19 - Et si on rentrait à la maison ?
- Robert ! Robert ! Fiston !
La voix de mon père m'est parvenue depuis ma chambre d'hôpital. Assis sur le siège des toilettes, je me suis figé. Depuis qu'on avait définitivement retiré toutes mes perfusions - ainsi que mes liens ! -, juste après le départ du Docteur Betrüger, j'avais retrouvé un semblant de dignité en pouvant à nouveau faire mes besoins autrement que dans une poche en plastique à la vue de tous.
(Oui, c'est le moment scatophile de l'histoire. Merci de le respecter, mon côlon vous en sera éternellement reconnaissant).
Mais ce peu de dignité retrouvé a volé en éclats lorsque mon père a débarqué dans les toilettes.
- Oups, a-t-il dit.
Moment gênant qui a duré bien trop longtemps à mon goût (et au goût de mes sphincters), pendant lequel j'ai eu le temps de maudire le petit génie qui avait délibérément enlevé le verrou de la porte.
- Fiston, a-t-il dit en se tordant nerveusement les mains, il faut que tu m'aides.
- Sors. D'ici. Immédiatement.
- Qu'est-ce qui se passe ? Tu as l'air constipé, tu veux que je demande aux infirmières de te donner un laxatif ?
- PUTAIN MAIS DÉGAGE !!
Un bruit de vieux ballon qui se dégonfle a accompagné mes hurlements (R.I.P. mes sphincters) et mon père s'est empressé de quitter la pièce.
Lorsque, quelques minutes plus tard, j'ai réussi à me convaincre que je ne pourrais pas passer le restant de mes jours dans ces toilettes, j'ai rejoint mon père dans la chambre en train de faire les cent pas.
- Qu'est-ce que tu veux ? ai-je demandé d'un ton abrupt.
- Voilà, euh, je ne sais pas par où commencer...
- Par le début, ce serait pas mal.
Il m'a jeté un regard humide et coupable. J'ai frissonné.
- Ne me dis pas que c'est encore une histoire de factures, ai-je dit en fermant les yeux et en massant mes tempes. Ou encore un de tes coups foireux, genre : « Oups, fiston, désolé, mais je viens de vendre la maison pour m'acheter une nouvelle robe à fleurs en poils de cul de chameau... »
- La maison, c'est ça ! s'est brusquement écrié mon père.
- Quoi, la maison ? me suis-je exclamé, mon cœur bondissant désagréablement dans ma poitrine. Tu n'as pas... ne me dis pas que tu l'as...
- Non, non, pas du tout !
J'ai poussé un soupir de soulagement (ça n'allait pas durer).
- Vois-tu, avec Flake, on s'est disputés...
- J'ai cru m'en apercevoir.
- ... à cause de toi.
J'ai manqué de m'étrangler.
- Bref, a-t-il enchaîné sans tenir compte de mon regard furieux, Flake est parti avec le camping-car.
- Et alors ? ai-je dit avec indifférence.
- Tu ne l'as pas vu - le camping-car, a dit mon père avec un enthousiasme des plus suspects. Immense, avec des compartiments qui se déploient, un salon, une salle à manger, une salle de bains avec jacuzzi, une chambre spacieuse avec un lit king size et un écran géant avec télévision par satellite et abonnement à Netflix ! Il y a même une plateforme à l'arrière du camping-car pour y ranger une petite voiture ou un jet-ski.
J'ai été pris de brusques sueurs froides, avec la désagréable sensation que le cauchemar recommençait.
- Comment avez-vous payé cette chose ? ai-je voulu savoir malgré moi.
J'aurais mieux fait de suivre le dicton « ce qu'on ignore ne peut pas nous faire de mal » - qui, entre nous, a tout faux, mais qui au moins nous permet de faire l'autruche sans en perdre le sommeil.
- Vois-tu, avec Flake, on avait l'intention de faire le tour du monde, a expliqué mon père en évitant délibérément de répondre à ma question. Et, tu connais ce pauvre Flake...
- Non, je n'ai jamais eu cet honneur.
- ... il ne supporte pas les conditions de vie un peu spartiates. Il lui faut absolument sa chaîne « TV Beauté & Minceur » - c'est pour son régime, vois-tu. Alors, même avec toutes nos économies, on n'avait pas assez d'argent pour acheter le camping-car.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais la fin de la phrase m'a particulièrement déplu. Je me suis donc empressé de mettre les choses au clair :
- Comment ça, pas assez ?
- Eh bien, a dit mon père en évitant à tout prix de me regarder, il y a l'entretien, et puis l'essence, la nourriture, l'abonnement internet, les produits de beauté de Flake chéri... et comme on part pendant un an, il faut pas mal d'argent pour tout payer. Alors Flake a proposé de faire un prêt en ton nom - vu qu'on a le même, tu sais, ni vu ni conn...
- QUOI ? ai-je rugi. Je vais te tuer !
- Voyons, fiston, ne dis pas ça, a dit mon père d'une voix ennuyée, après tout...
Je n'ai jamais su ce qu'il comptait me dire - et franchement, je m'en fiche.
Il y a eu un bruit assourdissant, comme si la foudre venait de s'abattre en plein milieu de l'hôpital. Robert senior s'est glissé promptement sous le lit, juste avant que la porte ne s'ouvre sur une Karma passablement furieuse et échevelée. Ses cheveux étaient dressés sur sa tête et crépitaient dangereusement, comme si elle venait d'enfoncer ses doigts dans une prise et d'expérimenter ce que ressentent les condamnés à mort sur la chaise électrique.
- Toi ! a-t-elle fait en enfonçant son index dans ma poitrine. Où est mon père ?
- Heureux de te revoir, Karma.
Pour toute réponse, elle a saisi mes doigts et les a tordus sauvagement.
- Je n'ai pas le temps de jouer, a-t-elle sifflé rageusement. Où est-il ?
- De quoi... de quoi tu parles ? ai-je réussi à dire entre deux grosses larmes.
- Ne fais pas le malin ! L'inspecteur Armstrong m'a prévenu que papa était en ville et qu'il était venu te voir !
- Peux-tu me rendre mes doigts ? l'ai-je suppliée, au bord de l'évanouissement.
Karma a réussi le tour de force de leur imprimer une rotation complète avant de finalement les relâcher.
- Qu'est-ce que tu lui veux ? ai-je demandé en regardant douloureusement mes doigts tordus.
Je n'avais plus aucune sensation à leurs extrémités et ils ne semblaient plus vouloir bouger, même en y mettant toute la bonne volonté du monde, mais qui étais-je pour me plaindre ? Grâce à ma sœur, ils avaient désormais acquis une souplesse et une élasticité inégalées dans tout le règne animal. J'allais faire un malheur dans les foires aux monstres.
- JE VEUX LE TUER ! a-t-elle hurlé d'une voix hystérique.
Pour la première fois de ma vie, j'ai prêté une attention toute particulière aux paroles de Karma. Ses intentions me paraissaient être plus qu'honorables et, je dois l'avouer, très intéressantes.
Même si j'étais prêt à satisfaire ses exigences sur le champ - et à lui donner un coup de main s'il le fallait -, Robert senior allait d'abord devoir répondre à quelques questions avant que je ne le livre en pâture à ma folle de sœur.
- Très bien, ai-je fini par dire. Si jamais je le vois, je te préviens. Et si tu as besoin d'aide, n'hésite pas à me le faire savoir. D'accord ?
Karma a lentement hoché la tête puis est partie harceler une infirmière - un autre de ses passe-temps favoris.
- C'était... c'était Karma ? a demandé mon père en s'extirpant difficilement de dessous le lit.
- En effet. Charmante personne, n'est-ce pas ? Tout le portrait de sa mère, même si Skull lui ressemble plus physiquement, si tu veux mon avis.
Robert senior s'est effondré sur le siège en plastique près du lit.
- Maintenant, ce que je voudrais savoir, c'est ce que tu mijotes avec ma maison.
- En fait, a-t-il fait remarquer, c'est toi qui l'as évoquée le premier...
- Très drôle, ai-je dit sèchement. Tu veux peut-être que j'appelle Karma pour lui demander ce qu'elle en pense ?
Mon père a blêmi. Il a soufflé comme un bœuf qui ferait une crise d'hyperventilation, puis m'a adressé un pâle sourire :
- Voilà, Flake étant parti avec le camping-car, je n'ai nulle part où aller. Alors je me suis dit que je pourrais m'installer chez toi en att...
Cette fois, c'est moi qui ai soufflé comme un bœuf.
- Tu te fous de moi !
- Non, pourquoi ? s'est-il étonné en me fixant de ses grands yeux naïfs.
J'ai serré les poings. Mon père avait le don de déclencher chez moi des migraines fulgurantes qui ne pouvaient disparaître que par la mort de l'un de nous deux. Et pour le coup, je n'avais aucune envie suicidaire.
- Même si j'acceptais, ai-je dit en détachant distinctement chaque syllabe, pas question que tu mettes un pied chez moi tant que je serai coincé ici.
La porte s'est à nouveau ouverte et le Docteur Berger est apparu comme un de ces clowns sur ressorts qui jaillissent brusquement de leur boîte, se balançant d'avant en arrière au son de la musique de l'Exorciste, un sourire sanglant s'étalant d'une oreille à l'autre sur leur visage d'une blancheur de craie.
- Monsieur Robert, m'a-t-il salué. Monsieur Robert, a-t-il fait à l'adresse de mon père qui s'était jeté précipitamment sous le lit. Je suis venu vous annoncer une très bonne nouvelle : le Docteur Betrüger a donné son accord, vous pouvez sortir dès aujourd'hui !
- Bah voilà, ai-je entendu mon père murmurer. Le problème est réglé.
Je sens qu'il va y avoir un meurtre.
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Salut !
Merci à tous d'être aussi nombreux à suivre les aventures de Bobby, à commenter, à interagir et à donner votre avis, c'est très stimulant et ça fait extrêmement plaisir de pouvoir échanger avec chacun d'entre vous ! 😍
Grâce à vous, La Mort m'irait si bien a été #5 dans la catégorie "humour" le 9 juillet dernier ! 😀
Je profite de la publication de cette vingtième partie de l'histoire (déjà !) pour vous présenter un des premiers romans que j'ai lu sur Wattpad et qui est une réussite absolue : Georges de illana_ca, qui a su raconter cette histoire en trouvant toujours les mots justes, sans jamais tomber dans les stéréotypes ni même dans la caricature. Cette histoire nous prouve que l'Amour ne se soucie ni des genres, ni des barrières sociales, ni même des conventions établies qui empêchent parfois deux personnes de s'aimer, tout simplement.
Georges nous prouve qu'il y a de l'espoir en tout et en toute circonstance, même quand on se retrouve piégé au milieu d'une terrible tempête à laquelle on ne pense pas pouvoir en réchapper.
Pendant ces belles vacances d'été, si vous n'avez pas encore lu ce livre, n'hésitez pas à vous plonger dedans, je parie que vous serez incapables de vous arrêter et que vous en sortirez changés !
Ce livre n'a absolument rien à voir avec La Mort m'irait si bien mais c'est probablement une des histoires qui m'a le plus touchées, que ce soit sur Wattpad ou sur papier. Lisez-le, faites-moi confiance, vous me remercierez après (n'hésitez pas d'ailleurs à le faire dans les commentaires ^^)
En attendant, n'oubliez pas de voter ★, de partager l'histoire et bien sûr de donner votre avis, on finira peut-être ensemble par atteindre le top 3 😁
À bientôt !
Thomas
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