Une Beauté éphémère
Une Beauté éphémère
La voilà, comme chaque jour assise devant sa coiffeuse ressassant sans cesse ce passé inatteignable et pourtant si parfait. Un passé dans lequel tout lui souriait, où le bonheur était à ses pieds et où la beauté ne lui était qu'un synonyme.
Elle se regarde aujourd'hui avec honte et dégoût, méprisant ses moindres défauts et regrettant ses formes appartenant à une autre époque. Autrefois, ses lèvres vermillon et pulpeuses, si tendre à embrasser. Son teint de pêche digne d'un ange tombé du ciel prête à exercer tout miracle, ses cheveux lisses et volants au gré du vent et ses yeux vert émeraude scintillant de mille malices et séductions. Sa peau si lisse et bien entretenue était jalousée de toutes.
Elle était l'objet de tous les désirs et de toutes les convoitises, hommes comme femmes, tous la désiraient.
Aujourd'hui, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle sort de son réticule sa montre à gousset, l'ouvre et observe les aiguilles. À chaque heure qui passe, sa peau et ses lèvres se tendent et se craquent de plus en plus, au fil des jours ses cheveux se ternissent et ne ressemblent plus qu'à un nid de pailles, au fil des ans son teint se grise la paralysant d'un air triste et monotone. Demain, ses yeux se plongeront un peu plus dans les ténèbres et le jour suivant, plus aucun homme ne la convoitera.
Qu'est-ce le temps sinon une malédiction que personne ne peut ralentir et dont je dois y subir chaque méfait ? Ma jeunesse volée, ma beauté emprisonnée, qui suis-je ? Je vous en supplie, encore dix ans, un an, une journée, une heure, je ne peux rester laide, est-ce mon destin ? Pense-t-elle.
Elle lève ses yeux sur le miroir, se regarde, s'observe, se lève brutalement et crie : « Bon Dieu ! Si tu existes, montre-toi, révèle-toi à moi, malheureuse que je suis vient à mon secours, rends-moi ma beauté et ma jeunesse d'antan. Regarde-moi, ose porter ton regard méprisant sur mon corps, vois ce que tu m'as fait ! Sale petit égoïste, j'étais adulée et maintenant, je suis repoussée ! »
N'ayant pas de réponse comme à son habitude, elle saute sur son fauteuil afin d'y verser un flot de larmes injurieuses et de la frapper sans remords. Ensuite, elle prend les différents magazines se trouvant sur la petite table ronde à droite du siège afin de continuer à se meurtrir en observant ce beau visage d'adolescente ainsi que ces belles courbes qui dessinaient son corps. Elle se souvient de chaque photographie, de chaque lieu où elles ont été prises, de chacune des tenues, de son humeur ce jour-là, elle se souvient de tout à force de les envier. Elle les regarde pendant de longues heures, les envies et les jalouse. Elle regarde de nouveau sa montre à gousset, observe les aiguilles avancées au rythme dune interminable valse. C'est là son seul moyen de voir le temps passé. La journée passe et elle finit par s'endormir au milieu de sa jeunesse puis le lendemain matin, elle trie et empile les différents magazines par date de parution ensuite sa routine reprend de plus belle, le lendemain, elle exécute le même rituel puis le surlendemain, le jour d'après et encore le suivant, les mêmes gestes, dans le même ordre, dans une danse éternelle. Cette cérémonie étant parfois entrecoupée d'un simple verre d'eau et d'un maigre morceau de pain rassis.
Pendant encore l'un de ces maniaques rituels, le major d'homme ouvre subitement la porte et s'exclame alors :
– Mademoiselle, excusez-moi de vous interrompre dans vos activités, mais voyez-vous, j'ai ouï-dire que deux de vos anciens amis étaient de retour en ville, j'ai ainsi pris soin de me renseigner plus exactement.
– Qu'avez-vous découvert ? J'espère que cela en vaut en peine pour que me dérangiez et abîmiez ma peau avec vos microbes !
– Eh bien, voilà, ce sont Vénézia d'Omorfia et Titan Teratodis, ils sont arrivés il y a maintenant trois jours et logent dans un hôtel non loin de là, je leur ai alors envoyé un télégramme avec vos salutations et les conviés à une festivité ici pour demain à l'heure du souper.
– Vous auriez pu, et même dû me prévenir, voyez dans quel état je suis ! Ma laideur n'a fait qu'accroître au fil des années et vous, vous les invitaient sans me prévenir ! Il faut que jaille voir le couturier, que j'achète une nouvelle robe, la plus belle, et le maquillage, il ne faut pas l'oublier, il faut que je me maquille, que je cache ces ridules et les marques du temps. Vous savez ce que l'on dit deux ? Qu'ils ont été bercés par Apollon et bénis par Vénus, enfin plus monsieur que madame !
Elle dit cela en s'agitant dans tous les sens et en regardant frénétiquement sa montre à gousset. Chaque « tic-tac » la faisant paniquer et s'affoler un peu plus.
Le lendemain, les minutes paraissent des heures au son des horloges puis coupant court à cette mélodie, on entend frapper la porte. Le major d'homme et pendant que les convives entrent, une grande silhouette descend les impressionnants escaliers de marbre avec une allure assurée. De sa robe couleur miel du printemps y coule des gouttes de diamants reflétant la lumière du grand lustre, elle s'arrête net au milieu des marches, elle ne s'attendait à voir que deux invités de prestige, mais au lieu de ça, elle voit une vieille femme couverte de rides et de cernes et s'habillant sans harmonie et goût particulier. À côté, un beau jeune homme d'une cinquantaine d'années, mais qui en parait seulement trente et qui s'accoutre d'un costume cousu par Arachné et brodé d'un lilas. De nombreux journalistes les entourent et envahissent les lieux. Elle sourit alors, remonte ses boucles, réajuste son bandeau orné dune plume de cygne noirci par le temps, sort de son réticule en peau de couleuvre une montre à gousset garni de dorures où des fleurs de colchiques sont gravées. Elle l'ouvre, regarde l'heure, s'observe dans le miroir se situant dans le couvercle, vérifie à ce que le maquillage ait bien corrigé la moindre imperfection, se morfond dans la course perpétuelle des aiguilles maîtresses du temps avant de revenir à la raison. Elle descend lentement le plus doucement possible, soigne son image et sa posture, chaque bruit que fait son talon sur le marbre lui hérisse un peu plus les poils et la remplit d'une peur qu'elle n'avait jusqu'alors pas connue depuis des années. Elle sourit machinalement et invite toutes ces personnes à se rendre dans le salon.
Elle avance jusqu'à la pièce, tourne la tête et observe son reflet au travers d'un petit miroir en forme de soleil fixé à sa droite. Elle se force à sourire, mais tout ce qu'elle arrive à voir au travers n'est qu'une pomme pourrie par le temps où de nombreux petits sillons ont été creusés par les vers.
Elle s'assoit en bout de table et les autres font de même à part les journalistes qui préfèrent rester debout afin d'avoir les meilleures images de ce fabuleux dîner. Très rapidement, l'entrée est servie, une salade de cèpes, accompagnée d'un vin, un Saumur rouge de deux ans.
– Je vois que vous avez gardé votre goût du luxe et des bonnes choses ! S'exprima jovialement Titan Teratodis avec un large sourire.
– Ce n'est pas là des choses qui se perdent !
– Et c'est une très belle présentation que vous nous faites ! Reprends l'homme.
– C'est à mon image. Répondit la femme.
Une grimace se dessine alors sur la face de Vénézia d'Omorfia qui n'échappe pas à la maîtresse de maison.
– Un problème avec mes propos ?
– Non loin de là, le temps a seulement toqué à votre porte.
– À ce que je vois, il a aussi toqué à la vôtre, vous qui étiez si belle ! Le ton employé par l'ancien mannequin est sec, mais révélé une profonde tristesse ainsi qu'un grand doute.
Pendant que ses paroles fusent dans l'air, sa main droite se faufile dans sa poche droite et caresse nerveusement la montre à gousset.
Le reste de l'entrée se passe dans un silence et une gêne que chacune des caméras qui envahit la pièce n'oublia pas de capturer.
Très vite, le plat de résistance est mis sur la table ; une côte de buf sanglante accompagnée de pommes de terre à la peau flétrie avec une sauce périgourdine. Le sommelier, ayant pris soin au préalable de changer les verres, leur présente et leur verse leur boisson qui accompagnera cette partie du repas, un Médoc de Bordeaux vieux de vingt-six ans.
– Vous avez des projets ? Vous êtes toujours mannequin ? Demande l'homme en connaissant d'avance la réponse. Non, je me suis éloigné de tout pour quelque temps, mais si un projet s'offre à moi, je sauterai dessus !
– Ça tombe bien, j'ai un film à vous soumettre. Je dois jouer prochainement dans un film, mais voilà qu'au dernier moment une personne assez importante s'est désistée et il nous en faut une nouvelle d'autant plus que ce rôle fait partie de la construction du personnage principal, qui est joué par moi-même, et ne vous en faites pas, vous serez payé à la hauteur !
– Très bien, mais en quoi consiste ce rôle ?
– Il s'agit de la mère, elle a environ soixante ans et doit être interprétée par une femme vieille et ridée pour faire contraste avec la beauté de son fils, donc moi ! De plus, je préfère le naturel au maquillage, mais ne vous en faites pas, vous n'apparaitrez pas longtemps, car elle meurt assassinée à cause de sa laideur qui fait « tache » dans ce monde si parfait.
– Je ne vous permets pas, osez-vous insinuer quelque chose par rapport à mon physique ? Si c'est le cas, je vous conseille de sortir immédiatement d'ici puisque actuellement, c'est vous qui faites tache dans cette maison !
Vénézia d'Omorfia ne peut se contenir de rire à pleins poumons suite à cette situation.
– Et vous ! Vous êtes devenu une ogresse au fil des ans, vous avez pris la laideur de Titan Teratodis tandis que lui vous a pris sa beauté, à moins que cela soit toutes ces chirurgies qui vous ont transformé en bête de foire ! Allez donc au diable !
Tout le monde se tait avant que le chaos ne retentisse de nouveau, chacun insultant le physique de l'autre notamment celui de l'ancienne mannequin et de son âge avancée. Finalement, elle fait sortir tous les invités de sa demeure en leur souhaitant le pire et une beauté semblable au crapaud.
Au fond de la salle, son second lâche un petit rire discret, cela fait des années qu'il n'y a pas eu un peu d'action dans cette demeure. D'autant plus que ce n'était pas sa faute pour une fois si les gens vont mal.
Deux jours plus tard, alors qu'elle reste de nouveau enfermée dans son seul refuge, elle décide d'allumer sa télévision et de regarder les différentes chaines, mais une chaine l'interpelle particulièrement. Il s'agit d'un reportage et de ce qu'elle comprend ou du moins, de ce que les grésillements lui laissent comprendre, il s'agit d'une émission sur elle. Cependant, son enthousiasme retombe bien vite quand elle voit que les journalistes parlent de l'affreux dîner avec ses compères où elle s'est mise à insulter tout le monde. Elle éteint rapidement cette boite à mensonge qui ne sert qu'à ternir son image.
Dans le silence et la noirceur de la pièce, elle arrive à distinguer une chose, une forme plus foncée qui se distingue du reste. Elle ne comprend. Qui est là ? Pas de réponse. Elle pense être folle. Vous êtes venu suite au reportage ? Rien. Vous voulez me tuer ? Silence. Elle panique. La tension monte. La chose se lève. Que veut-elle ? L'ombre est debout. Est-ce la fin ? La noirceur avance. On ne peut rien distinguer. Un pas. Silence. Deux pas. Panique. Trois pas. Elle se cramponne au fauteuil. Quatre pas. Elle regarde partout. Rien. Cinq pas. La Mort est devant elle. Aucun détail n'apparait. C'est la fin.
Soudain, la lumière s'allume et un homme se tient debout devant elle. Il lui tend la main. Elle la prend et se rassure.
– Tout va aller beaucoup plus vite ! Lui susurre-t-il.
Elle s'évanouit de peur et d'inquiétude face à cet étranger qui inspire crainte et désolation. Quelques heures plus tard ou alors quelques jours, elle ne peut réellement savoir à force de rester dans cette pièce qui fait perdre toutes notions du temps, elle se réveille. Allongée sur son sofa avec l'étranger toujours à ses côtés, mais cette fois-ci, elle peut distinguer sa longue et fine silhouette envoutante ainsi que son sourire mesquin et manipulateur.
– Vous vous êtes enfin réveillée ! Cela m'étonne que ç'ait pris autant de temps, étant donné qu'il ne vous reste plus beaucoup enfin tout dépend si vous acceptez mon marché.
– Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous rentré ? Vous voulez me voler ? Sortez ou j'appelle mon major d'homme !
– Ne vous en faites pas, je serai parti aussi vite que je suis venu, pas besoin de vous affoler, je viens uniquement vous proposer un marché si cela vous convient ?
– Très bien, en quoi consiste-t-il au juste ce marché ? Demande-t-elle avec anxiété en s'étant collé au fond de son siège.
– Eh bien voilà, je peux vous rendre jeune, vous retrouverez votre beauté et tout ce qui va avec, vous pourrez de nouveau jouer dans de grands films, portez de luxueuses tenues sur les podiums du monde entier. Vous retrouverez votre reconnaissance et votre prestige. Pour cela, signez ici.
Il claque des doigts et des feuilles lui apparurent dans les mains indiquant les différentes modalités de ce contrat.
– Qu'avez-vous à y gagner, vous ne pouvez m'offrir ce que j'attends sans demander quelque chose d'équivalent en retour. Vous savez, je suis assez intelligente pour savoir que toutes histoires terminent mal.
– Qu'avez-vous à perdre ? Vous n'êtes plus reconnue et avez perdu toute notoriété avec ce reportage, votre monde s'écroule, acceptez et tout ira pour le mieux.
– Je le répète pour la dernière fois, que souhaitez-vous en échange ?
– Une simple chose qui ne devrait vous déranger, je veux votre vie, à votre mort, vous m'appartiendrez. C'est tout.
– C'est tout ? Après tout, je n'ai rien à perdre, je retrouverai une beauté et une jeunesse éternelle, théoriquement, je ne pourrai pas mourir et puis je ne crois pas à ces histoires de Dieu et de vie après la mort donc il ne pourra rien se passer. Pense-t-elle à voix basse.
L'homme se rapproche de la femme qui a pris une position plus décontractée et lui tend les papiers avant de claquer de nouveau des doigts pour faire apparaitre un crayon qu'il lui donne.
– Il ne peut rien m'arriver ? Vous ne me jouez pas un mauvais tour ? Je serai jeune comme je le voudrais et autant que je le voudrais ? Je déciderai moi-même de l'âge ?
– Évidemment que vous serez aussi jeune et belle qu'une mine de diamants, vous déciderez vous-même de votre âge.
À ces paroles, l'hésitation n'a été que de courte durée et elle signe immédiatement ce document puis elle lui donne le crayon et il fait de même.
– Et comment cela marche, je dois réciter une formule magique ? Plaisante-t-elle.
– Votre montre à gousset que vous avez laissé dans votre réticule, ça en ait une mécanique ? Chaque tour de cadran que vous remonterez correspondra à un an en moins, bien sûr, le mécanisme ne marche dans l'autre sens, vous avez demandé la jeunesse et non la jeunesse ET la vieillesse. Sur ce, je vous souhaite une bonne continuation et une bonne vie du moins, jusqu'à ce que la récupère !
Après lui avoir lancé un regard malicieux, il claque des doigts et disparait, laissant la pièce encore plus sombre, froide et ténébreuse qu'avant son arrivée.
Il ne lui faut que quelques secondes pour se remettre de ses émotions et partir à la recherche de son réticule qu'elle ait laissé dans le salon. Elle sort aussi discrètement que possible, se faufile à travers le couloir, descend les escaliers de marbre, jette un coup d'il dans la pièce pour s'assurer que personne n'est à l'intérieur et entre. Elle prend son réticule, l'ouvre, mais entend s'élever parmi le pesant silence la voix de son major d'homme et décide alors de repartir en direction de sa tanière. Elle réussit et s'affale dans son sofa. Elle ouvre son petit sac et en sort son délice. Son couvercle en or reflète un mince filet de lumière qui a réussi à se faufiler entre les rideaux. Elle le touche afin de sentir les différents reliefs et y sent celui des fleurs de belladone qui se trouve au centre de l'ouvrage, des rayons de soleil qui sont au juste au-dessus de la plante et sur le pourtour la phrase « MY ANGEL PUT THE DEVIL IN ME ». Après de longues minutes à le caresser délicatement, le couvercle s'ouvre, le temps s'arrête et elle respire l'odeur de la jeunesse éternelle, elle a trouvé sa fleur aux pétales d'or. Dans le miroir situé à l'intérieur du couvercle, elle ose se regarder et se toucher pour la première fois depuis des années. Les différents creux, les différentes bosses, les tâches et ma rugosité de sa peau sous ses doigts frêles ne lui font plus peur. Elle ose enfin de nouveau se regarder et se ressentir. Après tout, ça deviendra un lointain souvenir.
Le froid métallique de la petite couronne lui parcourt les doigts, remonte dans le bras puis dans sa nuque, lui hérissent les poils avant de la faire douter. Elle a toujours voulu ça, mais maintenant, elle ne sait plus, ne serait-ce pas risqué ? Le temps fait son uvre, n'est-il pas mauvais de changer sa création ? Mais pourquoi doit-elle rester vieille et ridée tandis que d'autres ont l'air de rester jeune ?
Elle pose la montre, tourne en rond, fait les cent pas, se tire les cheveux, elle angoisse, doute et hésite. Est-ce une bonne chose ? Puis, elle se voit dans le miroir et regarde de nouveau ce visage leste par le temps de toute la vieillesse du monde et reprend la montre. Elle sait ce qu'elle veut affronter le monde, ses critiques et revenir sur le devant de la scène.
Elle prend son destin en main, hésite une dernière fois, fait un tour de cadran et attend ? Rien ne se passe. Alors, elle en fait deux, trois, quatre, cinq, six, sept puis dix.
Elle se sent faible et épuiser et décide de faire une sieste.
La demoiselle se réveille brusquement en entendant quelqu'un toquait avec force contre la porte de la pièce. C'est son major d'homme qui s'inquiète, voilà cinq jours qu'elle n'est pas sortie, qu'elle n'a rien mangé et rien bu. Sentant en effet la soif tiraillée et irritée sa gorge, elle décide de ce la masser en espérant soulager la douleur. Mais elle sent alors que quelque chose a changé. Ses rides ce sont ses rides ! Ne sachant si cela est illusion ou vérité, son corps se précipite sur la coiffeuse et observe son image, limage d'une femme plus jeune de dix ans, les rides sont toujours là, certes, mais beaucoup plus atténuées. La jeune femme allait avoir la seconde jeunesse dont elle a toujours rêvé.
Pour la première fois, les rideaux sont tirés et la lumière rentrent pleinement dans la pièce autrefois si sombre et où la seule lumière qui pouvait y pénétrer était celle du petit écran où elle pouvait s'admirer quand le temps ne l'avait pas encore attaqué. Mais maintenant, tout cela est superflu, sa jeunesse vivra éternellement.
Elle part se rafraichir avant de rentrer rapidement dans son ancienne prison, d'y prendre toutes ses cassettes, son maquillage et de les brûler dans la cheminée de la pièce, prend les cassettes, les casse avant de les mettre à la poubelle. Une batte un peu cachée se trouvant dans un coin lui sert, quant à elle, à casser la télévision, mais le bruit interpelle la major d'homme qui lui demande ce qui peut bien se passer. Ce à quoi elle répond que tel un phénix, elle renait de ses cendres et qu'il peut désormais défaire de leurs draps les miroirs de la demeure, car un nouveau jour se lève.
Mais rapidement ses démons refont surface, en effet, ses rides se sont atténuées, mais elles sont toujours là et creuse sa peau, sa peau est toujours aussi molle et tombante telle un vieux caramel laissé au soleil ne sachant que s'étendre sans reprendre sa forme initiale. Sans oublier cette affreuse patte d'oie et ces différentes tâches brunâtres parcourant tout son corps.
Elle demande alors à son second de bien vouloir lui apporter son repas dans sa chambre ainsi qu'une grande cruche d'eau, ce qu'il fait sans hésiter et en moins d'une vingtaine de minutes le repas est servi. Il entre avec le plateau d'argent contenant tous ses désirs, mais il la trouve bien silencieuse devant la fenêtre, de dos. Elle lui dit de vite déposer le plateau sur la table et de repartir, ne voulant pas qu'il voit sa nouvelle tête, mais ce n'était qu'une excuse pour qu'il ne lui demande pas par quelle sorcellerie elle avait pu réussir à retrouver un semblant de jeunesse. Mais avant de partir, elle lui annonce qu'elle compte rester là encore cinq jours, seule et que par conséquent, elle souhaiterait ne pas être dérangé et que l'on lui apporte un repas le dernier jour. Ce à quoi il répond par un mouvement de tête inutile, car elle ne le voit pas avant de s'en aller en prenant le soin de fermer la porte à clé pour la laisser avec elle-même.
Son repas se compose donc de poisson accompagné d'épinards et de brocolis avec un peu de vin rouge et d'eau pour faire passer le tout. En dessert, elle se contente de quelques fruits rouges plongés dans du chocolat noir fondu, pour terminer, une pomme dont elle prend le temps de bien déguster.
Avant que la nuit ne tombe, elle décide de rédiger des lettres pour postuler dans différents centres pour mannequin ainsi qu'à de nombreux studios en espérant pouvoir y trouver un rôle enfin à la hauteur de son talent. Elle comptait y ajouter un photo d'elle, mais se rappelant ses affreuses rides, elle décide sans hésitation de prendre la montre à gousset et d'à nouveau faire tourner la couronne de dix tours dans le sens inverse des aiguilles dune montre.
Alors qu'elle n'est qu'à la moitié de son nombre de tours, de violentes douleurs la fracture en deux, lui brise les os un par un et la force à s'arrêter pour reprendre son souffle. Au bout de longues minutes, le calme revient dans son corps lui permettant d'en finir avec son projet. Une étrange fatigue, encore plus violente et douloureuse que la première, l'accable, mais elle n'y prête pas plus d'attention et sombre dans un nouveau sommeil de cinq jours.
À son réveil, elle ne peut se lever et décide de rester allongée dans son lit. Comme prévu, le major d'homme toque à la porte afin de lui apporter son repas qu'elle avait demandé il y a cinq jours, mais avant de lui ouvrir, elle parvient à se pencher en direction de la table se trouvant à côté du canapé et attrape le plateau d'argent pour observer son nouveau visage. En effet, elle avait rajeuni, mais de nombreuses bosses parcouraient son visage, mais elle ne s'inquiète pas plus, son visage est vingt ans plus jeune, ses rides disparaissent à vue d'il, sa peau se tend et semble aussi belle que les premiers jours de sa vie. Après tout, dans quelques jours, ces vilaines aspérités devraient disparaitre.
Elle invite donc son second à entrer.
Il entre, ferme la porte, pose son regard sur sa tête, sourit d'un air satisfait et s'approche enfin d'elle pour poser le nouveau plateau sur l'ancien. Il se retourne et sen va, mais avant de partir la femme l'interpelle voyant qu'il n'a pas réagi face à sa jeunesse. Il lui répond que son visage n'a pas changé, il est semblable à celui d'il y a cinq jours qui est semblable à celui d'il y a dix jours qui a certainement changé par rapport à il y a cinq ans et encore plus par rapport à dix ans. Ne voyant rien à part de la stupéfaction sur le visage de la femme, il décide de repartir, mais elle l'interpelle encore, cette fois-ci pour l'aider à manger, car elle ne sent plus ses forces.
Après ce repas pareil en tout point à son dernier, son second repart et elle repense à ce qu'il lui a dit. Il lui a toujours été de bons conseils. C'est un vieil de ses vieux amis, elle ne se rappelle plus comment ils se sont rencontrés ni à partir de quand il a commencé à travailler pour elle, elle ne se souvient plus de grand-chose faut-il croire, mais il est apparu comme ça, d'un claquement de doigt dans sa vie et lui a toujours été très utile. C'est lui qui avait pris l'initiative de faire ce grand dîner même si finalement, ce fut un fiasco. Donc s'il dit que son visage n'est pas assez jeune alors, il ne l'est pas et elle doit y remédier.
Cependant, tout son corps lui fait mal, mais réunit quelques forces restantes et se lève, s'aide des différents meubles et avance jusqu'à la fenêtre pour observer ce merveilleux jardin qu'elle n'a jamais pris le temps de regarder, cette herbe n'a jamais été aussi verte dans ses souvenirs, elle se souvient quand elle était enfant et s'amuser à y courir pendant des heures, sentir l'herbe lui caresser les pieds et les petites branches cachaient à l'intérieur les malmenés au contraire. Elle s'amusait à creuser la terre qui restait logée sous ses ongles et faisait une pression continue sur sa peau la démangeant et plus elle y pensait, plus elle avait envie de retirer ces petits bouts sous ses ongles. Le tout dans une odeur ambiante de fraicheur et de liberté avec un soupçon d'innocence et d'imaginaire.
Avec difficulté, elle revient dans son canapé qui l'accueille à bras ouvert, avec difficulté prend la montre et tourne la couronne pour la dernière fois. Chaque tour qu'elle fait, ses os se broient, sa chair se tend à se décoller de son ossature. Dix tours.
S'il n'a rien vu alors, il faut que je rajeunisse encore plus que d'habitude. Je dois être belle. Je veux être belle.
Sa peau est tordue dans tous les sens, ses organes se compriment entre eux.
Quinze tours.
Elle souffre, mais ce n'est toujours pas assez.
Des tumeurs grossissent de plus en plus dans son corps, des bosses de chair et dos apparaissent sur toute sa tête, le long de ses bras et de ses jambes. Son ventre s'affine, mais ses organes décorés de tumeurs créer de nouvelles formes et redessinent ses contours, certains de ses os, enfin, déchirent sa peau autrefois si belle et si douce et qui continuait de l'être avec l'âge. Ses cris résonnent dans tout le manoir avant qu'elle ne lâche un dernier souffle empli de souffrance.
Vingt tours.
Le major d'homme rentre calmement, il part à la fenêtre, observe l'herbe et le beau temps puis referme les rideaux. Il s'approche du corps sans vie, couvert de bosses et transpercé par ses propres os. Il lui caresse les cheveux, seule chose encore intacte.
– Il est l'heure que je récupère ma partie du contrat.
Il place sa main sur la tête de la jeune femme qui se met à nouveau vieillir, sa peau se crispant et se resserrant jusqu'à devenir poussière. Une lumière bleue, son âme, sort et se fait aspirer par l'homme. Il se penche et récupère la montre que la femme avait laissée tomber après être morte.
Il la frotte, l'observe et fait les cent pas dans la pièce.
– Je ne pensais pas que je réussirais à t'avoir, cela fait quarante ans que j'attends. Il m'en a fallu du temps pour réussir à te faire signer ce contrat, mais je savais, je sentais en toi cette énergie qui te poussait à rester jeune. J'ai toqué à ta porte, avec de belles paroles, tu m'as cru et je t'ai offert cette montre. J'ai passé quarante ans à faire en sorte que chaque jour, tu te vois encore plus laide que le jour précédent alors que l'inverse se produisait, mais ta cupidité, ta stupidité et ton égo t'ont poussé à me croire. Chaque fois que tu tournais cette petite couronne, la mort se rapprochait. Je t'ai bien dit que tout allait s'accélérer. Chaque fois que tu tournais cette couronne, tes cellules se régénéraient, mais elles le faisaient bien trop vite pour ton corps de mortel, elles se divisaient toujours plus, mais surtout beaucoup trop, ce qui a causé de nombreuses anomalies génétiques. Cela t'a donc provoqué de nombreuses tumeurs t'affaiblissant et t'empêchant de te lever et tes os ont commencé à s'expandre dans tous les sens. Que j'aurais aimé assister à ce spectacle, ça devait être un délice à voir, en tout cas, ça en était un à entendre !
Il sort alors calmement de la pièce, prenant soin de la refermer à clé et part du manoir.
*Ding Dong*
Elle se dépêche d'aller ouvrir la porte en espérant que cela soit les directeurs de son agence lui proposant un nouveau défilé.
– Bonjour ! dit-elle stupéfaite et intriguée par la personne qui n'est pas celle qu'elle attendait.
– Bonjour, vous allez bien ? Nous allons avoir de nombreux projets, vous et moi, je risque de bien m'amuser !
– Pardon, mais qui êtes-vous ?
– Ah oui, j'ai oublié de vous le dire ! Je suis un vieil ami de vos parents, une sorte de cousin éloigné, je serai votre nouveau major d'homme. En guise de cadeau, je vous ai apporté cette montre à gousset. Allons, ne me faites pas attendre, nous avons un contrat à signer !
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