Chapitre 16
« L'aura ? Les auras, Elwina, sont les vêtements des âmes. Leurs couleurs changent selon le caractère de leur propriétaire. Tandis que leurs tailles et leurs opacités reflètent leurs puissances. »
Celle d'Ascelin était couleur crème. Sa grand-mère n'avait jamais daigné lui expliquer à quoi correspondait chaque couleur. Durant ses vingt-et-une années de vie, ça avait été rare qu'Elwina distingue les auras des personnes. Ces halos propres à chacun restaient cachés, la plupart du temps.
Et surtout, jusqu'ici, elle n'en avait jamais touché. L'idée même l'effrayait au plus haut point, mais maintenant que c'était juste là, sous son nez, à glisser à quelques millimètres de sa peau, la tentation était insoutenable.
Hypnotisée par la forme quasi-surnaturelle qui se mouvait sous ses yeux, la jeune femme avait retiré, sans même sans rendre compte, sa main de celle du garçon, pour parcourir son bras.
C'était... magique.
L'aura l'évitait, sans jamais la toucher. C'était comme une mer de fumée opaque, épaisse de trois centimètres maximums, qui entourait le blond. Elwina tourna la tête, pour se concentrer sur son autre main, posée au niveau de l'épaule d'Ascelin. Elle mouva ses doigts, frôla la peau de son cou. L'aura daigna enfin la caresser, tout en souplesse. Voilà qu'elle lui entourait la main, tel un tourbillon. La sensation était chaude, douce. Euphorisante.
Ascelin, de son côté, avait cessé de respirer au moment-même où la jeune femme avait frôlé son cou avec ses doigts. Silencieux, il l'observait sans vraiment comprendre ce qui se passait : Elwina voyait son aura ? C'était tout bonnement impossible. Pourtant, tout le prouvait, de ses yeux fascinés jusqu'à sa main qui glissait à quelques centimètres de son corps.
Il faut absolument que ça cesse.
Le jeune avait alors tenté de résorber son aura, chose qui lui était normalement naturelle. Mais sans succès.
La danse changea. Elwina ne le remarquait même pas : elle se contentait de tanguer de gauche à droite, et il la suivit dans son mouvement, à contre-cœur. Le garçon avait relevé la tête, frustré, pour croiser le regard d'Armel appuyé sur eux.
Il. Ne. Contrôlait. Plus. Rien.
Soudain, tout lui échappa, et le fluide qui l'entourait fit tomber toutes ses barrières pour entre en contact avec l'enveloppe charnelle d'Elwina. Son corps entier se figea, l'espace de quelques secondes, et c'est à ce moment-là seulement qu'Ascelin avait repris sa respiration. Une odeur de pétales de roses lui envahit les narines, et il sut immédiatement d'où elle provenait. Le petit chaton qui lui avait rendu visite, il y a quelques nuits de ça, avait la même. Il baissa son regard vers sa cavalière, qui était toujours autant obnubilée par le halo qui l'entourait. Sans vraiment réfléchir, le blond leva sa main —celle qui était vide depuis qu'elle l'avait lâchée— pour la lever, lentement, et l'enrouler autour d'une des mèches de cheveux noirs.
Ascelin avait baissé la tête, pour frôler de son nez le haut du crâne de la brunette, et prendre une grande inspiration.
Oui, c'est ça, elle sentait la rose.
Elwina n'avait même pas remarqué ce rapprochement de contact physique, bien trop obnubilée par ce qui se trouvait sous ses yeux.
C'est merveilleux.
L'aura d'Ascelin l'inhibait complètement, lui faisant oublier tout le poids qui pesait sur ses épaules. De manière presque instinctive, elle avait rapproché leurs deux corps. Elle en voulait plus. Pour la première fois de sa vie, elle voulait plus de contact. De contact avec cet océan de fumée, qui émanait du blond. Elle voulait qui l'entoure complètement, qu'il l'isole du reste du monde, qu'il l'inhibe encore et encore jusqu'à la rendre inexistante. Qu'il lui prouve tout le contraire de ce qu'elle croyait jusqu'ici.
Son corps était grisé, non pas par l'adrénaline, mais par autre chose qu'elle n'arrivait pas à définir. C'était à peine si elle le contenait, mais qu'importe. L'instant était parfait.
Elwina laissa lourdement sa tête tomber sur la poitrine du jeune homme. Oh, elle ne sentit pas les bras de ce dernier qui l'encerclèrent spontanément. Elle sentit simplement l'aura prendre possession de son corps entier pour le recouvrir.
C'était si reposant. Elle aurait pu rester là une éternité. Elle aurait pu mourir ici, si on le lui avait permis.
Au lieu de ça, le miaulement strident de Wi parvint à ses oreilles.
Puis un autre.
Et encore un autre.
Jusqu'à percer entièrement cette bulle qui la berçait. En une fraction de seconde à peine, Elwina était revenue à la réalité. Le vrai monde, remplis de gens qu'elle détestait et de bruits grinçants. La jeune femme releva subitement la tête vers son interlocuteur. Les deux jeunes gens semblèrent prendre conscience de leur position en même temps, et firent brusquement un pas en arrière pour se séparer.
Qu'est-ce que...
L'aura d'Ascelin avait disparu. Mais en tournant la tête, Elwina en vit d'autres. Des centaines d'autres. Tous les habitants de Kerdoueziou étaient entourés d'un foutu halo. Crème. Orange. Bleu. Des couleurs à n'en plus finir. Et personne, littéralement personne, ne semblait y prêter attention.
Evidemment, Elwina : tu es la seule à les voir. Avait-elle pensé, tout en tentant un maximum de contenir l'angoisse qui l'envahissait. Les auras étaient des puits de sensations, et elle risquait de crouler sous les informations qu'elles rejetaient.
Le miaulement de sa féline l'appela encore une fois. Prise d'un élan de panique, la brunette avait reculé dans l'ombre. Il fallait qu'elle parte d'ici. Immédiatement. Du coin de l'œil, elle aperçut Ascelin, qui semblait tout aussi désorienté qu'elle. La métamorphe fit un pas en arrière, puis deux, trois, quatre, cinq avant de se retourner. Elle se serait enfuie en courant si une voix douce ne l'avait pas interpelée :
— Tu veux que je te raccompagne chez toi ? Il fait nuit noire.
C'était Roméo, qui la regardait gentiment.
— Non.
Elle avait besoin d'être seule. Elle ne voulait plus voir personne.
Personne.
— Pas de soucis. Rentre bien.
Un élan de gratitude pour le garçon aux cheveux blancs la saisit. Il n'insistait pas, comme Poséidon l'aurait fait. Ou comme n'importe qui d'autre, d'ailleurs.
Mais elle s'était enfuie avant même de penser à le remercier.
Roméo avait observé la jeune femme partir, sans broncher. Au bout de quelques instants, Poséidon était apparu à ses côtés. Tout en posant une main sur l'épaule de son meilleur ami, le brun avait dit :
— Je t'avais dit, qu'on aurait dû emmener des pop-corn. Le spectacle était sensationnel.
Le garçon aux cheveux blancs sourit en coin.
— Sensationnel n'est pas assez puissant pour décrire ce qu'il vient de se passer.
— Explosif.
— Pas encore.
Sans aucun doute, Poséidon se serait énervé qu'on le contredise ainsi. Mais voilà, face à lui, c'était Roméo. Et il y avait peu de chose que le brun ne laissait pas couler face à son meilleur ami.
— Eclaire-moi de ta lumière langagière, je t'en prie.
— Elwina est un détonateur. Et je suis curieux de savoir de qui explosera en premier : elle, ou nous ?
Le brun laissa échapper un rire cynique. Il tapota l'épaule de son ami, avant de retirer sa main. En même temps, Glaucos et Thétis apparaissaient à leurs côtés.
— Qu'y-a-t'il de si drôle ?
— Roméo vient de trouver son âme-sœur.
C'était la phrase de trop.
Deux coups.
C'est ce qu'il avait fallu à Roméo pour mettre à terre la montagne de muscle qu'était Poséidon. Ça lui avait pris cinq secondes, tout au plus, mais ça avait suffi à tout le monde de reculer craintivement. Le jeune homme aux cheveux blancs posa un genou à terre. Son doux visage était déformé par une colère froide, et ses yeux sans vie observaient son interlocuteur.
Un troisième coup partit. Poséidon tenta de le parer, sans aucun succès.
Roméo regarda sa main tachée de sang, et l'essuya rapidement sur son tee-shirt. Il ne bougeait plus. Totalement immobile, le garçon réalisait ce qu'il venait de faire.
— Je suis désolé. Chuchota-t-il à l'attention du brun.
— J'ai touché un sujet sensible.
— En effet.
— La blague de l'âme sœur, c'est parce que toi aussi tu es un détonateur. Avait expliqué le pseudo-dieu grec, qui regrettait l'impact de ses paroles. Pour une fois, il aurait mieux fait de se taire. Roméo n'était pas ce genre de personne avait qui l'on pouvait se permettre de rire de tout.
— Mmmh, mmh.
Distrait, le garçon aux cheveux blancs avait aidé son meilleur à se relever. Poséidon avait observé son compagnon : ses yeux bleus ne laissaient rien transparaître, mais le reste du corps, si. Et le jeune homme comprenait petit à petit que le sujet sensible n'avait pas été l'âme-sœur.
Oh, non. Roméo avait fait son deuil depuis longtemps déjà.
Le sujet sensible, pour une raison qui lui échappait jusqu'ici, c'était Elwina.
Mais rien n'échappait longtemps à Poséidon.
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