➳ Chapitre 39
La tension était à son comble. Bien vite, Luke et Mike durent traverser le couloir à quatre pattes pour ne pas être vus par les spectateurs, et alors qu'ils allaient monter sur scène, Mme Jones ferma la porte qui y donnait accès. Nous qui voulions les regarder...
Quelques minutes plus tard, alors qu'Alice et moi tournions en rond, fébriles, nous entendîmes des applaudissements qui nous parurent lointains, et la porte s'ouvrit sur un Mike et un Luke excités qui s'exclamèrent :
— C'est trop génial ! En plus ils sont à fond !
— Taisez-vous ! intervint Mme Jones, je vais ouvrir la porte pour faire passer Emilie et Alice !
Nous devions être dans la petite salle située juste à côté de la scène deux prestations avant la nôtre. Il était l'heure d'y aller, et mon coeur s'emballait déjà.
— Bonne chance ! chuchotèrent-ils, excités comme des puces
— Vous verrez, vous voudrez y rester ! ajouta Luke, à voix basse
Je lui souris et me faufilai derrière Alice. Je traversai le couloir accroupie et arrivai dans la petite salle où Lucie et d'autres danseurs patientaient, ainsi que Gaël et d'autres acteurs. Anxieuse, je m'aperçus que mes mains tremblaient et je commençai à les secouer et à respirer lentement par le bouche pour me calmer. Les spectateurs ne nous voyaient pas. Nous étions dans une salle à côté de la scène, un peu en dessous.
Caitlin et Zoey apparurent à l'embrasure de la porte qui donnait accès à la scène en sautant et chuchotant :
— C'est incroyable ! Vous verrez !
Elles repartirent très vite, et Lucie et son groupe montèrent sur scène, à leur tour. J'entendais des tonnerres d'applaudissements résonner. Encore un numéro et c'étaient à nous... Le stress commençait à se faire ressentir par Alice : elle faisait les cent pas en se tortillant. Gaël et les autres, deux garçons dont j'ignorais le nom, attendaient calmement leur tour, qui arriverait dans quelques secondes. Je me fis la réflexion que d'un point de vue externe, la situation pourrait paraître comique... D'un côté ceux qui ne se prennent pas la tête et sont relaxés, et de l'autre ceux qui s'inquiètent pour rien, et rôdent comme des lions en cage.
Lucie reparut avec les danseurs, un sourire soulagé et heureux aux lèvres.
Les acteurs prirent leur place.
Mon coeur cognait tellement fort dans ma cage thoracique que je ne pouvais dénombrer les battements. Mon corps tout entier tremblait de fièvre et d'anxiété. Les secondes paraissaient durer des heures. Je voulais en finir, je voulais y aller, découvrir cet étrange sentiment que ressentaient les chanteurs.
Et lorsque Gaël et ses acolytes quittèrent la scène et que Mrs. Jackson nous présenta, je voulus disparaître dans un trou de souris. Juste avant de rejoindre la scène, les frimousses encourageantes de Luke et Mike apparurent derrière nous, et je gravis les dernières marches qui nous séparaient de la scène.
Le coeur battant, invisible grâce aux fumées bleues à l'odeur entêtante et sous des applaudissements, je m'avançai aux côtés d'Alice. Les projecteurs nous éclairèrent. Et c'est là que je compris. C'est là que je compris qu'être sur scène était merveilleux.
Pléthore de personnes s'étendaient devant moi, mais toute ma peur et toute ma timidité s'étaient évaporées en même temps que les fumées bleues. Confiante, j'attrapai mon micro, en laissant un grand sourire, franc et émerveillé, prendre place sur mon visage.
Les premières notes se firent entendre, et Alice commença à chanter, aussi confiante que je l'étais.
La première impression que j'eus fut que j'étais dans mon élément. Les paroles sortirent d'elle-même de mes lèvres, sans que je n'eus à réfléchir. C'était naturel. Je les vis rentrer dans les cœurs des personnes devant moi, qui devinrent, le temps d'une chanson, mes confidents. C'était un autre monde, un univers complètement différent. Et je m'y plus.
En entendant les dernières notes retentir et en voyant les visages admiratifs et heureux des spectateurs, je regrettai que ce fut terminé. Je voulais y rester, et ne jamais quitter cet endroit. Je compris et approuvai ce que Luke avait voulu me dire, juste avant : la scène était une drogue à elle-seule. On y goûtait une seule fois, et on était accro.
Alice et moi quittâmes la scène sous un déluge de sifflements et d'applaudissements. Ma première fois sur scène venait d'avoir lieu. Et j'étais euphorique. Je l'avais vécue avec Alice, ma sœur de cœur.
— Alors ?! chuchotèrent Mike et Luke, impatients
— C'est une drogue ! soufflai-je, en passant devant eux. Je veux y retourner !
— Je te l'avais dit, murmura Luke, les yeux brillants
Je lui souris et traversai à nouveau le couloir pliée en deux, juste derrière Alice, et lorsque Mme. Jones ferma la porte, je courus jusqu'à mes affaires en me retenant d'hurler de joie, comme Alice.
Je m'efforçai de faire redescendre mon euphorie et d'enfiler la tenue suivante, qui se trouvait être celle pour mon duo avec Luke. Ça y était ! Voilà que j'étais à nouveau impatiente ! Je me sentais prête à accélérer le temps rien que pour pouvoir y aller maintenant !
Je me retournai vers le mur et me vêtis rapidement de mon pantalon noir et de mon haut court à paillettes. Je m'esclaffai toute seule en me rendant compte que mon père jugerait cette tenue et la suivante indécentes.
— Oh mon dieu, jura Gaël, derrière moi, Luke ne va pas regarder le public, ça je peux te le dire !
— C'est clair, approuva Alice en sautant de joie, il va carrément oublier les paroles !
Je commençai à rire. Ils exagéraient, comme toujours !
Je me mis devant eux, les mains sur les hanches
— Ah oui, vraiment ? Moi je crois que quand on est sur scène, on oublie tout et il n'y a plus que la chanson et le monde associé à la chanson qui compte ! répliquai-je, en riant
— Peut-être, admit Gaël
— On fait une photo ? proposa John, en surgissant de nulle part
— On n'attend pas Mike et Luke ?! s'étonna Caitlin, qui le suivait
— On en fera d'autres, répliqua John, en haussant les épaules
Emma et Lucie se joignirent à nous. Thomas et Antoine n'étaient pas là : ils étaient sur le point de chanter. John prit plusieurs clichés à notre insu, et d'autres où nous faisions nos pires grimaces. J'étais étonnée qu'il ne fasse pas de blagues. Mais, je me souvins ensuite que sa passion était la photographie...
— Faites votre plus beau sourire ! Prêts ?
— Cheese ! crièrent deux voix masculines, et je sentis une tête se poser au dessus de la mienne et des mains saisir ma taille
Un flash m'éblouit avant que je ne puisse m'en rendre compte. Je me dégageai et vit Mike qui me fixait malicieusement.
— Jolie, ta tenue, déclara-t-il, avant d'enlever son teeshirt noir avec des flammes rouges
— Arrête de nous faire un streaptease ! s'exclama Luke
— Tu es jaloux de mon corps d'athlète, voilà tout ! répliqua Mike en boutonnant sa chemise blanche, sous nos airs amusés
— De nous deux, c'est moi le plus athlétique, marmonna Luke en se retournant pour changer de tee-shirt et mettre une chemise noire, alors que Mike éclatait de rire
Luke soupira et boutonna sa chemise avant que Mme. Jones ne se jette sur lui :
— Holà, mon garçon, tu vas chanter une chanson où tu veux séduire une fille, alors sois gentil, ouvre-moi les derniers boutons ! Comment veux-tu être crédible ?
Mme Jones lui ouvrit les trois premiers boutons et arrangea son col en se plaignant que les garçons ne sauraient jamais mettre une chemise correctement...
— Voilà ! Tu es bien plus sexy ! s'écria-t-elle, en tapotant l'épaule de Luke, dont le teint ne tarda pas à prendre la couleur d'une tomate
Et je devais admettre que Mme. Jones avait raison.
Finalement après plusieurs autres clichés et quelques chansons écoutées, il fut temps, pour Luke et moi de retourner dans la petite salle. Bizarrement, on ne voyait pas le temps passer en coulisses, alors que dans cette petite salle étouffante, il avançait à la vitesse d'un escargot.
Je jetai un coup d'œil à mes mains : elles recommençaient à trembler. Je ressentais de l'excitation mêlée à de l'anxiété et de la hâte. Je relevai la tête et regardai Luke, qui me fixait, les yeux brillants. Il remarqua mes mains tremblantes et les attrapa doucement, avant de les serrer. Mon coeur palpitait, et je ne savais plus si c'était à cause de Luke ou parce que j'allais remonter sur scène dans quelques minutes. Je souris en voyant la taille de mes menottes par rapport aux siennes.
— Arrête de trembler, Emilie aux doigts de fée, chuchota-t-il, en souriant
Je rougis à l'entente de ce surnom.
— Ça va aller, continua-t-il
— Tu dis ça pour me rassurer ou pour te rassurer toi-même ? soufflai-je
— Les deux, admit-il en s'esclaffant légèrement
Nous attendîmes comme ça encore quelques secondes et Luke ne lâcha ma main que lorsque nous rejoignirent la scène, sous un amas d'applaudissements, de jeux de lumières et d'effets visuels. À présent, je n'étais plus vraiment moi, j'étais la jeune fille de la chanson, et les spectateurs n'étaient plus de simples personnes ; ils n'étaient plus là. Il n'y avait que moi et Luke.
Luke s'approchait inlassablement de moi en chantant, tandis que je reculais en le repoussant. Et lorsque j'arrivai au bord de la scène, je commençai à chanter en avançant et en le poussant. C'était comme un jeu entre nous.
Je regardais parfois le public d'un air agacé en soupirant et Luke le regardait parfois avec incompréhension, comme s'il leur demandait pourquoi il n'y arrivait pas. Je parcourais la scène, il me suivait, je me retournais vers lui, comme si nous étions en train d'avoir une discussion.
C'était magique. Les projecteurs blancs faisaient ressortirent ses yeux pétillants de bonheur, sa silhouette se dessinait nettement et sa voix jaillissait, merveilleuse, plus belle et plus pénétrante que jamais.
Je le tirais vers moi et lui tournais autour sans pour autant être aguicheuse, tandis que le public frappait dans les mains au rythme de la chanson.
Un cocktail d'émotions m'inondait, et c'était agréable. J'aimais ressentir de la gêne, de l'audace, de la béatitude et de l'amour en même temps.
« You're the one that I want
Ooh ooh ooh, honey
The one that I want
Ooh ooh ooh, honey
The one that I want
Ooh ooh ooh, honey
The one I need
Oh yes indeed »
Je me tournai complètement vers le public qui nous regardait en souriant, et Luke, en l'espace d'une fraction de seconde, déplaça le pied du micro juste devant moi et posa le sien. Que faisait-il ? La chanson n'était pas terminée...
Il plaça un des ses bras sur ma taille dégagée et l'autre sous mes genoux, me souleva et une de mes mains alla trouver refuge sur sa nuque.
— You're the one that I want, terminâmes-nous, d'une même voix
Le public se mit à crier et à applaudir à tout rompre. Automatiquement, je tournai mon visage vers Luke, en souriant. Il affichait un grand sourire et me regardait avec des étoiles pleins les yeux, faisant battre mon cœur. Prise d'un élan de courage, je déposai un doux baiser sur sa joue, ce qui le fit rougir et redoubla les applaudissements. Quelques sifflements se firent entendre et nous éclatâmes de rire.
Luke me relâcha. Nous saluâmes le public en nous donnant la main et nous quittâmes la scène, en riant encore. Le public applaudissait toujours, tout comme Mrs. Jackson qui nous regardait en secouant la tête et en souriant.
— C'était génial ! s'exclama Luke, en entrant dans les coulisses ; j'ai hâte de le refaire ! Et tu ne t'attendais absolument pas à ce que je fasse ça à la fin ! Et Mrs. Jackson aussi !
— C'est vrai ! Jamais je n'aurais cru que tu aurais cette idée ! En tout cas, c'était parfait ! Je veux y retourner !
— Patience ! répondit-il en riant, mais, dis-moi, tu ne dois pas chanter avec Thomas dans un peu plus de cinq minutes ?
— Oh mon...
— Ne jure pas, Emilie ! intervint Mme Jones. Dans deux minutes, tu dois être changée et en face avec Thomas, alors active-toi ! Et toi, Luke, tu sors pendant qu'elle se change ! Vous discuterez plus tard !
J'hochai la tête.
— Je te jure que si tu te rates, je t'étrangle, lança sérieusement Luke avant de sortir
— Tu n'es pas violent, lui rappelai-je, avec un sourire moqueur
— C'est vrai..., admit-il. Bonne chance ! cria-t-il, avant de quitter la pièce.
Je m'esclaffai avant de m'emparer de ma robe rouge recouverte de franges et de sauter dedans dans un temps record. Je jetai un rapide coup d'œil à mon visage. Malgré la transpiration, rien n'avait coulé, pas même le crayon en ras de cils inférieur. Je remis une bonne quantité de déodorant, avant de vérifier si ma robe et ses bretelles étaient bien mises. Je tentai de tirer dessus pour qu'elle paraisse plus longue, mais sans succès.
« Espérons que ça ne fait pas vulgaire... » pensai-je, en regardant mes jambes aux trois-quarts découvertes
— Tu es très bien, ne t'inquiète pas, me rassura Mme. Jones. Vas-y, maintenant...
J'opinai de la tête et traversai le couloir pliée en deux, en me dandinant comme un canard.
« Daffy Duck est dans la place ! » songeai-je, en me relevant
Je rejoignis Thomas, qui me regardait étrangement.
— Quoi ? finis-je par chuchoter, un peu agacée
— Rien, tu as l'air rayonnante depuis ton duo avec Alice, et ça a doublé depuis celui avec Luke, déclara-t-il à voix basse
— C'est normal, c'était extraordinaire ! répliquai-je, et j'ai hâte de remonter sur scène !
— Dans trois minutes, répondit-il. En passant, tu as une jolie robe, chuchota-t-il
— Merci, murmurai-je, distraitement.
Je venais d'apercevoir la silhouette de Luke se faufiler jusqu'à un escalier menant au dessus de la scène. Il était normalement réservé au personnel. Cet endroit, surélevé, offrait une vue imprenable sur la scène, sans que personne ne pût vous voir.
J'haussai mentalement les épaules : Luke trouvait toujours le moyen d'aller où il voulait.
Je me mis à faire les cent pas. L'anxiété s'emparait à nouveau de moi, toujours combinée à de l'impatience. À mon plus grand soulagement, ces trois minutes passèrent rapidement.
J'avais mis de côté ma gêne vis-à-vis de ma tenue. À vrai dire, je l'avais plutôt oubliée. Ce n'était qu'une robe, rien de plus. Et puis, ce n'était pas tous les jours que je chantais face à des personnes !
C'était donc avec une minime appréhension et une immense bonne humeur que je retournai sur scène. J'avais juste à faire un pas sur le sol noir pour qu'un sourire émerveillé et sincère se dessine sur mon visage. J'étais heureuse d'être là et je voulais que cela se sente.
Radieuse, je traversai la scène pour prendre mon micro. Je me plaçai à droite et Thomas à gauche. Nous étions chacun sur un côté de la scène car Lucie et un garçon danseraient pendant que nous chantions.
Je balayai les spectateurs du regard, sous le feu des projecteurs et levai la tête, vérifiant si je pouvais voir Luke ou pas. Mais non, l'endroit où il se trouvait sûrement était plongé dans la pénombre.
La musique démarra et Thomas débuta. À nouveau, je fis abstraction de tout et me concentrai sur le moment présent.
Mon coeur était noyé sous un florilège d'émotions. Je n'avais pas à me forcer pour faire ressentir l'amour qui émanait des paroles : je chantais avec mon cœur, comme si je confessais tout ce que je ressentais. Même la présence de Thomas ne m'influençait pas. Je ne me souciais guère de savoir ce qu'il pouvait bien penser de moi à l'heure actuelle.
Éclatante de joie, je gratifiais les spectateurs de sourires on ne peut plus ravis et de mes paroles qui, je l'espérais, avaient tout leur sens.
Finalement, bien trop vite à mon goût, la chanson se termina, et Lucie prit ma main et tous ensemble, nous quatre, nous nous inclinâmes rapidement, avant de quitter la scène bruyante.
Je me précipitai dans les coulisses en sautillant, aux côtés de Lucie. Je fus étonnée de trouver la pièce presque vide : en effet, seule deux filles y étaient. J'haussai les épaules, et toujours de bonne humeur, je m'habillai de mon pantalon noir et de ma chemise blanche en chantonnant.
— Où sont les autres ? questionna Lucie, en regardant autour d'elle, les poings sur les hanches
— Aucune idée, répondis-je, en fermant les boutons de ma chemises, avant d'attraper une bouteille d'eau et de vider la moitié d'une seule traite.
— Je vais voir dans la pièce d'à côté, m'annonça Lucie, tu viens ?
Je réfléchis un bref instant et lui répondis par la négative : j'avais une petite idée derrière la tête.
— D'accord, acquiesça Lucie, on se voit plus tard alors !
Je m'approchai de Mme. Jones, qui fidèle à son poste, gérait les allers et venues de tous, et empêchait quiconque qui ne devait pas aller sur scène de la rejoindre.
— Non, Emilie, n'y pense pas ! me dit-elle, lorsque je fus arrivée à sa hauteur.
Je n'avais même pas encore ouvert la bouche
— Je n'ai rien dit ! protestai-je
— Je lis en toi comme dans un livre ouvert ! J'ai déjà laissé passer Luke tout à l'heure, et je n'aurais pas dû !
— Mais, commençai-je
— Non. C'est mon dernier mot. Si je te laisse passer, je devrai laisser passer tout le monde. Comprends-moi !
— Dans ce cas, pourquoi avez-vous laissé passer Luke ? questionnai-je, avec un petit sourire
— Parce qu'il a réussi à me convaincre... soupira-t-elle, et que je suis une gentille professeure...
— Oh... Il a encore usé de son pouvoir de persuasion sur vous ? blaguai-je
— En quelque sorte, sourit-elle, il est malin ! Pourquoi veux-tu le voir ? reprit l'enseignante, redevenue sérieuse
Cette question me prit de court : je ne savais même pas pourquoi moi-même.
— Pour discuter ? tentai-je
— C'est vrai que je vous ai coupés, tout à l'heure, se souvint-elle. Allez, passe. Première porte à droite, indiqua-t-elle, et monte jusqu'en haut.
Victorieuse, j'opinai de la tête et sortis. Je rentrai dans la pièce dans laquelle j'avais vu Luke se faufiler et montai doucement les marches, en prenant garde à ne pas être aussi discrète qu'un mammouth.
Arrivée en haut, je soufflai un bon coup et plissai les yeux. Il faisait sombre, et je ne pouvais distinguer sa silhouette. Comme si j'avais formulé mon souhait à voix haute, les projecteurs balayèrent la salle, et je pus enfin l'apercevoir. Accoudé sur la rambarde à moins d'un mètre de moi, il regardait le spectacle.
— Good Job, little doll, commenta-t-il, alors qu'il était de dos.
Je m'arrêtai : comment avait-il su que j'étais là ? Il se retourna :
— J'y ai vraiment cru, cette fois. Mais, heureusement la vérité m'a rattrapé.
Je lui souris et posai mes coudes sur la rambarde. C'était haut, mais je ne m'en préoccupais pas. Fascinée, j'embrassai du regard la vue splendide que rendait le lieu.
— Donc, murmurai-je, j'en déduis que tu ne m'étrangleras pas...
— Bien-sûr que non ! D'ailleurs, j'aimais bien tes deux robes, mais je préférais la rouge, ajouta-t-il
— Vraiment ? m'étonnai-je. Je la trouvais trop courte.
— Moi je trouvais qu'elle ne l'était pas assez, répliqua Luke, avec son sourire au coin et son air joueur imprimés sur le visage
— Lucas ! m'exclamai-je, en me tournant vers lui, alors qu'il éclatait de rire
— Quoi ? riposta-t-il, entre deux rires, alors que j'essayais de me contenir, je plaisante !
Je détaillai son apparence, qui me frappa : j'avais à faire à un Simon mal-fagoté 2.0
— Luke ! le réprimandai-je en voyant son col mal arrangé et ses manches non-retroussées
— Quoi ?
— Tu ne sais pas t'habiller ! m'écriai-je, en l'attrapant par sa chemise et en le tirant vers moi.
Je commençai par m'attaquer à ses manches, bien décidée à ce qu'il ne ressemble pas à un hibou mal-léché
— Ma mère m'arrange toujours ma chemise, se souvint-il
— J'arrange celle de Simon pour lui éviter de se faire gentiment gronder par ma mère, répliquai-je, en prenant son poignet et en repliant sa seconde manche
Il se mit à rire, tandis que j'essayais d'arranger son col malgré la pénombre
— C'est le travail des petites sœurs ! blagua-t-il
— Éviter à leur grand frère de ressembler à un épouvantail ?!
— Entre autre ! Si j'avais une sœur, je la plaindrais sincèrement : je ne sais même pas mettre une cravate, et c'est à peine si je pense à rentrer mon teeshirt dans mon pantalon quand je mets une chemise !
— Aujourd'hui, tu sembles y avoir pensé, remarquai-je, en le regardant de haut en bas avec un sourire
Il s'esclaffa :
— Ça aurait pu être pire... Quand j'étais petit, je ne fermais jamais les boutons au bon endroit... Ma mère avait beau me les remettre, je les refaisais toujours à ma façon, et je me trimbalais fièrement partout avec ma chemise de travers. Sur les photos de famille, je suis le seul mal habillé, au grand désespoir de ma mère ! raconta-t-il, en riant
— Vraiment ? Quand j'étais petite, je me battais avec Simon pour qu'il ne soit pas comme toi. Je me souviens que souvent, je perdais le combat parce que j'étais plus petite que lui. Et il était toujours habillé à l'as-de-pic !
— Je suis donc Simon Junior ! plaisanta-t-il, alors que je reculais, admirant le résultat. Il était bien plus attirant avec une chemise mise correctement !
— Par contre, dit-il avec une pointe d'ironie, ma mère m'étouffe tout le temps en me fermant le bouton du col... contrairement à toi.
—Si je te ferme ce bouton-là, lançai-je en désignant son col, tu auras l'air trop sérieux...
Il hocha la tête
— C'est juste une chemise, je n'y comprends rien..., marmonna-t-il
Je ne relevai pas et m'accoudai à nouveau, laissant un silence s'installer. J'observai un instant la scène que nous surplombions. Quatre danseuses et un danseur ondulaient sur une chanson inconnue du bataclan, habillés de rouge et de noir. Je finis par craquer et par détourner les yeux vers Luke, qui semblait être parti dans les étoiles mortes d'un ciel mourant. Je respirai un grand coup, rassemblant tout mon courage, alors que son regard terne se posait sur moi. Je lui posai la question qui me brûlait les lèvres depuis des mois :
— Pourquoi es-tu malheureux ? demandai-je, avec douceur
— Je vais bien.
— Je sais très bien que c'est faux, que tu fais semblant. Je sais aussi que cela n'a rien avoir avec Adèle, qu'elle n'est pas A, murmurai-je
Il ne répondit rien et fixa un point imaginaire en face de lui, le regard perdu.
— Parle-moi d'Adèle, continuai-je
Il soupira et ses prunelles azur rencontrèrent mon regard déterminé
— J'imagine que je n'ai pas le choix...
J'acquiesçai, les bras croisés.
— Adèle est mon ex petite-amie. Caitlin te l'a sûrement dit. Mais, ce qu'elle ne t'a pas dit, c'est que ça a été une grosse erreur. J'étais perdu et je voulais tout oublier. J'ai pensé que cela m'aiderait, qu'être amoureux me tirerait de là, sauf que je ne ressentais pas vraiment de l'amour pour elle, c'était juste en apparence. Alors oui, pendant deux semaines mon coeur a été ailleurs, puis ensuite je me suis rendu compte que je n'éprouvais pas réellement de l'amour pour elle. J'aimais son physique mais pas sa personnalité. On a rompu au bout de trois semaines, avant qu'elle ne déménage. Et c'était mieux comme ça. Je n'ai même pas eu mal.
— Oh, je vois...
— On n'est pas si différents, tous les deux, on a vécu une amourette et aujourd'hui on voudrait tout effacer, car on s'y était jeté sans réfléchir.
— Et qu'on s'est trompé sur le compte de la personne, terminai-je
— Oui, mais d'une manière différente : j'étais avec une personne que je ne connaissais pas. Elle était dans ma classe, mais nous n'étions pas amis, avant. Je la trouvais juste jolie.
— C'est vrai, souris-je, moi je croyais le connaître... Mais je pense qu'on devrait tous les deux arrêter d'y penser. C'est du passé. Ce qui est fait est fait. On est des adolescents qui font des erreurs et en tirent des leçons pour avancer.
— Oui, mais ça faisait très longtemps que je n'y avais pas repensé... Je reste focalisé sur la même chose depuis longtemps. Et je n'arrive pas à m'en détacher.
Je ne sus pas quoi répondre à cela. J'avais très bien compris qu'il ne me dirait rien. Un autre silence, criblé par les applaudissements des spectateurs s'installa. La chanson suivante, la bande originale d'un film relatant le naufrage d'un paquebot, fut annoncée. Luke tripotait le bracelet à son poignet, pensif.
— Il est joli, fis-je, en regardant son poignet
Il sourit d'un air rêveur avant de relever la tête
— C'était à elle, murmura-t-il
— Elle est partie, n'est-ce pas ? soufflai-je, d'une voix douce
— En quelque sorte, chuchota-t-il, sombrement. Je suis désolé, Em, je n'arrive pas à t'en parler, et pourtant, j'en meurs d'envie, avoua-t-il, dépité, en se tournant vers moi. C'est trop dur pour moi.
Des larmes perlaient dans ses yeux, sans qu'aucune ne coulât.
— Tu... Prends ton temps. Tu n'es pas obligé, répondis-je maladroitement, en me tordant les mains
Un léger sourire se dessina sur ses lèvres
— Si, je le suis. Tu ne me connais pas aussi bien que tu le crois. Si je ne te dis pas ça, il y aura une part de moi qui te restera inconnue. Et je sais que tu ne lâcheras pas, déclara-t-il en fermant les yeux avant de respirer un grand coup comme pour se calmer.
Sans réfléchir, je réduisis le faible espace entre nous deux en le serrant contre moi avec mes petits bras. Il eut l'air surpris mais m'enlaça en retour, non sans accélérer mon rythme cardiaque, alors que ce n'était absolument pas le moment pour mon coeur de faire des siennes.
— Je veux seulement t'aider, murmurai-je, le nez enfoui dans son cou
— Je sais, souffla-t-il, mais tu m'aides déjà inconsciemment. Je regrette de ne pas t'avoir connue plus tôt
Je souris, touchée par ce qu'il venait de dire. Jusqu'à présent, seule Alice m'avait dit cela. Je finis par le relâcher, un peu après la fin de la chanson. Nous étions restés dans cette position jusqu'à ce que la chanson se fût terminée.
— J'aimerais que la vie soit un livre pour que je puisse la relire chaque instant, confia Luke. Je serais sûr de revivre les choses telles qu'elles étaient, car avec le temps, les souvenirs s'estompent, et je ne suis plus sûr de ce qu'il s'est passé.
— Parce qu'à force d'y repenser, on ne sait plus ce qui a été ajouté, complétai-je, le vrai se mêle au faux.
Il hocha la tête et était sur le point d'ajouter quelque chose lorsque Mme. Jones fit irruption :
— Venez ! Il faut se préparer, la chorale va monter sur scène ! nous informa-t-elle
Luke et moi la suivîmes jusqu'en bas, où nous retrouvâmes les autres qui nous incendièrent de questions, nous demandant où nous étions passés.
— Au-dessus de la scène ! leur répondit Luke, en me faisant un clin d'œil
Nous nous plaçâmes à la queue-leu-leu pour remonter sur scène.
— Je veux tout savoir de A à Z, me chuchota Alice, alors que nous attendions dans la grande pièce.
Pour toute réponse, je lui souris rêveusement. Puis, prise d'un élan jovialité, je lui pris la main et me mis à danser n'importe comment, esquissant de grands gestes, ce qui la fit éclater de rire. Nous nous calmâmes rapidement, car nous étions maintenant dans le couloir, attendant que la lignée d'élèves avant la nôtre soit montée sur scène.
— La chorale va désormais clore le spectacle avec quatre chansons ! Nous allons d'abord nous aventurer dans la jungle africaine avec The Lion Sleeps Tonight ! s'exclama Mrs. Jackson. Mes solistes, où sont mes solistes ? MICHAEL, JE SAIS QUE C'EST TENTANT MAIS NE FAIS PAS DE CROCHE PIED À LUCAS ! JAMES, NE PRENDS PAS EXEMPLE SUR LUI ET LAISSE PETER TRANQUILLE !
Le public, tout comme Alice et moi, éclatâmes de rire, tandis que Mrs. Jackson reprenait, en soupirant mais riant tout de même :
— Des enfants. Je travaille avec des enfants. Comme vous l'avez deviné, mes solistes sont Michael, Lucas, James et Peter !
Dans un silence presque religieux, les premières notes de The Lion Sleeps Tonight retentirent. La chorale entama les chœurs ainsi qu'une simple chorégraphie. Il fallait dire que nous n'étions pas tous danseurs, et que chanter en dansant était plus que délicat ! Un rugissement d'applaudissements tonna dans la salle, et Mrs. Jackson les remercia et répéta les noms des solistes, qui s'inclinèrent.
— Maintenant, nous allons saluer le groupe ABBA mais aussi une grande comédie musicale ! Eh, non, ce n'est pas Our Hearts' Symphony, la comédie musicale créée par notre jumeau français cette année mais bien Mamma Mia! ! Au chant, nous aurons Maria, Brooke et Wilma !
Les spectateurs applaudirent, alors que les trois adolescentes se positionnaient devant la première ligne d'élèves. Alice, Emma, Lucie et moi nous regardâmes en sautillant de joie. C'était le point positif d'être dans la troisième et dernière ligne : on ne nous voyait pas et on pouvait (presque) faire n'importe quoi ! Mrs. Jackson leva son bras et ferma le poing, signe que nous devions faire silence. Et puis, les projecteurs s'allumèrent en même temps que résonnait le début de la chanson.
Nous entamâmes la chorégraphie, subjugués par les voix des trois adolescentes qui me firent frissonner. Wow, si ça ce n'était pas du talent ! Puis, le côté de gauche répondit en chœur aux chanteuses, tandis que le côté droit – le mien – attendait que le gauche ait fini afin de lui répondre correctement ! Ce jeu se reproduisit une seconde fois et ce fut le refrain. Trop vite, la chanson se termina.
— Comme tous les ans, Saint-Mathew accueille une trentaine de lycéens français, tout droit venus de Sainte-Cécile à Paris. Et comme vous le savez, j'adore leur accent lorsqu'ils tentent de parler anglais ! Il est d'autant plus mignon lorsqu'ils chantent, soit dit en passant. J'appelle à la barre Emilie ! Et Caitlin, bien évidemment !
Je me frayai un chemin jusqu'au micro sous les « tu gères Emmy ! » de mes amis. J'offris un sourire aux spectateurs, et j'aperçus Caitlin faire de même.
— Ce soir, poursuivit Mrs. Jackson d'une voix enjouée, on traverse tous les genres musicaux, même le gospel ! Puisqu'aujourd'hui est un jour heureux, on vous présente Oh Happy Day !
Cette fois, un grand sourire nerveux apparut sur mes lèvres. Je n'avais pas droit à l'erreur ! Il ne fallait pas que mon stress me bloque la voix, comme au collège. L'oiseau devait détruire sa cage. Allez Em, respire doucement, oublie la scène. Je n'étais pas sur scène, non, j'étais dans ma chambre, seule, et j'allais chanter, comme ça, juste pour moi.
Les douces notes du piano me murmurèrent de me lancer. Oh, happy day. La chorale me répondit avec douceur. Oh, happy day. Cette fois encore, la chorale me parla avec délicatesse. Caitlin prit le relai. Et puis, nous alternâmes, nos voix devenant de plus en plus puissantes. Tout d'un coup, le public se mit à battre des mains au rythme de la musique. Je chantai par-dessus la chorale, tandis que DobbleKay chantait avec elle. Les yeux fermés, concentrée sur la mélodie, j'achevai la chanson d'une voix vibrante.
Un tonnerre d'applaudissements nous accueillit et Caitlin et moi saluâmes le public. Je regagnai ma place en écoutant Mrs. Jackson :
— Pour terminer en beauté, nous allons reprendre le générique d'une série que nous connaissons tous ! J'ai nommé... Fame ! Caitlin est toujours au chant, cette fois-ci accompagnée par Alice, une autre française !
Ma meilleure amie joua des coudes d'un air assuré et se munit du micro. Me retrouvant entre Mike et Emma, je pus l'entendre me glisser :
— Tu vois que le gospel n'était pas si dur !
Je n'eus pas le temps de lui répondre : la guitare venait de démarrer son riff. Nous dansâmes tant bien que mal jusqu'au refrain et puis nous chantâmes le refrain. Caitlin et Alice se démenaient, pour notre plus grand bonheur auditif. Mes yeux soudainement plongés dans ceux de Mike, une idée me traversa l'esprit, et au clin d'œil qu'il m'adressa je compris qu'il avait eu la même. Alors que qu'il ne restait encore qu'à chanter trois fois le refrain, nous nous mîmes à chanter plus fort. Que dis-je ! Nous étions presque en train d'hurler. Les autres nous suivirent, et nous fûmes unis dans un seul et même cri, dernier acte du spectacle.
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Hey ! Comment allez-vous ? :)
Ce chapitre est de loin le plus long que je n'ai jamais écrit ! J'espère sincèrement, du fond du cœur que ça vous a plu, j'ai vraiment essayé d'être le plus réaliste possible. Je suis déjà montée sur scène et j'ai éprouvé la même chose qu'Em ! ( sauf que mes jambes tremblaient, mon micro aussi et que ce n'était pas 'naturel' comme elle, et que je m'étais presque loupée :') ).
Je vais essayer de ne pas trop m'éterniser, mais j'ai quand même quelques questions pour vous :
— Quel a été, selon vous, le meilleur duo d'Emmy ?
— Êtes-vous déjà monté sur scène ? Si oui, qu'avez-vous ressenti ?
[pause cookie 🍪]
— Avez-vous des pronostics pour la suite ?
On se retrouve demain pour le prochain chapitre ! :) D'ici-là, portez-vous bien ! 🖤
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