La nuit
J'observe Gulf entrer dans la pièce, le cœur palpitant. Je maudis mon corps de réagir ainsi à son contact. Je dois rester sur mes gardes. Il m'a trahi, m'a menti sans sourciller. Je ne dois pas me laisser attendrir par les paroles de sa mère. Je ne le quitte pas des yeux, pendant qu'il ouvre une armoire et en sort un futon. Il le déplie dans un coin de la pièce, avant d'aller chercher des draps et une couverture.
— Nous ferions bien de dormir un peu. La journée de demain va être longue.
Je regarde, tour à tour, le seul couchage dans la pièce et Gulf. Il répond à ma question avant même que les mots sortent de ma bouche.
— Je n'ai que ça, désolé.
— Tu vas dormir... ici... avec moi ?
— Oui... Il n'y a que deux chambres et elles sont occupées par Run et ma mère. J'ai besoin de repos pour affronter la journée de demain et toi aussi.
— Tu n'as répondu à aucune de mes questions et tu crois vraiment que je vais te laisser dormir avec moi, dans ce lit ?
Il soupire longuement, avant de me répondre :
— Oui... j'en suis désolé.Tu sauras tout, en temps voulu. Mais pour l'instant...
Il enlève son t-shirt et son pantalon, qu'il jette négligemment sur une chaise. Il tend le bras pour éteindre les lumières, avant de se glisser en boxer sous la couverture. Seules les lueurs de la rue éclairent faiblement la pièce. Je suis médusé par son geste. J'ai l'impression d'être dans un mauvais rêve.
— Il est tard, Mew. Arrête de réfléchir et viens te reposer.
Il se moque de moi ! Comment pourrais-je arrêter de penser dans un moment comme celui-ci ?
— Tu... je bafouille, interdit, tu ne fais même pas le guet, tu ne montes pas la garde ?
— Cette maison est sécurisée, ne t'inquiète pas. Tu es en sécurité.
Rien n'est moins sûr avec Gulf, à moitié nu dans un lit...
— Je...
Mon cerveau turbine à cent à l'heure pour trouver une excuse pour ne pas m'allonger à ses côtés.
— Je voudrais me nettoyer, où est la salle de bain ?
— Il n'y en a pas. Mais tu peux utiliser l'évier de la cuisine...
Mon regard parcourt la petite pièce pour découvrir une gazinière et un petit évier. Si je me lave ici, Gulf aura tout loisir de se rincer l'œil. Je ne lui ferai pas ce plaisir.
— Arrête de tergiverser et viens t'allonger, Mew. Je ne vais pas te manger.
Ça reste à prouver...
J'hésite à céder, mais mes muscles tendus et ma nuque raide réclament un peu de repos. Cette journée a été éprouvante et je ne sais absolument pas ce qui m'attend demain. C'est de mauvaise grâce que je m'approche du couchage de fortune, le pas lourd. Il est à peine plus large qu'un lit une personne. Je déglutit difficilement en m'imaginant contre le corps de Gulf. Il se décale contre le mur, se mettant sur le flanc, pour me laisser le maximum de place. Il soulève la couverture et tapote le matelas à ses côtés. Mon ventre se contracte quand je découvre le buste nu de Gulf sous la couverture. Je l'ai déjà admiré, mais à travers une vitre. Je l'ai déjà senti contre mon corps, mais avec nos vêtements comme remparts. Et le voilà, presque nu et offert, comme si rien n'était plus naturel. Alors qu'il y a quelques heures à peine, je pensais être condamné et ne jamais pouvoir toucher l'homme qui me fait battre le cœur. Je suis heureux et triste à la fois, soulagé et anxieux. Je ne sais pas comment gérer ce flot d'émotions.
Toute cette journée a mis mes nerfs à rude épreuve. Mon corps hurle pour s'allonger contre le sien, de se fondre dans sa chaleur, dans son odeur, de goûter sa peau. Mes doigts trépignent de parcourir ses courbes, de pouvoir le toucher, enfin... Tout ça est à portée de main. Mais, il m'a menti, il m'a trahi. Il n'est pas celui que je croyais. La brûlure de sa trahison est encore si vive dans ma poitrine. Gulf se redresse face à mon immobilisme. Il me tend la main, pour m'inviter à le rejoindre.
— Mew... viens...
Sa voix est grave et profonde, elle m'ensorcelle. Je ne dois pas céder... Sinon, je ne pourrais plus m'arrêter. Je recule d'un pas. Il s'en rend compte et fronce les sourcils, son bras retombant lourdement sur le matelas.
— Que dois-je faire pour que tu me crois quand je dis que mes sentiments pour toi sont réels ?
— Commence par répondre à mes questions !
Il souffle en s'allongeant sur le dos.
— On en a pour toute la nuit...
— Si tu veux que je te fasse confiance, je dois comprendre.
— Ok... il se tourne à nouveau vers moi, le regard pétillant, si tu veux des réponses... il tapote l'espace libre, allonge-toi.
L'enfoiré, il utilise encore le chantage pour obtenir ce qu'il veut. Je décide de m'y soumettre, autant être confortablement installé si on doit discuter toute la nuit. Je me penche pour le rejoindre, quand il m'arrête.
— Tu vas te coucher comme ça ?
— Oui, pourquoi ?
— Tu ne seras pas à l'aise, déshabille-toi.
Sa tactique évidente ne marchera pas. Je m'allonge tout habillé. Pas question de tenter le diable. Il soupire en se remettant sur le dos. Nous sommes côte à côte, nos deux corps prennent toute la largeur du futon. Nos épaules se touchent et j'essaie de me concentrer sur les questions que je dois lui poser, au lieu de sa proximité. Nous restons silencieux pendant de longues secondes.
— Pose-moi toutes les questions que tu veux, je t'écoute.
— Pourquoi tu fais ça ?
— Pour venger mon père et pour trouver des preuves contre les salauds qui ont créé ce virus.
— Et tu en as, des preuves ?
— Pas suffisamment... Nous devons encore tenter de pirater le K2. Je suis sûre que nous obtiendrons ce dont nous avons besoin pour les arrêter.
— Mais... tu ne vas pas y retourner ?
Il sourit face à mon inquiétude et se tourne vers moi, le bras plié, la tête reposant sur sa main.
— Tu t'inquiètes pour moi ?
Une chaleur désagréable envahit mon visage.
— C'est moi qui pose les questions ! rétorqué-je face à son sourire attendri.
— Ok... dit-il en se replaçant sur le dos, un sourire satisfait sur les lèvres. Puifai est toujours sous couverture, c'est elle qui mènera l'assaut. Je resterai ici, en soutien logistique.
— Puifai ! Je me tourne vers lui, abasourdi. Puifai est dans le coup !
Il hoche la tête pour confirmer. Je me replace sur le dos, en soufflant. Je fixe le plafond, la poitrine comprimée.
— Tu m'as vraiment menti sur tout... Tes parents, Run, Puifai... murmuré-je, la gorge serrée.
Je sens ses doigts qui tâtonnent sous la couverture, jusqu'à ce qu'ils trouvent les miens et les capturent. Je ne résiste pas. J'ai besoin de ce contact rassurant.
— Je suis désolé, Mew... Je te le répète... Je t'ai menti sur tout, c'est vrai. Par obligation, par devoir. Tout sauf... mes sentiments pour toi.
Il se tourne à nouveau vers moi, collant son corps contre le mien, nos doigts s'emmêlent. Son autre main se pose timidement sur mon ventre. Je me tends, mais je le laisse faire. La chaleur de sa paume dénoue le nœud qui entrave ma poitrine. Je fixe toujours le plafond, je sens son souffle effleurer mon visage. Je ne dois pas me laisser distraire par ses doigts qui ont entamé une douce caresse sur moi.
— Ta mère... Elle va bien ? demandé-je, autant par curiosité que pour détourner mon attention de la chaleur qui s'épanouit dans mes reins.
Il soupire et sa main resserre son étreinte sur la mienne, liant intimement nos doigts.
— Elle a frôlé la mort, ce soir-là... Elle est restée dans le coma pendant des semaines, dans un hôpital de campagne. La personne qui l'a trouvée l'a enregistrée sous le nom de sa fille décédée. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça, mais il lui a sauvé la vie. Ses agresseurs n'ont pas pu la retrouver. Il lui a fallu plus d'un an de rééducation avant de sortir de l'hôpital. Pendant tout ce temps, j'ai cru qu'elle était morte...
Je tourne la tête vers lui. Nos visages sont si proches. Son histoire se répercute au plus profond de moi. Sa mère et lui ont vécu l'enfer. Ma main trouve le chemin de sa joue. Je l'effleure doucement, du bout des doigts. Il écarquille les yeux devant mon geste tendre, avant de les fermer pour mieux ressentir ma caresse.
— Je suis désolé pour tes parents... Je suis désolé pour toi... soufflé-je, sincère.
J'aperçois une larme pointer sur le bord de sa paupière. Je la recueille du pouce. Il se déplace pour enfouir son visage dans mon cou et je l'accueille contre moi. Mes doigts caressent en douceur ses cheveux pour l'apaiser, pendant que les sanglots secouent son corps. Petit à petit, les larmes se tarissent et je le sens se détendre. Sa respiration se fait plus régulière. Il s'est endormi. Je ne bouge pas. Je profite de son corps collé au mien, de son bras autour de ma taille, de nos mains jointes.
Je ne me suis jamais senti aussi serein et heureux, malgré tout ce qui c'est passé. Le simple fait d'être dans ses bras suffit à repousser l'horreur et l'angoisse. Suis-je prêt à lui pardonner ?Puis-je lui faire confiance ? Je n'en sais rien. Les zones d'ombre sont encore trop nombreuses. Mais à cet instant, je me sens à ma place, dans ce lit, dans ses bras.
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