07 - La Foi justifie les moyens
Il est peut-être temps de faire une pause, afin de tout récapituler, histoire de voir si vous avez bien suivi - ou de vous remettre les idées en place, si au contraire vous êtes complètement largués.
Je m'appelle Robert Robert, comme mon père, et j'espère être mort avant d'avoir atteint la trentaine.
Ma mère était une alcoolique notoire, morte il y a presque dix ans, peu après que mon père ait quitté le domicile conjugal.
J'ai un demi-frère et une demi-sœur, Skull et Karma.
Et je suis coincé dans un lit d'hôpital parce que j'ai tenté de me suicider et, qu'une fois n'est pas coutume, je me suis raté, je ne sais trop comment.
Certains d'entre vous se disent : « Pourquoi répète-t-il tout ça ? On le sait déjà. »
C'est pas faux.
Je pense cependant au pourcentage non négligeable de personnes qui ont décidé de lire cette histoire dans les transports en commun parce que ça fait toujours du bien, après une dure journée entre des collègues exécrables qui pissent tout autour de la cuvette et un patron détestable qui ne sait toujours pas se servir de la photocopieuse - bref, ça fait toujours du bien de se dire qu'il y en a qui ont une vie encore plus merdique.
Et ces personnes qui doivent supporter l'horreur des transports en commun ont un peu le cerveau en bouilli, entre le jeune qui met sa musique à fond, histoire de faire profiter tout le monde de la merde qu'il écoute, et la bonne femme ressemblant à une femelle hippopotame en chaleur qui les écrase contre la vitre du train recouverte de somptueux tags rendant un vibrant hommage à la richesse et à la beauté de la langue française. Sans oublier, puisqu'on est dans les métaphores animales, le mec qui sent le bon gros phoque bien gras qui vient de s'avaler une demi-tonne de sardines, juste pour le plaisir. Si jamais vous faites partie de cette dernière catégorie, je vous en supplie : il existe une merveilleuse invention qu'on appelle savon. N'hésitez pas à l'utiliser. Allez-y, faites-vous plaisir. Frottez sans modération. Vous aurez peut-être la surprise de voir une sorte de couche protectrice - qu'on appelle communément de la crasse - se détacher de votre peau, un peu comme la mue d'un serpent.
C'est pour ça que je fais ce petit résumé : pour toutes ces personnes qui essaient de se concentrer sur cette putain d'histoire tandis que leur jeune voisine fagotée comme une Barbie sous acide raconte à voix haute les dernières péripéties scabreuses de ses idoles issues de la téléréalité.
Et aussi pour tous les autres qui, d'une manière ou d'une autre, se demanderaient qui je suis : ceux qui sont sur la plage en train de se choper un cancer de la peau parce qu'ils n'ont pas mis assez de crème solaire ; ceux qui sont tombés par hasard sur cette histoire et qui commenceraient, pour d'obscures raisons qui n'appartiennent qu'à eux, à lire à partir de maintenant ; ou encore ceux qui souffrent d'un problème de mémoire immédiate et qui ne se rappellent même plus du titre du chapitre en cours.
Voilà. Fin du rappel.
Revenons maintenant à la révélation du moment : Écho attend un bébé !
J'aimerais pouvoir affirmer que cette nouvelle m'a laissé complètement indifférent, ou encore que j'étais content pour elle, mais ce serait un autre mensonge éhonté.
En fait, je ne sais pas trop quoi en penser. J'ai l'impression, à mon grand étonnement, que je suis jaloux. Mais pourquoi ? Après tout, je n'ai jamais été amoureux d'Écho.
Enfin, je crois.
Bien sûr, dans une série télé dégoulinante de mièvrerie, ou dans un livre à l'eau de rose, ou encore dans une pièce de théâtre tragique, le héros (c'est-à-dire moi) prendrait enfin conscience des sentiments qu'il éprouve pour sa meilleure amie et ferait tout pour la conquérir, quitte à s'enfermer dans une sorte de triangle amoureux particulièrement glauque et sordide. Et si on était dans une série télé en perte d'audience, les scénaristes inventeraient tout un tas de rebondissements invraisemblables et improbables, comme par exemple : « La jeune femme accouche d'un babouin à trois bras mais meurt en couches. Le père et le héros, désespérés, décident de se battre en duel. Mais le babouin sauve le Président lors d'une attaque terroriste. Ils se retrouvent sur une île déserte. Le père du babouin et le héros se marient et adoptent le Président. Fin. »
Mais nous ne sommes pas dans une série télé, ni dans un livre pour femmes à chats, ni dans une pièce tragique où tout le monde meurt du début à la fin.
Donc, non, je ne suis pas amoureux d'Écho.
Enfin, je crois.
* * * * *
Après le départ d'Écho, j'ai eu un coup de blues. En général, personne n'aime avoir un coup de blues - tout simplement parce qu'on se sent mal, parce que c'est déprimant et qu'on a souvent envie de mourir dans ces moments-là.
Autant vous dire que j'adore ça.
Pour mener à bien mon projet Mort imminente, j'avais besoin d'avoir les mains libres. Or, j'étais toujours attaché au lit par ses horribles liens en cuir.
Lorsque la porte s'est ouverte, livrant passage à mon nouveau visiteur, un plan diabolique a germé dans mon esprit.
- Bonjour, Robert.
- Bonjour, mon Père.
- S'il te plaît, appelle-moi Géryon.
Que je vous présente Géryon, parce que le personnage vaut vraiment le détour.
Petit, le jeune Géryon voulait être Tarzan et vivre au milieu des animaux sauvages, notamment parce qu'il n'aurait plus besoin de se laver - avantage non négligeable, vous en conviendrez.
Adolescent, le désormais un-peu-moins-jeune-mais-toujours-quand-même Géryon a décidé de devenir artificier. Chaque année, au moment de la fête nationale, il achetait assez de fusées pour faire décoller sa maison si jamais elles venaient à exploser toutes en même temps. Il les tirait au fond de son jardin, pour le plus grand bonheur de sa famille et de ses voisins. Jusqu'au jour où une chandelle romaine mal fixée est tombée dans l'herbe et a projeté une de ses boules de feu sur la tante de Géryon, mettant le feu à sa magnifique robe en polyester. Ce malheureux incident a mis un terme brutal aux rêves de notre jeune ami, ainsi qu'à ceux de sa tante qui souhaitait devenir mannequin pour lingerie fine. En fait, d'après ce que j'ai cru comprendre, ça a mis un terme définitif à sa tante.
Par la suite, les ambitions de Géryon ont été guidées par la montée de testostérone qu'ont tous les garçons normalement constitués à l'adolescence. Après avoir voulu devenir gynécologue pour stars, trader et finalement footballeur professionnel, notre ami Géryon a traversé une véritable crise identitaire. Après s'être longtemps remis en question, et après avoir vécu une épreuve mystique tout à fait singulière - similaire à celles que l'on vit en écoutant un morceau de David Bowie -, un nouveau Géryon est descendu de la montagne sacrée, transfiguré par l'appel divin qu'il avait reçu.
C'est ainsi qu'il est devenu le Père McGregor, prêchant la bonne parole pour notre modeste mais néanmoins sympathique petite paroisse - je préfère dire ça à « notre trou perdu qui pue l'ennui et semble allergique à tout effort de modernité », description qui serait, certes, plus exacte mais nettement moins bucolique.
Géryon ne s'est pas arrêté à ce seul fait d'armes. Je ne sais pas si une quelconque loi réprouve ce qu'il a fait, si ce n'est la morale (et pour un homme de foi, il n'en a jamais eu beaucoup), mais ce qu'il a accompli reste unique et sans précédent dans l'Histoire des religions.
Après avoir été ordonné prêtre, il a décidé de devenir pasteur de l'Église réformée Zwingli-calvinienne. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, il s'est fait ordonner dans une dizaine d'autres religions.
Fier de tous ses diplômes obtenus, il a décidé d'ouvrir un site internet proposant d'ordonner, pour une somme assez modique par ailleurs, n'importe qui à n'importe quoi.
Son commerce est devenu rapidement florissant, jusqu'à ce que certaines Églises se mettent à leur tour à proposer des ordinations cybernétiques.
Son site internet ne lui permettant plus de vivre confortablement (il a dû vendre sa Lamborghini - oui, c'est également lui qui a inventé le concept des prêtres people qui remplissent des stades en chantant du gospel avec des nonnes en bikini), il a dû trouver un autre secteur d'activités permettant de supporter son train de vie indécent et digne d'un évêque de la Renaissance.
C'est donc tout naturellement qu'il s'est tourné vers le trafic d'armes.
Précisons qu'entre-temps il a été radié des différents ordres auxquels il appartenait. En réponse à cet affront, il a décidé de fonder sa propre Église, l'Église épiscopalienne grégorienne.
Mais revenons à nos moutons.
- Bonjour, Robert.
- Bonjour, mon Père.
- S'il te plaît, appelle-moi Géryon.
- Que faites-vous là ?
- J'ai appris ce qui t'est arrivé. Je suis venu t'apporter un peu de réconfort.
- Ah.
- Maintenant, prions. Ensuite, tu te confesseras pour alléger ta conscience tourmentée.
- Vous n'êtes plus prêtre, ou pasteur, ou je ne sais quoi d'autre.
- Tu m'as pourtant appelé « Mon Père. »
- L'habitude, sans doute.
- Eh bien, faisons comme si.
- Comme si ?
- Tais-toi et prie.
Géryon s'est mis à genoux, a posé ses coudes sur mon lit, a joint les mains et a fermé les yeux. Il a commencé à remuer silencieusement les lèvres tout en fronçant les sourcils, avec une telle ferveur et une telle concentration sur le visage que c'en était presque douloureux. Un peu comme une grosse constipation bien méchante.
Précisons quand même qu'il est vêtu d'une ample robe en bure, comme les moines au Moyen-Âge. Avant que certains ne s'émerveillent devant la profondeur de sa foi, je tiens à dire qu'il porte cet accoutrement uniquement parce qu'il lui permet de cacher tout un tas d'armes, de la simple machette au Smith & Wesson M&P15 (deux mille dollars l'unité, trois mille les deux - offre promotionnelle du moment), en passant par le Browning M1911 (actuellement en rupture stock). Et qui irait soupçonner un homme de foi en spartiates de cacher des armes de mort sous son froc ?
- Euh... Mon Père ?
- Oui ?
- Pourriez-vous détacher mes liens ? Je ne peux pas prier avec.
- Bien sûr, mon fils.
Et voilà. Première phase de mon plan achevé. Ha, ha, ha ! (rire diabolique).
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Salut !
Vous avez enfin fait la connaissance de Géryon, un personnage haut en couleurs qui s'est par ailleurs invité dans mon histoire sans y avoir été convié - mais je ne le regrette absolument pas ! :D
Vous en apprendrez davantage dans le prochain chapitre sur la relation qui lie Bobby à Géryon !
À la semaine prochaine :)
Thomas
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