Chapitre 26 : La clairière
Alors qu'Ewen et Maggie venaient de faire leur entrée dans la clairière abandonnée, ils se stoppèrent instantanément. Ils ne s'attendaient vraiment pas à voir ce qui leur tomba sous les yeux.
Tandis qu'ils pensaient se retrouver dans un espace en friche au centre de quelques arbres, avec un morceau de ferraille tenant à peine debout tellement il serait rongé par la rouille, ils virent plutôt un petit coin agréable à vivre et parfaitement entretenu.
L'herbe était tondue, la platebande fleurie impeccable. La petite table et ses bancs en pierre n'étaient envahis par aucune mousse ou autre végétal invasif. La lumière qui filtrait entre les arbres apportait une touche particulièrement apaisante à l'endroit.
Le détail le plus touchant du tableau était le portique d'un blanc immaculé qui trônait au centre de la petite clairière. Deux balançoires artisanales, faites de cordes et de planches grossièrement taillées, y étaient accrochées. Sur l'une d'entre elle se balançait mollement Francine.
Maggie s'approcha de la femme qui tenait, malgré tout, fermement la corde qui la retenait assise sur sa planche. La médecin regardait droit devant elle, dans le vide. Son mouvement de balancier était automatique. Elle semblait être partie loin en arrière dans le temps, à une époque morte depuis bien trop d'années, mais qui hantait encore leurs jours.
« —Je peux ? demanda la détective en tendant sa main vers la balançoire vide, prête à la saisir.
—Oui, souffla Francine sans même un regard pour elle, tout en revenant peu à peu dans leur réalité. »
Lentement, Maggie s'assit à côté de la pneumologue et adopta le même mouvement de balancement ralenti qu'elle. Elle garda toutefois le silence. Elle cherchait à l'accrocher en douceur, sans la faire retomber brusquement dans le présent.
À côté, ne sachant quoi faire, Ewen, mains dans les poches, taquinait du bout de son pied une petite branche tombée près de lui. Cette distraction lui happa suffisamment son attention pour ne pas avoir à rester planté inutilement à côté des deux femmes, tout en pouvant suivre la conversation qui mettait du temps à se lancer.
Au bout d'un moment qui parut interminable au détective, Maggie se décida enfin à parler :
« —Elle aussi, elle avait cette grande mèche blanche sur le devant de la tête ? demanda-t-elle doucement. »
La question surprit Ewen qui ne comprit pas immédiatement où sa collègue voulait en venir. En revanche, Francine saisit. Et cela sembla la soulager que quelqu'un osait enfin lui en parler.
« —Oui, lui répondit la femme dont les muscles se détendirent légèrement. Mais elle détestait cette touffe qui ne s'accordait pas avec le reste de sa chevelure. Elle la teignait minutieusement. C'est une leucotrichie locale héréditaire.
—C'est dur de lui ressembler autant ?
—C'était une très belle femme. Enfant, j'étais heureuse d'être son sosie. C'est devenu un fardeau après sa mort.
—Il n'a jamais fait son deuil ?
—Comme vous pouvez le constater, non. Qu'il continue à entretenir son souvenir dans les mois qui ont suivi son décès, c'est normal. Mais presque cinquante ans plus tard, c'est pathologique. »
Maggie ne sut quoi répondre. L'écoulement du temps s'était comme suspendu. Ils étaient dans un lieu entretenu à l'identique depuis de nombreuses années. Les fantômes de deux petites filles riant et jouant des heures durant dans ce doux lieu étaient presque perceptibles.
« —Ça m'a détruite, poursuivi Francine sur le même ton doux qui la caractérisait si bien. Et j'en ai détruit mes enfants.
—Vous n'êtes pas responsable de ce qu'il s'est passé hier, tenta maladroitement Maggie.
—Bien sûr que si. Je me suis enfermée dans mes études et, après, mon travail. Je n'ai pas été assez attentive au mal-être de Mathias. Peut-être que si nous l'avions repéré, il aurait pu bénéficier des soins adéquats et il serait parfaitement intégré aujourd'hui. J'ai préféré faire l'autruche.
—Vous ne pouvez pas porter tout ce malheur sur vos épaules.
—Si. Eugénie est partie ce matin en taxi pour rejoindre la gare afin d'être à Bordeaux en fin de journée. Demain, elle commence le protocole qui mène à l'IVG. Elle n'a plus beaucoup de temps, elle est à la limite du délai légal. Il lui faudra subir un curetage. Ça a été une décision très difficile à prendre, mais elle trouve cela inconscient d'élever seule un enfant qui ne connaîtra jamais son père. »
Nouveau moment de silence. Patron et le lieutenant Messant étaient certainement déjà arrivés. Ils devaient sûrement se douter de la scène qui était en train de se dérouler au sein du bosquet, et ne souhaitaient pas intervenir pour ne pas risquer de briser cet instant crucial.
« —Je vous aime bien, continua Francine. Vous êtes deux jeunes détectives alertes et intelligents. Mais vous avez encore beaucoup à apprendre et à découvrir.
—C'est vous qui l'avez tué, n'est-ce pas ? demanda toujours aussi doucement Maggie. »
En même temps qu'un léger sourire dont l'émotion associée était difficile à identifier, une larme roula le long de la joue de Francine et alla s'écraser sur son pantalon de pyjama en soie et aux motifs fleuris.
« —Il fallait que ça cesse, se contenta-t-elle de répondre. »
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