A travers mes pleurs et mon chagrin, je sentais à peine la présence du guérisseur, ou les graviers qui m'éraflaient le genoux. Il me pressa doucement le bras et je repris, quasiment inaudible.

- Tu vois, je me disais, c'est Charbon, l'Alpha, il ne peut pas tuer Givre. 

<<Je dépassais le Rocher à fond de train avec Belle-de-Nuit, et je sentis un mouvement derrière moi tandis qu'un loup sautait sur Givre. Sans doute Gris. J'entendis le couinement surpris du loup tandis que les deux autres loup qui l'attendaient lui sautait dessus. Ce fut Charbon qui lui porta le coup final. Gris immobilisait sa tête tandis que Cascade s'occupait de son arrière train.>>

- Mais non, il l'a vraiment tué. C'était un danger pour la meute.

Je crachais rageusement ce dernier mot.

 Je me souviens être bizarrement lucide au moment de sa mort.

<<Exactement comme une proie, songeai-je. Puis l'étincelle de vie s'éteignit dans son regard torturé par la folie.>>

- Après, je suis devenue comme folle.

<<Je hurlais à la mort.

A partir de là, ce ne fus qu'une longue chute.

Mon retour à la maison, hébétée, anesthésiée.

Mes parents, qui me découvrent, le visage plein de larmes que je n'ai pas eu conscience d'avoir versé.>>

- L'été est passé sans que je ne m'en rende compte. Puis il y a eu le lycée. Les appels incessants de Charbon. 

Je reniflais, et me mouchais avec ma manche. Une vague partie de moi, celle qui regardait de haut la pauvre fille agenouillée devant une tombe, pensa "C'est pathétique." L'autre part, la pauvre fille dans le cimetière, s'en fichait complètement.

- Je refusais de faire quoi que soit en rapport avec les loups.

Je fis une pause.

- Mais peu à peu, je suis sortie de mon hébétude. J'ai tout doucement remontée la pente.

Je tendit la main, et caressa du bout du doigt son nom, gravé dans le marbre. Une chose immuable, comme sa mort. Je pleurais longtemps devant sa tombe. Au bout d'un instant - une seconde ou trois heures ? - M'lizz m'effleura la joue, et une larme coula dessus. Il la fixa du regard, et souffla dessus. Hébétée, j'en crus à peine mes yeux lorsque la goutte se cristallisa. Alors, sa voix troubla le silence :

- Alice.

Je sursautais. Comment connaissait-il mon nom ?

- Alice, il est temps de laisser partir ton chagrin. Cela ne ramènera pas Givre. Ta seule façon de le conserver est à travers tes souvenirs. Cette goutte, dit-il en la brandissant, c'est une goutte de chagrin pur. C'est une preuve de ton amour envers Givre. Ne la laisse pas te noyer ; je t'assure que le futur est devant toi, et non derrière. Alice, tu dois vivre.

Il referma ma main sur la larme, et me dévisagea de ses yeux marrons qui me traversèrent l'âme.

- La vie se doit d'être vécue. Ne l'oublie pas. Comme j'acquiesçais, un peu par réflexe, il reprit : je vais vous laisser.

Alors, il partit, sans un geste de plus, me laissant seule devant sa tombe.

Je m'allongeais sur le marbre froid, interrogeant la pierre. Je collais mon oreille sur la tombe, mais aucun bruit ne me parvint. Alors, je pressais mes lèvres sur la pierre, murmurant un "Je t'aime", et je partit.

*

*             *

Je reçus un long mail de Charbon, résumant la réunion du matin. Je ne répondis pas.

J'avais l'impression d'avoir un poids en moins sur le cœur. Je fixais la goutte de chagrin à un bracelet.

Je partis à la recherche de M'lizz. Je voulais lui dire "Merci". Je ne le trouva pas.

Le temps continua à passer.

Une idée tournais dans ma tête comme un oiseau coincé en cage, en quête de liberté.

J'en parlais à mes parents, ils acceptèrent. Alors, j'ouvris la cage, et l'idée devint projet.

Je me préparais, fit mes affaires... Et partit.

Direction le Canada.