02 - Quand on parle de Karma
- Vous êtes ?
- Vous êtes stupide ou vous le faites exprès ? Je viens de passer la nuit ici, à attendre qu'on me donne des nouvelles de mon frère, et vous faites comme si je venais tout juste de débarquer !
- Je suis désolée Madame, je...
- Rien à foutre de vos excuses ! J'ai des cloques au cul à force d'être restée assise sur vos immondes chaises en plastiques !
- Madame, s'il vous plaît, veuillez vous calmer...
- Me calmer ? Mais je suis parfaitement calme, espèce de vieille peau défraîchie ! Aussi calme qu'on puisse l'être quand on vous annonce que votre frère est mort puis qu'il ne l'est plus !
Il est peut-être temps de faire une pause, juste le temps de vous présenter brièvement ma sœur, Karma.
En quelques mots : c'est une foldingue hystérique qui, si elle avait eu le pouvoir de déclencher une guerre atomique, aurait déjà réduit le monde en cendres une bonne dizaine de fois (ouais, elle doit sûrement avoir un peu de sang nord-coréen ou iranien qui a coagulé entre son cœur et son cerveau). Karma n'a jamais vraiment réfléchi aux conséquences de ses actes — ou en tout cas elle se fout royalement des répercussions qu'ils pourraient avoir sur sa vie et, surtout, sur celle des autres. En particulier la mienne.
Tout ce que je sais, c'est que sa mère — qui n'est pas la mienne, une divinité quelconque en soit louée — était dans sa période jaïniste lorsqu'elle était enceinte ; d'où le nom. Lorsqu'elle a eu sa période death metal et qu'elle a accouché de son fils, elle a tout naturellement décidé de l'appeler Skull. Lui, porte bien son nom — aux dernières nouvelles, il est parti en Allemagne pour essayer de retrouver le corps d'Hitler afin de le ramener à la vie.
Mais revenons-en à ma sœur — ma demi-sœur, pour être précis. La seule chose que nous ayons en commun, c'est le patrimoine génétique que nous a légué notre salaud de père. Vous vous souvenez sans doute du scandale d'il y a quelques années lorsqu'on a découvert qu'un homme, en apparence bien sous tous rapports, menait en réalité une double vie avec deux femmes, deux noms différents, deux maisons ? C'était mon père.
En fait, à bien y regarder, je m'en sors plutôt bien par rapport à mon frère et à ma sœur. Skull a passé tellement de temps à fuir la police et les différents gangs qu'il s'est mis à dos qu'il n'a jamais eu le temps d'apprendre à lire. Quant à Karma, les seuls bouquins qu'elle ouvre sont ceux traitant d'expériences plus ou moins glauques faites par des aliens sur des humains, car elle est profondément convaincue que des extraterrestres l'ont enlevée pour en faire leur impératrice galactique. Rien que ça.
Retournons maintenant au moment présent, tandis que ma sœur insulte copieusement la pauvre infirmière à l'accueil.
- Je veux voir mon frère !
- Si vous ne me donnez pas son nom, je ne pourrais pas vous indiquer sa chambre !
- Il s'appelle Robert Robert !
OK, autre petit aparté à propos de mon nom : pour sa défense, ma défunte mère n'a jamais eu beaucoup d'imagination. Paix à son âme d'alcoolique (désormais, je l'espère) repentie.
- Et vous êtes ?
- C'est pas possible, dites-moi que c'est pour une caméra cachée ! Je suis sa sœur, espèce d'empotée analphabète !
- Mademoiselle, s'il vous plaît, vous n'êtes pas obligée d'être vulgaire...
- Vulgaire ? Moi, vulgaire ? Vous trouvez « empotée analphabète » vulgaire ? Et « grosse pute, je vais défoncer ta sale tronche de salope dégénérée au marteau-piqueur », vous trouvez ça comment ?
Je suis navré de devoir vous faire subir un tel spectacle. C'est franchement désolant.
Heureusement, l'avantage d'être mort, c'est de pouvoir jouer avec le temps. Maintenant qu'il n'a plus aucune prise sur nous, on peut le manipuler à notre guise : le ralentir, l'accélérer, mettre sur pause. Ça me permet par exemple d'observer avec fascination — et incrédulité — cet homme dans la salle d'attente qui réussit à enfoncer entièrement son doigt dans son nez, encore et encore. Si ce n'était pas aussi dégoûtant, je crierais haut et fort au génie et je convoquerais sur le champ Le Livre Guinness des Records pour qu'on notifie la performance.
Je préfère accélérer la scène suivante, lorsque ma sœur saute par-dessus le comptoir pour tenter d'arracher les yeux de la pauvre infirmière, puis lorsqu'elle est traînée de force hors de l'hôpital par deux hommes de la sécurité, bavant et hurlant des insanités que la bienséance m'empêche d'écrire ici.
Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, de continuer sur avance rapide jusqu'au retour de Karma quelques heures plus tard, profitant de l'absence de notre bonne infirmière, partie échanger avec le médecin de garde quelques maladies vénériennes en salle de radiologie, pour se faufiler jusqu'à ma chambre.
* * * * *
L'obscurité a brusquement fait place à une lumière blanche. L'image était floue, puis s'est précisée peu à peu.
Étais-je finalement en train d'arriver au Paradis ?
J'ai entendu des battements sourds et réguliers, comme des talons qui claquent.
- Salut, frangin. C'est moi.
- ...
- Je sais que tu m'entends. Tu pourrais au moins me répondre.
- ...
- Arrête de bouder. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Tu t'es encore raté. Tu feras mieux la prochaine fois.
- ...
- Bon, jusqu'ici, j'étais d'assez bonne humeur. Tu ne voudrais quand même pas me mettre en colère, non ?
- ...
- Mais tu vas répondre, espèce d'enflure !
Une sorte de tache de couleur est brusquement entrée dans mon champ de vision.
- Je sais très bien que t'es réveillé et que tu m'entends ! T'as les yeux ouverts !
- ...
- Hé, connard !
Il y a eu comme une sorte de violent tremblement de terre. Mon corps s'est mis à s'agiter dans tous les sens, sans que je puisse le contrôler.
La lumière blanche et apaisante a disparu. Elle s'est effacée pour laisser place au plafond gris et terne d'une chambre d'hôpital.
J'ai voulu gémir mais je me suis rendu compte de deux choses : un, mon corps ne m'obéissait plus ; deux, ma sœur étant en train de m'étrangler, je n'avais plus assez d'air dans mes poumons pour émettre le moindre son.
- Mademoiselle, arrêtez tout de suite !
- Il veut pas me répondre !
- Il est dans le coma ! C'est déjà un miracle qu'il s'en soit tiré !
- Un miracle, mon cul ! Ça m'étonnerait qu'il soit de votre avis. Depuis le temps qu'il essaie de clamser...
- Va... te faire... foutre, ai-je réussi à marmonner lorsqu'elle a enfin consenti à enlever ses mains de mon cou.
- Vous voyez, il parle ! a dit ma sœur d'un ton triomphant à l'adresse de l'infirmière.
Elle s'est ensuite tournée vers moi, un méchant sourire aux lèvres.
- Bon retour dans le monde des vivants, frérot.
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Salut :)
Il semblerait que notre fameux voyage dans l'au-delà soit prématurément tombé à l'eau... mais peut-être que je me trompe, qui sait ? ^^
En tout cas, tu viens de faire la connaissance de Karma, la "charmante" demi-sœur de notre narrateur, Robert Robert. N'hésite pas à donner ton avis à propos de Karma et de Robert ! :)
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À la semaine prochaine !
Thomas :)
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