Le dimanche de Laurie (2)
Je n'ai jamais beaucoup lu de livre, sans raison particulière je n'avais envie de rien.
Le livre, La peste, était ennuyeux et j'avais du mal à me concentrer, mes pensées revenaient sans arrêt à ma soirée où Sébastien m'avait ridiculisé ou à ma nuit sans avoir revu Phili.
Je m'étais couchée à une heure du matin, c'était peut-être pour cela que je n'avais pas fait mon rêve étrange ou parce que je n'avais pas mis les draps. C'était quand même réconfortant de savoir que je pouvais échapper à ces rêves si je le voulais.
En tout cas cette nuit, j'étais décidé à retrouver mon amie et pour cela il allait falloir que je reproduise les bonnes conditions.
Rasséréné j'ai bu mon thé et je me suis enfin concentré sur ma lecture.
─ Bonjour ma puce, a dit ma mère. Elle examina mon assiette, d'un regard de connaisseuse et me dit pas mal joli brunch.
─ Je t'ai préparé du thé méga fort, ai-je répondu sans poser mon livre.
─ Tu fais tes devoirs, c'est bien ! Qu'est-ce que tu lis ? a-t-elle demandé incapable de rester silencieuse.
─ J'ai le bac français à la fin de l'année, même si je redouble et ce serait bien que tu me laisses lire.
─ Quel temps dehors, dit ma mère en admirant le soleil qui éclairait la pelouse.
Cela voulait dire que c'était peine perdue et que je devais renoncer à lire mon livre. Page 49, j'ai mis un marque page, ce n'était pas mal et en plus bonne surprise, finalement, le livre me plaisait.
J'ai regardé ma mère, c'était mauvais signe quand elle parlait de sujet bateau et qu'elle tournait autour du pot, c'est qu'elle comptait aborder d'autres sujets et qu'elle réfléchissait à la meilleure façon de s'y prendre.
Elle portait un leggings et un teeshirt étroit. Nombres de femmes auraient tué pour avoir son physique, la réaction de Monsieur Tardy hier soir me rappela la réunion de début d'année de seconde avec les profs, il avait quitté la salle quand ma mère était rentrée.
Ma mère, était aussi celle qui se faisait le plus remarquer, représentante des parents d'élèves, interpellant les profs et exigeant toujours quelque chose.
Hier soir la façon dont il la regardait !
─ Tu sais Laurie ce garçon il m'inquiète ! dit ma mère, interrompant mes pensées.
J'étais stupéfaite, je ne m'attendais pas à ce qu'elle me reparle encore de ce malheureux incident. Je savais bien qu'il n'y avait rien à craindre, Sébastien mangeait à ma table depuis plus d'un an sans m'avoir remarqué et surtout il pouvait avoir toutes les filles qu'il voulait.
Je l'avais croisé plusieurs fois sur le parking désert, ou la route moi à vélo et lui à moto et s'il avait voulu me draguer ou pire, ce serait fait depuis bien longtemps.
─ Ne t'inquiète pas maman, je ne sais pas pourquoi il a crié comme cela, mais je connais ce garçon, il voulait m'embêter c'est tout.
Elle m'a regardé avec des yeux étonnée, elle ne comprenait pas.
─ Il a dû être exaspéré par mon côté petite fille modèle et il a voulu me jouer un tour, me mettre la honte devant toi. Il n'est pas du tout intéressé par moi !
─ Ah d'accord a-t-elle dit soulagée. Il est dans ton lycée ?
J'ai hoché la tête.
─ Ce garçon a l'air plutôt mûr pour son âge et pas du tout le genre qui pourrait te convenir, a-t-elle insisté.
─ C'est vrai ! C'est une brute, ai-je reconnu et mon ton tranquille l'a rassuré. En même temps j'étais triste comme toujours d'avoir confirmation que Sébastien n'était pas pour moi.
Elle s'est servie du thé, du pamplemousse et du melon avec de la viande froide. Ma mère était mince, mais elle avait surtout la chance de ne pas avoir d'appétit.
La discussion semblait se terminer, aussi je repris la lecture de mon livre.
Ma mère soupira et alla chercher son calepin de compte. Elle faisait encore ses comptes à la main, dans le carnet qu'utilisait ma grand-mère avant elle et y faisait des calculs réfléchissant ou économiser un peu d'argent.
─ Nous ne nous en sortons pas, me dit-elle au bout d'un moment et il faut absolument que je répare ce maudit toit, cet hiver cela va fuir horriblement.
Le salaire de ma mère est conséquent, mais cela ne suffit pas à couvrir toutes les charges de la maison et notre train de vie. Il ne nous reste plus rien à la fin du mois et nous n'avons pas d'argent d'avance en cas de coup dur, comme la réparation du toit.
Maman était persuadée que je ne me rendais compte de rien. Je me demande comment elle pouvait encore se bercer d'illusions. Nous avions eu un papier proposant un voyage scolaire en Italie et sans le donner à ma mère, j'avais répondu que je ne le ferais pas.
─ On peut vendre la voiture et en acheter une moins chère, se passer d'une BMW, ai-je tenté une nouvelle fois.
─ Quoi ? a dit ma mère.
J'ai haussé les épaules exaspérée. Ma mère ne m'écouterait pas et je me demandais pourquoi je persistais à lui parler.
─ Oui la voiture, tu as raison, je vais y penser, dit ma mère à ma surprise, mais je pensais plutôt vider la piscine. Roberto coute cher, il travaille mal et on ne s'en sert jamais.
─ Mais je me suis baignée hier et j'y tiens moi à la piscine !
─ Cela me coute plus de 400 euros par mois et cela m'arrangerai de les économiser. Je ne sais pas quoi te dire ma puce, j'ai ce maudit toit.
─ Bon, très bien, ai-je dit après avoir réfléchi, je vais le faire moi-même.
─ De quoi tu parles ? a demandé ma mère surprise.
─ Je vais entretenir moi-même la piscine, tu as les moyens d'acheter les produits quand même ?
─ Quand comptes-tu faire cela ?
─ Tu m'obliges à faire plein de bénévolat à l'hôpital et bien j'en ferais moins.
─ Bien sûr, tu n'es pas obligé d'en faire autant, mais je pensais que cela te faisait du bien !
Je lui ai répondu en grimaçant, par certain coté j'aime bien et cela me rend raisonnable, mais c'est plutôt déprimant. In petto je me suis dit que mes rêves non plus n'étaient pas bien gais, j'aurai pu m'imaginer entourée d'amies et de mon père, plutôt que de rêver de misère et de pendaison au moyen âge.
─ Tu pensais réduire comment ? demanda ma mère en triturant sa tasse de thé.
─ Je n'irais plus les soirs et peut être pas tous les mercredis et les samedis d'ailleurs.
─ Tu es bien revendicative, a remarqué ma mère en buvant son thé, elle me regardait avec des yeux scrutateurs.
─ Je vis aussi ici, donc j'ai mon mot à dire quand même ! ai-je répliqué. J'ai vu que tu m'avais encore acheté des habits de marque, tu exagères, si nous sommes fauchées.
─ J'ai trouvé ces vêtements en promotion et ils vont t'aller à ravir.
─ Tu pourrais quand même tenir compte de ce dont j'ai envie, tu n'es qu'une égoïste !
─ Mais je ne comprends pas ce que tu me reproches ? A répliqué ma mère en grimaçant, elle n'aimait pas nos disputes, qui lui rappelait mon père.
─ De sacrifier la piscine alors que moi j'y tiens, sacrifie plutôt ta voiture et tes séances de shopping.
Ma mère changea de sujet c'était sa technique quand elle comprenait qu'elle avait tort, ce qu'elle ne voudrait jamais admettre.
Il n'y a qu'un poste de dépense de luxe sur lequel nous étions d'accord on gardait Babeth.
─ Ne te fâche pas ! je cherche des solutions, tu es toujours si impatiente avec moi.
─ Tu veux toujours me retirer ce que j'aime normal que je ne sois pas ravie. En termes de dépense inutile, tu peux arrêter le Lyons club aussi.
─ Certainement pas, c'est une tradition familiale. Attends laisse-moi réfléchir. Elle se mit à faire des séries de calcul. Si je change de voiture pour une plus petite ce serait pas mal, bientôt tu vas te mettre à la conduite accompagnée.
─ Je t'ai dit que je ne savais pas encore, je ne suis pas décidée pour la conduite.
─ Je vais prendre une petite voiture et je devrais m'en sortir après tout nous ne faisons pas tant de kilomètres. Je peux donc garder Roberto.
─ Non, je le ferai, je te l'ai dit, en plus je suis d'accord, il ne travaille pas bien. Tes électeurs apprécieront ton sens de l'économie croit moi.
─ Détrompe-toi ! Curieusement, les gens n'aiment pas les politiciens avec des grosses voitures, mais ils aiment encore moins les politiciens fauchés. En plus si nous continuons de vendre des meubles que nous avons au grenier cela va renflouer nos caisses. Nous avons de la chance que nos ancêtres aient entreposé tous cela.
─ Dommage qu'il ne nous ait pas laissé un trésor, ai-je bougonné.
Ma mère a souri. Je sais qu'il existe une rumeur sur un trésor, mais personne ne l'a jamais trouvé. C'est une légende, mon père disait que le seul trésor était la valeur morale des gens.
J'ai pris une bouchée de purée.
─ Oui peut être, enfin s'il y a un trésor c'est le moment ou jamais.
Ma mère m'a caressé les cheveux. En plus nous allons vider les pièces et ce sera bien pour les travaux.
─ On devrait aussi vider le salon bleu, ai-je dit sur une impulsion. J'aurai voulu rattraper les mots dès que je les ai prononcé, car je venais de lancer la conversation sur un sujet tabou, la mort de papa ! D'où me venait le courage, alors que jusqu'à présent, j'avais toujours fui le sujet. Était ce grâce à ma rencontre avec Phili.
─ Non jamais ! s'exclama ma mère choquée.
─ Comme tu veux maman, mais je te jure que je déteste cet endroit sombre. Je voudrais que la pièce soit vide et ouverte, tu devrais vendre les meubles s'ils ont de la valeur.
─ Ce n'est pas de la faute des meubles, se contenta de dire ma mère le nez dans son thé. Elle en voulait toujours à mon père, je le sentais au ton de sa voix et je me suis demandée si elle me détestait aussi, moi sa fille, mais je n'allais pas crever tous les abcès à la fois.
─ Tu n'y vas jamais alors dit moi à quoi ça sert, ai-je demandé.
─ Ne parle pas la bouche pleine, a répondu miss parfaite.
─ Tu ne me réponds pas, ai-je poursuivi, en remettant une fournée de purée dans ma bouche.
Curieusement elle n'a pas insisté, elle m'a répondu ce que je savais, j'adorais cette pièce !
─ Alors gagne de l'argent en vendant les meubles et les futurs propriétaires auront peut-être plus de chance que nous. Je suis désolée maman, mais cette pièce ne sera plus jamais comme tu l'aimais.
Ma mère se leva pour aller admirer la rivière et se tourna vers moi, peut-être qu'un jour tu seras contente d'avoir un beau salon à montrer à ton futur époux et à ta belle famille.
J'ai éclaté de rire, furieuse. Oublié le drame, mon traumatisme. Voilà ce qu'elle croyait, un jour je m'assiérais dans cette pièce, avec un merveilleux époux sans me rappeler mon père.
─ Maman regarde-moi bien, jamais je n'irais y parader, si ces meubles ont de la valeur alors tu devrais les vendre, si ça ne tenait qu'à moi, on les aurait brulés !
Elle m'a regardé stupéfaite et a soupiré. J'aimais tellement ce salon c'est idiot, a-t-elle répété, signe qu'elle était troublée.
─ N'en parlons plus maman, cela ne sert à rien.
─ Laisse-moi le temps d'y penser, tu ne m'as jamais parlé aussi franchement. Elle a bu quelques gorgées de thé. M Martin vient à 15h avec Babeth c'est ça ?
─ Oui Babeth me l'a dit.
Nous avons terminé notre brunch, étonnamment en paix et ma mère est retournée faire sa sieste réparatrice du dimanche après-midi. Quand je dis que le dimanche nous sommes deux marmottes je ne plaisantais pas.
Ma mère dort dans la chambre de mes grands-parents et n'a rien touché, elle a juste rajouté les affaires dont elle avait besoin. Tapissée à l'ancienne dans un camaïeu de bleu, la chambre est encombrée avec un lit ancien et deux armoires d'époque victorienne, la coiffeuse de ma grand-mère et un bureau. Une élégance désuète émane de la pièce qui ne ressemble pas du tout à ma mère. Le seul avantage de la chambre c'est qu'elle a une terrasse qui donne sur l'entrée du parc. L'ancienne chambre qu'elle occupait est condamnée aussi et je réalise qu'il y a de nombreuses choses dont nous devrions discuter.
Leur amour les a détruit tous les deux et je me suis sentie bien triste d'un seul coup.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro