Douche froide
Dix jours auparavant
J'observe attentivement la photo de ma nouvelle cible. Comme avant chaque nouvelle mission, je mémorise chaque détail, chaque information sur la personne que je dois approcher. Vingt-huit ans, célibataire et ouvertement gay, Mew Suppasit me fixe de ses yeux profonds. J'y lis quelque chose de différent, une fêlure, une certaine tristesse. Il ne semble pas inspiré par l'argent ou le pouvoir. Son histoire me dit qu'il fait les choses par conviction. Ce genre de personne est plus difficile à manipuler. Il est seul depuis longtemps, je ne comprends pas trop pourquoi car il est plaisant à regarder, la mâchoire bien dessinée, le sourire charmeur. Ça va me changer des vieux bedonnants.
— Ouah ! Il est canon celui-là ! s'exclame Puifai, en regardant par-dessus mon épaule.
Je me redresse et replace la photo dans le dossier, je n'ai pas envie d'entendre son avis. Je me retourne pour lui faire face, bizarrement lasse.
— Si tu en as marre des mecs, je peux prendre la relève, propose-t-elle en jouant avec les boutons de ma chemise.
— Il est clairement gay, Puifai...
— Et alors ? Tout comme un hétéro peut virer gay, un gay peut virer hétéro... J'en fais mon affaire.
— Arrête un peu tes conneries. On n'est pas là pour jouer. En plus, il a l'air honnête, pas la peine de se compliquer la tâche. Ça risque d'être plus ardu que prévu.
— Pourquoi tu dis ça ? Ils ont tous une faiblesse, l'argent, le pouvoir, le sexe... Tu sais très bien appuyer sur leur point sensible.
Oui, je suis fort à ce petit jeu. Pourtant, manipuler de pauvres innocents, pour obtenir ce que je veux, commence à me peser sur la conscience, même si c'est pour la bonne cause. Je soupire et m'éloigne d'elle. Je me sens fatigué par tout ça. Nous n'avons rien trouvé de concluant. Le virus C119 fait de plus en plus de victimes et je me sens tellement impuissant. L'image de ma future victime me revient en mémoire. Il n'est coupable de rien, il est juste la clé pour accéder au laboratoire. Je vais devoir faire pression sur lui, d'une manière ou d'une autre, pour réussir ma mission. Je ne sais pas encore sous quel angle l'approcher.
— Vous feriez un très beau couple tous les deux...
Plongé dans mes pensées, je n'ai pas vu Puifai récupérer la photo dans le dossier.
Comment ça "un beau couple" ? Elle délire ! Et pourtant, sa remarque déplacée vient de faire germer une idée dans mon esprit. Si je ne peux pas l'avoir par l'argent ou le chantage, peut-être que la séduction serait plus efficace. J'arrache la photo des mains de la fouineuse et plonge mon regard dans ses yeux sombres. Le séduire... Ce n'est pas une tactique que j'emploie d'habitude, mais, en le regardant, je sais que je peux y arriver.
****
La lumière vive du matin passe la barrière de mes paupières. Je cligne des yeux, éblouis par la clarté. Je suis légèrement désorienté, encore englué dans les vapeurs du sommeil. Où suis-je ? Les souvenirs de la veille me reviennent par rafales et je réalise que j'ai dormi toute la nuit contre Gulf... qui n'est plus à mes côtés. Ma main se pose sur la place libre du lit, elle est froide. Je balaie la pièce du regard, il n'est pas là. Une pointe de déception me traverse, que je me hâte de repousser. Ce n'est ni le lieu, ni le moment de songer à l'idée de me réveiller dans les bras de Gulf et au bien-être que cela m'aurait apporté.
— Tu es réveillé ?
Je sursaute au son de sa voix et me tourne vers Gulf qui entre dans la pièce, torse nu, une serviette sur les hanches, les cheveux humides. Il semble tout juste sortir de la douche.
— La salle de bain est libre...
Je crois que ma mâchoire est sur le point de tomber. Il m'a menti, à nouveau ! En voyant ma tête ébahie, il éclate de rire.
— Ne m'en veux pas, d'accord... Je ne voulais pas que tu t'y enfermes pour ne plus jamais ressortir.
Je le fusille du regard.
— Ok ! Je m'excuse ! lance-t-il, en levant les deux mains, en signe d'apaisement.
Il plonge ses yeux dans les miens et adopte un ton velouté et sensuel :
— J'avoue... J'aurais adoré te voir te déshabiller et te laver devant moi...
Un long frisson me parcourt. Il sait exactement comment me faire réagir et ça me rend dingue ! Je me lève, passablement énervé.
— Ne joue pas avec moi, sifflé-je, en le fixant d'un air mauvais.
Il ne semble pas le moins du monde impressionné et s'approche lentement.
— Je ne joue pas...
Sa voix est grave et envoûtante. Un nouveau frisson court sur ma peau. Mon regard se fixe sur les gouttes qui tombent sur sa poitrine et roulent lascivement sur son ventre. Je ne peux pas les lâcher des yeux. Ma gorge s'assèche. J'ai soif subitement et il y a ces gouttes d'eau qui m'attirent... Pourraient-elles me désaltérer ? Il est tout près à présent, je sens son odeur mélangée au parfum du savon. Je me retiens de plonger mon nez dans son cou pour inspirer profondément. Je relève les yeux et croise son regard. Ses pupilles dilatées m'indiquent clairement qu'il s'est aperçu de mon trouble et que nous sommes sur la même longueur d'onde. Je suis en équilibre sur un fil et je suis sur le point de vaciller. Gulf est une tentation bien trop grande...
Cependant, nous ne sommes pas seuls dans cette maison. Je me fais violence et décide d'ignorer cette attraction que j'éprouve pour lui. Une bonne douche froide m'aidera à me remettre les idées en place. Bien décidé à lui faire payer sa blague de la veille, je fais un pas vers lui. Il sourit, espérant sûrement que je tombe dans ses bras. Mais au lieu de ça, j'agrippe sa serviette, le contourne et tire un coup sec pour récupérer de quoi me sécher. Il s'exclame, outré et complètement nu. Je ne me retourne même pas et marche d'un pas décidé vers le couloir.
— Mew ! gronde-t-il.
Je m'arrête sur le seuil, lui jette un regard en coin. Merde ! Il est magnifique... Mais, je ne m'appesantis pas sur ce corps nu et incroyablement attirant et lui lance :
— C'est pour m'avoir menti... Merci pour la serviette !
Sur ces mots, je sors d'un pas décidé et me heurte aussitôt sur sa mère et Run, la soutenant par le bras. Je rougis violemment. Heureusement, la pénombre du couloir a dû camoufler les rougeurs de mes joues et je ne pense pas qu'ils puissent voir ce qui se passe dans la pièce, puisque je bloque littéralement le couloir. Je viens de laisser Gulf nu comme un ver, je ne peux décemment pas les laisser entrer.
— Bonjour à vous deux, m'exclamé-je fortement, dans l'espoir de prévenir Gulf de l'arrivée imminente de sa mère.
— Bonjour Mew, avez-vous bien dormi ? m'interroge-t-elle, souriante et affable.
— Très bien...
Je réalise qu'en effet, j'ai très bien dormi, malgré tous les événements de la veille. Avoir Gulf dans mes bras toute la nuit a dû y aider.
— Tant mieux...
Elle me sourit avec tellement de gentillesse que mon coeur se gonfle de reconnaissance. Elle fait mine de s'avancer pour continuer son chemin, mais à nouveau, je lui bloque le passage. Elle m'observe, surprise.
— Euh... je cherche fébrilement une idée pour expliquer mon geste. Je vais prendre une douche, pouvez-vous m'indiquer où se trouve la salle de bain ?
— Bien sûr, elle se retourne pour m'indiquer les escaliers. C'est au premier, première porte à droite.
— Merci.
Je n'ose pas bouger. Cette situation devient de plus en plus gênante.
— Maman !
Gulf se plante juste derrière moi et pose sa main sur mes reins. Je vérifie discrètement. Il porte un short et un t-shirt. J'en suis bêtement soulagé. Je salue sa mère et Run de la tête et me dirige enfin vers les escaliers, les laissant se dire bonjour. Je monte en courant les marches et m'engouffre dans la salle de bain. Je pose les mains à plat sur le lavabo. C'était tellement gênant... J'observe mon reflet dans le miroir et je ris de moi-même. Soudain la porte s'ouvre dans un fracas et Gulf pénètre dans la pièce, comme un fou sorti d'une boîte. Je me retourne aussitôt. Son air menaçant n'augure rien de bon.
— Je suis désolé, Gulf je ne savais pas que ta mère allait arriver.
Il fait un pas dans ma direction, le regard noir.
— C'était pour rire... Je n'aurais jamais cru...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il franchit l'espace qui nous sépare, m'enlace étroitement et s'empare de mes lèvres. Son baiser est fougueux et exigeant. Je reste interdit pendant quelques secondes avant de lui répondre avec passion. Plus rien ne m'en empêche. Ni le virus, ni la trahison. Alors, je m'abandonne dans ce baiser. Notre premier véritable baiser. Dicté uniquement pour notre attirance, notre désir.
Et dieu, que c'est bon...
Mes mains glissent sur ses épaules. Mes ongles s'enfoncent dans sa peau. Il me dévore la bouche, aspire mes lèvres. Je gémis de délectation. Mais j'en veux plus... Alors j'agrippe sa nuque, le maintenant contre moi et me penche sur le côté pour approfondir notre étreinte. Ma bouche s'ouvre pour l'inviter à me découvrir, me pénétrer. Sa langue, impatiente, part à la rencontre de la mienne. Notre baiser devient frénétique, presque brutal. Nous y déversons des années de peine et de frustration. Tout ce désir accumulé depuis notre rencontre trouve une échappatoire. Mes doigts empoignent ses cheveux pour l'empêcher de s'éloigner, pour qu'il se fonde en moi. Je veux tout lui prendre et tout lui donner. Mais il ne semble pas vouloir rompre le contact, ses mains glissent sous mon t-shirt et elles me palpent, me caressent, me massent. Je les sens partout sur moi. Ma peau, si longtemps délaissée, se grêle violemment. Des décharges électriques crépitent à chacun de ces passages. Mon désir est si violent, si ardent, que je sens mon sexe pulser, comprimé dans mon jean.
Brusquement, il se détache de moi. Nos respirations haletantes rompent le silence. Son éloignement est une torture, mon corps réclame une délivrance. Nous nous observons intensément, lisant dans le regard de l'autre tout le désir difficilement contenu. S'il ne s'était pas détaché, plus rien n'aurait pu nous arrêter.
— Ma mère est sur le point de partir, articule-t-il, essoufflé, je dois lui dire au revoir.
Incapable de parler, je hoche la tête pour lui signifier que je comprends. Je comprends, mais... être arraché de son corps en plein déchaînement charnel est un supplice. Il recule vers la porte, sans me quitter des yeux. Je suis en pleine combustion instantanée. Gulf a allumé une étincelle et mon désir pour lui m'a littéralement embrasé. Pourtant, je me retrouve seul dans cette salle de bain. Je baisse les yeux sur l'énormité qui palpite entre mes jambes et me demande si on peut mourir de frustration...
Une douche froide, il me faut absolument une douche froide.
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