- Tu nous mets dans une merde noire, t'imagines même pas !

Karma a commencé à faire les cent pas dans la chambre, tout autour de mon lit. On aurait dit un chien en train de marquer son territoire.

- Désolé de venir contrarier vos petites affaires, ai-je vaguement grogné.

- Ouais, tu peux l'être ! Et quand Skull va l'apprendre...

Karma a frissonné de la tête aux pieds — non pas qu'elle ait peur de Skull, mais parce qu'elle semblait excitée à la simple idée de ce que pourrait me faire son frère.

- Comment t'as fait pour te rater, cette fois ? a repris Karma. Il suffisait juste de coller le flingue contre ta tempe et d'appuyer.

- C'est ce que j'ai fait, figure-toi !

- Les médecins ont dit que la balle a ricoché contre ton crâne ! C'est quasiment impossible, selon eux ! À moins que...

Karma a vacillé sur place puis m'a dévisagé en plissant les yeux, comme si elle me voyait vraiment pour la première fois.

- À moins que..., a-t-elle répété.

- À moins que quoi ? ai-je demandé, intrigué — et légèrement inquiet.

- Toi aussi, a-t-elle murmuré. Toi aussi, ils t'ont enlevé...

J'ai mis quelques secondes à comprendre ce qu'elle voulait dire.

- Non ! me suis-je exclamé, exaspéré. Non, bien sûr que non ! Combien de fois devrais-je te le répéter ? Je n'ai jamais été enlevé par des extraterrestres !

- C'est ce qu'ils disent tous, a-t-elle dit en s'approchant, une lueur inquiétante dans les yeux (genre, folie meurtrière à la Jack Nicholson dans Shining). Tu es en plein déni, Bobby. Laisse-moi t'aider.

- Ne t'approche pas de moi !

- Tu ne sentiras presque rien. Je dois juste vérifier...

Avant d'avoir pu esquisser le moindre geste, Karma s'est à nouveau jetée sur moi. Elle a plaqué ma tête contre l'oreiller d'une main, et de l'autre a entrepris d'écarter mes narines jusqu'à les arracher.

- 'Est-ce 'tu fous ! ai-je réussi à dire — et pourquoi aucune infirmière ne semblait s'inquiéter de m'entendre pousser des hurlements de goret qu'on égorge ?

- Tu dois avoir un émetteur dans le nez, a dit Karma en collant son œil contre ma narine. C'est comme ça qu'ils font pour te retrouver.

- Je n'ai pas...

J'ai réussi à repousser Karma, qui est tombée en arrière.

- ... été enlevé par des aliens !

- Oui, oui, je te crois, a dit ma sœur en se relevant. Je n'ai pas trouvé la moindre puce.

Je me suis obligé à respirer profondément.

- Karma, une bonne fois pour toutes, aucun extraterrestre n'est venu sur Terre pour implanter une puce ou je ne sais quoi dans le nez des gens !

- Bien sûr que si ! s'est-elle exclamée. Moi, j'en ai une ! Ça prouve bien que les extraterrestres existent !

- Tu n'as pas d'émetteur dans le nez !

- Et ça, c'est quoi ? a-t-elle fait en penchant la tête en arrière.

Elle a gonflé ses narines et ses joues, ressemblant à s'y méprendre au croisement improbable entre une otarie et un poisson-globe.

- Euh, je suis censé voir quoi ?

- Là, le truc ovale au fond de mon nez...

J'ai jeté un rapide coup d'œil pour lui faire plaisir et je n'y ai rien vu d'anormal, mis à part toutes les choses habituelles que l'on trouve dans ce genre d'endroit.

- Il n'y a pas..., ai-je commencé.

Puis j'ai aperçu le regard qu'elle m'a lancé et j'ai compris que c'était perdu d'avance. Quoi que je dise, rien ne pourrait la faire changer d'avis. Et je n'avais aucune envie qu'elle essaie à tout prix de me prouver l'existence de son fameux émetteur — en enfonçant de force mon doigt dans son nez, par exemple.

- Ah, si ! ai-je rectifié. Je vois... eh bien, quelque chose, oui.

Karma a arboré un sourire épanoui.

- Tu vois, je te l'avais dit !

La porte de ma chambre s'est ouverte avec fracas. Une montagne de chair humaine est entrée dans la pièce en grognant et en soufflant comme un taureau furieux. J'avais l'impression que la moitié du pays venait de s'inviter dans ma chambre.

- Pourquoi t'es en vie encore ? a tonné le géant.

- Salut, Skull, ai-je répondu d'une petite voix aigüe que je n'espérais pas trop tremblante.

- Quoi tu as foutu ?

- Qu'est-ce que t'as foutu, a corrigé Karma sur un ton de reproche.

Skull s'est approché d'un pas pesant et s'est laissé tomber sur le lit qui s'est enfoncé de plusieurs centimètres dans le lino de la chambre. Une infirmière est arrivée (enfin !), mais Skull a tourné la tête dans sa direction, comme un requin flairant une goutte de sang dans l'immensité de l'océan.

- Toi, dégage !

« Ne me laissez pas seul avec eux ! » l'ai-je suppliée silencieusement, mais cette trouillarde s'est dépêchée de battre en retraite.

- Pourquoi t'es mort pas ? a demandé Skull.

Il avait l'air sincèrement embêté.

- Pourquoi t'es pas mort, a corrigé Karma, et elle s'est empressée de lui raconter toute l'histoire.

- Hum, mauvais, ça, a commenté Skull.

Vous savez, quand Skull dit « mauvais, ça » en vous jetant un de ses fameux regards noirs, vous donneriez n'importe quoi pour disparaître — mais, même mort, vous ne seriez pas à l'abri. Il serait capable de vous ramener à la vie juste pour avoir le plaisir de vous tuer à nouveau.

- C'est ce que j'ai dit ! a fait remarquer Karma avec une certaine joie malsaine.

- Et, euh... Pourquoi c'est mauvais ? ai-je voulu savoir.

- Tu aurais dû mourir ! s'est exclamé Karma. On devait récupérer ton corps juste après.

- Mon corps ?

- Oui, ton corps, tête d'andouille desséchée ! Tu sais combien vaut un corps au marché noir ? Tu le sais ? Deux cents mille dollars !

Karma s'est remise à faire les cent pas et a pris un air dangereusement exalté.

- Vous... vous comptiez vendre mon corps ? ai-je dit, estomaqué.

- Oui, et alors ? Qu'est-ce que t'en avais à foutre, une fois mort, qu'on vende tes organes !

- Acheteur allemand, a bougonné Skull. Cinquante mille euros manger veut tes cou...

- Non ! me suis-je écrié d'un air horrifié. Vous ne pouvez pas faire ça !

- De toute façon, c'est trop tard, s'est lamentée Karma. Sauf si tu comptes crever pour de bon d'ici la fin de la semaine ?

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Salut :)

Tu as pu faire plus ample connaissance avec Karma et faire la rencontre de Skull, aussi monstrueusement grand que bête - que penses-tu des frère et sœur de Robert ? :D

Dans le prochain chapitre, on en apprendra davantage sur la famille et le passé de notre narrateur suicidaire préféré, qui doit bien regretter de ne pas être mort à l'heure qu'il est ^^

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À la semaine prochaine !

Thomas :)