30 - Le Crystal
Après cet intermède des plus plaisants, j'ai foncé au Crystal.
Alors que je slalomais joyeusement entre les voitures, klaxonnant celles qui n'allaient pas assez vite à mon goût, mon portable a vibré. J'ai regardé le message, pensant que c'était peut-être Skull, ou bien Écho qui s'excusait pour avoir tenté, une fois encore, de me violer (« Oh, Bobby, je suis tellement désolée, ce n'était pas moi, tu comprends, c'était mes hormones. Tu veux bien être le parrain de notre enfant ? Alex en serait enchanté. »
Alex, enchanté ? Mon cul, ouais !
Et rien que pour ça, je dis oui direct).
Finalement, ce n'était ni Skull, ni Écho, ni même ce bellâtre d'Alex. Non, c'était juste l'autre chieur :
« Tout est OK ? On est prêt. »
Et à cause de ça, j'ai quitté la route des yeux le temps d'un instant. Vous ne me croirez jamais, mais il s'en passe des choses en un instant, sur la route — notamment un gamin de dix ans qui a décidé de traverser devant moi, juste à ce moment-là.
Je sais ce que vous pensez : un gamin de dix ans ne vaut pas la peine qu'on s'arrête pour lui.
Vous n'avez pas complètement tort. Après tout, il est encore jeune, ses parents n'ont pas encore eu le temps de bien s'attacher à lui, et ils ont encore probablement l'âge de le remplacer par un autre.
À cet âge, de toute façon, ils ne font que grandir, bouffer et être des petits monstres braillards, laids et insupportables. Au final, ce serait un immense service rendu à la communauté que de ne pas freiner.
Cependant, contrairement aux simples mortels psychopathes que vous êtes, j'ai des réflexes hors du commun, ce qui m'a permis d'éviter une inutile boucherie et de repeindre la carrosserie de la voiture par la même occasion.
(On ne va pas se mentir, c'est uniquement parce que je n'avais pas envie de payer le lavage de ma voiture que j'ai freiné).
Je me suis quand même fait copieusement insulter par ce petit morveux (mais qu'est-ce qu'il fout dehors à une heure pareille ? Ses parents sont vraiment des irresponsables). Il m'a dit des choses que je ne répèterai pas car j'ai une certaine éthique et une élégance d'écriture qui m'empêche de retranscrire toute vulgarité ici. De sa monstrueuse bouche d'enfant jaillissait pourtant un véritable déchaînement d'injures et de termes des plus grossiers qui auraient certainement fait rougir une nonne si elle les avait entendues (vous avez déjà vu une nonne qui rougit ? C'est extrêmement drôle).
Ensuite, alors que je m'étais à peine remis de mes émotions et que je grillais un feu rouge, manquant de peu d'écraser cette fois un aveugle et son chien, je me suis aperçu que la mystérieuse voiture grise était à nouveau là. J'ai accéléré, essayant de la semer, sans succès.
Lorsque je suis arrivé au Crystal, la voiture grise était toujours collée à mon pare-chocs, j'avais reçu une bonne centaine de textos de l'autre chieur, et enfin Skull m'attendait impatiemment devant l'entrée de la boîte (hum, mauvais, ça).
Mon cœur a failli lâcher lorsque j'ai vu qui l'accompagnait.
Senior, Karma et... Alex ?
— Qu'est-ce qu'ils foutent ici ? ai-je sifflé à Skull, furieux.
— Finalement, ma blessure était tout à fait bénigne ! a joyeusement répondu mon père à sa place. Le médecin — c'était le docteur Berger, quel merveilleux hasard ! — a dit que ce n'était rien du tout !
Je reconnais bien Berger et son fameux « Mais-non-voyons-ce-n'est-rien, juste une artère qui a pété, pas de quoi en faire toute une histoire. »
— Avec Karma, on a décidé de fêter l'événement et je me suis dit, pourquoi ne pas venir célébrer ça avec vous, au Crystal ?
Il a souri d'un air benêt, fier de lui comme un paon et de son idée, comme s'il venait de trouver le vaccin contre la bêtise.
J'ai essayé de respirer profondément.
(Calme-toi, surtout, reste calme).
— Et que vient faire ici l'autre... trou-du-cul ?
— Alex ? a dit mon père. On l'a croisé à l'hôpital, apparemment Écho a eu des contractions mais c'était une fausse alerte. Les médecins ont décidé de la garder en observation pour la nuit alors j'ai dit à ce charmant jeune homme de venir avec nous pour se changer les idées.
Une lueur lubrique a traversé son regard.
— Du coup, on l'a invi... vous allez où ? a demandé Senior en nous voyant, Skull et moi, nous éloigner.
— Entrée derrière, a dit Skull. Plus discret.
J'ai soupiré — vas-y, dévoile-lui tout notre plan pendant qu'on y est !
— Non, non, non ! a martelé Senior. Vous allez entrer par la grande porte, avec nous ! C'est une soirée exceptionnelle, les enfants ! (clin d'œil complice). Votre père est toujours en vie !
Malheureusement.
(Je suis sûr que vous avez pensé la même chose que moi, ne prétendez pas le contraire).
J'ai fusillé mon père du regard, et Alex a fait de même. J'avais la très nette impression qu'il n'avait pas du tout envie d'être ici, après avoir essayé de m'étrangler une heure plus tôt.
Comme Senior n'allait manifestement pas nous laisser filer, j'ai préféré obéir sans discuter.
Mon portable a vibré au moment où je pénétrais dans le night-club.
« Bordel, vous faites quoi ? Le maire est déjà là ! »
J'ai eu de brusques suées. Mon plan — si beau, si bien, si parfait — était en train de se casser la gueule à la vitesse de la lumière.
« Bon, ce n'est pas grave », me suis-je dit. « Passons au plan B. »
Vous avez sûrement remarqué que dans les films, le héros a souvent tendance à concocter des plans de secours (un ou plusieurs selon son degré de compétence et le budget du film), parce qu'il sait pertinemment que le plan d'origine a de grandes chances d'être piétiné, méprisé, humilié, démoli et réduit en poussières quelques secondes seulement après sa mise en application.
Je trouve ça particulièrement stupide car il n'a qu'à passer directement au plan B, celui-qui-marche !
C'est pourquoi, fier de moi, j'avais trouvé brillant de faire de mon plan B (celui-qui-marche !) le plan A.
Autrement dit, je n'avais pas de plan de secours.
(Robert Robert junior, Grand Imbécile Suffisant de la Galaxie — un titre que l'Impératrice cosmique Karma serait plus que ravie de m'attribuer).
* * * * *
— Skull !
Nous avons foncé vers les toilettes du club, laissant en plan mon père, Karma et Alex, ce dernier pas mécontent de nous voir partir.
Cela peut sembler idiot de vouloir emprunter l'entrée de service mais l'avantage (non négligeable) que cela représente, c'est qu'on reste un minimum discret — parce que Skull qui traverse la piste de danse, sa silhouette de troll dépassant largement celles des danseurs hystériques, ce n'est pas exactement ce qui se fait de mieux en matière de discrétion.
Par je ne sais quel miracle, nous avons réussi à nous rendre aux toilettes sans trop nous faire repérer. Dès que la porte s'est refermée sur nous et que Skull a délogé les intrus (qui ont tout juste eu le temps de remonter leur pantalon), je lui ai demandé de me donner le sac.
— Sac ?
OK.
Soit je nage en plein cauchemar, soit Skull est vraiment le dernier des abrutis.
Attendez...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro