La Mer
Depuis toujours, je rêvais de naviguer.
Je suis né le 3 avril 1880 dans le comté de Nice. Ma mère décrivait souvent l'air du jour de ma naissance comme frais, doux et bien évidemment méditerranéen. Le petit village qui m'accueilla dans le monde se nommait Èze, situé dans les hauteurs de la ville Niçoise.
C'est donc la région Nissarde qui m'a vu sortir, tout plein de sang, hurlant, du ventre de ma mère. Mon père et ma grand-mère paternelle assistèrent à mon entrée sur Terre.
À compter de ce jour débuta mon enfance. Mes parents décrivaient souvent mes premières années de vie comme difficiles parce que j'étais encore un enfant en bas âge, mais également ensoleillés parce que le bonheur comblait notre petite famille heureuse et aimante.
Mais le bonheur ne dura pas bien longtemps. En effet, lorsque j'avais dix ans, la tuberculose rattrapa mon père, qui mourrut environ deux semaines après avoir contracté les premiers symptômes de la maladie. Sa mort si soudaine affecta profondément ma mère, moi et le reste de ma famille. Vingt ans plus tard, je n'arrivais pas à réaliser que mon père était décédé.
Puis, la vie reprit son cours. Même si la mort de mon père avait suscité une énorme afflction en moi, elle n'empêcha pas la Terre de tourner, le Soleil de briller, et la vie de continuer.
La disparition de mon père marqua un double tournant dans l'hisoire de mon existence. En effet, ma mère travaillait au champs et mon père était commerçant sur le port de Nice. Maman ne gagnait pas assez d'argent aux champs pour nourrir nos deux bouches, alors je dus remplacer mon père sur le port. Mon oncle m'assistait à la tâche. Durant l'heure méridienne, j'avais une demi-heure de pause que je passais assis au bord d'une jetée, machouillant un bout de pain et regardant l'intarissable bleuté de la mer. Je voyais sa surface, tourmentée de vagues avançant doucement vers la côte, scintiller au gré de son mouvement lent et ondulatoire. La mer ne semblait pas avoir de fin ; j'étais plus que jamais attiré par le bleu illimité du royaume marin. J'étais plus que jamais attiré par l'irrationnelle liberté qui s'émanait de cette immensité bleutée. J'étais fasciné par le bleu maya de cette étendue d'eau salée, qui quelque fois migrait en bleu outremer. Je regardais les bâteaux quitter uns à uns le port pour regagner le large. J'aimais beaucoup observer ces bâtiments de plusieurs tonnes flotter comme une plume sur l'eau. Ils se mouvaient au gré des vagues qui venaient s'écraser doucement sur les coques des navires au repos.
De ces multiples observations à l'heure méridienne, je n'ai gardé qu'une pensée : celle qui me poussa, tout au long de ma vie, à aller en mer.
Mon rêve se concrétisa le jour où je fis la rencontre d'un vieux marin qui possédait un petit voilier.
J'avais alors quinze ans, j'étais un adolescent plein d'énergie et de vigueur. Je travaillais toujours au port avec mon oncle. Ce jour-là, je fis comme à mon habitude, et, à la pause méridienne, je m'assis au bord de ma traditionnelle jetée. Je machouillais mon bout de pain, et regardais, les yeux dans le vide, l'auguste bleu qui s'offrait à moi. Alors que je me perdais dans mes songes, une main se posa sur mon épaule, me tirant de mes pensés. Je me retournai alors, et vis un vieillard, de petite taille, une barbe blanche et des bottes étanches, qui me sourillait de toutes ses six de dents. Je m'apprêtais à me relever, lorsque le vieil homme me lança :
« Non, restes assis, gamin ! Tu est intéressé par la mer, n'est-ce pas ? »
J'esquissai un furtif mouvement de la tête, sans pour autant quitter des yeux le vieil homme.
« Bien ! s'écria-t-il. Alors je vais te raconter une histoire.
— Je... je veux bien, monsieur, balbutiai-je, je veux bien, mais je n'ai pas temps.
— Ce n'est pas grave ! cria le vieillard. La mer n'a pas besoin de temps pour être racontée...»
Je me résignai, me disant qu'il n'y avait nulle autre possibilité que de l'écouter.
« Commencez, soupirai-je.
— Bien ! claqua le vieillard. Je vais te raconter la création de la mer. Cela se déroule pendant la nuit des temps, avant même la création de l'Homme. C'était dame nature, qui avait mit au monde trois enfants : Terre, Air et Feu. Un jour, Feu, pris d'une colère indescriptible contre sa mère, tenta de détruire la toute dernière création de Dame Nature : la Terre. À cette époque, la Terre n'étais qu'une vaste forêt luxuriante. Un véritables univers d'arbres et de plantes aujourd'hui disparus. Feu y mit le chaos. Les forêts brûlaient à une vitesse hallucinante. Le bijou de Dame Nature se faisait anéantir. Finalement, Terre et Air réussirent à arrêter Feu, mais cela semblait trop tard. Les flammes ardentes de Feu continuaient de consumer la Terre. Alors, Dame Nature, honteuse du comportement de son fils et affectée par la destruction de sa création la plus précieuse, pleura. Elle pleura autant qu'il n'était possible. Les larmes tombèrent sur la Terre. Cette pluie dura des milliers d'années, éteignant l'incendie provoqué par Feu. Ainsi la mer, des larmes de Dame Nature, se créa. »
Je regardai quelque instants le vieil homme, songeant à l'histoire qu'il venait de me compter. Puis, je portai mon œillade sur l'horloge du clocher qui se trouvait en face de moi. La pause méridienne était terminée depuis dix minutes ; si je ne revenais pas maintenant, mon oncle allait me blâmer. Je me relevai alors, et m'appretai à remercier le vieil homme qui m'avait prit m9n temps.
Mais l'homme me retint, et me lança : « dis-moi, gamin, tu voudrais que je t'apprenne à naviguer ? Je possède un voilier, je pourrais t'emener découvrir la beauté de la mer.
— Je voudrais bien, j'ai je n'ai plus le temps. Il faut que j'aille rejoindre mon oncle au marché ou je n'aurai pas à manger ce soir.
— La mer ne t'offrira toujours qu'une seule opportunité. À toi de décider si tu l'accepte ou pas. »
Je toisai quelque secondes le bleu infini de cette éternel bassin d'eau salée. Puis je me tournai vers le vieil homme.
« J'accepte, mais à une seule condition : je rentrerai avant la nuit. Si cela ne peut pas tenir, alors la mer ne connaîtra pas mon visage.
— Bien ! s'écria le vieil homme. Alors nous partons. Je ne peux t'assurer que tu rentreras avant la nuit ; c'est la mer qui décidera si elle est ou non indulgente avec toi. »
J'hochai doucement la tête. Je savais qu'il était encore temps de refuser, mais l'opportunité était trop grande.
Je suivis donc le vieil homme à travers le port. Puis, il s'arrêta devant un petit voilier qui devait être le sien. Il monta à bord en y déposant un sac en toile qui traînait sur le quai. Puis il le regarda de ses petits yeux globuleux et lança : « Tu monte ? ». J'hochai la tête et posa un pied, puis l'autre, sur le pont du petit bateau. Celui-ci tanga un peu, alors, je dûs me raccrocher au quai pour ne pas tomber. Puis, le vieil homme largua les amarres et deploya la voile du navire.
Pour la première fois de ma vie, je rencontrais la mer.
J'observais Nice s'éloingner à mesure que le bateau avançait. Je regardais les couleurs des maisons se mélanger pour ne devenir qu'une dominante de rouge. Je pensais avec amusement à mon oncle qui devait m'attendre avec énervement sur le port, devant les fruits et les légumes que nous vendions. Puis, je portais mon regard sur l'interminable tache de bleu qui n'avait jamais été aussi près de moi. J'effleurai alors avec douceur la surface de cette fascinante étendue d'eau salée.
Et, alors que je contemplai d'un air ébahi le payasge irréel qui s'offrait à moi, j'entendis le vieil homme m'appeler.
« Gamin ! Dis-moi, quel est ton nom ?
— Jean, annonçai-je en me retournant.
— Bien, Jean ! Prends la corde qui est là, et accroche-la au crochet juste à côté de tou en tirant dessus. Tu peux le faire ? »
J'acquiescai d'un mouvement de la tête, puis attrapai ladite corde. Je tirai dessus du plus fort que je pus, et l'attachai au sudit crochet. Le vieil homme me rejoignit et consolida mon nœud. Puis, en levant la tête, je constatai que la voile avait bougé, et que le bateau avait tourné vers la gauche. Le vieil homme me sourit, constatant mon étonnement.
J'avais passé l'après-midi à apprendre les bases de la navigation. Je savais à présent me servir d'une boussole, et je n'avais à présent plus trop de mal à orienter la voile.
Je rentrai alors avant la nuit. J'enfourchai mon vélo et grimpai la pente qui menait à Èze. Là, ma mère et mon oncle m'attendaient devant la porte d'un air énervé. Je garai mon vélo, et m'approchai d'eux d'un air honteux, la tête baissée. Je sentis une main ferme prendre ma casquette et la jeter d'un coup sec sur le sol. J'entendais ma mère et mon oncle me sermonner, sans les écouter. Puis, ils me privèrent de dîner. Je me couchai le ventre creux, mais je n'en avais rien à faire : après tout, j'avais vu la mer ; j'avais senti la mer sous mes doigts.
Le lendemain, je fus tiré du lit aux aurores. Ma mère me demanda des explications, que je lui donnai en toute sincérité. Elle écouta l'histoire que je lui contais avec étonnement. Puis, elle commença à rire aux éclats.
« Tu sais, Jean, ce n'est pas grave si tu veux réaliser ton rêve ! Tu dois juste me prévenir avant, d'accord ? Je te laisse continuer à apprendre la navigation avec ce vieil homme ! Juste, ne te mets pas en danger.
— Oui ! Merci, maman ! »
J'enfourchai alors ma bicyclette, et me dirigeai vers le port pour rejoindre le vieil homme.
Sept ans plus tard environ, le vieil homme mourut, me léguant son voilier, que je métrisais à présent parfaitement. Avec, je partais explorer les criques de la Côte d'Azur en me remémorant mélancoliquement les souvenirs que je partageais avec le vieillard. J'allais régulièrement pécher pour rapporter du poisson à ma mère qui se faisant vieillissante et dont la santé se fragilisait. Puis, un jour, dus aller travailler. Je quittai Nice, laissant la vie de ma mère entre les mains de mon oncle. Je confiai amèrementmon voilier au gardien du port. La mer allait me manquer.
Lorsque j'arrivai à Paris, la première chose que j'observai était tous ces gens qui grouillaient autour de moi. J'observais pour la première le fourmillement de la vie urbaine.
Trois ans plus tard, j'étais marié, et père d'un enfant. Un jour, je voulus faire découvrir le lieu de mon enfance à ma famille. Arrivés à Nice, je pris des nouvelles de ma mère, et appris qu'elle était toujours en vie et plus ou moins rétablie. Je décidai alors d'emmener ma femme et ma fille en mer. Je me souviendrai toujours du temps ce jour-là : gris, lourd. J'aurais dû me douter.
Je vis naviguer le voilier jusqu'à une crique dont j'appréciais la couleur azur de l'eau. Je passai toute l'après-midi midi à apprendre à ma fille comment pêcher, et enseigner tous les mécanismes d'un bateau à ma femme. Puis, vers seize heures, l'orage commença à gronder, et la pluie à tomber. Je décidai de garder mon calme et de retourner au port avant qu'il ne soit trop tard.
Nous partîmes en vitesse. Mais l'orage semblait vouloir s'acharner. Quelque minutes plus tard, les vents étaient si violents que je peinais à manœuvrer la voile et que le bateau tanguait dangereusement. J'entendais ma femme et ma fille crier, les vagues s'acharner contre le voilier, et l'orage mugir. Des éclairs attérissaient parfois très proche de nous, et j'avais peur qu'ils n'atteingnent le mat. Puis, lorsqu'une vague troua la voile, je me disais que c'était peut-être trop tard. Je contemplai les dégâts de cette vague monstrueuse, lorsque j'entendis ma femme et ma fille crier comme si elles avaient vu la Mort en personne. J'accourus vers elles, et constatai avec un immense effroi que seule ma femme restait sur le pont, tentant désespérément de rattraper ma jeune fille tombée à l'eau. Je me saisis d'une canne à pêche et la tendit vers ma fille, dans l'espoir qu'elle la rattrape. Et puis, pour aggraver la chose, alors que ma femme et moi étions larmoyant tant ce sauvetage semblait sans espoir, un éclair frappa le mat comme je le redoutais tant. Le volier explosa en mille, et nous ne pouvions nous raccrocher aux pièces du bateau qui étaient toutes en feu. Je voyais ma femme se faire aspirer par le fond tant les nombreuses couches de tissu de sa robe faisaient poids, je voyais ma fille boire la tasse sans ne pouvoir rien y faire. J'avais cessé de me débattre, je sentais l'eau pénétrer mes vêtements, les grondements du tonnerre ne furent plus que des échos, au loin. Ma vue devint floue, et la dernière chose que je me souviens avoir vu fût une gigantesque vague s'abbatre sur moi.
Mon rêve de naviguer avait vrillé au cauchemar ; la mer m'avait dompté.
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