Je me suis toujours laissée guider par mes choix et ce qui me semble juste. Depuis que Jack a enlevé Lili, j'ai perdu mes repères. Verser dans l'illégalité quand on est pris au piège et victime d'un chantage odieux peut-il être condamnable aux yeux de la justice ? Je tourne et retourne cette question pendant que je patiente dans la queue boulevard du Palais pour me rendre à la Sainte Chapelle située à l'intérieur du Palais de justice. Et en ce quatrième jour de mission, la raison me dicte la seule chose qui me paraît juste : sauver ma fille.

Le pass prioritaire ne m'est pour l'instant d'aucune utilité. À l'entrée des fouilles de sécurité, des gendarmes portant des gilets pare-balles scannent les visiteurs un à un. J'évite de les regarder. L'angoisse m'opprime. À l'instar des Invalides, je ne comprends toujours pas pourquoi le « déséquilibré » m'envoie au casse-pipe au milieu de toutes ces forces de l'ordre.

Nul besoin d'avoir le génie informatique de Jack pour savoir que La Sainte Chapelle, construite selon la volonté de Louis IX dans l'enceinte du tribunal pour abriter les « reliques de la Passion» est certainement l'un des monuments le plus gardé de la capitale. Cela ne semble pas l'inquiéter. La stratégie de Jack est-elle à ce point imparable ? A-t-il réussi à hacker leur réseau ? A-t-il trouvé une faille dans leur système de sécurité ? J'espère qu'il est sûr de son coup. Si je me fais coincer, je ne donne pas cher du sort de Lili.

Je me retrouve au fond d'une cour dans la plus grande solitude. L'endroit n'est pas désert, loin de là, il fourmille de monde. Je me sens perdue tout à coup, au milieu des fourgons blindés et des bâtiments. La réalité de ma mission suicide me saute en pleine figure. Jack ne m'a pas envoyée dans une bergerie, il m'a expédiée en vol direct dans la gueule du loup.

Je redouble de prudence. Je replace mes oreillettes et cherche l'aide de mon « Google map sonore » pour me guider ; il est sur mode silencieux. Jack doit prendre ses précautions. Je lâche un soupir d'incompréhension, il doit bien y avoir une logique même chez les fous. Je vais devoir composer sans mon « GPS» et attendre ses instructions dans le sanctuaire. Je m'apprête à faire comme à l'ancienne et suivre les panneaux d'indication quand d'instinct, je me retourne.

Depuis combien de temps m'observe-t-il ? Appuyé sur un pilier, un homme me fixe à la manière d'un félin prêt à fondre sur sa proie. Ses yeux noirs perçants me sondent tandis qu'un sourire énigmatique flotte sur ses lèvres. À lui seul, il dégage une aura charismatique qui éclipse celle de toutes les personnes présentes. Sa chemise « slim fit » et son jean noir moulant laissent deviner une musculature puissante ; le parfait profil du flic. Celui du genre qu'on aime compter parmi ses alliés et qu'on ne souhaite pas avoir comme ennemi.

__ Vous avez besoin d'aide, madame ?

Le timbre de sa voix chaude appelle à la confiance. Je n'ai pas envie de foncer droit dans un piège. Je ne peux pas non plus me permettre de m'en remettre au hasard. Je garde en tête l'épisode de la veille et les menaces de Jack. Je secoue la tête sans un mot.  Puis au risque de paraître impolie, je tourne les talons.

Je suis tout de même étonnée que Jack n'ait pas encore réagi. Je replace mes écouteurs, l'émetteur- récepteur ne semble pas activé. Ma montre connectée, elle, n'affiche pas de réseau.

De longues minutes passent. Je patiente devant le monument que Jack daigne donner signe de vie. Quelques effusions de rire m'arrachent à mes pensées. Du coin de l'œil, j'aperçois un gendarme donner une accolade à l'inconnu.

__ Hé Max ! Tu fais quoi par ici, vieux ?

__ Je suis en journée off. Ma fille est en visite à la chapelle avec une amie, explique -t-il.

Nos regards se croisent à nouveau. Je n'arrive pas à décrypter le sien. Je feins d'ignorer son sourire. Un homme sexy comme lui ne doit avoir aucun mal à séduire les femmes ; ma froideur ne l'empêchera sûrement pas de dormir ce soir.

Ma montre clignote et me délivre un texto :

__ Fais une visite rapide de La Chapelle. Arrête-toi à la boutique et va-t-en.

L'estomac noué d'anxiété, je fais le tour de la Chapelle basse en méditant sur les recommandations de Jack. De la terrasse de La Chapelle haute, je jette un coup d'œil furtif en contrebas. Pas de trace de Max... Je ne m'attarde pas devant le reliquaire « vidée de ses trésors» et remarque à peine la beauté des verrières et ses couleurs lumineuses et chatoyantes. Je quitte les lieux au plus vite.

Après la traversée du pont Saint-Michel, je rejoins la place Saint-André-des-Arts. Un homme élégamment habillé m'attend près de la fontaine.

__ Demande-lui une cigarette, me dicte Jack.

J'obtempère. Je reçois en prime un sourire carnassier.

__ J'ai toujours une clope disponible pour une jolie dame. Tenez !

Je glisse le paquet fermé dans le sac qui contient le vitrail miniature acheté à la boutique- souvenir. Déprimée, je monte dans le bus qui m'emmène en direction de l'école militaire pour effectuer ma livraison. L'obsession de Jack pour ces sites ultra-sensibles me dépasse. Debout, ballotée entre les passagers, je pense à Lili. Au niveau de l'Assemblée Nationale, une femme se fraye un passage jusqu'au conducteur. Il freine.

__ Une dame a perdu son portefeuille. Je bloque les portes, personne ne descend. Ramenez-le moi, sinon j'appelle la police.

Je suis parcourue de sueurs froides. Je ferme les yeux. Lorsque je les ouvre, l'objet égaré est réapparu comme par miracle. Il passe de main en main dans l'allée centrale et retrouve son propriétaire. Je respire. Le reste de ma mission se déroule sans anicroches. Je remets le colis à un ami à Jack à l'arrêt du bus devant l'École Militaire.

Je ne peux m'empêcher de me demander : Max aurait-il pu nous aider si je lui avais accordé ma confiance ? J'ai peut être laissé passer la chance de nous défaire de l'emprise du psychopathe et de revoir Lili. Le seul espoir bien qu'illusoire repose maintenant sur la probabilité que Jack tienne parole et libère ma fille.