XVII - L'amertume de Noël.
―Hermione, l'accueillit Sirius lorsqu'elle se matérialisa dans la cuisine du Square Grimmaurd, accrochée à une tasse violette ayant servi de portoloin.
La jeune fille esquissa un faible sourire fatigué avant de se laisser tomber sur la chaise la plus proche, les jambes encore flageolantes de son voyage. Son regard détailla chaque recoin de la pièce, mais rien n'indiquait que ses amis se trouvaient ici. Ils devaient certainement être près de leur père à Ste Mangouste. Elle savait par Minerva McGonagall que son état de santé n'était pas inquiétant, mais les circonstances en restaient néanmoins plus qu'étranges. Il fallait qu'elle voit Ron et Harry pour être sûre de ce qu'elle avançait, mais elle était quasiment certaine que cela avait un lien quelconque avec le rêve que faisait le Survivant depuis de nombreuses semaines.
―Tu devrais aller te reposer, lui conseilla Sirius. Tu as l'air exténuée.
Hermione hésita quelques instants, désireuse d'être présente au retour de la famille Weasley, mais la fatigue l'empêchait de réfléchir correctement. Adressant un nouveau sourire au parrain de son meilleur ami, elle récupéra sa valise et se traîna difficilement jusqu'au premier étage, d'où émanait un profond silence reposant. Elle ne prit même pas la peine de se changer et s'affala lourdement sur son lit, déjà endormie...
―Hermione ?
La jeune fille se réveilla en sursaut en sentant une main froide se poser sur sa joue. Une exclamation de surprise lui échappa avant qu'elle ne croise le regard amusé de sa meilleure amie.
―Oh Ginny ! fit Hermione en se redressant. Tu m'as fait une de ces peurs !
La rouquine lui adressa un vague sourire d'excuse avant de se laisser tomber sur son propre lit, fixant toujours son amie du regard. La Préfète se rappela soudainement la raison de leur présence au Square Grimmaurd et offrit un sourire rassurant à la plus jeune, qui poussa un profond soupir en retirant sa cape.
―Comment va ton père ? demanda-t-elle.
―Il va bien, répondit Ginny avec un soulagement perceptible. Les médecins disent qu'il a eu beaucoup de chance. Le serpent aurait pu faire beaucoup plus de dégâts.
―Le serpent ?
―Oui, confirma-t-elle. Papa était en train de patrouiller au Ministère lorsqu'il a été attaqué par un serpent au Département des Mystères.
La vision d'Harry, songea Hermione avec effroi. Ce rêve qu'il faisait depuis des mois, où il se voyait marcher dans un couloir sombre avant d'être attaqué par un serpent. Alors elle avait eu raison. Lorsque le professeur McGonagall était venue la réveiller pour lui apprendre la nouvelle, Hermione avait immédiatement fait le lien entre les rêves et l'attaque de Monsieur Weasley.
―Et comment va Harry ?
Si Ginny parut surprise par la question, elle n'en fit pas la moindre réflexion et expliqua que le professeur Dumbledore avait envoyé le garçon dans le bureau de Rogue pendant quelques heures avant qu'il ne les rejoigne ici, attendant de partir pour l'hôpital où se trouvait déjà leur mère. Ce qu'il s'était passé dans les cachots leur était inconnu, même Ron ne savait rien, mais lorsqu'ils avaient vu Harry, le garçon paraissait plus bouleversé que jamais.
En écoutant le discours de son amie, Hermione se rendit compte que personne n'avait compris pourquoi Harry avait fait ce rêve sur Monsieur Weasley. Ron, lui avait sûrement fait le lien, et la jeune fille se dit qu'il leur faudrait avoir une discussion tous les trois pour qu'elle puisse leur expliquer sa théorie. Et si celle-ci s'avérait vrai, alors cela voulait dire que Voldemort devenait de plus en plus puissant...
Des coups furent donnés contre la porte en bois, faisant sursauter les deux jeunes filles qui échangèrent un regard avant que Ginny ne daigne ouvrir le bâtant.
―Je viens voir Hermione, entendit la Préfète.
Son cœur s'emballa lorsqu'elle reconnut la voix rauque de Fred. Un sourire se dessina doucement sur ses lèvres lorsqu'elle croisa le regard fatigué du rouquin qui s'empressa d'entrer dans la chambre une fois que sa sœur accepta de le laisser venir.
―Je vais voir Maman, précisa Ginny avant de quitter la pièce.
Pendant quelques secondes, Hermione fixa Fred du regard sans prononcer le moindre mot, ne sachant pas trop comment réagir face à ce qu'il venait de se passer. N'étant pas certaine d'avoir les bons mots pour le rassurer. Elle songea alors avec tristesse que quelques mois plutôt, leurs places avaient été inversées. C'était elle qui avait eu besoin de lui. Aujourd'hui, Fred venait chercher son soutien. Sa présence pour surmonter cette épreuve.
―Comment vas-tu ? s'enquit-elle.
Sa question rompit le silence, et comme s'il redevenait maître de son corps, le rouquin franchit les quelques mètres les séparant et se laissa lourdement tomber sur le lit de la jeune fille, avant d'attraper sa main et de la serrer de toutes ses forces. Hermione sourit doucement avant de se rapprocher de lui, jusqu'à poser sa tête sur son épaule, lui murmurant que tout allait bien.
―C'était horrible, chuchota doucement Fred d'un ton grave qui n'était ordinairement pas le sien. Il a des bandages partout, c'est affreux.
―Mais il est en vie, le contredit-elle d'un ton tremblant. C'est tout ce qui compte.
Elle sentit le regard du garçon se poser sur elle, mais elle ne trouva pas la force d'en faire de même. Ses yeux embués de larmes la dissuadaient de le faire et la douleur sourde au creux de ses entrailles lui rappelait combien la vie était précieuse.
―Hé ! souffla Fred en attrapant doucement son menton pour la forcer à le regarder. Je suis désolé. Je ne voulais pas te faire pleurer.
―Je sais, renifla-t-elle en croisant son beau regard bleu.
Elle essaya de lui sourire - en vain. C'était bien trop difficile. Surtout maintenant. Noël approchait à grands pas, le premier qu'elle passerait sans ses parents depuis des années. Le premier où ils ne seraient pas là à la couvrir de cadeaux. Le premier où elle ne dégusterait pas le fameux chocolat chaud de son père. Ou elle n'entendrait pas sa mère raconter ses plus beaux souvenirs d'enfance.
Deux mois étaient passés depuis la mort de ses parents. Soixante jours durant lesquels elle avait fait de son mieux pour sourire, rire, retrouver goût à la vie. Redevenir la fille que tout le monde aimait. C'était difficile, lassant et fatiguant, mais elle y parvenait néanmoins. Petit à petit. Etape par étape. Avec le soutien et l'amour de ses amis. La présence de Fred. Le sourire rassurant de Ginny. Les blagues vaseuses de George. L'amitié timide de Harry. Les remarques de Ron. L'amour inconditionnelle de Molly. C'était tout un tas de petits détails, mais qui avaient pourtant énormément d'importance dans sa guérison.
Elle avait réussi à redevenir la Hermione Granger que tout le monde connaissait, mais les remparts qu'elle avait construits au fil des semaines risquaient de s'effondrer à tout instant. La faire basculer dans cet état léthargique où la souffrance avait pris possession de tout. Sauf que les fêtes de fin d'années risquaient de tout anéantir...
―Je suis désolé, répéta Fred et son ton meurtri lui brisa le cœur.
Poussant un profond soupir, elle se réfugia dans ses bras et inspira à pleins poumons son odeur de réglisse, essayant de se focaliser sur des choses positives qui l'empêcheraient de sombrer à nouveau. Le sourire de Fred. La course effrénée de ses battements de cœur. Sa chaleur. La sensation de ses bras autour d'elle, formant un rempart contre la tristesse. Tous ces détails qui la maintenaient en vie.
―Tu n'as pas besoin de t'excuser, dit-elle lentement. C'est juste que... en ce moment, c'est plus difficile. Mais ça va.
―Hermione...
―Je vais m'en sortir, le coupa-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu es là.
Et sans lui laisser l'occasion de répondre, elle déposa ses lèvres contre les siennes.
[...]
Trois jours plus tard, Monsieur Weasley fut autorisé à quitter l'hôpital et l'ambiance s'allégea considérablement au Manoir des Black dès que le patriarche eut franchit le seuil de la demeure. Avec un sourire, Hermione observa chacun de ses amis venir saluer leur père, sous le regard larmoyant de Molly, qui remercia à de nombreuses reprises Harry d'avoir sauver la vie de son mari. Le garçon acceptait ses remerciements avec une certaine gêne, et la jeune fille estima qu'il était temps pour eux d'avoir une discussion sérieuse au sujet du rêve.
Elle attendit que Ginny et sa mère soient occupées à préparer le repas du soir pour demander aux deux garçons de la rejoindre dans leur chambre. Elle s'assura que personne ne se trouvait à cet étage avant d'ordonner à Harry de lui raconter tout ce qu'il s'était passé le soir de l'attaque de Monsieur Weasley. Ce qu'il fit avec un peu d'hésitation, ne voulant pas se remémorer cette terrible nuit, secondé par Ron qui expliqua comment il avait découvert leur ami gesticulant dans son sommeil, sans parvenir à le réveiller.
―Votre lien est de plus en plus fort, soupira-t-elle avec effroi une fois le silence revenu dans la chambre.
―Dumbledore a demandé à Rogue de me donner des cours d'Occlumancie, ajouta Harry d'un ton sec.
La jeune fille ne releva pas, et répondit que ce n'était pas une mauvaise chose, faisant mine de ne pas voir le regard outré que lui lancèrent les deux garçons. Elle savait que l'Occlumancie était un puissant sortilège permettant à son utilisateur de masquer ses pensées à un sorcier essayant de pénétrer son esprit par la force. Apprendre à camoufler ce à quoi l'on pensait était un procédé très complexe, pas vraiment à la portée d'un cinquième année, mais si Dumbledore estimait qu'Harry était capable de l'apprendre, alors c'était certainement vrai. Mais une attention constante et un travail acharné serait nécessaire pour y parvenir.
―Tu vas devoir mettre ta haine de côté si tu veux y arriver, lui fit-elle remarquer d'un ton froid. Il est temps de ne plus jouer le petit garçon borné et assumer tes responsabilités.
Ses mots étaient durs, elle en avait parfaitement conscience, mais il était plus que temps que Harry -Ron aussi- réalise que sa petite rébellion envers leur professeur de Potions n'avait plus lieu d'être. Le retour du plus puissant mage noir de tous les temps annonçait une guerre imminente, et ce n'était pas des enfantillages qui allaient les aider à s'en sortir. Et en tant que Survivant, le garçon se devait de montrer l'exemple, même s'il lui en coûtait d'avoir ce rôle à jouer.
―Merci de ton soutien, Hermione, répliqua-t-il.
―Harry... soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Tu sais très bien ce que je veux dire. Si le professeur Dumbledore t'estime capable d'apprendre un sortilège aussi difficile, alors tu te dois d'être attentif et d'écouter les conseils de Rogue. Même si ça te coûte autant.
―Je sais, fit-il d'un ton plus radouci. Mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi. Et puis, il me le rend bien aussi.
―Hermione a raison, intervint Ron, sourcils froncés, essayant encore de comprendre toute la portée du lien entre son meilleur ami et Voldemort. Comment veux-tu faire la différence entre la réalité et l'imaginaire si tu n'essaie pas de te montrer plus à l'écoute ?
―Il ne faudrait pas que ça se reproduise, confirma-t-elle. Monsieur Weasley a eu beaucoup de chances, Harry. Mais ça ne serra peut être pas le cas la prochaine fois.
Si en cet instant, elle savait combien ses paroles étaient justes...
[...]
Le réveillon de Noël aurait dû être un moment de fêtes, joyeux, ponctué d'éclats de rires, de sourires, d'échanges de souvenirs et de cadeaux. Oui, cela aurait dû être un moment unique, à part, comme coupé du monde. Ils auraient mis leurs problèmes de côté pour profiter d'un moment tous ensemble. En famille. Pour déguster les bons petits plats préparés par Mrs Weasley, sous l'œil mauvais de Kreattur, qui ne supportait pas qu'une traitre à son sang salisse ainsi la cuisine de sa défunte maîtresse. Ils auraient dû fêter le retour de Monsieur Weasley. Rire des blagues des jumeaux. S'étonner et s'enthousiasmer de la relation entre Fred et Hermione.
Oui, ils auraient dû faire tout ça. Mais ce ne fut pas le cas.
Tout au long de la soirée, Hermione fit du mieux qu'elle put pour paraître joyeuse et heureuse. Sourire lui demandait un effort considérable et la boule qui obstruait sa gorge l'empêchait de parler. Alors elle se taisait, de peur que sa voix chevrotante ne la trahisse. Révèle toute la souffrance qui vivait en elle depuis le matin-même, à des années lumières de l'allégresse planant dans la pièce. Même Sirius, pourtant si mélancolique, semblait profiter de l'instant présent, discutant vivement avec son filleul, tout en avalant les petits fours de Molly. Peut-être que les verres d'hydromel qu'il avait bu l'aidaient à dévoiler cette nouvelle facette de sa personnalité. Son insouciance.
Personne ne sembla se rendre compte à quel point c'était dur pour elle d'être avec eux. Même Fred, qui discutait avec son jumeau et son père, en bout de table, n'avait rien vu. Et cela l'affecta bien plus qu'elle ne l'aurait voulu. Elle savait qu'elle ne pouvait pas lui en vouloir d'être aussi joyeux, pourtant, en cet instant, elle avait la terrible impression d'être seule. Sans la présence du rouquin à ses côtés, elle était en train de sombrer. Dans cet abîme de douleur.
Assise parmi toutes ces personnes heureuses, Hermione réalisa qu'elle s'était voilée la face ces dernières semaines. Cette fille qui croyait profiter de la vie... ce n'était qu'une illusion. Faire semblant était devenu si facile qu'elle s'était faite prendre à son propre jeu. Mentir était devenu comme une seconde nature pourtant, elle n'était pas heureuse. Loin de là.
Elle aurait du être avec ses parents, à dîner dans leur restaurant préféré, tout en écoutant des enfants leur chanter les plus belles comptines de Noël. Commander la plus belle des bûches pour la déguster tous ensemble, se racontant des souvenirs. Elle aurait du encore une fois s'émerveiller en écoutant l'histoire de la rencontre de ses parents. Se dire qu'elle aurait voulu être à leur place. Son père aurait du faire semble de s'étrangler d'horreur en l'entendant expliquer qu'elle voulait un jour trouver le garçon qui la rendrait heureuse. Ecouter sa mère lui promettre que ce serait le cas, et qu'elle connaîtrait le véritable amour.
Mrs Granger aurait dû s'émouvoir en recevant le collier qu'Hermione avait acheté pour elle, quelques temps après avoir trouvé celui qu'elle portait sans cesse autour du cou. Ils auraient du lui offrir un présent, lui dévoiler le lieu de leurs prochaines vacances en famille. Et puis, ils seraient rentrés à bord de leur antique voiture, auraient partagé un dernier chocolat chaud au coin du feu avant de se laisser sombrer dans les doux bras de Morphée.
Oui, Hermione avait imaginé le fil de cette soirée des centaines de fois. Se souvenant du sourire bienveillant de son père. Du parfum de sa mère. De tout un tas de petits détails lui rappelant sa vie d'avant. Car ce n'était plus que ça à présent. Des souvenirs. Et un avant amer qu'elle ne pourrait jamais récupérer.
La douleur la submergea lorsque Ginny annonça qu'il était l'heure d'ouvrir les cadeaux. Le cœur d'Hermione s'emballa lorsqu'elle sentit la main de Fred se glisser dans la sienne, à la vue de tous, lorsqu'il revint prendre place près d'elle, et contrairement à l'ordinaire, ce ne fut pas la joie qui s'empara d'elle. Mais la colère. Forte et incontrôlable. De toutes ses forces, elle se retint de retirer sa main de celle du rouquin, ne voulant pas attirer l'attention plus que nécessaire et fit semblant d'être heureuse lorsque Molly lui tendit un petit cadeau carré de couleur dorée.
Elle ne remarqua pas immédiatement la lueur dans les yeux des enfants Weasley, ni le regard larmoyant de la matriarche. D'une main tremblante, elle décacheta le papier et son regard se posa alors sur une photographie la représentant avec ses parents, l'hiver précédent, au pied des Alpes, en France.
Son masque tomba et la souffrance l'envahit toute entière. Ses yeux se remplirent de larmes et ses mains se mirent à trembler de plus en plus violemment, faisant glisser le cadre qui se brisa net sur le sol de la cuisine, plongeant la pièce dans un silence profond. Son regard se fixa sur les visages heureux de ses parents qui lui rappelaient douloureusement ce qu'elle avait perdu. Un sursaut lui échappa lorsqu'elle sentit la main de Fred se poser sur son bras, et d'un geste elle se dégagea de cette étreinte, sous le regard étonné de tous.
―Hermione... lui souffla-t-il.
―Ne me touche pas... chuchota-t-elle en reniflant.
Elle ne chercha pas à savoir s'il l'avait entendu et se leva, fuyant le regard de chaque personne présente. Mais le garçon revint à la charge, plus inquiet que jamais.
―Hermione... répéta-t-il en attrapant sa main.
―Je t'ai dit de ne pas me toucher ! s'exclama-t-elle durement en se dégageant encore. Qu'est-ce que tu as du mal à comprendre ?
Son regard était froid, sans émotion, et Fred eut bien du mal à le soutenir. Il recula de quelques pas face à toute cette colère, ne s'étant pas attendu à une telle réaction de la part de la jeune fille, et impuissant, la laissa quitter la pièce en courant, le visage ruisselant de larmes, le cœur en morceaux.
Hermione se réfugia dans la salle de bains du premier étage, et se laissa doucement glisser le long de la porte, le corps parcourut de sanglots incontrôlables.
Des semaines étaient passées depuis la disparition de ses parents, pourtant, elle avait la terrible impression que c'était encore aujourd'hui que Mrs Weasley lui apprenait la nouvelle. Celle qui avait à jamais détruit sa vie. Son bonheur. La personne qu'elle était. Elle avait cru être capable de redevenir cette fille insouciante que ses parents aimaient tant, elle avait cru que Fred l'aiderait à remonter la pente, mais ce n'était que des illusions. Des espoirs fous qu'elle s'était donnée pour essayer de trouver le moyen de s'en sortir.
Mais ce n'était pas possible. Et cela ne le serait jamais. Elle ne parviendrait pas à faire le deuil de sa famille. C'était comme vouloir attraper de la fumée avec ses mains. Un rêve, une idée, un souhait. Irréalisable. Impensable. Improbable. Il lui faudrait apprendre à vivre avec, faire croire aux autres que tout va bien. Prétendre être heureuse. Mais sans jamais l'être réellement. Et lorsqu'on a seize ans, ce n'est pas la vision de l'avenir que l'on a.
Les souvenirs revinrent. Puissants. Douloureux. Derniers vestiges d'une vie d'adolescente joyeuse. Comblée. Profitant de la vie et de ses amis. Du garçon dont elle était tombée amoureuse. Se dessinant un avenir serein. Vivant dans un monde de lumière. Sauf que les ténèbres avaient pris place dans sa vie. Dans son cœur. Dans son âme. Et il lui semblait impensable de pouvoir un jour retrouver la lumière...
La voix de Fred retentit soudainement dans le couloir, qu'elle entendit nettement en dépit de ses sanglots. Il lui demandait de le laisser entrer, qu'il était inquiet pour elle. Qu'il était là si elle avait besoin de lui. Il lui intimait d'ouvrir la porte, sinon il le ferait avec sa baguette.
Mais Hermione ne bougea pas, devenue brusquement silencieuse, le cœur au bord des lèvres et entendit distinctement le garçon pousser un profond soupir avant de partir. Le bruit de ses pas résonna de longues secondes dans l'esprit de la jeune fille avant que le calme ne revienne. Plus étouffant que jamais. Comprimant sa poitrine.
Ses larmes finirent par se tarir, et il lui sembla que cela faisait des heures qu'elle était enfermée dans la salle de bains, à évacuer sa peine. Cette douleur incommensurable avec laquelle elle vivait depuis deux mois maintenant. Cet étau dans la poitrine, toujours présent, pour lui rappeler ce qu'elle n'avait plus. L'amour. La joie. Le bonheur.
Fred revint plusieurs fois, mais Hermione ne lui adressa pas le moindre mot, même lorsqu'il menaça de nouveau de défoncer la porte. Elle pouvait clairement percevoir son angoisse dans le ton de sa voix. Son impatience témoignait aussi d'une inquiétude extrême mais pas une seule fois elle n'essaya de le rassurer. C'était au-dessus de ses forces. Et à vrai dire, elle n'en avait pas envie.
Le temps fila. Et la fatigue apparut alors, mais Hermione se refusa à quitter la pièce. Elle n'était pas encore prête à faire face aux regards des autres. A voir la pitié dans leurs prunelles, les écouter lui dire que tout irait bien, qu'elle allait s'en sortir. Ce n'était que des mensonges. Encore et toujours...
―Hermione Granger, si tu n'ouvres pas immédiatement cette porte, je jure devant Merlin que je la fais voler en éclats !
La jeune fille sursauta et crut un instant que Fred était revenu à la charge, mais l'intonation de voix était différente. Plus grave. Il lui fallut un petit moment pour réaliser que ce n'était pas lui qui avait prodigué cette menace, mais George.
―Je suis sérieux, continua-t-il d'un ton sec. Tu as dix secondes pour obéir avant que je défonce la porte. Un !
Aucun geste.
―Deux ! Trois !
Hermione soupira en se relevant, comprenant que le garçon allait réellement mettre son idée à exécution si elle ne faisait rien.
―Quatre ! Cinq ! Six !
Le cliquetis résonna dans le couloir, interrompant brusquement le rouquin qui pensait que la jeune fille ne l'écouterait pas. La porte s'entrouvrit de quelques centimètres et il n'hésita pas une seule seconde avant de s'engouffrer dans la pièce, craignant qu'Hermione ne change d'avis et lui ferme la porte au nez.
Son cœur se serra lorsque son regard se posa sur le visage blafard de la Préfète. Ses yeux étaient rougis et brillants. Sa peau avait perdu tout éclat et il réalisa soudainement à quel point Hermione était fragile. Plus qu'ils ne l'auraient pensé. Ils s'étaient tous voilés la face, fourvoyés en pensant qu'elle n'aurait aucun mal à faire son deuil. Mais, en dépit de sa bravoure et sa force, la jeune fille avait chuté inexorablement, s'enfonçant de plus en plus dans la douleur.
―Tu es entré, tu m'as vue. Donc, maintenant, tu peux t'en aller, lâcha-t-elle d'un ton sarcastique en reniflant bruyamment.
Bien malgré lui, George leva les yeux au ciel et s'installa sur le rebord de la baignoire, laissant son regard délibérément posé sur le visage de son amie.
―Je ne sortirai pas d'ici tant que tu ne m'auras pas dis tout ce que tu as sur le cœur, rectifia-t-il.
Il ne savait pas trop comment réagir face à la peine de la jeune fille. Il n'avait pas le don de Fred pour trouver les mots justes et la consoler. D'ailleurs, c'est son frère qui aurait dû être ici, assis sur cette baignoire, à discuter avec Hermione, et non lui. Mais elle avait catégoriquement refusé de le voir, et d'une certaine façon, George la comprenait. Il aurait agit de la même manière si la personne qu'il aimait le plus au monde venait à disparaître, le laissant dans un désarroi total.
Alors, il décida de ne pas faire semblant. Cela ne lui ressemblait pas, et Hermione en avait parfaitement conscience.
―Tu peux toujours rêver, assura-t-elle en croisant les bras.
Le rouquin arqua un sourcil et esquissa un demi-sourire amusé face au comportement de la jeune fille, qui par sa simple présence, reprenait un peu goût à la vie.
―On t'a jamais dis que l'obstination est la marque de fabrique des Weasley ? ricana-t-il.
Hermione leva les yeux au ciel en poussant un profond soupir. Une demi seconde, son regard s'attarda sur le reflet de son visage que lui renvoyait le miroir de la salle de bains. Elle faisait véritablement peur à voir.
―La patience aussi, ajouta George.
De longues minutes, la jeune fille hésita à répondre. A vrai dire, elle n'avait pas envie de parler au rouquin. Ni à lui, ni à aucun autre membre de sa famille. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était retrouver le silence. Méditer sa douleur. La comprendre. L'analyser. Trouver le moyen de la faire disparaître définitivement.
Elle crut même que le garçon allait finir par quitter la pièce, las de son silence, mais il ne bougea pas, se contentant de la fixer sans exprimer la moindre pitié. Non. Il était lui-même. Le George insouciant et farceur qu'elle avait toujours connue. Il ne cherchait pas à se comporter différemment avec elle, la traitant comme il l'avait toujours fais. Et c'était cela qu'elle voulait. Que tout le monde se comporte ainsi en sa présence. Comme si de rien était, bien que le souvenir ne s'effacerait jamais. Et c'était une des raisons pour lesquelles elle ne voulait pas voir Fred.
Elle se doutait bien que son refus de le voir le blessait. Elle l'imaginait sans peine déambuler dans la maison, se faisant un sang d'encre pour elle, s'angoissant, se demandant pourquoi son jumeau mettait autant de temps à la faire sortir de cette minuscule salle de bains. Elle voyait les traits de son visage se tendre, ses prunelles se mettre à briller d'inquiétude. Ses lèvres s'étiraient pour ne former qu'une ligne plate, sans le moindre sourire.
Mais elle avait peur. Terriblement. Qu'il se mette à changer de comportement avec elle. Qu'il ne se mette à la traiter comme une impotente. Qu'il finisse par se lasser d'une fille faible. Qu'il aille trouver le bonheur tant espéré dans les bras d'une autre. A cette pensée, Hermione sentit son estomac se contracter et les larmes perler au coin de ses yeux, sous le regard rassurant de George. Imaginer Fred avec une autre fille... la brisait littéralement.
―Il ne t'abandonnera jamais, fit le rouquin d'un ton apaisant.
―Qu'est-ce que tu en sais ?
―Parce que Fred n'a pas fait tout ça pour toi pour finir par te jeter comme une chaussette solitaire, répondit-il sereinement.
Un instant, Hermione se surprit à espérer que les propos de George soient vrais. Que Fred soit toujours là pour elle. Qu'il l'aide à trouver enfin le moyen de remonter la pente, aussi longtemps qu'il le faudrait. Qu'il continue à lui sourire comme il le faisait. Qu'il la regarde comme si c'était elle la plus belle au monde. Comme s'il ne voyait qu'elle.
Sauf que la peur de le perdre revint au galop, avec une violence qui lui coupa le souffle.
―Et si tu te trompais ? souffla-t-elle en baissant les yeux. Et s'il ne voulait plus de moi ?
―Hermione, moi qui pensais que tu étais la plus intelligente de l'école ! commenta George avec consternation.
―Arrête de te payer de ma tête ! s'énerva-t-elle.
―Je ne fais que commencer.
―Ah parce que tu te trouves drôle ! s'insurgea-t-elle en relevant la tête pour plonger son regard luisant de rage dans celui plus calme et moqueur du garçon. Sais-tu seulement ce que ça fait de se lever tous les matins en te demandant si ta vie va pouvoir continuer alors que tes parents ne sont plus là ? Sais-tu seulement ce que ça fait de voir le garçon dont tu es amoureuse plaisanter avec son père alors que tu sais que toi tu n'auras plus jamais l'occasion de le faire ? Non ! Non, tu ne sais pas, George Weasley ! Et tu ne sauras jamais ! Alors arrête de me parler sur ce ton arrogant et regarde plus loin que le bout de ton nez, pour une fois !
―Allez, Hermione, continue !
Surprise, la jeune fille se tut et essuya les larmes en train de couler le long de ses joues. Il lui fallut un peu de temps pour réaliser que parler lui permettait d'extérioriser ses émotions. Evacuer la peine. Laisser le passé derrière elle pour se consacrer uniquement au présent.
―Continue ! l'encouragea George en posant ses mains sur ses épaules. Vas-y, je sais que ça te fait du bien.
―Ça ne changera rien, soupira-t-elle. Ils sont morts et ils ne reviendront jamais.
―Alors tu vas passer le reste de ta vie à t'apitoyer sur ton sort, c'est ça ? s'indigna George en la regardant droit dans les yeux. Quel avenir pour une fille aussi brillante que toi ! Moi qui pensais que tu étais une fille courageuse, Hermione ! Une battante. Il faut croire que je me suis trompé. Qu'on s'est tous trompés. Tu me laisseras le plaisir d'annoncer ça à mon frère ?
La jeune fille accusa difficilement le coup, réalisant pourtant que le garçon avait raison. Cette fille faible... ce n'était pas elle. Non. Ce n'était pas la fille que ses parents avaient aimée. Ni celle qu'ils voulaient qu'elle devienne. Mais comment retrouver cette force, ce courage, cette envie de vivre qui faisait d'elle une véritable Gryffondor ? La réponse lui vint en posant son regard sur le visage calme de George.
Fred.
―Je ne sais pas si je trouverai la force de m'en sortir, avoua-t-elle en sentant une boule se former dans sa gorge. Je ne sais même pas si c'est possible.
―Tu ne seras jamais seule, lui promit le rouquin. Nous on sera là. On est ta famille, Hermione. On l'est depuis le jour où tu es devenue amie avec notre idiot de petit frère.
La jeune fille esquissa un sourire à ce souvenir. Cela datait de leur première année, le soir d'Halloween, lorsque le professeur Quirrell avait fait rentrer un Troll des montagnes dans le château et que celui-ci s'était réfugié dans les toilettes des filles où elle était en train de pleurer, pestant contre les remarques désobligeantes de Ron à son égard.
―Je dis pas qu'on prendra la place de tes parents, continua-t-il. Personne ne le pourra jamais. Mais ton cœur est assez fort, solide, pour que tu connaisses l'amour. L'amitié. La joie. En dépit de tout ce que tu peux croire, je sais que tu as été heureuse avec mon frère ces derniers mois. Il ne tient qu'à toi de savoir si tu le veux encore.
―Oui, répondit-elle sans réfléchir, arrachant un sourire triomphant au rouquin.
―Alors, sors de cette salle de bains et affronte ton avenir.
Il lui adressa un dernier regard avant de quitter la pièce et Hermione écouta le bruit de ses pas par la porte ouverte avant de prendre une grande inspiration. Son regard se posa sur son reflet dans le miroir, et elle comprit que la vie devait continuer malgré tout.
―Mes parents sont morts, lança-t-elle à la fille pâle du miroir. Ils sont morts, et ils ne reviendront pas.
La douleur dans sa poitrine ne s'en irait jamais. Le goût amer de son enfance heureuse resterait là pour toujours.
Pourtant, elle trouverait la force nécessaire pour faire son deuil.
Pour eux.
Pour Fred.
Pour elle.
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