Bien des nuits plus tard...

Un sursaut dans le cœur fit se réveiller Täck. Minuit. L'heure était venue.

Cela faisait des semaines maintenant, qu'à minuit pile, le jeune Suédois rejoignait son aimée Solveig sur le lac de Mirakel pour une valse passionnée. 

Ces rencontres nocturnes lui procuraient un bien immense, tout en l'abattant terriblement.

En quelques semaines, il n'eut plus goût à rien, sinon à ces danses nocturnes, et dépérissait à chaque lever du soleil, lorsqu'il s'imaginait devoir attendre à nouveau vingt-quatre heures avant de revoir sa chère Solveig.

À son chat, un fluffly finlandais crème rayé de noir, prénommé Kannël, qui lui lançait un regard lourd de sens, il murmura doucement : 

— Mon Kannël, tu ne peux pas imaginer le bien que me procurent ces rencontres avec ma chère Solveig...

Kannël miaula pour exprimer son désarroi de voir son maître si impatient de rejoindre un souvenir.

Mais Täck ne se rendît pas compte de l'état de son chat. 

Solveig revenait du royaume des Morts pour lui, et il ne pouvait plus se permettre de la faire attendre. Le temps passait si vite lorsqu'ils étaient sur la glace... 

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«Snurra, liten snöflinga, snurra upp mot himlen,
Snurra, lilla snöflinga, snurra tills den eviga snön,
Snurra till de eviga snön, men glöm aldrig,
At till tidens ände kommer jag att älska dig... »

La mélodie de Solveig résonnait dans l'air glacé de la nuit lorsque Täck la rejoignit. 

Lorsqu'elle le vit sur la rive, ce fut comme un automatisme. Elle s'approcha de lui, prit sa main, et l'entraîna sur la glace bleue et blanche pour une succession de mouvements à la grâce aérienne. 

— Est-ce que ça va ? lui demanda-t-elle, inquiète de voir le beau visage de son fiancé aussi chagriné.

— Oui. Je me disais juste...

— Oui ? 

— Le temps passe trop vite, lâcha Täck brusquement. Le temps passe trop vite, Solveig, lorsque nous dansons ensemble sur le lac, et il passe trop lentement le jour, lorsque j'attends insatiablement le soir. Les frissons me dévorent, pendant ce temps-là, et j'ai chaque seconde l'impression que l'impatience me consumera !  C'est trop comme temps, et à la fois, si peu... J'aimerai tant... qu'il n'y ait plus toute cette attente, que toi et moi, n'ayons pas besoin d'être séparés pendant toutes ces heures, j'aimerais.. que nous ne soyons plus jamais séparés, tu comprends, Solveig ? Deux ans, c'était tant de temps à vivre dans le remords et la solitude ! Et maintenant que tu es là de nouveau, c'est encore pire, car je dois te quitter chaque matin, tu t'évapores, c'est comme revivre ta mort des dizaines et des dizaines de fois ! Je...

La voix de Täck se brisa en un sanglot.

— Je ne veux plus te quitter...

Rendue muette par l'émotion, Solveig ne répondît pas tout de suite. 

Au lieu de quoi, elle leva la tête vers le ciel étoilé. Surpris, Täck suivit son regard.

Et ce qu'il vit l'émerveilla.

Le ciel bleu nuit se chargeait à présent de volutes d'émeraude, de saphir et d'or. De volutes qui évoluaient constamment, dansaient dans l'étendue sombre, faisaient concurrence aux étoiles scintillantes.

L'aurore boréale virevolta, tournoya au rythme des deux amants qui dansaient sur la glace teintée à présent de reflets bleus et verts. Sa lumière enveloppa brièvement les deux jeunes fiancés, et s'en retourna danser ailleurs sur la glace.

— Que c'est beau... murmura Täck.

Il n'avait plus vu d'aurore boréale depuis longtemps, et celle-ci était d'une rare beauté. Solveig lui caressa le visage du bout de ses doigts venteux.

— Mon amour, es-tu vraiment prêt à tout pour que nous ne soyons plus jamais séparés ?

Le sang de Täck reflua d'un coup.

— À tout ! Solveig, existe-t-il une solution ? 

— Une seule... Täck, me fais-tu entièrement confiance ?

— Pleinement.

— N'as-tu pas peur ?

— Absolument pas. Solveig... je veux juste être près de toi. Pour l'éternité.

— Alors... ferme les yeux.

Täck obtempéra aussitôt.

Il sentît Solveig souffler sur la glace, il sentît un petit craquement.

Il sentît ses pieds plonger dans une onde noire.

— Garde les yeux fermés. Aie confiance.

La voix calme et aimante de Solveig le convainquit de poursuivre.

— Je t'aime, Täck...

— Je t'aime,Solveig... répondit le jeune homme tranquillement.

Avant de disparaître pleinement dans les eaux sombres du lac Mirakel.

L'onde noire l'attira doucement vers le fond. Tandis que ses pensées s'apaisaient, Täck sentit son corps s'engourdir. Il garda les yeux fermés, et laissa l'eau le berçer.

Quel silence...

Quel calme...

Puis, les ténèbres l'engloutirent, et les rayons de la Lune disparurent pour toujours.

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Deux silhouettes scintillantes dans le ciel.

Un homme et une femme, constellés de poussière d'étoiles.

Täck et Solveig, entreprenant une énième valse.

Ensemble.

L'aurore boréale mua une nouvelle fois, et – était-ce vraiment un hasard ? – dessina dans le ciel, les visages épanouis des deux amants. 

Dans un même pas, d'un même regard, les âmes des deux jeunes Suédois remontèrent jusqu'aux cieux.

«Snurra, liten snöflinga, snurra upp mot himlen,
Snurra, lilla snöflinga, snurra tills den eviga snön,
Snurra till de eviga snön, men glöm aldrig,
At till tidens ände kommer jag att älska dig... »

Ensemble.

«Virevolte, petit flocon de neige, vole jusqu'au ciel,
Virevolte, petit flocon de neige, virevolte jusqu'aux neiges éternelles,
Virevolte vers les neiges éternelles, mais n'oublie jamais,
Que jusqu'à la fin des temps je t'aimerai... »

À jamais.

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