➳ Chapitre 11
Les cours d'art de l'écriture, je les appréciais grandement. Il fallait aussi dire que c'était M. Heub qui les animait ! Actuellement, nous travaillions sur les calligrammes et la capacité à transmettre l'émotion par l'image et les mots. J'appréciais toujours les cours de M. Heub. Sauf aujourd'hui. J'entendais et voyais Lise renifler de manière presque dédaigneuse dans ma direction presque toutes les minutes, et mon voisin de table, Newton, m'observait avec curiosité, comme si une question lui brûlait la langue. Et je savais très bien quelle était cette question. Il était dans la salle commune quand tout avait éclaté, et je n'avais pas besoin d'en savoir plus.
Mon deuxième voisin, à savoir Mike, peinait à déchiffrer le calligramme d'Apollinaire que nous étudiions, et je tentais du mieux que je pouvais de l'aider dans cette tâche périlleuse. Il grognait en disant qu'il aurait mieux fait de choisir art du rythme avec Luke ou même art du design avec Alice et Caitlin.
— Monsieur ! questionna-t-il avec un fort accent américain, est-ce que je pourrai créer mon calligramme en anglais ?
— Je ne corrige pas dans la langue de Cha-kes-pé-are, répliqua M. Heub, fier de la manière dont il avait prononcé Shakespeare et encore plus lorsqu'il vit la barre d'incompréhension qui scindait le visage de Mike
Newton et moi pouffâmes discrètement tandis que Mike arborait un visage angoissé.
— Ta correspondante pourra sans doute t'aider, elle a l'air de trouver ça très drôle, ajouta-t-il, à mon attention
Un sourire illumina le visage de mon correspondant :
— J'y compte bien ! répondit joyeusement Mike, tandis que je rougissais et laissai à nouveau ma tristesse peindre mes traits
Je me replongeai dans ma lecture, tâchant de me concentrer. Ah, si je pouvais étrangler Lise et son air hautain !
— Ça me fait plaisir de t'avoir vue sourire, chuchota mon voisin
— Je... Je ... Suis ... Désolé pour... T-... toi, bredouilla tout bas mon autre voisin
Je me tournai vers Newton. Ses cheveux bruns roux tombaient devant ses yeux noisette, et il peinait tant à me regarder dans les yeux et avait parlé si bas que j'avais peut-être rêvé. Mais, il avait parlé. Ses lèvres tremblaient, et dès qu'il parlait, c'était ce qu'il se passait.
— Tu n'as pas à l'être, lui marmottai-je en essayant de sourire
— Par contre, ce serait adorable de ta part de ne pas ébruiter la chose, lui murmura Mike
— Je ... Je n'y comptais pas, répondit le garçon sous le regard arrogant de Lise qui s'était retournée (pour nous écouter, sans aucun doute).
Mike jeta à Lise un regard mauvais et elle ouvrit la bouche mais fut obligée de s'abstenir de tout commentaire par la sonnerie. Je souris à Newton avant de remballer toutes mes affaires et de sortir, suivie de Mike.
— Il est tout le temps mal à l'aise comme ça, le Newton ? interrogea Mike
J'hochai la tête.
— Wow, lâcha-t-il, le pauvre.
Comme nous arrivions à la hauteur du bâtiment nous menant à la salle commune et que je ne trouvais rien à dire, je m'y engouffrai, morose. Michael ne prononça pas un seul mot, et quand nous fûmes installés dans notre coin habituel, rejoignant Luke et Antoine, il geignit :
— Je vais devoir inventer un calligramme EN FRANÇAIS !
— Je t'aiderai, lui promit Luke, tandis que les autres nous rejoignaient.
Alice, Caitlin, Lucie et Gaël s'assirent à leur place habituelle tandis qu'Emma et John se chamaillaient pour savoir qui serait serré entre Lucie et Alice et qui serait sur le fauteuil.
— Je n'arrive toujours pas à croire qu'il ait fait ça ! s'exclama alors Antoine, pour la énième fois depuis deux jours, et coupant coupant court à leurs chamailleries
Il se leva et fit les cent pas dans la salle commune, n'arrivant pas à digérer la 'nouvelle'. Quelque part, je le comprenais. Je n'avais peut-être pas d'amis de longue date, mais ce que je ressentais suffisait à me donner un aperçu de ce qu'Antoine pouvait ressentir. Je n'avais pas l'impression de maîtriser quoi que ce soit. Pis encore, j'étais spectatrice de ma propre vie !
— Il était vraiment ton meilleur ami ? demanda Gaël
— Arrête de remuer le couteau dans la plaie, lui chuchota Caitlin
— Oui ! acquiesça Antoine, énervé, ignorant Caitlin
— On l'a connu en maternelle. Il a tellement changé... déplora Alice, assise à côté de moi
— Les gens changent, murmura doucement Luke, mais pas toujours de la meilleure manière... C'est mieux que tu l'aies su tout de suite, ajouta-t-il, à mon attention. Et puis, on n'y peut rien.
Un silence suivit la déclaration de Luke. Il avait raison. Cela allait faire quelques semaines que Thomas... Bref, que nous sortions ensemble comme deux adolescents normaux, et nous n'en étions qu'aux balbutiements. Il avait raison. Mon coeur se serra comme si une pince venait le presser pour tenter de l'arracher. Je pouvais sentir les gouttes de sang couler à l'intérieur de moi-même.
— Je suis désolé, Emilie, s'excusa Antoine, brisant le silence
— Tu n'y peux rien, lui répondis-je, d'une voix blanche
— J'aurais dû le voir, continua-t-il, je le trouvais bizarre depuis quelques temps.
Je secouai la tête, retenant mes larmes.
— Arrête de te faire du mal ! lui rétorqua Luke, personne ne s'y attendait ! Ce n'était pas écrit sur son front !
— Il était mon meilleur ami ! Je suis censé le connaître par coeur !
— Ce n'est pas de ta faute s'il a joué la comédie, répliqua Gaël
— Et qu'il cachait bien son double jeu, termina Luke
— Je crois qu'il devrait devenir acteur... lança Caitlin
Nous nous tournâmes vers elle, la regardant d'un air interrogatif.
— Il ne devrait pas devenir chanteur mais acteur, puisqu'il joue bien la comédie ! expliqua-t-elle
— Si tu voulais nous détendre et nous faire rire, c'est raté...constata Gaël.
Je me sentais mal. La tête me tournait. J'aimerais bien qu'ils changent de sujet. Cela me permettrait de penser à autre chose. Mais trop tard.
— C'est MOI qui fait des blagues, normalement, maugréa John d'un air faussement pincé.
J'étais tombée des nues lorsqu'il m'avait dit la vérité. Thomas, une des personnes en qui j'avais le plus confiance, m'avait dit clairement qu'il me manipulait. Et Lise avait bien pris soin de préciser qu'il me trompait ouvertement avec elle. Et dire qu'il me faisait croire qu'il la détestait. C'était convaincant, trop même. Si je n'avais pas été obnubilée par lui, je l'aurais sans doute remarqué.
« Je ne me suis jamais intéressé à toi »
« Thomas est mon petit ami »
« Tu n'en vaux pas la peine »
« Regarde-toi ! »
Je n'avais été qu'un pion.
Je suis insignifiante, à ses yeux.
Chaque mot n'était qu'un mensonge.
Tout a été soigneusement calculé.
Il aime Lise. (Enfin, si on pouvait appeler ça de l'amour), ne pouvait s'empêcher d'ajouter une voix sarcastique dans ma tête.
Je devais maintenant les voir ensemble. J'essayai, quand je les voyais, de ne pas pleurer, mais ces deux derniers jours, cela avait été impossible. J'irai sans doute mieux dans quelques jours. Et moi qui me moquait toujours de ces filles dans les films qui pleurent pendant des jours ! Je comprenais mieux, à présent. En fait, si il était juste sorti avec Lise dès le début, et pas avec moi, cela aurait été bien mieux.
Je pensais que Lise se cachait derrière une carapace, je pensais que c'était juste un masque, une couverture, un déguisement. Au final, si on creuse cette coquille, on ne trouve que du vide. Elle est creuse. Comment a-t-elle pu ?
J'ai vraiment été naïve ! J'aurais dû me rendre compte qu'il n'était qu'un manipulateur ! J'aurais dû le voir, mais j'ai été trop bête, je lui ai fait tout de suite confiance, parce que j'avais eu un coup de coeur, j'aurais dû me méfier. Même avec Alice j'ai fait preuve de plus de scepticisme ! Il m'était arrivé d'être tout sauf à l'aise avec lui, j'aurais dû prendre cela en compte ! Et ses yeux, ses yeux si noirs cette fois-là ! Oh oui, j'aurais pu me douter que ce n'était pas net ! Lise m'avait pourtant prévenue, elle a raison, il ne peut pas...
— Cesse de te morfondre, ce n'est pas de ta faute.
La voix de Luke m'avait extirpée de mes pensées.
Je lui fis un faible sourire.
— Si...murmurai-je, à voix basse, j'aurais pu m'en apercevoir si j'avais été attentive.
— Non, chuchota-t-il, en posant sa main sur mon épaule, ignorant les regards indiscrets des autres lycéens.
Mike intima Alice de se pousser et se mit à côté de moi. Il esquissa un sourire digne du Grinch et lança :
— Tu fais un câlin à tonton Mickey ?
— Seulement quand ce sourire diabolique aura disparu ! m'exclamai-je, tâchant d'avoir l'air un tant soit peu joviale.
J'étais dans les bras de Mike depuis un bon moment. Je m'y sentais bien. Je reconnaissais chez lui quelque chose que je retrouvais chez Simon. Depuis deux jours, je n'arrêtais plus de pleurer. J'espérais bientôt ne plus avoir de larmes et passer à autre chose. Car au fond, pleurer n'y changerait rien. Avec un peu de chance, je pourrais peut-être me reprendre en main demain. Oui, demain je donnerai tout pour réduire de moitié la quantité d'eau sortant de mes yeux. Et je continuerai à extérioriser à travers des harmonies désordonnées.
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
N'hésitez pas à me laisser un commentaire, je vous répondrai avec grand plaisir !
À très vite !
Honey.
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