirée qui s'annonce avec ma nouvelle amie Line.
Précipitamment, je me lève du lit et me dirige vers l'un des fauteuils pour récupérer le châle que j'avais posé. Line m'attrape le bras, pour me stopper dans mon élan, avant que je m'arrive vers la porte.
– Vous ne pouvez pas... Je...
– Ne vous inquiétez pas, je vais être discrète, ajouté-je me plaçant ma grande capuche sur ma tête et en arborant un sourire.
Posant ma main sur la sienne, elle desserre sa prise sur mon bras avant de laisser tomber le sien le long de son corps, signe d'approbation.
Si elle savait à quel point la discrétion et moi on n'est pas copine, elle ne m'aurait pas laissé passez la porte...
Ça a été un vrai parcours du combattant de trouver la cuisine. N'oublions pas que je ne connais pas cet endroit. Seule ma chambre, le salon et la porte d'entrée – ou de sortie – sont connus de ma personne.
J'ai suivi deux trois dames en tenues, comme Line, et au bout d'un moment j'ai suivi mon odorat. Heureuse que personne ne m'ait aperçu dans les cuisines, je repars des cuisines pour tenter de retrouver ma chambre, tenant le plateau pas trop près de mon ventre, pour ne pas faire ressortir sa forme ronde.
Tournant depuis dix bonnes minutes, je m'arrête pour demander le chemin à une personne. Une vieille dame me voit et se précipite vers moi.
– Ah vous voilà ! Il vous attend, dépêchez-vous.
N'ayant pas le temps de dire le moindre mot, je me fais entrainer par cette femme à travers un long couloir. Au bout, elle frappe à une grande porte en bois massif et l'ouvre lorsqu'un grave « entrez » résonne entre les murs. Mon cœur martèle dans mon corps lorsque je crois reconnaître à qui cette voix appartient. Bryden.
Quelle poisse, ma parole...
La vieille dame me pousse sans ménagement dans la pièce, avant de fermer la porte derrière moi. Sa voix grave résonne de nouveau entre les murs de la pièce que je pense être l'une de siennes.
– Posez-le sur la table du salon, ordonne-t-il.
Et la politesse ?
N'essayant pas de faire de vague et de me faire repérer, j'obtempère sans rien dire et pose le plateau sur la table qu'il m'a indiquée. Je rebrousse chemin une fois cela fait, pour partir le plus vite possible d'ici. Sa voix fait écho encore une fois et glace mon sang d'appréhension.
– Qu'est-ce que c'est que ça ? gronde-t-il.
Apparemment, il n'aime pas trop les beignets aux épices que j'ai posés sur le plateau. Pourtant moi j'en raffole. C'est trop bon...
Me tournant face à lui en cachant ma tête avec le châle, je tente de faire une petite courbette improvisée, en guise d'excuse, pour échapper à ses foudres. Ses pas lourds se font de plus en plus entendre et avant que je ne réalise qu'il s'avance vers moi, il m'a déjà retiré ma capuche. Brusquement je relève la tête avec un petit sourire. L'envie de dire « surprise » me vient à l'esprit, mais je la réprime. Je ne suis pas suicidaire. Et au vu du regard noir qu'il me lance, autant ne pas le chauffer.
– Désolé, chuchoté-je avant de me tourner et d'actionner la poignée de la porte.
Mais malheureusement, je ne suis pas assez rapide pour lui puisqu'il enlève ma main – durement fixé – violemment, me blessant par la même occasion le poignet. Ne me lâchant pas, il réplique :
– Que faites-vous ici ? dit-il avec sa voix grave, me provoquant un long frisson sur le long de ma colonne vertébrale.
– Je... J'avais faim et la dame m'a vu et m'a emmener ici, répliqué-je après mettre racler la gorge, devenue sèche lorsque j'ai vu à quel point son visage était près du mien.
N'étant pas convaincu par mes dires, il me dévisage avec méfiance.
– Vous souhaitez de nouveau vous enfuir, c'est cela ? Répondez ! hurle-t-il face à mon silence.
Je sursaute malgré moi. Lorsqu'il pose ses doigts sur mon menton pour me faire relever la tête, je réagis enfin. D'un mouvement brusque, j'arrache ma main de son emprise et écarte ses doigts de son visage.
– Je ne vous dois rien ! Je vais où je le souhaite, est-ce clair Bryden ? Hurlé-je à mon tour, insistant sur son prénom pour lui faire comprendre que ce n'est pas la place sur son trône qui m'effraie.
Par chance, j'ai fait du théâtre étant plus jeune. Croyez-moi, j'ai peur. Je suis même effrayée par la noirceur de ses yeux grisés. Je tente de ressortir ce que j'ai appris dans ma jeunesse et lui faire face avec plus d'ardeur qu'il ne le voudrait. Au vu de son regard surpris posé sur moi, j'en déduis que je n'ai pas trop perdue. Je vois sa mâchoire se serrer dangereusement.
Profitant de sa stupéfaction qu'il lui reste, je le pousse – ne le faisant pas bouger d'un millimètre – et ouvre la porte pour sortir d'ici. Sans qu'il ne me retienne, je pars et essaie de retrouver la cuisine une seconde fois, mais sans me cacher. Après tout, maintenant, suite à l'altercation que l'on vient d'avoir, le fait que je vais me chercher à manger doit être le cadet de ses soucis.
Je suis fière de la manière dont je lui ai répondu sans me laisser faire par son ton supérieur. Mais soyons honnêtes, ça risque de chauffer pour moi plus tard. Et pour lui aussi, malgré le fait que son regard perçant m'effraie, j'ai un bon caractère qui peut facilement rivaliser avec le sien.
Sans faire attention aux regards que l'on me porte dans la cuisine, je prépare de nouveau un plateau pour deux et sors rapidement. Ne voulant pas perdre plus de temps inutilement maintenant que je ne me cache plus, je demande à la première femme que je vois de me conduire à ma chambre.
Lorsque je rentre, Line me saute presque dessus, faisant bouger dangereusement le plateau, avant de me bombarder de questions pour savoir pourquoi j'ai mis autant de temps à revenir.
Lui répondant calmement, je lui explique ce qu'il s'est passé sans en rajouter ou en oublier. Je vois son visage passer par plusieurs d'émotions à la suite : la peur lorsque je me suis retrouvée dans sa chambre, l'étonnement face à ma réplique et puis l'amusement face à la tête – que j'ai bien décrite – qu'il a fait par la suite.
Nousavons passé notre fin de soirée à discuter. Elle m'a posé beaucoup de questionssur ma vie d'avant. Je dois dire que ça m'en a presque fait oublier où je metrouvais et ce que j'avais vécu ses deux des bons souvenirs. Et pour une fois, j'ai bien dormi...
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