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Chapitre 10

La fin approche dans deux chapitres ! J'espère que cette histoire vous plaît jusque-là ! Passez une bonne lecture et n'hésitez pas à commenter.

« Urgent. Demain soir vingt-trois heures »

L'heure s'approchait tant que je trépignais d'impatience, incapable de demeurer immobile malgré la discrétion dont je devais faire preuve. L'angoisse me nouait l'estomac, ce qui m'avait coupé l'appétit, sous l'œil surpris de mes parents. Ne rien manger ne faisait pas partie de mes habitudes. Cependant ses mots renfermaient un tel caractère d'urgence que l'inquiétude surpassait ma faim dévorante.

Chacune de mes réponses s'était confrontée à un silence obstiné. J'avais ainsi imaginé toutes sortes de scénarios catastrophiques où elle lui faisait subir des atrocités, au point de ne plus pouvoir trouver le sommeil. La nuit avait été longue.

Lorsqu'il fut enfin temps, je descendis les escaliers à pas de loup, faisant particulièrement attention à ne produire aucun bruit susceptible de les éveiller.

Prétendre dormir chez Jay aurait été plus pratique, néanmoins j'avais tellement sorti d'excuses dernièrement qu'on me les avait limités. Principalement à cause des mauvaises notes que mes escapades entraînaient étant donné qu'elles accentuaient ma fatigue. De ce fait ma concentration diminuait drastiquement, ce qui me permettait à peine de suivre un cours qui ne m'intéressait qu'à moitié.

D'après mes parents je n'avais que quinze ans, ce qui signifiait que je n'avais pas le pouvoir de faire ce que je voulais donc l'école demeurait plus importante que mes sorties avec Jay. Enfin ça, c'est ce qu'ils disaient.

À mes yeux, Shane était bien plus important que la qualité de mes notes ou de mon sommeil. Je ne pouvais déjà pas le voir très souvent, alors je faisais toujours en sorte d'être disponible les rares fois où c'était le cas.

J'ouvris doucement la fenêtre et me glissai à l'extérieur avant de la refermer derrière moi. Sortir par la porte menant au jardin arrière n'était pas une option, car mes parents s'assuraient toujours de la verrouiller avant de se coucher. L'entrée principale n'en menait pas large, donc j'avais simplement trouvé un autre moyen de parvenir à mes fins.

Pas à pas, je m'approchai de la barrière cassée entre nos jardins et patientai. Cinq minutes me séparaient de vingt-trois heures. Nous avions pris l'habitude de nous retrouver vers cette heure-là, car nos parents se couchaient généralement tôt pour travailler le lendemain.

Je soufflai sur mes doigts en me déplaçant d'un pied sur l'autre afin de contenir un peu de chaleur en cette nuit glaciale. L'hiver débutait tout juste, pourtant nous étions déjà contraints de revêtir nos manteaux face aux degrés qui dégringolaient chaque jour davantage.

Mon appréhension s'accentua lorsque je vis le temps s'écouler sans l'apercevoir. Je frictionnai mes bras puis engouffrai mes mains dans mes poches en scrutant par-delà la barrière. La porte s'ouvrit finalement après dix minutes de retard, amenant une vague de soulagement qui se dissipa tout aussi vite lorsque je pris connaissance de l'état de son visage.

J'ouvris la bouche, cependant il m'empêcha d'émettre la moindre protestation en glissant son doigt contre la sienne afin de m'intimer au silence. D'un signe de tête, il m'indiqua de le suivre hors de nos jardins respectifs.

Au début, nos sorties impliquaient d'escalader dangereusement les lattes en priant pour qu'elle ne fasse ni trop de bruit, ni qu'elles se brisent sous notre poids. Ce système était trop risqué à maintenir dans le temps, alors nous avions arrangé les lattes de sorte à nous créer un passage secret.

Il suffisait de les déplacer puis de les remettre en place une fois à l'extérieur. Une fois fait, Shane prit ma main et m'entraîna avec lui vers la plage où nous avions pris l'habitude de nous rendre depuis plusieurs années.

Ce soir les éléments étaient déchaînés. Le vent glacial fouettait sans considération nos visages tout en conférant une allure furieuse aux vagues titanesques. La tempête semblait incontrôlable, pourtant cela ne nous fit pas rebrousser chemin. Nous nous étions habitués aux conditions climatiques avec le temps.

Qu'il pleuve, neige ou vente, nos rencontres étaient trop précieuses pour les annuler. Nous nous assîmes donc côte à côte, au plus proche de l'autre afin de conserver notre chaleur au maximum.

— Elle t'a encore frappé, constatais-je avec amertume.

Je détestais du plus profond de mon être cette femme qui s'octroyait le droit de lui faire du mal quand bon lui semblait. Mes doigts glissèrent sous son œil au beurre noir, d'un toucher aérien qui l'effleura sans le blesser. Sa joue était rougie et ses lèvres déchirées. J'avais également remarqué sa démarche boitillante et savais qu'elle lui avait causé davantage de dégâts qu'il dissimulait au mieux sous ses vêtements.

Il ne répondit pas, car il n'y avait rien à dire. C'était un fait, et je commençais à être las que ce soit une habitude. Si je n'en avais pas parfaitement conscience quand j'étais plus jeune, je savais aujourd'hui ce que signifiait la maltraitance abusive.

— Tu dois la dénoncer. Ça ne peut pas continuer comme ça éternellement Shane.

Nous en avions tellement parlé ces derniers temps, sans jamais trouver de solutions. Cela durait depuis si longtemps que Shane était terrifié à l'idée d'agir contre elle au risque de sévèrement la contrarier.

Il y avait probablement bien plus de raisons que je ne pouvais imaginer et encore moins comprendre étant donné que je ne vivais pas ce qu'il subissait depuis tout petit. J'étais persuadé qu'il pensait mériter tout cela, et ça me foutait tellement en colère qu'elle lui ait fait croire une telle absurdité toute sa vie.

Peu importe combien je lui répétais que ce n'était pas normal, qu'il ne devait pas rester avec une mère qui lui faisait tant de mal, je voyais à travers son regard qu'il avait du mal à y croire. C'était tellement frustrant d'être témoin de tant de souffrance sans rien pouvoir faire. Elle lui rabâchait tellement les mêmes conneries depuis des années qu'il s'était construit autour de cela et y croyait dur comme fer.

— J'ai réfléchi à quelque chose.

Son anxiété était palpable tandis qu'il fixait l'horizon sans réellement le voir. Le silence qui s'éternisait accentua la mienne.

— Oui ?

Il pinça ses lèvres, se ravisa aussitôt face à la douleur que ce geste impliqua, puis rassembla son courage afin de tourner son visage vers le mien.

— Je...

Il déglutit et prit une grande inspiration.

— Si un jour je décidais de m'enfuir, me suivrais-tu ?

Je me figeai, prenant pleinement conscience de l'ampleur de ses mots. J'avais envie de dire oui instinctivement, mais je pensais... et mes parents ? Que ferions-nous sans argent ? Où irions-nous ? Nous n'avions que quinze ans.

— Si... si je décidais de partir aujourd'hui, viendrais-tu avec moi ?

Mon cœur battait si vite qu'il supplantait la fureur du vent.

— Genre... maintenant ?

Il hocha la tête, en m'observant comme si je détenais la réponse à toutes ses questions.

— Je...

Plusieurs sentiments contraires se battaient en moi, sans que je ne parvienne à déterminer celui qui s'imposait le plus.

— Où irions-nous ? fut la seule pensée cohérente qui sortit parmi le maelstrom de mes pensées.

Ses épaules se haussèrent tandis qu'il se détournait pour observer l'océan.

— Loin d'ici. Loin d'elle.

— Comment ? Avec quel argent ?

Parce que c'était là toute la question. Nous n'avions même pas l'âge de travailler, bon sang, nous n'étions même pas majeurs. Plusieurs longues secondes s'écoulèrent, si bien que je crus qu'il ne répondrait jamais.

— Je ne sais pas.

— Tu sais que je te suivrais partout n'est-ce pas ? Mais partir comme ça sans prévenir personne, sans avoir de plan concret ? Où finirions-nous ? Quitter une souffrance pour une autre n'est pas une solution. Ce qu'il faudrait faire, c'est commencer par la dénoncer. En parler à mes parents, à la police, eux sauront comment agir pour te protéger d'elle. Alors nous n'aurions pas à tout quitter précipitamment pour finir je ne sais où dans la rue.

Son sourire sembla amer tandis qu'il posait sa tête sur ses bras appuyés contre ses genoux relevés. La façon dont il se tenait serra mon cœur, il semblait profondément démoralisé et perdu.

— Je savais que c'était une idée stupide.
— Ce n'est pas stupide, ce n'est juste pas la meilleure option. Si tu me laisses en parler, je te jure que tout finira par s'arranger.
— Et si l'assistante sociale nous sépare ? S'ils m'envoient loin d'ici ?

Chaque fibre de mon corps se tendit à cette évocation.

— Je ne les laisserais pas faire. S'il le faut mes parents feront en sorte de t'accueillir ou je les menacerai de disparaître pour te retrouver.

Le silence reprit ses droits, seulement perturbé par le souffle du vent et le son des vagues déchaînées.

— Laisse-moi en parler. Je t'en supplie. Je te promets que tout se passera bien, tu ne le regretteras pas.

Je n'en pouvais plus de la voir le détruire sans agir pour l'en interdire. Son accord se traduisit par un faible mouvement de tête qui aurait pu passer inaperçu si je ne m'étais pas concentré avec une telle intensité sur sa réponse.

La joie explosa en moi, pourtant je la retins, sachant pertinemment à quel point accepter l'implication d'autres personnes le terrifiait. Quoi qu'il pense qu'elle ferait, cela ne se produira pas. Une fois les adultes en jeu, plus rien ne pourrait lui arriver. J'en étais persuadé.

Je serrai ses doigts contre les miens en me collant davantage à lui et soupirai de contentement.

— Merci, chuchotais-je.

C'était un pas immense pour lui et j'en avais parfaitement conscience. Il me faisait confiance malgré toutes les menaces et peurs qu'elle avait gravées en lui. J'embrassai sa joue pour le faire sortir de sa torpeur et souris lorsqu'il se concentra sur moi.

— Tu as fait le bon choix.
— J'espère.

Je me penchai vers lui pour me délecter de ses lèvres. Elles ne me lassaient jamais.

— Merci d'être là.
— Toujours.

Nous passâmes le reste de la soirée à discuter et nous taquiner dans l'objectif de détourner ses pensées. Nos mains s'étaient naturellement liées sans trop s'en rendre compte alors que nos lèvres se frayaient régulièrement un chemin vers l'autre, tels des aimants s'attirant inlassablement. Je fis en sorte de le faire rire, car entendre ce son si rare était devenu mon obsession.

Cette soirée me libérait enfin du poids du silence qu'il m'avait imposé. Je n'aurais jamais cru que cela pesait tant dans ma poitrine, pourtant la délivrance que cela me procurait était indescriptible. Je pouvais enfin le protéger d'elle.

Lorsque nous décidâmes finalement de rentrer chez nous, il était presque quatre heures du matin. Mon envie de le raccompagner fut si forte que je le suivis dans son jardin. Je restai sur le perron lorsqu'il m'embrassa avant de me saluer en ouvrant sa porte.

Il m'était difficile de l'abandonner seul dans cet enfer, pourtant je devais aller chez moi. Il faisait si sombre que nous ne la vîmes pas arriver. Lorsque la lumière explosa dans le couloir, la frayeur de s'être fait prendre me figea littéralement sur place.

Le monde aurait pu s'effondrer que je n'aurais pas bougé, tel un enfant pétrifié sous les phares d'une voiture qui fonçait droit sur lui.

On dit que les monstres se dissimulent dans l'obscurité. Cela n'aurait jamais pu être aussi vrai qu'en cet instant. Elle se tenait là, son expression furieuse proche d'une folie insoupçonnée. La peur qui me submergea fut si violente que mon cœur aurait pu tout aussi bien se stopper sur le coup. Tout me hurlait de fuir fuir fuir.

— Alors comme ça on sort en douce ?

Je n'avais jamais été aussi terrorisé de toute ma vie.

***

L'assiette m'échappa des mains pour se briser au sol dans un éclat assourdissant. Je l'entendis à peine, tentant avec difficulté de repousser la crise de panique qui effleurait les bords de ma conscience. Les débris s'enfoncèrent dans la plante de mes pieds tandis que je reculais pour prendre appui au mur afin de m'y laisser glisser.

Je frottai mes mains tremblantes contre mon visage en m'évertuant à respirer profondément. Retenir ma nausée fut une réelle épreuve, car je venais tout juste de déjeuner. Une douce brise s'infiltrait à travers les fenêtres ouvertes de la maison, ce qui m'aida grandement à me calmer.

Lorsque je repris conscience de mon environnement et que mes oreilles cessèrent de siffler, mon regard se posa sur les légères traces de sang au sol. Je les fixai un instant avant d'observer mes pieds et de soupirer. Ne restait plus qu'à les retirer. Assis en tailleur, je m'appliquais donc à cette tache sans trop réfléchir à ce que je faisais.

Trop effrayé pour songer au souvenir qui m'avait soudainement traversé, je me levai en grimaçant face aux légers pics de douleur puis me rendis dans la salle de bains afin de nettoyer et bander mes blessures.

Mon cœur battait toujours à une vitesse excessive, néanmoins cela demeurait supportable. Une fois fait, je m'empressai de nettoyer le sol en essayant de ne pas trop penser à mes anxiolytiques. J'avais trop pris l'habitude d'en prendre dernièrement. Ce qui signifiait que je devais réduire tout ça au risque de dépendre d'eux. L'addiction m'était bien trop familière, j'avais failli sombrer la première fois que j'avais dû les prendre, il y a des années.

Rien n'allait et l'état vaseux dans lequel ils me plongeaient me réconfortait. Je n'étais alors qu'une loque incapable de prendre soin de moi-même jusqu'à ce que mes amis me sortent de là en jetant tout à la poubelle puis en me renvoyant de force à mon thérapeute.

Il y avait eu de longues discussions de sourds, des colères irrationnelles et des besoins insatiables, mais nous avions heureusement réagi assez rapidement pour que ce ne soit pas trop difficile d'en sortir. La patience de mes proches et de mon thérapeute m'avait sauvé de l'autodestruction dans laquelle je m'étais jeté à corps perdu.

Je n'étais pas fier de cette période où toute lucidité semblait m'avoir déserté. Où m'oublier dans le néant semblait plus facile que de résister à l'absence d'une partie intégrante de moi.

Je refusais de recommencer. De les inquiéter à tel point qu'il leur avait fallu me hurler dessus alors même que leurs larmes les submergeaient pour que je comprenne que j'étais sérieusement en train de merder.

Alors je sortis pour me rendre au garage, où je savais que Shane se trouverait. Lorsqu'il me vit approcher son sourcil se releva, étonné de me voir arriver si tôt. Après tout, j'avais pris l'habitude venir en milieu d'après-midi pour amener un café.

— Salut, souris-je légèrement.

Cela n'atteignit probablement l'effet souhaité, car il fronça les sourcils et se releva pour me rejoindre.

— Ça va ?

Je déglutis en m'engouffrant dans ses bras, puis soupirai profondément de soulagement. L'effet qu'il me procurait était bien plus merveilleux que n'importe quel anxiolytique. Il mit quelques secondes avant de me rendre mon étreinte, cependant la force avec laquelle il me serra contre lui n'avait d'égal aucun mot.

— Ouais je... Ça va passer. Je me suis juste souvenu de quelque chose qui m'a... chamboulé.

Sa main glissa jusqu'à ma nuque qu'il caressa légèrement avant de reculer. Il fit un signe de tête vers sa Harley.

— Je l'ai bientôt terminée, tu veux te changer les idées ?

J'acquiesçai et embrassai le coin de ses lèvres avec délicatesse avant de le rejoindre sur les réparations. Nous travaillâmes dans un silence agréable entrecoupé uniquement par ses quelques directives lorsqu'il m'expliqua les manipulations à effectuer.

La journée s'écoula si vite que ce fut Walter qui nous apporta les cafés tout en prenant le temps de discuter avec nous quelques instants. J'étais ravi de l'entendre évoquer une femme qu'il venait tout juste de rencontrer, mais qui semblait déjà avoir un effet ravageur sur lui. Elle venait tout juste d'emménager ici, cependant ils s'étaient croisés plusieurs fois lorsqu'il se rendait dans ce si petit centre-ville.

J'échangeai un regard complice avec Shane en lui demandant de nous présenter cette Aileen si incroyable un jour. Il sembla alors se rendre compte de ce qu'il prononçait, car il insista pour affirmer que ce n'était qu'une amie.

Une simple amie qui faisait briller ses yeux, comme ceux d'un enfant émerveillé. Je souris en poursuivant mon travail comme si de rien n'était lorsqu'il changea subitement de sujet.

Nous terminâmes ainsi les réparations sous les lumières chatoyantes du soleil couchant. Chacun d'eux plongeait le garage dans une lueur orangée apaisante. Walter était rentré chez lui depuis bien longtemps, nous laissant la charge de clore les lieux quand nous le souhaitions. J'aimais beaucoup la confiance qu'il accordait à Shane, peu pourraient en faire autant ici.

Il grimpa sur le siège, enfonça la clé puis redonna vie à sa moto. Le son qu'elle produisit lorsqu'il tourna les vitesses en analysant le compteur était presque assourdissant. Il vibrait contre ma poitrine aussi bien que la joie que cela me procurait.

Lorsqu'il l'éteignit et que son regard se posa sur moi, je lui souris légèrement.

— On a réussi ?
— Ouais.

J'étais réellement heureux qu'il retrouve ce qu'il aimait tant. Sa main se tendit vers moi, comme une invitation à m'approcher. Je glissai la mienne contre sa paume en le laissant me tirer vers lui. Il entoura alors ma taille de son bras et posa son front contre le mien en soupirant profondément. Son souffle me brûla autant que son toucher tandis qu'un long frisson de plaisir parcourait ma colonne vertébrale.

— Merci pour tout, murmura-t-il. Ça comptait beaucoup pour moi.
— Je sais, soufflais-je.

Et je le laissai m'embrasser, ravi qu'il prenne de plus en plus d'initiatives. Il avait toujours du mal à être démonstratif lorsque nous n'étions pas seuls, mais osait davantage lorsque c'était le cas. Cela ne me faisait que l'aimer d'autant plus. Je mordillai sa lèvre avant qu'elle ne s'éloigne des miennes et lui souris.

— Si...

J'inspirai profondément en ancrant mon regard au sien tout posant ma main contre son cou balafré, sous son keffieh. Il me laissa faire sans la retirer tandis que je caressais la marque que je savais présente du bout de mon pouce.

— Si tu veux t'enfuir, cette fois-ci je te suivrai sans discuter.

Mes mots le figèrent, le laissant sans voix.

— Je suis désolé de ne pas l'avoir fait à ce moment-là.

Il secoua la tête.

— Tu avais raison, nous n'avions nulle part où aller.
— Nous aurions trouvé quelque chose, pourvu que tu ne rentres jamais chez elle...

S'il savait à quel point je m'en voulais d'avoir été si hésitant toutes ces années où j'aurais pu l'aider dans cet enfer.

— Tu n'y es pour rien, chuchota-t-il en caressant du bout des doigts ma tempe jusqu'à ma joue.

Je fermai les yeux et profitai du bien-être qu'il me faisait ressentir.

— J'ai tout dit à Jay.

Sa main se figea contre ma joue. J'ouvris les paupières.

— Pour qu'il révèle la vérité sur elle à tous ceux qui se méprennent.
— Pourquoi ?
— Parce que j'en ai assez de te voir subir en silence, j'en ai assez qu'ils se permettent de te faire souffrir alors que tu ne mérites rien de tout cela, même si tu es persuadé du contraire.

Son expression réservée me le confirma. Sa mère lui avait tellement rabâché qu'il était le problème, que tout était de sa faute, qu'il avait fini par y croire. Qui ne le ferait pas à force d'entendre cela tous les jours depuis son enfance et ce, pendant des années ? Je levai mes mains contre ses joues et le forçai à me regarder.

— Tu ne mérites rien de tout cela. Ce qui lui est arrivé n'est en rien de ta faute. Et s'il faut que je te le répète tous les jours je le ferai Shane, parce que je t'aime et que tu mérites d'être heureux et de vivre sans avoir à en payer le prix à chaque instant.

Il ne me répondit rien, mais je savais désormais qu'il restait silencieux lorsque les émotions fortes le submergeaient. Après tout, il n'avait jamais réellement eu l'occasion de les exprimer, plutôt de les dissimuler. Je l'embrassai et partis chercher nos casques.

— Rentrons à la maison.

***

Plusieurs jours s'avérèrent nécessaires avant que Jay puisse mettre la main sur le dossier de Shane. Lorsque ce fut le cas, il eut besoin de plusieurs autorisations de la part du concerné et des autorités.

Ce fut une réelle épreuve pour lui d'accepter de révéler son passé, et encore plus celui de comprendre qu'il n'avait rien fait de mal. Qu'il n'était que la victime de crimes perpétrés avant sa naissance. Sa mère aurait dû obtenir des aides psychologiques et suivre des thérapies, mais elle n'avait parlé des horreurs qu'elle avait subies à personne.

D'après Jay, il y avait une trace comme quoi elle avait essayé d'en informer les flics, mais que ses propos incohérents – dû au choc et au traumatisme – avaient rendu cette affaire sans suite, car personne ne la croyait.

Cette information m'avait rendu fou de rage, car si seulement quelqu'un s'était penché davantage sur son agression au lieu de la croire folle, alors Shane aurait eu une vie bien plus stable que l'enfer qu'il avait subi en guise de représailles.

Pour être le fils d'un violeur, d'un homme sans nom qui n'avait probablement jamais expié ses fautes et en causait potentiellement de nouvelles jusqu'à ce que quelqu'un y mette un terme.

Rien n'était de sa faute, et s'il ne l'avait pas tuée, alors nous ne serions tous deux plus ici pour en parler. Shane m'avait par la suite appris plusieurs choses lorsque nous passions nos soirées en bord de mer. La première étant que sa mère n'avait jamais été prête à le recevoir.

D'après le dossier médical que les autorités avaient récupéré le jour de son jugement, Céleste avait fait un déni de grossesse, accouchant ainsi dans l'urgence sans comprendre ce qui lui arrivait. Son ventre n'avait jamais grossi jusqu'au jour de la naissance de Shane.

Elle avait par la suite été prise en charge, mais les sérieux doutes des soignants concernant son habilité à s'occuper de l'enfant étaient inscrits dans le dossier. Seule la présence de la grand-mère les avait permis de le garder.

Elle l'avait d'ailleurs élevé seule pendant quatre ans avant de décéder. Shane avait donc retrouvé une mère qui ne voulait pas de lui. Il était passé sans transition d'un foyer heureux et chaleureux à un enfer où ses premiers jours s'étaient traduits par des bleus et hurlements.

Il n'avait alors que quatre ans.

La seconde était que le juge lui avait imposé de suivre une thérapie à la suite de ce meurtre commis par légitime défense. Il avait ainsi été envoyé en foyer et avait assisté à chaque séance jusqu'à ce qu'il déserte le foyer à sa majorité pour rentrer chez lui.

Je ne savais pas si ça l'avait aidé ou non, car il n'en parlait jamais. Ce qu'il ressentait était si profondément enfoui en lui, qu'il était parfois difficile de savoir ce qu'il pensait. Sa mère l'avait tellement réprimé toutes ces années, qu'il avait appris à ne jamais rien montrer.

Cela ne m'empêchait pas de l'aimer. Ni de voir à travers ce qu'il ne prononçait pas. Shane était une énigme que j'adorais déchiffrer, il suffisait d'être patient et observateur.

Quoi qu'il en soit, Jay avait fini par révéler la vérité aux habitants. Cela lui avait pris plusieurs semaines, au point que j'en avais pratiquement achevé les travaux de la maison. Tout était redevenu si calme que je ne cessais de me demander si mon choix avait été une erreur.

Si remuer tout cela ne causerait pas plus de problèmes qu'il n'y en avait déjà. Mais l'on ne se rend compte de nos erreurs seulement lorsqu'il est trop tard. Celle-ci ne fut pas une exception.

La nouvelle scinda la ville en deux : d'un côté, les personnes dont le choc les avait rendus malades de culpabilité en se comprenant la portée de leurs actes, de l'autre, ceux qui refusaient tout simplement d'y croire.

Preuves ou non, certains préféraient demeurer aveugles plutôt que d'accepter la vérité. Leur haine avait perduré trop d'années pour être soufflée si aisément. Tous les actes avaient des conséquences. Celui-ci me fit réfléchir intensément à la portée mes choix passés et futurs alors même que je nettoyais la peinture sur mes murs.

Les représailles recommençaient et je me sentais mal d'avoir remué le couteau dans la plaie, malgré le fait que j'essayais simplement d'arranger les choses. On ne sait jamais comment peuvent réagir les autres avant qu'ils ne se mettent en action. La colère était parfois si irraisonnée qu'elle nous faisait prendre des décisions absurdes ou méprisantes.

Et en colère, je l'étais.

Alors je frottai davantage mes murs tout en ruminant contre ces enfoirés. Je voulais rendre leur vie aussi misérable que ce qu'ils tentaient de faire avec Shane, mais ce serait m'abaisser à leur niveau. Je ne voulais pas entrer dans ce cercle infini de vengeance, même si je rêvais de leur rendre la pareille.

Le mot Menteurs était presque effacé, mais je transpirais déjà sous le poids des rayons de soleil étouffant. Il y en avait bien d'autres, à tel point que ça nous prendrait des heures pour tout nettoyer.

Assassins, meurtriers, menteurs, crevez et j'en passe. Certaines personnes s'étaient défoulées à taguer ces mots sur nos maisons sans rien épargner. Étonnamment, ils n'avaient pas saccagé l'intérieur de ma maison, alors que je laissais constamment les fenêtres ouvertes.

N'importe qui aurait pu entrer pour foutre le bordel ou taguer ces conneries sur les murs intérieurs. Ils ne l'avaient pas fait, et j'en étais reconnaissant, même si j'allais m'assurer que rien n'avait disparu ou s'était fait détruire.

Je soupirai et essuyai mon front luisant de sueur en reculant légèrement. Shane nettoyait sa partie de maison sans rien exprimer. J'en serrais les dents, furieux contre moi-même et ces connards pour lui avoir ravivé certaines blessures.

Je pensais que les choses s'arrangeraient, qu'ils comprendraient. Ce n'était visiblement pas le cas, et je ne pouvais désormais que culpabiliser d'avoir entraîné Shane là-dedans. Je ne voulais plus qu'il souffre avec cette histoire, mais ça ne semblait pas être l'avis de l'unanimité.

Foutus connards.

Je jetai mon éponge au sol puis entrai chez moi pour préparer des cafés et m'emparer de deux grandes bouteilles d'eau. J'engloutis la mienne avec avidité, puis récupérai les tasses avant de rejoindre Shane.

— Café ?

Il accepta d'un signe de tête et prit une gorgée. Je posai la bouteille à ses côtés.

— Je suis désolé.
— Ce n'est rien.

Il acceptait si facilement les choses. J'en serrai les poings et baissai les yeux.

— Ce n'est pas rien.

Mes mots étaient crachés par la fureur qui vibrait dans ma voix. J'étais si énervé contre eux et leur comportement que je n'arrivais pas à me calmer.

— J'ai l'habitude.
— Tu ne devrais pas l'avoir.

Personne ne le devrait. Se faire constamment harceler était un crime qui se devait d'être sévèrement puni. Je comptais bien réfléchir à des mesures pour les choper et leur faire payer leur prochain acte.

Il glissa un doigt sous mon menton pour le relever afin d'ancrer son regard au mien. Son calme s'écrasait avec tant de puissance contre ma fureur, qu'on aurait pu allumer une allumette entre pour tout faire exploser.

— Personne n'a été blessé.
— Pour le moment. Ces enfoirés recommenceront et s'ils te touchent je...

Je les tuerais. Je les frapperais si fort qu'ils comprendront la douleur qu'ils s'amusent à propager aux autres.

— Ne fais rien d'inconsidéré, ça n'en vaut pas la peine.

Lui aussi savait visiblement me lire.

— Tu en vaux la peine.

Il détourna son attention vers son garage avant de me faire un signe de tête vers sa Harley.

— Faisons un tour.

Rien n'aurait pu m'empêcher de le suivre aveuglément pour monter à ses arrières. Je ne savais pas comment il parvenait si facilement à lire en moi, mais alors qu'il accélérait sur la route et que je me détendais enfin contre son corps, je sus qu'il m'avait proposé cela dans le seul but de m'apaiser. De nous changer les idées.

Sentir le vent nous suivre dans notre course, trembler au même rythme que le grondement du moteur avait cet effet. Rouler loin des problèmes, loin de nos pensées, nos corps pressés l'un contre l'autre tandis que le paysage défilait.

Toute colère s'envola au gré du vent comme un manteau dont je me dévêtais.

Je me sentis plus léger, plus serein.

Incroyablement bien tandis que nous avalions les kilomètres à toute vitesse.

Parce que c'était là notre liberté.

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