04 - Gin vs Whisky
Je sais que je vous avais promis de ne pas vous parler de mon enfance, tout-ça-tout-ça, mais c'était avant — quand j'étais sincèrement convaincu que j'allais vraiment mourir. Je me fais un peu l'effet d'une pub pour le dentifrice, là :
« Appliquez la pâte sur vos dents jaunes et gâtées pour retrouver en une semaine un éclat d'une telle brillance que vous pourrez désormais vous passer de lampes chez vous ! »
* * * * *
Tout a commencé à déraper le jour où la vérité sur mon père a éclaté. S'il ne s'était pas fait arrêter par la police pour atteinte aux bonnes mœurs avec un jeune gigolo, rien de tout ceci ne serait arrivé. Ma route n'aurait pas croisé celle de Karma et Skull. C'est pour ça que j'en veux à mon père. Pas pour avoir eu une double vie pendant près de vingt ans, ni pour avoir pris du bon temps avec des jeunes garçons à peine majeurs, mais pour ne pas avoir été assez prudent.
D'après ce qu'on m'a raconté, mon père a essayé d'appeler ma mère pour qu'elle vienne au commissariat. Mais comme d'habitude, elle était trop saoule pour entendre le téléphone sonner, trop occupée qu'elle était à cuver son vin, la tête dans la cuvette des toilettes.
Et là, première bourde de mon père : laisser un message sur le répondeur, demandant à ma mère de venir le chercher dès que possible.
Puis, histoire de montrer qu'il est le plus grand crétin du monde, mon père a commis sa deuxième bourde en appelant son autre femme.
Pas besoin de vous faire un dessin pour que vous deviniez ce qui s'est passé au commissariat — toujours d'après ce qu'on m'a raconté, quand les deux épouses se sont retrouvées face à face, ça a vite tourné à Apocalypse Now.
Avec deux épouses en crise, un poste de police à reconstruire, deux nouveaux frère et sœur débarquant dans ma vie et y prenant autant de place qu'un éléphant dans une boîte à sardines — j'étais en-chan-té, mais j'ai très vite dé-chan-té —, moi-même disant adieu à mes études pour m'occuper d'une mère se retrouvant avec une cirrhose du foie (étonnant, vraiment, venant de sa part), mon père a finalement estimé préférable de quitter la ville avec son jeune ami gigolo.
Après ça, je n'ai plus eu aucune nouvelle de mon paternel — ni, étrangement, de bon nombre de mes amis.
Heureusement, j'ai toujours pu compter sur Écho. Je crois bien que c'est parce que sa famille est encore plus tarée que la mienne (faut bien se serrer les coudes entre rebuts de la société).
Les parents d'Écho sont deux sexologues assez connus qui ont écrit tout un tas de livres pour aider les couples en difficulté. Je ne sais pas si ça marche pour les autres, en tout cas, les rares fois où je suis allé chez mon amie, ça avait l'air de bien fonctionner pour eux.
Écho n'est pas en reste, d'ailleurs. Elle est ce qu'on appelle une nymphomane. Rien de bien méchant — je n'ai jamais vraiment eu à m'en préoccuper ; il suffisait juste que je mette le holà chaque fois qu'elle tentait de m'attacher aux montants du lit avec ses menottes en fourrure.
* * * * *
Mes envies de suicide sont apparues suite à une série de terribles évènements qui m'ont rapidement fait comprendre que j'étais le Roi des poissards.
Tout a commencé avec un lacet de chaussure pété. On ne tient pas compte de ce genre de détail, et on a tort. Dans de telles situations, on se dit simplement : « Et merde, mon lacet vient de péter, et maintenant j'ai l'air bien con. » On ne se doute pas un seul instant qu'un drame des plus terrifiants se prépare en coulisses.
J'aurais dû prêter plus attention aux signes, mais je ne l'ai pas fait et je n'ai rien vu venir. Ce qui fait que lorsque que tout m'est arrivé en pleine tronche, ça m'a fait l'effet d'un véritable coup de massue qui m'a proprement mis K.O.
D'abord, Écho m'a appris qu'elle partait étudier dans un lointain pays étranger, de l'autre côté de l'océan. Je me retrouvais désormais seul, avec Skull et Karma pour unique compagnie, mais c'était loin d'être réconfortant.
Puis on m'a volé mon portable — et à notre époque où nous dépendons tous affreusement de la technologie, c'était un peu comme être amputé d'un bras.
Horrible.
Ensuite, Écho m'a appris qu'elle avait rencontré un jeune garçon charmant, qu'elle était folle amoureuse de lui, mais qu'il était d'une jalousie maladive et que par conséquent, il voulait qu'elle arrête de me parler.
« Mais ne t'inquiète pas, je continuerai à t'écrire. Ce n'est pas un simple garçon qui pourra se mettre entre nous. »
Il semblerait que si, pourtant. Elle ne m'a plus jamais écrit.
Au bout de mon centième mail resté sans réponse, j'ai fini par aller rendre visite à ses parents. Ils m'ont simplement dit qu'elle était très heureuse avec Alex (quel nom vulgaire — et d'un commun) et qu'elle ne comptait pas revenir pour l'instant. Pour me consoler, ils m'ont offert leur dernier best-seller, Pourquoi les hommes donnent un nom à leur pénis.
Enfin, la cirrhose de ma mère s'est brusquement aggravée et en trois mois c'en fut fini, de Mme Robert.
Ses derniers mots furent : « Je veux qu'on grave une bouteille de gin à côté de mon nom, sur ma pierre tombale. »
Le croirez-vous ? Le gars des pompes funèbres a refusé — il ne savait dessiner que des bouteilles de whisky.
Après ça, je me suis retrouvé seul, avec une montagne de dettes qu'avaient laissées une mère alcoolique et un père disparu. Je ne pouvais pas reprendre mes études, il fallait que je travaille pour tout rembourser.
J'avais beau enchaîner les petits boulots, courber l'échine et serrer les dents en subissant la tyrannie de petits chefs, véritables dictateurs des supermarchés, je n'arrivais pas à faire face.
Et les banques s'impatientaient — et on ne fait pas attendre une banque, surtout quand celle-ci veut récupérer son argent.
C'est là que j'ai fait l'erreur de ma vie — celle qui m'a conduit tout droit à ce lit d'hôpital.
J'ai demandé de l'aide à Skull et Karma.
Mauvais, tout ça.
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