— Ton assiette ne va pas se débarrasser toute seule.

La voix de Hoseok, cinglante comme à son habitude, avait résonné depuis la salle à manger. Vingt heures avaient sonné depuis quinze minutes à la vieille horloge à balancier du salon.

— Je le ferai plus tard, répondit Taehyung, comme tous les soirs.

Les yeux rivés sur la télévision, il regardait le bulletin météo, qui prévoyait un lendemain pluvieux. C'était son jour de chance, cela lui procurait une excuse parfaite pour ne pas sortir faire les courses. L'automne, bien installé depuis quelques semaines, était de son côté.

— Laisse, je vais le faire, entendit-il Jungkook proposer.

— Non, il est grand, il se démerde, râla Hoseok. C'est bien pour ça qu'on a fixé des règles de vie commune, sinon on s'en sortira jamais.

Taehyung devina grâce aux raclements de chaises qu'il venait de se lever et de quitter la table avec ses affaires. Il écouta sans bouger le petit doigt, préférant se concentrer sur les images qui défilaient à l'écran, tandis qu'il caressait son rat pelotonné sur son ventre. Allongé de tout son long sur le canapé, le jeune homme était épuisé de sa journée.

Alors que Namjoon avait quant à lui retrouvé son antre à peine le dîner terminé, Taehyung entendit le parquet grincer nerveusement à l'étage, signe que Hoseok, de sa délicate démarche, se dirigeait vers sa chambre. Jungkook fut le dernier à quitter la salle à manger et, un instant plus tard, Taehyung découvrit avec surprise qu'il était debout derrière lui.

— Tu regardes quoi ?

— Starsky et Hutch, répondit-il.

Il pivota pour le regarder et reprit en souriant :

— Tu veux regarder avec moi ?

— Non, pas ce soir, je travaille tôt demain matin, je ne préfère pas trop traîner... et puis j'ai encore tout un tas de...

Jungkook s'arrêta brusquement et tourna la tête vers la fenêtre du salon. Figé, les sourcils froncés, il lui apparut confus, en alerte ; Taehyung pouvait presque voir les rouages de son cerveau fonctionner, comme s'il réfléchissait à toute vitesse. Suivant son regard, il observa à son tour la fenêtre de laquelle seule l'obscurité du jardin lui parvenait et ne remarqua rien de particulier.

— Qu'est ce qu'il y a ?

Jungkook reprit ses esprits, retrouvant cette expression douce et souriante avec laquelle Taehyung était familier.

— Rien. Je vais aller me coucher, je te souhaite une bonne nuit.

Puis il ajouta :

— Ne te couche pas trop tard, Tae.

— Bonne nuit à toi aussi, répondit-il en ignorant la dernière phrase.

Il le regarda disparaître par-dessus le dossier du canapé. Puis, sentant que son rat voulait s'échapper, il resserra doucement sa prise sur lui et gratta le dessus de sa tête en lui murmurant des mots doux. Lovant son animal encore plus près de sa poitrine, il se replongea dans sa série. La maison était devenue étrangement calme, remarqua-t-il au bout d'un certain temps. Le vent, ce soir-là, ne sifflait pas à travers les fenêtres, les murs ne gémissaient pas, et aucune porte ne claquait à cause d'un courant d'air venu d'ailleurs. Même le parquet s'était tu.

Il tendit l'oreille, soudain conscient d'être seul au rez-de-chaussée, Nietzsche mis à part. Les voix en provenance de la télévision ne suffirent plus à noyer le silence et il fut pris d'une envie pressante de monter le son.

Secouant doucement la tête, il enroula sa boucle d'oreille autour de son index, un réflexe nerveux qu'il avait depuis des années. Son rat gigota à nouveau. Il le relâcha à contrecœur et l'animal s'enfuit dans l'obscurité de la pièce. À présent, il se sentait bien plus seul. Surtout, il n'y avait rien. Aucun bruit. C'était étrange. Il n'aimait pas ça. Pourquoi personne n'avait voulu rester au salon avec lui ce soir ? Namjoon était-il assis à son bureau pour travailler ? Hoseok était-il déjà couché ?

Taehyung libéra son bijou en se redressant dans le canapé, puis tenta, pour la troisième fois, de se concentrer sur son épisode. Seulement après une bonne minute, il se rendit compte qu'il ne comprenait plus rien. Il fallait se rendre à l'évidence, ça ne fonctionnerait pas. La télévision ne l'aiderait pas. Si ses colocataires ne voulaient pas regarder la télévision avec lui, il irait leur proposer autre chose.

Il se leva et sortit de la pièce pour se diriger vers les escaliers. Il les monta à toute vitesse, bruyamment, comme pour étouffer le bruit de sa solitude, le bois geignant sous ses pas, puis alla frapper à la porte de Jungkook. Après quelques instants, ce dernier vint lui ouvrir, ses yeux noirs arrondis par la surprise.

— Oui ?

— Dis, tu ne veux pas qu'on fasse un jeu ?

Il n'avait pas réfléchi à ce qu'il allait leur demander, mais l'idée était apparue d'elle-même.

— Un jeu ? répondit son colocataire en fronçant les sourcils et déviant son regard comme il le faisait toujours.

— Oui, mon épisode est terminé et j'avais bien envie qu'on joue un peu tous les quatre. Histoire de faire un truc ensemble, tu sais.

— Je ne sais pas, hésita le plus jeune. Tu sais que j'adore jouer, mais je ne dois pas me coucher trop tard...

— Si j'arrive à convaincre les deux autres, tu viens ?

— Je...

— J'irai faire les courses demain si tu veux. Comme ça tu pourras rentrer directement après ta journée de travail.

La conversation tourna soudainement en négociation et Jungkook croisa alors ses bras sur sa poitrine, l'air sceptique :

— Vraiment ? Tu achèteras tout ce qu'il faut ? La bonne quantité ? Pas autre chose parce que l'emballage sera plus joli ?

— Promis, je serai concentré ! s'enthousiasma Taehyung.

Jungkook le jaugea de haut en bas, puis hocha la tête.

— Très bien. Je finis de trier mes recettes et j'arrive.

— Super !

Le garçon referma la porte après lui avoir adressé un dernier sourire, et Taehyung partit alors vers la chambre suivante. Une fois devant, il inspira fortement puis leva son poing et frappa contre le bois. Un grognement lui répondit, il entendit le ronflement du parquet et sut que son colocataire s'était levé. Seulement la porte s'ouvrit plus rapidement qu'il ne l'avait prévu et il sursauta. Au moment où Hoseok le vit, son expression se renfrogna :

— Qu'est-ce que tu me veux ? T'as vu l'heure ?

La porte claqua et Taehyung ne sursauta même pas. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait face à un Hoseok hostile, et ce dernier savait aussi que malgré son caractère acariâtre, il l'écouterait s'il insistait un peu. Il frappa de nouveau et le battant se rouvrit immédiatement sur son colocataire, vêtu de son pyjama à rayures rouges et noires. Cette fois, les boutons étaient mal fermés.

— Quoi ?

— Je voulais te demander si... commença-t-il d'un rythme très lent, ses yeux s'égarant vers la chemise déboutonnée.

— Mes yeux sont plus hauts, coupa sèchement Hoseok. Tu veux quoi ? Accouche, y en a qui bossent, ici.

— Je voulais jouer.

— Jouer ? répéta-t-il, incrédule. Tu te fous de moi ? Alors que-

— Avec les autres, ajouta rapidement Taehyung. Tous ensemble. À un jeu de société.

— Je me lève dans sept heures. C'est non.

Il s'était préparé à cette réponse, les réactions de Hoseok étaient assez prévisibles dans un sens. Il n'hésita pas alors à utiliser sa carte maîtresse, celle qu'il réservait pour les grandes occasions :

— Si tu viens, j'appelle un réparateur pour la chaudière demain !

— Ça fait des mois que tu dis que tu vas le faire, arrête de me prendre pour un idiot.

— Promis !

Hoseok leva les yeux au ciel :

— Tes paroles ne valent rien, Taehyung.

— S'il te plaît ! répéta-t-il en avançant d'un pas dans la chambre, faisant ainsi reculer Hoseok, qui parut décontenancé. Un jeu, une petite partie de rien du tout ! Et demain en rentrant tu auras le droit à une douche bien chaude !

Taehyung comprit parfaitement, au regard qu'il lui lançait, qu'il essayait de voir s'il se moquait de lui ou non, s'il y avait ne serait-ce qu'une once de sincérité dans ce qu'il lui promettait, ou s'il avait juste décidé de les utiliser, Namjoon, Jungkook et lui, pour pallier à son ennui.

— Et si tu ne le fais pas, j'aurai une douche froide en plus d'avoir passé une nuit affreusement courte. Sans façon. La prochaine fois, prévois avant. Maintenant, sors de ma chambre.

— S'il te plaît ! s'écria Taehyung en venant saisir son poignet. S'il te plaît ! Juste une partie ! Jungkook aussi doit se coucher tôt, mais il a accepté. Une heure, pas plus ! Après, tout le monde va dormir ! S'il te plaît ! Ça serait cool qu'on fasse un truc tous ensemble, ça fait longtemps...

Hoseok sembla enfin considérer l'idée, abaissant son regard sur l'endroit où leur corps se touchait. Lorsque Taehyung caressa doucement sa peau de son pouce, il se libéra de sa prise et le repoussa.

— Très bien, une heure. Et t'as intérêt à tenir ta promesse sinon je te fais bouffer ton rat.

La porte claqua de nouveau à quelques centimètres du visage de Taehyung, mais il ne s'en formalisa pas. Hoseok avait accepté, la partie était presque gagnée. Il ne restait plus qu'un dernier colocataire, mais pas des moindres : Namjoon allait être le plus dur à faire sortir de sa tanière.

Avant même qu'il n'ait frappé à sa porte, une voix catégorique se fit entendre de l'autre côté du battant :

— Non merci.

Taehyung serra les dents. Cela commençait mal. Il pourrait se contenter de Jungkook et Hoseok, oui, mais finalement, il avait bien envie qu'ils soient tous les quatre réunis.

— Tu sais même pas ce que je voulais te demander, répondit-il en faisant la moue, même si son colocataire ne pouvait pas le voir.

— Vu comme tu geins depuis cinq minutes pour qu'on ne te laisse pas seul, si, j'ai très bien saisi.

— Je ne geins pas !

— Si tu le dis. Laisse-moi, je dois réviser.

— Namjoon, s'il te plaît ! Viens avec nous !

— Non.

— Ça fait longtemps qu'on n'a pas fait un truc tous les quatre ! C'est pourtant cool quand on fait un jeu, ou qu'on regarde un film... Ça permet de resserrer les liens, tu sais...

— Je suis occupé.

Taehyung soupira. Il fallait qu'il cède. Il voulait qu'ils soient tous les quatre maintenant ça ne lui paraissait pas seulement important mais vitale. Spontanément il pensa alors à quelque chose et il osa marmonner d'un petit air défiant :

— Tu ne veux pas montrer à Hoseok que tu es le meilleur ?

Cette fois-ci Namjoon ne répondit pas, le silence sembla même s'éterniser ; mais alors que Taehyung allait reprendre la parole, des pas se firent entendre. La porte s'ouvrit et l'étudiant le toisa de toute sa hauteur. Ils se fixèrent ainsi, sans rien dire, au point où Taehyung se sentit soudain beaucoup moins sûr de lui. Namjoon avait cette manie de vous regarder comme s'il analysait une situation dans ses moindres détails, mais sans jamais laisser transparaître aucune émotion. Mal à l'aise, Taehyung entreprit de tenir bon, les yeux rivés dans les siens, jusqu'à ce que son colocataire finisse par marmonner :

— Très bien. Je viens.

Qu'est-ce qui l'avait finalement fait céder ? Taehyung n'en était pas sûr. Si Namjoon donnait toujours cette impression d'être fait de marbre et de camper sur ses positions, quelque chose avait bien dû déterminer son choix, cette fois. Néanmoins, il n'y réfléchit pas davantage, trop heureux d'avoir convaincu toute la maisonnée.

Il se dirigea vers les escaliers pour rejoindre Jungkook, déjà en bas. Arrivé dans le salon, il retrouva son cadet accroupi devant la bibliothèque où de nombreuses boîtes étaient entassées. Certaines étaient là depuis une cinquantaine d'années et tombaient en poussière, mais ce n'était pas pour autant que Taehyung comptait les trier et faire de la place.

— Alors, il y a quelque chose qui t'inspire ? demanda-t-il, tandis que le parquet au-dessus de leur tête commença à craquer de nouveau.

— Je ne sais pas, à quoi les autres veulent-ils jouer ?

— N'importe quoi qui ne soit pas trop long, scanda Hoseok en entrant dans la pièce.

— Un Monopoly, ça te dit ? proposa innoncement Taehyung en se retournant dans sa direction.

— Tu te fous de moi ?

— J'aimerais bien, mais je ne dois pas me coucher trop tard non plus, dit Jungkook d'un air peiné.

Taehyung fit la moue, déçu que son ami ait gâché son petit effet, puis il reporta son attention sur la bibliothèque :

— Les Mikado ? Ça fait longtemps !

— Ça me va, répondit Hoseok en prenant place autour de la table du salon. Je suis doué à ça.

— Mmh, moi aussi, répondit le plus jeune.

— Je vais tous vous battre, déclara Taehyung avec un large sourire en se saisissant de la boîte.

— Toi ? pouffa Hoseok. Ne me fais pas rire.

— Si, je suis très habile de mes mains.

— Habile de ton je-m'en-foutisme, oui. La télé, elle s'éteint toute seule peut-être ?

— Ça n'a aucun rapport !

Ils commencèrent à se chamailler, ignorant Jungkook qui fixait le jeu sans vraiment le voir, se demandant sûrement quand est-ce que la partie allait commencer.

— Si c'est simplement une excuse pour que vous vous disputiez, je refuse de jouer.

Taehyung et Hoseok se turent immédiatement tout en tournant la tête vers Namjoon, qui venait froidement d'entrer dans la pièce, un pyjama sobre et impeccable sur le dos. Le propriétaire, qui avait laissé Hoseok accaparer toute son attention, n'avait pas entendu la maison l'informer de son arrivée. L'étudiant prit place autour de la table en jetant un bref regard à ses autres colocataires.

Jungkook s'empressa de commencer la partie, relâchant les bâtonnets, qui retombèrent alors au milieu de la table, enchevêtrés les uns aux autres. Il retint un petit rire en s'emparant de tous ceux qui s'étaient éloignés du tas, puis il commença à essayer d'attraper ceux tombés au-dessus des autres. Ensuite, ce fut au tour de Taehyung, jusqu'à ce qu'il en fit bouger un qu'il n'aurait pas dû, puis de Namjoon. Enfin, Hoseok put lui aussi tenter sa chance.

Si l'ambiance était tendue au départ, elle devint rapidement plus légère et bon enfant. C'était dans le jeu que Taehyung parvenait à exprimer complètement ce qu'il ressentait et il se félicita en voyant l'effet positif que ses interactions avaient sur les autres joueurs. Comme extérieur à cela, mais tout en profitant néanmoins de l'instant, il observa Jungkook, qui riait avec lui, charriant discrètement les autres. Hoseok, gagné par l'esprit de compétition, en oubliait d'être de mauvaise humeur, et c'était dans ces instants-là que Taehyung le trouvait hilarant tant il paraissait maladroit. La malchance le guettait toujours et il perdait sans cesse. Même Namjoon quitta son stoïcisme habituel pour se laisser aller à quelques sourires, sans perdre de vue ses objectifs, à savoir remporter la manche.

De longues minutes passèrent, puis le propriétaire des lieux aperçut son animal de compagnie courir sous la table tandis que Jungkook se concentrait. Le jeu s'était corsé et Namjoon menait pour l'instant la partie, à quelques bâtonnets près. Une moue plus sérieuse avait remplacé l'expression joueuse du plus jeune : ses grands yeux bruns clignaient à peine tandis qu'il contrôlait les tremblements de ses mains. Leur attention était tout entière focalisée sur l'instant, là où tout pouvait basculer en échec ou en victoire. Mais Taehyung, déconcentré par l'apparition de Nietzsche, se baissa alors pour l'attraper et le ramena contre sa poitrine avant de se rasseoir correctement. Jungkook n'avait plus que quelques millimètres à soulever et tous retenaient leur respiration, mais soudain, il sursauta si fort que ses mains s'écrasèrent sur les bâtonnets restants. Les yeux écarquillés il releva la tête tandis que Namjoon, qui n'en avait pas perdu une miette, un sourire satisfait en prévision de sa futur victoire, assénait, implacable :

— Raté. Au suivant.

Pourquoi Jungkook avait-il sursauté ainsi ? Taehyung le fixa avec surprise et il ne fut pas le seul à se poser des questions car Hoseok, à qui c'était le tour de jouer, l'interpella :

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Vous n'avez pas entendu l'aboiement d'un chien ?

Le mécanicien haussa les sourcils alors que Namjoon tournait la tête vers la fenêtre, l'air sceptique.

— Un aboiement ? Non, je n'ai rien entendu, répondit Hoseok, visiblement pris de court.

Jungkook les observa tour à tour avant de baisser la tête. Taehyung détourna le regard, serrant plus fortement Nietzsche contre sa poitrine. Il aimait sentir son corps chaud tout près du sien et en tirait un grand réconfort.

— J'ai dû rêver... Je dois être fatigué, soupira le benjamin en se passant une main sur le visage.

Taehyung jeta aussi un regard en direction de la fenêtre ; seulement avec la nuit qui avait déployé son sombre manteau sur la maison depuis deux bonnes heures au moins, chien ou pas, il ne pourrait rien voir. N'était-ce pas la deuxième fois cette nuit que Jungkook avait cru entendre quelque chose dans le jardin ?

— C'est à toi, dit soudain Hoseok assez sèchement.

— Oh, déjà ? s'enthousiasma-t-il en se reconcentrant.

— Oui, j'ai tout fait bouger en... Bref, oui, c'est à toi, insista le mécanicien.

Taehyung prêt à jouer, tendit Nietzsche à Jungkook qui s'en saisit immédiatement.

De tous ses colocataires, le plus jeune était le seul à aimer les animaux et même s'il n'appréciait pas particulièrement les rats, ça ne le dérangeait pas de s'en occuper un instant. Il saisit le petit rongeur qui gesticulait dans tous les sens pour se libérer, et Taehyung joua. Lorsqu'il fit bouger les bâtonnets restants, il râla, et la main passa à Namjoon. Taehyung récupéra alors son animal qu'il posa sur ses cuisses, puis finit par le relâcher lorsque ce dernier commença à s'impatienter.

Toute la table était concentrée sur l'étudiant qui, entre deux relèvements de lunettes sur le haut de son nez, respirait calmement. Les trois autres se rapprochèrent des pièces restantes, bien décidés à hurler au cas où l'une d'entre elles bougerait ne serait-ce que d'un dixième de millimètre. Namjoon avait quasiment gagné et déjà il se mettait à sourire d'un air victorieux et satisfait ; mais au moment même où il soulevait le bâtonnet, le rat bondit brusquement sur la table, faisant voler tous les objets s'y trouvant, ravageant une partie qui s'était pourtant déroulé si calmement, et remettant les compteurs à zéro pour tout le monde.

— Nietzsche ! s'écria Taehyung en bondissant pour le rattraper.

Dans cette nouvelle cohue, tandis que tout tombait de la table et que la rat courait afin de s'enfuir à toute hâte, le visage de Namjoon blêmit de manière inquiétante.

— Je m'en doutais, vociféra Hoseok, c'était évident que ta bestiole allait tout foutre en l'air !

Taehyung ne l'écoutait pas, criant derrière son rat qui, tétanisé, tentait par tous les moyens de se cacher. Le chaos empira quand le propriétaire buta sur le tapis, se rattrapant à la table, en renversant le contenu.

— Aidez-moi à l'attraper, se plaignit-il.

— Hors de question, débrouille-toi !

Namjoon n'avait pas bougé, les doigts en l'air, encore figés comme si on avait interrompu son mouvement, qu'on l'avait simplement mis sur pause. Voyant bien qu'il ne pourrait compter sur aucun d'eux, Taehyung retourna à son rat, toujours caché sous le meuble de la télé. Il tendit le bras pour l'attraper, mais l'animal se carapata une fois de plus. Il jeta alors un regard en arrière pour chercher cette fois du soutien auprès de Jungkook. Le plus jeune était toujours prêt à l'aider mais cette fois-ci, il avait profité du chaos ambiant, de la froide colère de Namjoon et des vociférations de Hoseok pour s'approcher de la fenêtre. Taehyung détourna le regard, cherchant à se concentrer sur son animal, s'accroupissant sous les meubles :

— Nietzsche ! N'aie pas peur ! Viens.

Ses doigts frôlèrent son pelage et le rongeur s'éloigna davantage.

Taehyung tenta alors le tout pour le tout pour l'attraper. Malheureusement, à trop vouloir passer son bras sous le meuble, il fit bouger les vieux livres qui calaient les pieds de la bibliothèque bancale du salon. Comme de nombreux objets de la maison, ce meuble semblait toujours prêt à s'écrouler. Ce fut la fois de trop et Taehyung eut à peine le temps de se relever qu'après un craquement sonore, la totalité du contenu lui tomba bruyamment dessus. Ce fut une pluie de bibelots, de livres et de plantes qui s'abattit sur lui.

En quelques instants, le salon si calme, où régnait une atmosphère si amicale, s'était transformé en véritable champ de bataille.

Taehyung gémit et frotta sa tête douloureuse quelques secondes, avant de voir son rat s'enfuir en dehors de la pièce. Il soupira, conscient qu'il n'arriverait plus à le rattraper ce soir-là.

Il se redressa et capta soudain les paroles de Hoseok qui, malgré sa mine furibonde, lui demanda s'il ne s'était pas fait mal. Cela le déconcerta un instant mais, avant même qu'il ne pût répondre, il aperçut Jungkook se détacher brusquement de la fenêtre pour revenir au centre de la pièce. Son pas semblait décidé, son expression affirmée, comme s'il venait de prendre une grande décision. C'était un visage si radicalement différent de celui qu'il portait habituellement que Taehyung s'inquiéta alors. Quelque chose le tracasse, se dit-il en scannant ses traits tirés, ses lèvres pincées et l'arrondi de son nez retroussé.

— Les gars...lança Jungkook, d'un ton qui parut d'abord hésitant.

Comme si une tension intolérable résidait en lui, il se reprit et sa voix résonna dans le silence, si fort que même Namjoon tourna la tête pour le regarder, visiblement surpris.

— Les gars, il faut que je vous parle d'un truc.

Un nouveau silence, perplexe cette fois-ci, accueillit ses paroles. Taehyung cligna des yeux, déconcerté. Il échangea un bref regard avec Hoseok, qui s'éloigna de lui pour s'installer dans l'un des fauteuils, puis le suivit, délaissant le bazar causé par l'effondrement du meuble. Le trajet jusqu'au canapé lui parut durer une éternité, et il se dit qu'il s'agissait sans doute des effets du coup qu'il avait reçu sur le crâne. Il s'installa, portant son attention sur Jungkook, remarquant du coin de l'œil que Hoseok et Namjoon en avaient fait de même. Ce dernier n'avait pas bougé mais fixait le plus jeune derrière ses lunettes, les sourcils froncés.

L'atmosphère s'était soudain faite solennelle. Taehyung nourrissait une attente fébrile, qui s'intensifia lorsqu'il aperçut l'inconfort de Jungkook, dont le regard ne parvenait pas à se stabiliser, d'une manière néanmoins différente - plus urgente - de cette expression fuyante qu'il prenait parfois.

— Il se passe quelque chose dans la maison, déclara-t-il enfin.

Taehyung s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, comme si un poids venait de lui écraser le corps sans qu'il ne le sente arriver.

— Il y a des bruits, reprit presque immédiatement Jungkook, en posant les yeux sur lui pour aussitôt les détourner.

Le premier réflexe de Taehyung fut de chercher à identifier la réaction des autres, mais il se retrouva incapable d'effectuer le moindre mouvement, abattu par une force qui le maintenait à sa place. Une sensation déplaisante lui parcourut les membres, prenant naissance au creux de son ventre. Heureusement pour lui, Hoseok le dispensa de répondre le premier :

— Cette maison fait un boucan d'enfer en permanence, soupira-t-il. Rien de nouveau là-dedans.

— C'est vrai, intervint-il, bondissant sur l'occasion, rassuré de voir qu'au moins, les autres ne semblaient pas croire à tout cela.

Mais les mots ne sortirent pas comme il l'avait voulu ; sa bouche, pâteuse, le fit déglutir plusieurs fois.

— Pas ce genre de bruits, insista Jungkook.

Il secoua la tête, comme s'il avait du mal à exprimer clairement sa pensée, ou bien comme s'il en avait justement trop, des pensées. La tension augmenta encore d'un cran, ou bien était-ce Taehyung qui avait cette impression-là ?

Personne ne dit rien pendant quelques instants, puis soudain le plus jeune serra les poings et enfonça plus profondément ses pieds dans le sol. On aurait dit que la vibration induite par son mouvement s'était répercutée autour d'eux, car la maison se mit à réagir elle aussi et de petits bruissements se firent entendre à travers le parquet et les murs. Taehyung rencontra les prunelles noires de Jungkook et, cette fois, il fut le premier à se dérober. Mais son colocataire n'avait pas l'air de vouloir laisser tomber ; il souffla bruyamment, comme pour se donner contenance, et Taehyung sentit qu'il cherchait à capter son regard, ayant probablement obtenu celui des deux autres avant.

Lorsqu'il accepta enfin de plonger ses yeux dans les siens, résolus et déterminés, le nœud dans son estomac se resserra et son cœur se mit à battre furieusement contre ses tempes. Jungkook donnait l'air de chercher dans cet échange le courage de transmettre tout ce qu'il avait à l'esprit, et que Taehyung avait déjà compris. Il anticipa les mots que prononça son cadet avant même que celui-ci ne les laisse échapper, la voix empreinte d'une gravité nouvelle :

— Nous ne sommes pas seuls dans cette maison. 

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Tadadaaaaaaaam, quel suspense 🤭

On a hâte de lire vos nouvelles théories ! 👀

À la semaine prochaine pour le chapitre 5 !

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