18 - La Vérité, rien que la Vérité
Un long silence a suivi sa déclaration.
— Il n'y a plus aucune raison de vous cacher désormais, a repris le Docteur Betrüger. Les médias vous ont d'ores et déjà déclaré coupable. Et si vous n'avez pas encore été lynché sur la place publique, c'est uniquement parce que vous êtes cloué dans ce lit.
— Mais tout est faux dans cet article ! Les dates, les faits, rien n'est exact ! Je n'ai jamais tué personne !
— Les lecteurs n'en savent rien, eux, a répliqué Betrüger. Et maintenant que le doute s'est immiscé dans leurs esprits, vous ne pourrez jamais les convaincre complètement de votre innocence.
— Putain de journalistes et de leur soi-disant impartialité, ai-je dit, les dents serrées. Pour pondre de telles conneries, ils ont dû joyeusement se torcher le cul avec leur fameuse objectivité.
— Ne craignez pas les journalistes, c'est une espèce en voie de disparition qui essaie de survivre par tous les moyens, en tentant de faire le buzz comme on s'accroche désespérément à une bouée alors qu'on est sur le point de se noyer.
Betrüger s'est légèrement penchée en avant.
— Vous devriez plutôt craindre le monstre Internet, a-t-elle ajouté avec un rictus des plus sinistres. La justice de ce siècle ne sera plus rendue dans les tribunaux, ni même dans les journaux, mais bien sur les réseaux sociaux.
Elle a agité la feuille qu'elle avait noircie de notes depuis le début de notre entrevue.
— Ce que je vais écrire dans mon rapport va avoir un impact majeur sur le reste de votre vie. Soit vous sortez de cet hôpital en homme libre, soit les menottes aux poignets, direction la prison ou l'asile. Cela ne tient qu'à vous.
Ses yeux m'ont transpercé avec une intensité presque douloureuse. J'ai préféré détourner le regard parce que je me sentais gêné pour elle. À trop vouloir jouer au Professeur Xavier, elle allait finir par nous faire une rupture d'anévrisme et on allait encore dire que c'était de ma faute.
Betrüger a soupiré :
— Vous savez, la police vous considère comme un énorme furoncle prêt à exploser, qui va répandre son pus jaunâtre et malodorant sur tous ceux qui auront eu le malheur de se trouver à proximité.
Miam.
Elle m'a adressé un sourire qui se voulait contrit mais qui sonnait terriblement faux. Et elle le savait, la salope. Elle prenait son pied à énoncer tout haut ce que je redoutais d'entendre :
— Cette histoire de pièce à conviction, qui disparaît au cours de l'un des procès les plus médiatisés de ces vingt dernières années pour ensuite réapparaître entre vos mains, donne des sueurs froides à la police. Ils cherchent désespérément un bouc émissaire ; et autant vous dire qu'ils n'ont pas mis longtemps à arrêter leur choix.
— Moi, j'imagine ? ai-je dit, la gorge nouée.
— Cela ne devrait pas trop vous affecter, cependant, puisque vous voulez « crever, une bonne fois pour toutes », selon vos propres mots.
— Mais je ne veux pas qu'on salisse mon nom ou ma réputation !
Je me suis alors fait la réflexion que c'était un peu tard pour ça, mon père s'en était déjà chargé des années auparavant.
— En quoi cela vous importe-t-il de savoir ce que les gens pensent de vous, une fois mort ? a demandé le Docteur Betrüger. À moins que vous ne souhaitiez pas réellement mourir et que vos tentatives ratées n'étaient en réalité que des appels à l'aid...
— Vous n'allez pas recommencer avec ça !
La Grand-Mère Feuillage de la psychanalyse s'est figée. Elle a froncé les sourcils — et tout le reste de son visage avec.
— Comme je le disais, a-t-elle dit d'un ton calme et détaché, je pourrais facilement abonder dans le sens des médias et écrire dans mon rapport que vous voulez vous suicider parce que vous n'avez jamais réellement assumé toutes les atrocités que vous avez commises depuis votre plus jeune âge. Vous éprouvez pour vous-même un profond dégoût, vous ne supportez plus l'image que vous renvoie votre reflet dans le miroir, et la seule échappatoire possible est d'en finir avec cette misérable existence de meurtrier.
— Je-n'ai-jamais-tué-personne ! ai-je répliqué d'une voix sifflante.
— Je pourrais également écrire que vous êtes un sociopathe qui a un besoin pathologique d'attention et de reconnaissance, a continué Betrüger sans tenir compte de mon interruption. Mais la mauvaise personne a été arrêtée et condamnée, et vous vous êtes senti privé de ce qui vous revenait de plein droit... Il ne vous restait alors qu'une seule solution, un dernier grand coup d'éclat, le meurtre ultime à accomplir : le vôtre.
— Personne ne vous croira !
— Je jurerai n'avoir fait que mettre vos paroles par écrit, a rétorqué Betrüger.
— Mais je n'ai jamais rien dit de tel !
— Maintenant, c'est fait.
Elle a griffonné quelques mots sur une feuille blanche et les a soulignés avec une vigueur insoupçonnée chez une femme plus proche de la Momie que de Marylin Monroe.
— Je dirai que vous avez menti ! Que vous avez tout inventé !
— C'est là toute la beauté de la psychiatrie, a dit Betrüger d'une voix tranquille. Si vous contredisez mon rapport, je pourrai toujours prétendre que vous souffrez d'amnésie dissociative, suite à votre dernière tentative de suicide. Personne n'en sera étonné.
J'ai serré les poings à m'en faire péter les jointures.
« Crève, charogne, crève, crève, CRÈVE ! »
— Il sera facile pour moi d'affirmer que vous m'avez raconté votre histoire dans les moindres détails, a continué Betrüger, ignorant tout de mes incantations silencieuses, et que suite au stress induit par ces révélations, vous n'en n'avez gardé aucun souvenir.
« Mon Dieu, si vous existez, faites en sorte que la putain de chaise sur laquelle elle est assise se fracasse en mille morceaux, qu'elle s'empale dessus et qu'elle meure noyée dans son propre sang. »
« Ah, oui, euh... amen. Désolé. »
— La police sait pertinemment que vous n'avez jamais été un meurtrier, a dit Betrüger après un instant de silence. Il n'y a eu qu'un seul meurtre, contrairement à ce qu'on peut lire dans les journaux qui ont tendance à relier des affaires n'ayant aucun rapport entre elles et qui, voulant à tout prix faire du sensationnalisme, en tirent des conclusions hâtives.
J'ai jeté un regard noir à la chaise qui n'avait manifestement aucune envie d'accéder à ma requête.
— Et Jeff Bundy a bien tué son père qui, effectivement, le violait depuis des années.
— Pour une fois que les médias ont raison sur quelque chose, marmonnai-je.
Betrüger a hoché la tête, pensive.
— Mais s'ils savent que vous êtes innocent, que vont penser les policiers en lisant mon rapport ?
Question rhétorique à laquelle elle s'est empressée de répondre :
— Probablement que vous êtes un affabulateur et un opportuniste qui a tout manigancé pour avoir son quart d'heure de célébrité. Jusqu'à voler une pièce à conviction et à mettre en scène son prétendu suicide.
— C'est n'importe quoi ! me suis-je exclamé.
Je commençais à avoir la nausée — la métaphore purulente du furoncle n'y étant pas totalement pour rien.
— Vous êtes complètement tordue !
— Il le faut bien pour faire ce métier, a dit le Docteur Betrüger avec un grand sourire.
Elle a fourré dans son sac en peau-de-petit-africain-mort-de-faim ses lunettes et ses différents papiers, à l'exception de la feuille blanche qu'elle avait martyrisée quelques minutes plus tôt.
— N'oubliez pas : j'ai le pouvoir de décider si vous êtes sain d'esprit ou mentalement instable, a-t-elle dit en se levant. Avez-vous réellement envie qu'à votre souvenir soit associé l'odeur aigrelette et rance de la démence ?
Elle s'est approchée de mon lit.
— Nous attendons de vous qu'à l'avenir vous soyez pleinement coopératif et que vous nous disiez la vérité. Sinon, mes conclusions qui parviendront jusqu'aux journaux risquent de vous décrire comme quelqu'un de psychotique ou comme un parfait arriviste. L'un comme l'autre, cela ne fera que conforter l'opinion publique dans l'idée que vous êtes un redoutable tueur en série.
Elle a tapoté ma main. Je l'ai vivement retirée, comme si j'avais reçu une décharge électrique.
— Il est vain de vouloir s'absoudre de tous ses péchés et de toutes ses erreurs, a-t-elle professé d'un ton docte. Il faut simplement apprendre à vivre avec.
Elle m'a tendu la feuille blanche.
— Tenez, vos aveux. Je ne pense pas que nous en aurons besoin.
Le Docteur Betrüger m'a adressé un dernier sourire et a quitté la chambre. J'ai jeté un coup d'œil au papier et lu ce qu'elle avait écrit.
« La plus grande tragédie de la vie n'est pas la mort, mais ce qui meurt en nous tandis que nous vivons — Norman Cousins. »
Pour la première fois de ma vie, j'ai regretté m'être autant trompé sur quelqu'un.
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Salut !
Voici un chapitre qui a été particulièrement difficile dans sa construction — autant sa rédaction a été d'une incroyable simplicité et d'une incroyable fluidité, autant l'enchaînement des arguments et l'évolution de la discussion entre Betrüger et Bobby a été un véritable casse-tête !
Mais je suis assez satisfait du résultat :)
Par ailleurs, j'aime beaucoup le Docteur Betrüger — c'est l'un de ces personnages qui n'étaient pas prévus à la base et qui se sont invités d'eux-même dans le récit ; je ne le regrette absolument pas car elle a une forte personnalité et c'est la première à provoquer une véritable réaction, une volonté de changement chez Bobby... pour le meilleur ou pour le pire ? ;)
Dans le prochain chapitre, vous aurez le plaisir de retrouver Robert senior, Karma et ce bon Docteur Berger ;)
N'oubliez pas de voter ★et de partager l'histoire autour de vous, par exemple auprès de toutes ces personnes tristes qui méritent elles aussi de rire un peu de temps en temps ^^
Passez un bel été !
Thomas
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