Chapitre 8 : Interrogatoires - Partie 3
Après s'être présenté, Jean-Jacques de Linthe, le frère du défunt, s'assit dans le fauteuil de droite. L'air théâtralement affligé, il regardait les détectives avec des yeux de chien battu tout en faisant rouler sa chaîne en or sous ses doigts poilus.
« —Quelle relation entreteniez-vous avec votre frère ? le questionna Ewen.
—Excellente, répondit-il. J'ai beaucoup d'affection pour mon petit-frère. Et d'admiration aussi. J'aurais aimé être aussi imaginatif que lui.
—Il en a toujours été ainsi ?
—Je ne vous cache pas que nous avons connu une période de turbulences il y a environ trente ans de cela. Il m'accusait d'être un flambeur et de dilapider la fortune de nos parents dans des futilités. Depuis, nous avons mis de l'eau dans notre vin et nous nous entendions parfaitement bien.
—Avait-il raison ?
—Pardon ?
—Avait-il raison de vous traiter de flambeur ?
—Je mène la vie dont j'ai envie. Ça ne le regarde pas. Nos parents ont équitablement réparti leur héritage entre nous deux. Il fait ce qu'il veut de sa part, je fais ce que je veux de la mienne.
—Naturellement. »
Ewen marqua une pause pour réprimer un sourire de moquerie. Le vieil homme qu'il interrogeait était pathétique. Tout dans le paraître, et rien dans la tête. Voilà comment il l'avait cerné.
« —Que pensez-vous des soirées que votre frère organisait ? reprit le détective.
—Pour être franc, elles m'ennuyaient. Je suis plus « voitures » que « littérature » voyez-vous ? »
Très bien, songea Ewen qui se contenta d'acquiescer vaguement.
« —Mais j'apprécie retrouver mon frère deux fois l'an, poursuivit-il. Alors je viens participer à ce cinéma sans broncher.
—Qu'avez-vous pensé de la soirée d'hier tout particulièrement ?
—J'ai pensé que mon frère commençait à manquer d'inspiration. Me faire jouer mon propre rôle, et sans scénario incroyable, ça ne lui ressemblait pas.
—Que pensez-vous qu'il lui soit arrivé ?
—Il s'est suicidé, c'est certain. Le pauvre vieux ne s'est jamais remis de la mort de Marie-Jeanne, sa femme. La solitude aura fini par l'emporter.
—Vous êtes plusieurs à nous avoir dit ça. Mais ne pensez-vous pas qu'il se serait suicidé plus tôt au lieu d'attendre toutes ces années ?
—Au départ, il tenait pour ses filles qui étaient encore très jeunes. Puis après, ce sont ses romans qui le maintenaient à la surface. Et tous ses fans. Mais ça ne devait plus être le cas.
—Pourtant, osa Maggie en relevant le nez de ses notes, ses livres se vendaient toujours très bien. »
Jean-Jacques regarda la détective avec dédain.
« —Alors il a sûrement été tué dans ce cas, lâcha-t-il de manière hautaine.
—Par qui ? enchaîna Ewen.
—C'est vous les détectives, pas moi.
—Vous n'avez pas la moindre piste ?
—Non, puisque je pense qu'il s'est suicidé. »
Ewen marqua une pause avant de poser sa dernière question :
« —Héritez-vous de votre frère ? »
Jean-Jacques se contenait visiblement pour ne pas exploser de rage. Ses poings grattaient furieusement les accoudoirs de son fauteuil.
« —Sans doute, cracha-t-il entre ses dents. Je ne sais pas encore. Peut-être m'a-t-il effectivement laissé quelque chose, ou peut-être pas. Ce sont ses enfants qui doivent hériter de lui normalement. Pourquoi ? Vous me soupçonnez ?
—Nous faisons simplement notre travail de détectives, lui répondit Ewen.
—Alors faites-le mieux. »
Sur ces mots, Jean-Jacques se leva et quitta la pièce sans oublier de faire bruyamment claquer la porte, ce qui manqua de faire tomber un petit bibelot de son étagère.
« —On l'a piqué au vif, fit Ewen les sourcils encore levés d'étonnement.
—Oui, lui répondit sa collègue, excellente question détective Mercier.
—Merci très chère.
—Tu crois qu'on les a tous vus ?
—Aucune idée.
—Je vais jeter un œil, je reviens. »
Maggie posa son calepin et son stylo sur la table basse, puis elle sortit de la pièce en quête d'une tête qu'elle ne connaissait pas encore. En très peu de temps, elle croisa Philipe, le majordome. Elle l'invita donc à la suivre dans le salon d'hiver, ce qu'il fit docilement.
Ewen salua le nouveau-venu, se présenta et, une fois que tout le monde fut installé, commença l'interrogatoire :
« —Depuis quand êtes-vous au service d'Arthur de Linthe ?
—J'ai atterri ici le 9 juin 1986. »
Ewen ne put retenir un sifflement d'admiration.
« —Eh bah ! lâcha-t-il en oubliant momentanément tout professionnalisme. Ça c'est du dévouement !
—J'aime mon travail ici, l'informa le majordome. Et mon patron est quelqu'un de très agréable à vivre.
—Que pouvez-vous nous dire de plus à propos de lui ?
—C'est un homme très cultivé. Très souriant et blagueur. Et avec un esprit créatif absolument incroyable. J'ai lu tous ses romans en avant-première, et ils sont tous formidables, sans exception. »
Chanceux, pensa Maggie.
« —Vous participiez à ces soirées à thème qu'il organisait avec sa famille ? poursuivit le détective.
—Pas directement, répondit Philipe. Je n'y ai aucun rôle, mais je suis toujours présent pour effectuer le service et faire en sorte que ses convives passent un agréable séjour.
—Que pensez-vous qu'il lui soit arrivé hier soir ?
—Par correction, je vais avoir tendance à dire qu'il s'est suicidé pour ne pas accuser l'un des respectables membres de sa famille.
—Mais ?
—Mais j'ai la très mauvaise intuition qu'il s'agit d'un meurtre.
—Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
—Je n'ai pas remarqué de changement dans son comportement. Et s'il a traversé une profonde période de dépression après le décès de Madame, il a, depuis, remonté la pente et tout ça est derrière lui.
—Suspectez-vous quelqu'un ?
—Non. Je n'ose pas.
—Et si je vous promets que ça reste entre nous ? Vous oseriez ?
—Ne promettez pas quelque chose que vous ne pouvez pas garantir. Dans ce manoir, les murs ont des oreilles. »
Et c'est sur cette mystérieuse phrase que l'interrogatoire prit fin. Alors que les détectives pensaient avoir rencontré tout le monde et qu'ils allaient quitter la pièce après avoir remballé leurs affaires, Ewen manqua de bousculer une adolescente qui s'apprêtait à frapper à la porte.
« —Euh... bafouilla-t-elle. Bonjour. Excusez-moi de vous déranger mais... Vous m'avez oubliée.
—Excuse-nous, lui répondit le détective encore déboussolé par cette rencontre soudaine. Entre, installe-toi. »
L'adolescente s'assit sur l'un des fauteuils et attendit patiemment que l'interrogatoire commence. Une fois que Maggie eut ressorti son calepin et son stylo qu'elle passa à son collègue, la détective posa sa première question :
« —Est-ce qu'on peut te tutoyer ?
—Oui, bien sûr.
—Merci. Peux-tu nous donner ton nom et ton prénom s'il te plaît ?
—Je m'appelle Candice de Linthe.
—Tu es la petite fille d'Arthur de Linthe, c'est ça ?
—Exactement. Et la fille unique d'Armelle et Luc de Linthe.
—D'accord. Quelle relation entretenais-tu avec ton grand-père ?
—J'adorais mon grand-père. »
Candice serra la mâchoire.
« —Tu as le droit de pleurer tu sais, lui dit doucement Maggie. »
L'adolescente secoua franchement la tête avant de répondre :
« —Non, ça va aller.
—Comme tu le sens, fit la détective.
—Je disais que j'adorais mon grand-père. Il était incroyable. Passionnant. Je l'admirais. Il me racontait toujours des histoires extraordinaires.
—Même si je crois déjà connaître la réponse, que penses-tu des soirées murder-party qu'il organisait ?
—Je les attends toujours avec impatience. C'est tellement passionnant de mener l'enquête sur une histoire qu'il a créée de toutes pièces.
—Tu n'as pas été trop déçue hier soir en découvrant ton rôle et le scénario ?
—J'ai été un peu déstabilisée sur le coup, oui, mais j'avais hâte de voir ce qu'il nous réservait pour la suite.
—Que penses-tu qu'il lui soit arrivé ?
—Je pense qu'il a été tué. »
Elle avait dit cela sans hésitation, aucune.
« —Pourquoi ? lui demanda la détective étonnée.
—Je ne sais pas comment vous l'expliquer sans que ça ne vous semble bizarre...
—Essaie quand même, nous ne te jugerons pas, promis.
—D'accord...Alors voilà. Hier, il m'a prise à part à un moment de la soirée et il m'a dit très exactement : « Candice, cette nuit, il va m'arriver quelque chose de grave. N'oublie jamais que ce manoir regorge de secrets, à l'image de notre famille. » Sur le coup, je croyais qu'il m'avouait que ce serait lui la fausse-victime. Je ne pensais pas... Enfin maintenant je crois... Je crois qu'il savait que c'était son dernier soir et qu'il voulait me faire passer un message pour vous aider. J'en suis convaincue.
—Soupçonnes-tu quelqu'un ?
—TOUS ! »
Encore une fois, cela avait été lancé sans hésitation.
« —Comment ça ? s'étonna Maggie.
—Ça les embête tous à chaque fois de venir ici. Ils n'attendent qu'une chose, c'est que mon papy meure pour ne plus avoir cette corvée deux fois par an, plus à Noël, et récupérer son argent. J'en suis sûre. Je veux mener l'enquête avec vous.
—On verra ce qu'on peut faire pour toi, lui répondit Maggie un brin déstabilisée par la demande de l'adolescente. Je te rappelle quand même que tu es aussi suspecte que le reste de ta famille. »
Candice se renfrogna.
« —As-tu autre chose à ajouter qui pourrait nous aider ? questionna la détective avec douceur dans l'espoir d'apaiser la jeune femme qui se tenait face à elle.
—Non, répondit cette dernière encore vexée. Je n'ai rien d'autre à ajouter.
—Alors nous te remercions pour ta participation. Sais-tu s'il y a encore quelqu'un d'autre à aller interroger ?
—Non, j'étais la dernière.
—D'accord. Encore merci, et à plus tard. »
Sans se retourner, Candice quitta la pièce, la tête basse.
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