3.Caleb
« Parfois, la vie est dur. Et, parfois, c'est nous qui la rendons plus difficile. »
—Dewel, c'est à toi, s'écria ma psychologue sans même prendre la peine de sortir de son bureau.
Mais ce n'était pas vraiment la peine, j'avais l'habitude. Je rentrais avec un sourire sarcastique et un clin d'oeil. Elle me connaissait assez pour se contenter de rouler des yeux.
—Comment vous allez, Doc?
—Je suis presque sure que ce n'est pas ma séance, Caleb, mais la tienne, rétorqua-t-elle en soupirant.
Je haussais les épaules et m'asseyait dans le petit fauteuil en cuir. C'était tellement stéréotypé que j'avais envie de rire à chaque fois.
—Je vous ai déjà dit qu'il vous faudrait un canapé?
—Chaque semaine.
Ah. Elle devrait m'écouter, parce que c'était drôlement inconfortable de se tenir assis dans un fauteuil aussi serré.
—J'ai le droit au coloriage aujourd'hui?
—J'aurais le droit à une énième caricature de ton professeur d'anglais, n'est-ce pas? soupira Doc avec un léger sourire résigné.
Parce qu'on savait tous les deux que je ne parlerais pas. Je venais ici toutes les semaines depuis trois mois, et je n'avais jamais parlé de ça. Elle m'observa alors que je me mettais à dessiner, et souris en me voyant représenter grossièrement à globe terrestre.
—Le prof de géo?
—Il nous a fait un test surprise, cet idiot. Qui connait les capitales de tous les pays du sud de l'Afrique sans avoir bossé deux heures avant?
—Pas toi?
—Non. Quoique Heather a probablement su tirer la moyenne. Enfin, c'est Heather quoi, grommelai-je en gardant les yeux rivés sur ma feuille.
—Elle est première de classe?
—Pas vraiment, mais elle se débrouille bien dans les cours. C'est le genre de connerie qui lui tiennent à coeur, vous voyez? Avoir une bonne moyenne, obtenir une mention au diplôme... tout ça.
—Et pas à toi?
Je ne rétorquais rien. A quoi bon avoir une bonne moyenne? J'étais un peu comme en sursis maintenant, de toute façon.
Ma psy dût comprendre mes pensées car elle soupira.
—Cal, tu vas bien. Ta maman a eu le bon réflexe, tu as été diagnostiqué avant qu'aucun symptôme n'ait eu le temps d'apparaitre. Tu as des médicaments, des médecins... Tout ira bien, souffla-t-elle en posant une main sur ma feuille.
Mais je n'avais pas envie de relever les yeux. Je n'avais pas non plus envie de la voir, et de voir le regard de pitié qu'elle aurait forcément.
Parce que tout le monde me disait que j'allais bien. Tout le monde me disait que tout irait bien.
Mais je n'étais pas bien, et rien ne serait plus jamais normal dans ma vie.
—J'avale la pilule, Doc. Sans jeux de mots, rajoutai-je en pensant aux véritables pilules que j'avalai le soir.
—Tu me dis ça à chaque fois.
Je haussais un sourcils en la dévisageant, et elle leva les yeux au ciel.
—Je sais que ce n'est pas le genre de chose qu'on accepte en une nuit, Caleb, mais tu n'en parles jamais, expliqua-t-elle avec une légère grimace.
—C'est con? Une nuit pour tout gâcher et des années pour l'admettre, plaisantai-je sobrement, et Doc soupira.
—Tu me désespères, Cal. De quoi veux-tu parler aujourd'hui?
—J'ai un immense besoin de discuter de mon futur échec en géo, déjà. Et aussi de la façon dont les plats de la cantine sont devenus encore moins mangeable. Vous me croyez si je vous dis qu'ils proviennent des poubelles du quartier? Je vous jure, il n'y a pas d'autres explications.
—Et de cette fille? Heather? Tu veux en parler?
—Il n'y a rien à dire, la coupai-je immédiatement.
Et je savais que la psy marquerait son nom en rouge sur son petit cahier de note. Parce que ma réaction venait de lui révéler qu'il y avait vraiment beaucoup de chose à dire.
Et pourtant, c'était vrai. Il n'y avait plus rien à dire sur Heather Johnson.
Je savais que c'était stupide, de rejeter ma meilleure amie. Je savais que Heather aurait compris, qu'elle aurait compris mieux que quiconque. Mais j'avais honte.
Je ne savais même pas prononcé ces mots, alors comment pourrais-je en parler à quelqu'un d'autre?
Heather traiterait cela comme n'importe quel autre problème qu'on avait eu: elle s'en renseignerait au maximum afin de trouver une solution.
Et je ne savais pas comment lui dire, vraiment, qu'il n'y en avait aucune.
Ma mère m'attendait déjà dans la salle d'attente lorsque je revenais. Elle sourit face à mon air fermé, et je m'en voulais presque d'être aussi froid avec elle.
—Ca a été aujourd'hui, mon chéri?
—Nickel.
—Tu... Tu as parlé? demanda-t-elle, mais ce n'était plus moi qu'elle regardait.
Peu importe la tête que Doc faisait, cela fit comprendre à ma mère qu'on n'avait pas vraiment fait de progrès.
—C'est pas grave. La semaine prochaine, hein?
—T'espères encore? lançai-je un peu vicieusement, et cela la fit froncer les sourcils.
—Caleb.
—Laisse tomber, grommelai-je en la doublant pour aller dans la voiture.
Ma mère arriva dix minutes plus tard, et soupira en se plaçant derrière le volant.
—Ecoute Cal...
Je la regardais avec un regard noir, et elle finit par souffler sans rien rétorquer.
C'était con, mais j'en avais marre que tout le monde parle de moi. D'un seul coup, j'avais l'impression que le sida était dans toutes les conversations. Ma mère n'avait jamais fait autant de dons que depuis que j'en étais atteint. Et je trouvais ça un peu hypocrite, à vrai dire.
Lorsque je rentrais ce soir-là, papa était déjà plongé dans ses dossiers. Il ne m'adressa pas la parole, et je passai devant lui sans rien dire non plus. On ne savait déjà pas très bien communiquer auparavant, et j'avais asséné le coup fatal trois mois plus tôt.
Maintenant, mon père me voyait comme le pauvre gars trop stupide pour utiliser une capote et admettre ses erreurs. Et j'avais tellement du mal à me voir autrement, moi aussi.
On ne savait plus se parler sans s'engueuler, et c'était tellement triste. J'avais l'impression que maman allait finir par péter un plomb, à force de s'immiscer entre nos disputes.
Mais peut-être serait-ce lui, peut-être serait-ce moi. On n'était tellement tous à cran dans cette famille, ça ne m'étonnerait même pas si on finissait juste par exploser tous en même temps.
Et ce jour-là, je me demandais vraiment ce qu'il me resterait.
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Et un petit dernier chapitre pour la route 😘
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