10. Caleb
«C'était tellement dur, de s'accepter tout entier, avec ses défauts et ses qualités. Ses réussites et ses échecs. »
Doc me reçut le lendemain, juste après les cours. Elle vint me chercher dans le couloir, pour une fois. Je tentais d'éviter son regard, parce que je savais qu'elle n'aurait pas la même patience aujourd'hui. Je ne quitterais pas son bureau sans avoir craché le morceau.
—Ta mère m'a parlé de ce qui s'est passé hier, avec ton père, commença-y-elle doucement.
Je me contentai de tourner le petit cliché de l'arbre mort du bout des doigts, et de relire la phrase.
—Caleb. Ne pas en parler ne fera disparaitre mystérieusement ce qui empoisonne ton corps. Ignorer tes peurs ne les font pas devenir insignifiantes. Je veux t'aider, mais j'ai besoin que tu parles. Cal, j'ai besoin que tu me racontes ce que tu ressens, continua-t-elle lorsqu'elle comprit que je n'avais pas l'intention de répondre.
J'ouvris alors légèrement la bouche, comme pour avaler une grosses goulée d'air. En réalité, je me préparais à parler. Comme d'habitude, les mots semblaient comme bloqués au fond de ma gorge. Ils m'étouffaient, m'emprisonnaient. Ils ne donnaient l'impression que j'allais mourir sans avoir pu en parler autour de moi. Doc dut le comprendre, car elle jeta un petit regard à la photo, et me tendit une main.
—Je peux la voir?
Je lui tendis le cliché sans un mot. J'osais à peine respirer. Je pouvais deviner qu'elle lisait la phrase, cette phrase même qui m'était adressée.
—Qui t'a donné ceci?
—Une amie. Heather.
—Elle est très intelligente, déclara-t-elle avec un léger sourire.
J'étais d'accord, alors je hochai la tête. Doc dût prendre ce geste comme une collaboration de ma part, car elle garda la photo entre ses mains.
—Tu en as reçu d'autres?
—Elle voulait que je lui répondre. Sur une autre photo, répondis-je assez facilement.
Parce qu'il était toujours facile de parler de ma meilleure amie. Je la connaissais assez pour en parler pendant des heures.
—Que lui as-tu répondu?
—Que certaines choses ne se réparaient jamais.
—C'est vrai aussi.
Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit d'accord avec moi. En réalité, je m'attendais à ce qu'elle soit déçue de ma réponse. Aussi déçue que je l'avais été de moi-même.
—Tu sais pourquoi cette arbre redeviendra aussi vert et majestueux le printemps prochain? Parce qu'il a choisi de se battre pendant tout l'hiver pour vivre une autre année. Il a choisi, Cal. Personne ne l'a forcé, personne ne l'a fait parler, continua-t-elle avec un air grave et j'avais l'impression qu'on ne parlait pas tant de l'arbre que de moi.
—J'ai mal au coeur, tout le temps, soufflai-je alors.
C'était la première fois que j'évoquai quelque chose, n'importe quoi, qui avait un lien quelconque avec ma toute nouvelle condition. Mais ce n'était pas un film. Je ne sentis pas un poids immense quitter ma poitrine. Je ne ressentis pas d'immense soulagement.
Cependant, j'eus l'impression qu'un barrage venait de craquer, et mon esprit était désormais tourmenté par des dizaines de pensées en même temps. Je me sentais complètement dépassé, et j'avais l'impression de couler.
—Parfois, j'ai pas faim. Et parfois, je n'arrive pas à dormir. Je repense juste à tout ce qui s'est passé ces derniers mois, et je suis tellement furieux que je dois marcher pour me calmer.
J'humidifiais alors mes lèvres, détournais le regard vers la fenêtre. Je tentais de me caler un peu plus dans le fauteuil en cuir, mais j'étais bien trop tendu pour être confortable.
—Je ne sais pas vraiment sur qui je peux être en colère. Je sais que je suis furieux contre moi-même. Et, parfois, je rejette toute la faute sur Orlana. Et parfois, je voudrais juste qu'elle me réponde, qu'elle m'explique. Je voudrais comprendre pourquoi moi. Je voudrais juste... Je voudrais comprendre, finis-je un peu lamentablement.
Doc s'avança alors pour me serrer la main. Elle ne me força pas à la regarder, et j'en fus heureux, parce que je n'aurais probablement pas su finir si elle m'avait demandé cet effort.
—Qu'est-ce que tu voudrais comprendre, Caleb?
—Pourquoi j'ai le sida. Pourquoi... Pourquoi certains oublient des dizaines de fois de mettre une capote et n'ont jamais aucun problème. Pourquoi d'autres l'oublient et se retrouvent avec un bébé. Je voudrais savoir pourquoi, moi, je l'oublie une fois et me retrouve avec une putain de maladie. C'était juste une fois, insistai-je avec une voix brisée.
Parce que, au fond, j'avais peur qu'elle ne me croyait pas. J'avais peur qu'elle était comme mon père. J'avais peur de passer pour ce genre de garçon qui couche à droit et à gauche et s'étonne après d'avoir chopé un mauvais truc.
Je soufflai alors pour expulser tout l'air qui se trouvait dans mes poumons, et fut surpris de réaliser que je pleurais. Je relevais alors les yeux vers Doc. Celle-ci m'accorda un petit sourire tendre, et j'avais presque l'impression de ne pas le mériter.
—Ca va mieux? Soulagé?
—Je me sens juste... fatigué, avouai-je avec un léger sourire, même si mon humeur était à des kilomètres de la plaisanterie.
—C'est normal. Tu as fait un immense pas, Cal. Je suis incroyablement fière de toi aujourd'hui. On va enfin pouvoir commencer à travailler, tous les deux, déclara-t-elle avec un air déterminé.
—Je vous demande pardon? Qu'est-ce qu'on a fait pendant ces derniers mois, jouer aux coloriages?
—Pas loin en effet. Mais ce n'est pas grave. Tu en avais besoin. Tu devais admettre à toi-même que, oui, tu es séropositif. Que tu le seras toute ta vie.
Maintenant, on va travailler à te faire comprendre que c'est ok, de l'être. C'est ok d'aimer d'autres personnes qui ne le sont pas, et c'est normal de vouloir coucher avec elles.
—N'importe quoi, me moquais-je en roulant des yeux.
—A partir de maintenant, on va travailler en trois étapes. D'abord, la compréhension. Ensuite, le pardon. Et enfin, on t'apprendra à aimer à nouveau, glissa-t-elle avec un léger sourire.
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Coucou les filles!
Excusez-moi de n'avoir pas posté la semaine passée, j'ai été chargée au niveau des études... j'espère toutefois me rattraper avec ce chapitre-ci. Tout n'est pas résolu, mais Caleb commence enfin à s'ouvrir! C'est un premier pas ;)! Dites-moi ce que vous en penses 😘!
Plein de bisouuuuuuus ❤️
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