Chapitre 4 : L'apothicaire
"Je ne suis qu'un simple apothicaire"
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L'apothicaire était aux petits soins de l'épouse du seigneur depuis plusieurs heures déjà. Tout le monde s'était ainsi assis, plus par désespoir que par exténuation. Étonnamment, les bruits avaient cessé depuis l'arrivée du nouveau venu.
"Et vous avez un nom, monsieur l'apothicaire ?, demanda Hiromasa pour briser le silence étouffant de la pièce.
- Appelez moi Kusuriuri* si ça peut vous faire plaisir", répondit le concerné.
Hiromasa fit la grimace tandis que les autres réprimaient un rire étouffé.
Le dit Kusuriuri était dos à eux et semblait concentré sur sa tâche, piochant des ingrédients dans son énorme armoire qu'il avait posée à côté de lui. La malade réprima une toux, montrant qu'elle était encore de ce monde. Kansaki s'approcha de sa bien-aimée et posa la question :
"Vous croyez qu'elle va s'en sortir ?
- La question n'est pas de savoir si elle, elle va s'en sortir. Mais si vous, vous allez vous en sortir, répondit calmement Kusuriuri.
- Comment ça ?", répliqua le père.
Pour seule réponse, l'apothicaire lui sourit.
"Ça veut dire quoi ?, demanda Hiromasa en ne lâchant pas des yeux l'homme au kimono multicolore.
- Tout dépend de ce que vous voulez entendre, répondit Kusuriuri.
- Intéressant..., avoua Seimei.
- Comment ça ??? Vous ne comprenez pas ! J'ai besoin d'aide ! Un shikigami veut ma peau !, cria Kansaki.
- Un shikigami ? Je dirais plutôt... un Mononoke, affirma l'apothicaire tout en continuant de soigner la mère malade.
- Un... Mononoke ?, demandèrent en coeur Hiromasa, Kansaki, Kagura et Yaobikuni.
- Vous seriez capable de vaincre ce.. Mononoke, monsieur le simple apothicaire ?, interrogea Seimei.
- Oui... Mais pour cela, il me faut trois choses, déclara celui-ci.
- Ah bon ?, grogna Hiromasa, Vous êtes sûr que vous n'êtes qu'un simple apothicaire ?
- Ces trois choses sont le Katachi, le Makoto et le Kotowari, dit Kusuriuri en ignorant les propos de Hiromasa.
- Quelles sont leurs significations ?, demanda Kagura.
- Le Katachi, d'abord, est la forme du mononoke. Le Makoto est la raison pour laquelle l'incident s'est produit. Enfin, le Kotowari est la vérité du coeur, expliqua calmement l'apothicaire tout en se retournant vers eux, Voilà c'est fini, elle devrait aller mieux d'ici quelques heures.
- Quoi ?? Vraiment ??, s'écria le père, mais qu'est-ce qu'elle avait ?
- Un simple rhume qui l'a épuisée", répondit Kusuriuri.
Seimei s'avança pour se placer face à l'apothicaire.
"Pouvez-vous nous aider à le vaincre ?, demanda-t-il.
- Tout dépend si vous le voulez, vous tous, déclara Kusuriuri.
- Ben.. on n'a pas trop le choix, avoua Hiromasa.
- C'est un Bakeneko", lâcha subitement Seimei.
De l'autre côté de la porte, les miaulements et les coups de griffes se mirent subitement à recommencer. Dans l'armoire, quelque chose remua. Kansaki recula, effrayé, contre le mur.
"C'est moi ou son armoire bizarre bouge toute seule ?, demanda l'homme au kimono rouge.
- Tu ne rêves pas Hiromasa", affirma Yaobikuni.
L'apothicaire se leva brusquement sous les yeux surpris de tout le monde et s'accroupit pour en sortir du tiroir de dessus, le fourreau d'une épée avec au bout du manche, pour décoration, une tête de tengu**. Des clochettes étaient accrochées à la poignée.
"Qu'est-ce donc ?, demanda Kagura.
- Ce qui nous permettra de vaincre le Mononoke, répondit Kusuriuri, mais pour ça, il me faut les trois choses. Et son Katachi est donc celui d'un Bakeneko".
La tête claqua des dents une fois et une pierre précieuse, jusqu'ici rouge, passa au vert.
"Euh... c'est moi ou... bon ok, dit Hiromasa.
- Bien, quel est le Makoto ?", finit par demander Kusuriuri.
Yaobikuni raconta toute l'histoire de la petite fille à l'apothicaire.
"Oh vraiment ? Mais je ne vois pas de rapport avec un chat moi, déclara simplement celui-ci.
- Mais vous avez entendu... non ??, cria le père qui commençait vraiment à avoir peur.
- Vous êtes sûr ? Si vous voulez éviter de mourir, à votre place, je dirais tout, répliqua Kusuriuri.
- Dites la vérité, ajouta Seimei, qui se doutait de quelque chose depuis le début.
- Je... je... C'EST PAS MA FAUTE !! C'EST CE CHAT !! JE HAIS LES CHATS ! ET LUI ! IL EST VENU CHEZ MOI ! JE NE LUI AI DONNÉ QU'UN COUP DE PIED ET IL S'EST PAS RELEVÉ !! J'Y PEUX RIEN MOI SI IL ÉTAIT FAIBLE ET AFFAMÉ ET QU'IL MIAULAIT !! JE LE HAIS ! C'ÉTAIT PAS MA FAUTE !!, hurlait Kansaki.
- Oooh ? On avance", déclara Kusuriuri avec un imperturbable sang-froid.
Les coups se firent de plus en plus violents sur la porte. On avait l'impression que le Mononoke était partout dans la pièce. Le tiroir de l'armoire s'ouvrit soudainement pour laisser sortir un objet des plus étranges, une sorte de balance en forme de croissant. Celui-ci s'envola dans les airs et alla se poser devant la porte. Des clochettes tombèrent et firent un "gling" sonore. Il se pencha vers la porte dans un bruit de clochettes.
"Qu'est-ce que c'est ?, demanda Kagura.
- Une balance qui sert à mesurer la distance entre nous et le Mononoke, répondit Kusuriuri.
- Une balance, c'est pas censé peser ?, interrogea Hiromasa.
- Chut Hiromasa", intima Yaobikuni.
Les coups redoublèrent de force. L'apothicaire lança des talismans sur la porte en même temps que Seimei. Les deux se regardèrent avec un léger sourire en coin.
"C'est pas ma faute !! C'est la sienne !, lâcha Kansaki.
- Pas ta faute ???", hurla soudainement Koibito qui était restée silencieuse jusqu'ici.
Tout le monde se retourna pour la regarder. Roba regarda la jeune servante avec un air surpris.
"PAS TA FAUTE ?? MAIS TU TE MOQUES DE MOI ?? C'EST TA FAUTE SI CETTE CATASTROPHE NOUS ARRIVE ! SI TU NE L'AVAIS PAS TUÉE, ON N'EN SERAIT PAS LÀ !!, cria-t-elle.
- Non Koibito, c'est pas ça... C'est..., bégaya le seigneur déchu.
- QUOI ?? QUOI C'EST PAS ÇA ?? JE VEUX PAS MOURIR MOI !! DIS-LEUR LA VÉRITÉ TOI !! DIS-LEUR QUE TU AS TUÉ TA FILLE !!, hurla Koibito.
- On approche, affirma Kusuriuri avec un sourire en coin.
- QUOI ??, lâcha Hiromasa.
- Vous avez tué votre fille ?, interrogea la vieille servante avec horreur.
- Je... je... OUI JE L'AI TUÉE ET ALORS ??", cria celui-ci à son tour.
Dehors, le vacarme s'était légèrement calmé.
- Mais vous êtes un monstre !, lâcha Roba.
- Moi ? Un monstre ?? JE DETESTAIS CETTE FILLE !! ELLE A SU POUR KOIBITO ET MOI !
- Comment ça ?, demanda Yaobikuni.
- Quitte à mourir, autant emporter quelqu'un avec moi dans la tombe, répondit le père en rigolant, complètement fou, Koibito et moi étions amants à l'époque. Ma fille nous a surpris en plein délit ! Vous comprenez, j'avais enfin l'opportunité parfaite et la raison pour la tuer !!! Cette sale gamine !! Je la hais !! Elle m'a pourri la vie ! Alors je l'ai rattrapée et je l'ai étranglée ! Puis je l'ai jetée dans l'étang et je suis rentré. La suite vous la connaissez, je suis revenu, en jouant la comédie, avec Roba. Et j'ai tout dit à Koibito ! HAHAHAHAHAHA !!"
Le rire dément du père résonnait dans toute la pièce. Celui-ci semblait complètement fou.
"Voici le Makoto", déclara Kusuriuri.
La tête claqua de nouveau des dents une seule fois et la deuxième pierre précieuse rouge devint verte.
Tout le monde regardait le père dément avec dégoût.
"Mais... Mais pourquoi ??, demanda la vieille servante, les larmes aux yeux.
- Je ne l'ai jamais considérée comme ma fille !! JE LA HAIS !! Elle m'a enlevé tous les plaisirs de la vie ! JE LA HAIS !", hurla Kansaki.
Soudain, la porte craqua, la balance fit sonner ses clochettes et le Mononoke rentra en crachant et en miaulant. Celui-ci était un amas de chair noire et avait des yeux jaunes fixes et effrayants.
"C'est vous le démon ici, Kansaki, lâcha Seimei en regardant le Mononoke.
- Et maintenant, voici le Kotowari, affirma l'apothicaire, maintenant, l'épée peut être libérée !"
La tête claqua. Puis un flash blanc. Les quatre compagnons rouvrirent leurs yeux et virent qu'ils étaient dans un vide blanc avec Kusuriuri, Koibito et Roba.
Une jeune fille se tenait devant eux. Elle devait avoir entre 19 et 20 ans. Elle était vêtue d'un kimono noir et blanc autour duquel s'enroulait un serpent noir. Elle avait de courts cheveux blonds et ses yeux étaient devenus jaunes avec deux fentes comme pupilles. Sur le côté de sa tête, elle portait un masque de tengu. Elle s'adressa à eux en ces termes :
"Merci de nous avoir aidés".
Puis elle laissa la place à une scène.
Les deux servantes se mirent à pleurer en la voyant.
Un petit chat blanc, aux yeux aussi bleus que ceux de la petite fille qui la caressait, miaulait.
"Nya voyons ! Nya ! Tu es si mignon !", dit la petite fille en rigolant.
Puis la petite fille se leva et traversa la pièce en riant devant les yeux de tout le monde. Elle disparut comme si elle s'était évaporée et son rire enfantin et cristallin continua à se répercuter entre les murs.
Encore un flash blanc et ils se retrouvèrent tous de nouveau dans la pièce d'origine. La mère était encore alitée, mais elle pleurait. Et elle murmurait le prénom de sa fille. Le père avait disparu, plus aucune trace de lui.
"Où est passé ce démon ?, demanda Hiromasa.
- De quel démon tu parles ?, interrogea Seimei.
- Ben, des deux, répondit Hiromasa.
- Allez savoir..., répondit Kusuriuri à la place de Seimei.
- Je pense qu'il est temps pour nous de nous remettre en route non ?, demanda Yaobikuni.
- Laissons la femme du seigneur aux soins des deux servantes", déclara Seimei.
Les deux femmes hochèrent la tête tout en continuant de pleurer à chaudes larmes.
"Allez-vous reprendre votre route, monsieur le simple apothicaire ?, interrogea Seimei.
- Peut-être bien, répondit celui-ci, peut-être nous croiserons-nous à nouveau ?
- Peut-être bien..., dit Seimei, un sourire en coin.
- Seimei allons-y", déclara Kagura.
Les cinq finirent par sortir du château. Le jour se levait à peine sur une terre qui semblait enfin pouvoir renaître. L'air était frais et semblait tenir de nouvelles promesses pour la province de Kūni dans les jours à venir. Le groupe commença à avancer lorsque Seimei se retourna pour faire ses adieux à l'homme qui leur avait été d'une grande aide aujourd'hui.
"Hé bien, au revoir Kusuriuri, puissions-nous un jour nous revoir.
- En effet, lui répondit celui-ci, j'espère que nous nous reverrons un jour".
Seimei commença à avancer vers ses amis lorsque l'apothicaire lui dit :
"Vous n'avez pas changé depuis notre dernière rencontre, Seimei...
- Pardo... ?", commença celui-ci.
Mais lorsqu'il se retourna de nouveau, l'apothicaire avait disparu dans un bruit de clochettes.
"Seimei, vous venez ?, demanda Kagura au loin.
- Vous plaignez pas si on part sans vous !, le nargua Hiromasa.
- Il faut partir maintenant, si nous voulons arriver avant la nuit au village, déclara Yaobikuni.
- Hmm... j'arrive", répondit Seimei, un léger sourire affiché sur le visage.
L'avenir promettait d'être ensoleillé.
Fin
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*Kusuriuri (くすりうr) signifie "apothicaire" en japonais.
**Le Tengu (天狗, « chien céleste ») est un type de créatures légendaires de la religion populaire japonaise.
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